vendredi 19 mars 2021

drogues et depistages

« En France la conduite après avoir fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants, est interdite, quelle que soit la quantité absorbée. La police et la gendarmerie disposent d’un kit de dépistage salivaire qui détecte les différents types de drogues en quelques minutes. (…) Ce test peut être demandé même lorsque le véhicule est à l’arrêt, moteur coupé.» 
Renseignements et infos sur http://www.securite-routiere.gouv.fr

En cas de contrôle positif au cannabis, sa simple détection au dépistage qualifie l’infraction et ce peu importe le taux de THC dans le sang ou dans les prélèvements salivaires. À la clé, suspension immédiate —mais provisoire– du permis de conduire, retrait de points, amende et inscription du délit au casier judiciaire.

La loi française a cette particularité de réprimer la conduite après usage de stupéfiant plutôt que la conduite sous usage de stupéfiant (article L.235.1 du code de la route). De simples traces de l'ordre du demi nanogramme/ml de sang (pour le THC) suffisent à caractériser le délit.
Le THC est la drogue la plus fréquemment dépistée (environ 90% des cas) et, précision importante, il est trouvé associé à l'alcool dans 42% des cas de dépistage.
Prenons le cas d'un petit consommateur qui fume quelques joints par mois (moins d'un par semaine). 
Et bien, si 36 heures après avoir fumé un pétard léger faisant suite à 10 jours d'abstinence il fait un test de détection :  Le résultat du test urinaire est Positif !
Cela veut dire qu'un jour et demi après avoir fumé, et alors que tous les effets ont disparu,  le taux de THC dans ses urines restant supérieur à 75µg/litre d'urine, il ne devrait "pas conduire un véhicule, ni entreprendre une action nécessitant toute sa concentration" !

Les premiers états américains qui ont légalisé le cannabis récréatif (Colorado et Etat de Washington) ont choisi un seuil de tolérance de 5 ng/ml de sang. Le taux de THC correspondant au taux légal d'alcool (qui est de 0.5 mg/ml) serait, quant à lui, de 3.8 ng/ml, taux que plusieurs rapports d'experts européens préconisent de mettre en place. Mais voilà, la France a choisi le seuil de 0.5ng/ml de sang alors qu'il est de 2ng/ml au Royaume-Uni, de 3ng/ml aux pays-Bas et de 0.3ng/ml en Suède. Une  étude Australienne montre qu'en ce qui concerne le THC, 4 heures après sa consommation les altérations de la conduite disparaissent complètement. De même, une nouvelle étude publiée par l’université Américaine du Kansas ne trouve strictement aucune augmentation de la mortalité routière avant/après la légalisation du Cannabis médical et récréatif aux USA depuis 23 ans.

En bref, en France, il vaut mieux conduire à moitié sourd et aveugle que de prendre le volant en pleine possession des ses moyens après avoir fumé un joint deux jours plus tôt.
Il semble que ce que l’on nomme sécurité routière chez nous en France, soit en revanche l‘insécurité permanente pour 5 millions de conducteurs à priori innocents.

Que faire si vous êtes dépisté positif ? 

Notez bien que je n'ai pas expérimenté ce processus et que je résume ici un article de le revue ASUD #60 octobre 2017 p12-13 détails dans l'image ci-dessous)

1. Si vous pensez avoir un taux bas (consommation de plus de 12heures), évitez d'avouer l'usage d'une drogue, ça pourrait vous éviter d'être condamné pour usage si le taux détecté par l'analyse de confirmation est inférieur à celui toléré. Invoquez plutôt une consommation passive, à l'insu de votre plein gré.

2. Réclamez une prise de sang. Vous aurez alors droit à un examen clinique qui pourra confirmer que vous étiez dans un état normal et plus vous attendez et plus votre taux va baisser. 

3. Demandez systématiquement une contre expertise. Le taux retenu est le plus faible et si la différence entre les résultats est importante, l'analyse n'aura plus de valeur et vous serez relaxé. Vous avez 5 jours pour pour réclamer cette contre-expertise à compter du résultat de la première analyse.

4. Au tribunal, sachez que la comparution en reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) permet de se faire assister d'un avocat spécialisé qui sera à même de dénicher un éventuel vice de forme. Sinon, sachez que les peines sont fixées bien avant votre comparution.


Petit florilège des méthodes supposées fausser les résultats du test  (revue ASUD #60 octobre 2017 p13):

•• bain de bouche à l’Éludril®, à la Listerine® ou au Paroex® ;
•• bain de bouche au peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée), surtout ne pas l’avaler ! ;
•• bain de bouche à l’huile d’olive citronnée ;
•• produit commercial de type « kleaner » ;
•• garder en bouche des bonbons Altoids et lors du prélèvement de salive, frotter le bâtonnet contre eux 
•• mâcher des chewing-gums en conduisant, de préférence au bicarbonate de soude ;
•• se rincer soigneusement la bouche à l’aide de Gaviscon®, un produit contre l’acidité vendu en pharmacie ;
•• juste avant un contrôle, mettre une goutte d’huile essentielle de menthe poivrée sur sa langue et se faire saliver
•• consommer des fruits acides, voire de l’acide citrique ;
•• manger du Nutella avant le contrôle.




Tableau des durées de positivité selon le type de substance et le mode de prélèvement :


ATTENTION !!!! Prendre le volant en ayant consommé des stupéfiants ou de l’alcool est une attitude qui peut vous mettre en danger et vous engager pénalement. Faire cela, peut avoir des conséquences irréparables sur votre vie et sur celle des autres. 



Un flyer de référence:

Consommation passive et détection d'usage :


mardi 9 mars 2021

Hypertélie. L'intelligence des limites

 

Le concept biologique d'hypertélie* décrit le développement jugé excessif de certains éléments ou caractères organiques d'une espèce animale.Par exemple les ramures en forme de palmes géantes du cervidé fossile Mégalocéros, ou la queue plus longue que le corps chez les paons, ou encore les mandibules énormes du lucane cerf-volant, etc. Il s'agit du développement d'un organe qui va en contradiction avec la règle de la conservation exclusive des structures "utiles" dans la lutte pour l'existence.
Darwin explique que la raison du maintien de la croissance d'une telle structure réside dans un déplacement de l'avantage vital des "armes" vers les "charmes" car les organes 'hypertéliques' sont un avantage dans le champ de la sélection sexuelle. Dans le cas de la performance reproductive "il est plus important de séduire que de gagner en adaptation". Un tel 'charme' 'surcompense' donc le désavantage qui affecte "les armes" en tant qu'instruments directement utiles à la survie.
Ainsi, c'est  dans la "zone d'hypertélie" comprenant les manifestations ornementales de la sélection sexuelle que s'effectue la prise d'avantage du signe de la fonction sur la fonction réelle. C'est dans l'élément de l'hypertélie que s'enracine le pouvoir du symbolique, qui est pouvoir de séduction, au prix d'un mensonge sur le pouvoir réel. 

L'hypertélie peut donc se caractériser par trois éléments : 
Hyper-développement d'un trait  en contradiction avec le fonctionnement 'automatique' de la sélection naturelle. Naissance de l'avantage symbolique. Fragilité du symbole comme dépense de signes dissimulant une diminution réelle de la force. 

L'excroissance hypertélique consiste en une extension indéfinie de l'artifice compensatoire, et donc une autonomisation de plus en plus accentuée du domaine symbolique. Le symbole est "du signe en excès". On peut dire que le symbole est une hypertélie du signe. Il est fragile car il signifie plus que le signe et qu'il en fait trop dans le fait de signifier. Le symbolique est par nature le domaine de l'excès car ce qui est destiné à impressionner ne peut être économe. Le symbole est hypertélie car biologiquement il implique une surcompensation de l'affaiblissement réel du corps écrasé par sa parure ou éreinté par la danse nuptiale. Si, dans la nature, existe une limite à l'amélioration de l'utilité propre d'une structure anatomique (le basculement dans la désadaptation), rien ne s'oppose au développement indéfini d'un accessoire de séduction.

Hypertélie des civilisations :

Parallèlement, c'est parce que l'adjuvance des artefacts rationnels produits par l'homme a surcompensé la perte de certaines de ses capacités primitives que ce dernier a accédé à un succès évolutif confirmé par sa domination sur l'ensemble du monde vivant. En aménageant son milieu, l'homme se soustrait à la loi sélective et engage des stratégies de compensation rationnelle face à son déficit grandissant.
 Selon Darwin, dans 'la filiation des espèces' chapitre_V, la Civilisation, en faisant obstacle à la sélection naturelle, met en péril la qualité biologique du groupe humain, mais l'emporte à la fin grâce à une surcompensation. 
Dans son essai de généalogie matérialiste du symbolique 'l'intelligence des limites', Patrick Tort montre que "la civilisation" peut être qualifié d'hypertélique du point de vue de la seule sélection naturelle et que l'histoire peut être envisagée dans son ensemble comme une excroissance hypertélique de l'évolution. 
Le mécanisme de la course aux armements pourrait être l'illustration privilégiée d'une hypertélie dans l'accroissement de la puissance des armes: leur utilisation s'efface devant leur capacité de dissuasion tandis que leur dangerosité hypertrophiée a pour conséquence leur non usage. 
Le capitalisme est hypertélique dès lors qu'il affiche comme une évidence que sa "santé" est suspendue à une croissance que rien ne viendrait briser ni ralentir dans un monde fini que lui même il déstabilise.
De même que la croissance des ramures du cerf Mégalocéros se poursuivait au delà et potentiellement contre toute utilité, pour la seule raison qu'elle augmentait le charme des grands mâles polygames (naissance du symbolique), de même la croissance économique ne perdure qu'à la faveur d'une emprise indéfiniment renforcée du symbolique, et se poursuit jusqu'à produire un déséquilibre mortel. 
"L'hypertélie, en tant que concept du dépassement de l'utile, de l'avantageux ou de l'adapté, accompagné d'un handicap, et suivi dans le temps d'un effondrement de la structure et de ce qui la porte, s'impose dans son étonnante aptitude à caractériser les multiples aspects autodestructeurs de l'emballement économique" (p121). 
Le mégalocérops a survécu à la croissance hypertélique de ses atours, mais pas à au changement de végétation produit par le changement climatique (le paysage de Toundra est devenu forêt impénétrable). Le mégalocérops  avait, en quelque sorte "épuisé son crédit symbolique", tout comme aujourd'hui le capitalisme est en train de perdre son pouvoir de séduction, après une période de survie flamboyante qui l'a conduit de fait au bord de l'effondrement annoncé par les spécialistes de la dynamique des systèmes (rapport Meadows 1972 et suivants).p136.

Car si l'Homme a effectivement le pouvoir de renverser la nature, il n'a cependant pas celui de rompre avec elle car nous sommes avant tout des organismes.

Ozias
Notes de lecture de "L'intelligence des limites". Patrick Tort. Gruppen 2020.






Voir dans ce blog :

 * Même si la question du handicap fonctionnel dû à une croissance excessive de certaines annexes corporelles a été tranchée par Darwin dans le sens d'une surcompensation dans le champ reproductif, le terme d'hypertélie est postérieur à la publication par Darwin de 'la Filiation de l'homme' (1871).

samedi 6 mars 2021

Santé sécurité et liberté


Voici un article extrait d'une Tribune du journal 'Le Monde' du  1 mars 2021 dans laquelle Mireille Delmas-Marty remarque que  
« Le rêve de perfection transforme nos Etats de droit en Etats policiers ». 

Après les discours musclés annonçant l’éradication du terrorisme, voici les discours savants sur le
« Zéro Covid ». Et toujours la même obsession sécuritaire, le même rêve d’un monde sans risque, sans crime et sans maladie. On s’en réjouirait si l’on ne savait avec quelle facilité le rêve d’un monde parfait peut tourner au cauchemar des sociétés de la peur.

Il y a plus d’un siècle, Emile Durkheim [1858-1917] avait pourtant montré que le crime est « un fait de sociologie normale » (Les Règles de la méthode sociologique, 1895), invoquant cette raison simple : « Pour que la société puisse évoluer, il faut que l’originalité humaine puisse se faire jour ; or pour que celle de l’idéaliste qui rêve de dépasser son temps puisse se manifester, il faut que celle du criminel, qui est au-dessous de son temps, soit possible. » D’où la formule provocatrice : « Le crime est donc nécessaire ; il est lié aux conditions fondamentales de toute vie sociale, mais par cela même il est utile, car les conditions dont il est solidaire sont elles-mêmes indispensables à l’évolution de la morale et du droit. » Le sociologue suscita de telles indignations qu’il dut préciser, dans la deuxième édition, qu’il n’entendait pas faire l’apologie du crime mais se préparer à mieux le combattre. 

Que dirait-il à l’heure actuelle où le rêve de perfection s’accompagne d’une inflation de normes, véritable « goutte-à-goutte normatif » (Catherine Thibierge, 2018) qui, jour après jour, rend presque invisibles les transformations en cours. D’autant que de nouvelles technologies ne cessent d’arriver sur le marché, offrant aux décideurs des moyens de surveillance encore inimaginables au temps de Durkheim. La reconnaissance faciale, développée par Apple pour le déverrouillage de ses nouveaux téléphones, se combine à la surveillance par caméras, voire par drones, à la géolocalisation des utilisateurs d’Internet ou encore aux algorithmes de reconnaissance des émotions. Insensiblement, tout cet arsenal transforme nos Etats de droit en Etats policiers et nos sociétés ouvertes en sociétés de la peur où la suspicion suspend la fraternité et fait de l’hospitalité un délit pénal.

Univers infantilisant


Comment s’en plaindre, alors que nous fournissons nous-mêmes les données, les réseaux sociaux ayant su exploiter le désir illimité d’avoir accès à tout, tout de suite et en permanence ? Obéissant à des « pulsions narcissiques plus puissantes encore que le sexe ou la nourriture », nous passons d’une plate-forme à l’autre « comme un rat de la boîte de Skinner qui, en appuyant sur des leviers, cherche désespérément à être toujours plus stimulé et satisfait » (Bernard Harcourt, « Postface » in La Société d’exposition. Désir et désobéissance à l’ère numérique, Seuil, 2020).

Avec la lutte contre la pandémie, le mouvement s’accélère. Sommés de protéger ce bien commun que constitue la santé, peu de dirigeants politiques résistent à la tentation d’instaurer une surveillance permanente et généralisée digne d’un régime autoritaire. La pédagogie de la complexité n’est plus de mise dans cet univers infantilisant, car fait de normes contradictoires et incompréhensibles. Tocqueville avait vu juste quand, imaginant le despotisme en démocratie, il avait prophétisé un « despotisme doux » qui couvrirait la surface de la Terre « d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour ».

Peu importe que les dispositifs de fichage, puçage et traçage ne soient pas totalement fiables. Peu importe que les acteurs publics soient débordés et que grandes villes comme Etats fassent appel à des entreprises privées, au mépris de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, instituant la force publique « pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Peu importe, enfin, que l’Etat de droit soit bafoué et que les garanties restent illusoires quand la sécurité, promue « premier des droits », devient le fait justificatif suprême, une sorte de légitime défense face à l’agression du virus.

Car le langage guerrier n’est pas seulement une métaphore. Rappelons-nous le tournant sécuritaire post-11 septembre 2001. Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies (13 et 18 septembre) avaient considéré pour la première fois que des attentats terroristes soient qualifiés d’agression et que les représailles relèvent de la légitime défense. Le Patriot Act américain permit alors le transfert des pleins pouvoirs au président George W. Bush ; par la suite, en mars 2003, des frappes aériennes furent lancées contre l’Irak au nom d’une légitime défense élargie, dite « préventive », véritable négation de l’Etat de droit. Cette vision guerrière devait par la suite atteindre la plupart des démocraties occidentales, « décomplexées » par l’exemple américain.

Double extension de la surveillance


Ainsi en France, la loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté permet de retenir en prison, pour une durée indéfiniment renouvelable, des condamnés ayant déjà purgé leur peine, au motif de leur « dangerosité », attestée par une commission de composition hétérogène. Puis, après les attentats de Paris et la déclaration de l’état d’urgence, la France réduira encore les libertés, systématisant le transfert de pouvoirs à l’exécutif et l’affaiblissement de l’autorité judiciaire au profit des pouvoirs de police et des services de renseignement (voir notamment, la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement).


Comme la sécurité n’est jamais parfaite, le rêve du risque zéro, qu’il s’agisse de terrorisme ou de pandémie, entraîne inévitablement une surenchère, voire une sorte d’hystérie législative qui relève plus de l’activisme que de l’action efficace. Encore plus dangereux que Ben Laden pour la démocratie, le coronavirus accélère le recul de l’Etat de droit. Et ce au nom d’une urgence sanitaire qui se prolonge au point qu’on se demande s’il ne s’agit pas cette fois d’une mutation durable du régime politique.


La menace du virus conduit à une double extension de la surveillance : d’une part l’anticipation, une extension dans le temps (prévenir au lieu de guérir), qui peut sembler souhaitable, mais à condition de poser les limites et de garantir la proportionnalité des mesures de défense à la gravité de la menace ; d’autre part la globalisation, une extension de la surveillance dans l’espace (de l’espace national à l’espace mondial, réel ou virtuel) qui appellerait des contrôles presque impossibles à mettre en place à une telle échelle.

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Mireille Delmas-Marty est juriste, professeure émérite au Collège de France, membre de l’Institut de France.