jeudi 7 décembre 2017

Pharmakon et Réduction des risques


"En Grèce ancienne, le terme de pharmakon désigne le remède, le poison, et le bouc-émissaire.
Le pharmakon est à la fois ce qui permet de prendre soin et ce dont il faut prendre soin, au sens où il faut y faire attention. Cet à la fois est ce qui caractérise la pharmacologie qui tente d’appréhender par le même geste le danger et ce qui sauve.
Poison et remède, le pharmakon peut aussi conduire par sa toxicité à désigner des boucs-émissaires tenus responsables des effets calamiteux auxquels il peut conduire en situation d’incurie." 
Le pharmakon (ou pharmakos)  bouc-émissaire est illustré ci contre.

On comprend donc aisément en quoi ce mot fascine les spécialistes des addictions. Il contient à lui seul les faces multiples du monstre connu sous le nom de « drogue ». Poison pour les uns, remède pour d’autres, mais surtout bouc émissaire, prétexte idéal, casus belli de rêve. Par sa définition floue et paradoxale le  pharmakon me semble correspondre à la problématique des toxiques comme à celle de la réduction des risques (RdR)

En matière de lutte et de prévention des méfaits des psychotropes, deux attitudes prévalent actuellement. L'une moralisatrice et répressive consiste à  prohiber la consommation en masquant le problème et en compliquant la vie de l' usager afin de le dissuader de consommer ('punir pour soigner' conformément à la loi de 1970). Par voie de conséquence, en raison de la criminalisation des pratiques, et du manque d'informations, les consommateurs mettaient leur santé en danger: achat de drogues frelatées, risques de dosages ou de mélanges dangereux, injections à risque facilitant la transmission des virus. 
L'autre attitude, celle de la réduction des risques (RdR), adopta une approche beaucoup plus pragmatique du genre : "Si vous le pouvez, ne vous shootez pas. Sinon, essayez de sniffer au lieu d'injecter. Sinon, utilisez une seringue propre. Sinon, réutilisez la vôtre. Au pire, si vous partagez une seringue, nettoyez-la à l'eau de javel"....etc Oui, c'est ainsi que se pratiquait la RdR au siècle dernier ! 
Depuis les années 90 la RdR est une démarche globale qui vise la «réduction des effets nuisibles sur la santé», ou encore «réduction des dommages» (sous-entendu «causés par l’usage des drogues »).

C’est une démarche qui consiste à soutenir les personnes et trouver avec elles des solutions adaptées à leurs pratiques et dans le respect de celles-ci afin de réduire les risques de contamination et/ou de transmission du VIH et des hépatites.

Conceptuellement, la réduction des risques (RdR) rompt avec l'idéal d'éradication des drogues en proposant plutôt d'apprendre à 'vivre avec les drogues' en les domestiquant et en promouvant une attitude responsable et soucieuse des risques induits. Cette approche permet de dépasser la vision moralisatrice et répressive. 
De manière récurrente la RdR est traversée par le débat entre une 'weak rights version' qui ne pose pas la question légale comme une condition nécessaire à la réduction des risques (comme c'est le cas en France), versus une 'strong rights version' qui considère que l'usage de drogues fait partie des droits de l'homme et fait de la question légale un préalable à la réduction des risques (Neil Hunt).
Enfin, un autre débat oppose une vision neutre de la RdR, centrée uniquement sur la dimension pragmatique et réduite à la mise à disposition d'outils, à une vision politique et morale qui s'attache plus globalement à la prévention et au contexte d'existence des usagers. Ainsi, en France, la réduction des risques répond principalement à des objectifs purement sanitaires et les réponses sociales telles que l’hébergement ne participent pas toujours au dispositif. Au contraire, dans les autres pays d’Europe du Nord, les collectivités locales sont à l’origine de véritables politiques locales en matière à la fois de drogue et de toxicomanie.

Sur le terrain, côté RdR on trouve Technoplus, qui regroupe des assos comme, par exemple, keep smiling en milieu festif sud-est, les Caarud  (Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues) en ville, et surtout les sites comme psychoactif, Asud ou météo des Prods sur le net. Quoi qu'il en soit, les associations de réduction des risques me semblent toucher principalement un public initié. Les primo-utilisateurs, les plus jeunes, ne les connaissent généralement pas. Il est d'ailleurs bien délicat d'orienter un tout jeune utilisateur vers des sites spécialisés comme Psychoactif qui  à l'instar du 'pharmakon'  éduquent, informent, préviennent des risques mais ouvrent aussi les portes à quantité d'expériences nouvelles et bien sûr plus ou moins risquées. Le remède risque dans ce cas de devenir poison. Quand au bouc-émissaire, ce sera alternativement le consommateur l'initiateur et naturellement les associations de réduction des risques. Le cas le plus récemment médiatisé est sans doute la polémique au sujet de la salle de consommation de la rue Ambroise Paré Paris XVIII.
Comme toujours, ce qui est simple est faux et ce qui ne l'est pas est plus compliqué.

Ozias


Sources : 


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