samedi 28 février 2015

breaking bad une série de malades

Walter White ( aka Heisenberg)
Avec 62 épisodes, 3,2 millions de dollars de budget par épisode et 45 récompenses, la série Breaking Bad donne de quoi réfléchir en offrant du handicap et de la maladie une image décalée et (presque) positive. 
Breaking Bad met en scène un cancéreux (Walter White), un toxicomane (Jesse Pinkman) , et un infirme moteur (Walter JR white) qui incarne son propre rôle de jeune homme en béquilles, et fils de Walter.

La vie du héros de la série (Walter White) bascule, lorsqu’il se met à tousser, puis à cracher du sang. Lui, qui n’a jamais fumé, qui a toujours suivi les recommandations, qui consomme du low‑fat vegetal bacon, consulte un médecin. Au bout des examens, il se voit annoncer son diagnostic : 
« vous avez un cancer du poumon inopérable, je suis désolé », ce à quoi il répond : « vous avez une tache de moutarde sur le col de votre blouse»
Malade ? Pourquoi moi, comment est‑ce possible ? Qu’est‑ce que j’ai fait ? À quoi bon toutes ces précautions, toute cette morale, pour que je sois trahi de la sorte ? 
Quand tout s’effondre autour de lui Walter White  entre dans une autre dimension de sa propre vie.  Walter est paradoxalement libéré d'un poids à l'annonce de sa maladie et de la probabilité de sa mort prochaine.  
Dans Breaking Bad la seule entité sociale qui ait droit de cité est la famille, et la démarche de Walter semble toute entière guidée par un souci patrimonial. Pourtant la série est l'histoire d'un corps à l'agonie et celle d'un foyer qui se brise. La famille, à laquelle Walter prétend se dédier, lui est en fait un poids presque insupportable au point qu'il saisit la moindre occasion, y compris thérapeutique, pour y échapper.

Walt décide d’abord de ne rien dire à sa famille. Il y a une part d’altruisme (protéger ses proches) ou une part de colère anticipatrice (de toute façon, ils ne peuvent pas comprendre) ou les deux. Mais des changements radicaux vont apparaître dans son comportementAu fil des épisodes on arrive à la conclusion que l'histoire n'est pas celle d'un homme qui s'est métamorphosé mais celle d'une maladie qui s'est sournoisement répandue. C'est l'irruption de la maladie qui a libéré son tempérament pathologique. Cet événement inattendu a provoqué la contamination.
William S Burrough...
Une certaine ressemblance
 Victime du cancer, Walter White devient cancer, selon le lien que Breaking Bad pose d'emblée entre mal et maladie, cancer physique et moral. 

Quel que soit le jugement que l’on peut porter (à raison) sur la pertinence des choix du héros, on voit Walter White se découvrir des compétences, des aptitudes, et apprendre à s’accepter de plus en plus tel qu’il est. Pour le meilleur et pour le pire. Breaking bad explore les effets libératoires de l'annonce d'une maladie mortelle. Car lorsque tout vous échappe, et que vous allez droit dans le mur, pourquoi ne pas se lâcher totalement ? 

Toute la beauté et tout le paradoxe de Breaking Bad se trouve là résumé. La maladie de Walter a presque été un salut. Funeste, bien sûr. Mais tellement plus exaltant.

Sources : Breaking Bad Série Blanche (Emmanuel Burdeau), blogs.


vendredi 20 février 2015

la blancheur

"Aujourd'hui la plupart des relations sont sans engagement, la télévision, Internet, chats, forums, sont des moyens d’être là sans y être. Nous sommes connectés plus que reliés, nous communiquons de plus en plus mais rencontrons de en moins moins les autres.
La vitesse, la liquidité des événements, la précarité de l'emploi, les déménagements multiples empêchent la création de relations privilégiées avec les autres et isolent les individus. Seuls la durée, la solidité du lien social, son enracinement donnent la possibilité de se forger des amitiés durables, et donc des formes de reconnaissance au quotidien. 

Ce morcellement du lien social qui isole l' individu le renvoie à sa liberté, à la jouissance de son autonomie ou, au contraire, à son sentiment d'insuffisance, à son échec personnel.  Ce manque d'étayage social  ne facilite pas toujours l'accès à l'autonomie. L'individu est désormais sans orientation pour se construire, ou plutôt, il est confronté à une multitude de possibles et renvoyé à ses ressources propres. 
Dans une société où s'imposent la flexibilité, l'urgence, la vitesse, la concurrence, l'efficacité, etc....être soi ne coule plus de source dans la mesure où il faut à tout instant se mettre au monde, s'ajuster aux circonstances, assumer son autonomie, rester à la hauteur. 

La tentation émerge alors parfois de se déprendre de soi, pour échapper aux routines et aux soucis. Il peut alors arriver que  l'on ne souhaite plus communiquer, ni se projeter dans le temps, ni même participer au présent; que l'on soit sans projet, sans désir et que l'on préfère voir le monde d'une autre rive : c'est la blancheur. La blancheur touche hommes ou femme ordinaires arrivant au bout de leurs ressources pour continuer à assumer leur personnage. C'est un moment particulier hors des mouvements du lien social où l'on disparaît un temps et dont paradoxalement, on peut avoir besoin pour continuer...

"La blancheur de la neige recouvre la complexité et les ambivalences du monde de sa simplicité paisible. Elle rend les choses uniformes. Elle suspend toute responsabilité de l'environnement. Le silence qui règne accentue ce sentiment d'un monde suspendu qui n'exige plus rien et dont il est loisible enfin de se reposer".

Ainsi certaines personnes se défont de leur centre de gravité, se laissent glisser dans le non lieu. L'entreprise est celle d'une dé-naissance, celle de se dépouiller des couches d'identité pour les réduire 'a minima', non pour recommencer à vivre, renaître, mais pour s'effacer avec discrétion. Quand certaines personnes meurent, elles avaient déjà disparu depuis longtemps. La mort n'est plus alors qu'une formalité."

"Ne plus exister, ni par soi, ni par intermédiaire en dehors du verbe être comme de la locution en dehors et de tous les rouages du discours, discours aboli [...] quand nulle part il n'y aura quelqu'un pour exprimer quelque chose." (Michel Leiris 1976).

D'après David Le Breton, Disparaître de soi, une tentation contemporaine.2015 Editions Metaillé.




"Dans sa version positive le renoncement à une certaine forme de soi, à un certain embarras de l'être tel qu'on l'envisage ordinairement, et dont la configuration désuète, compassée, empesée, ne permet plus de saisir ce qui, de la vie comme des vivants, mérite d'être maintenu, dit, ou simplement murmuré  la tremblante fragilité de leur présence."

Nicolas Xanthos : "le souci de l'effacement: insignifiance et narration poétique chez JP Toussaint."
Un pur exemple : René Daumal http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/daumal.html

vendredi 13 février 2015

american way of life

Le corps, la mort sont ils quelque chose de naturel ?


Jane Walmsley, une journaliste américaine, écrit dans son livre sur les façons de penser américaines et anglaises " on ne peut rien comprendre à l’Amérique contemporaine, écrit elle, si on ne voit pas que pour les américains la mort est en quelque sorte facultative (optional). 
Il en est ainsi à cause d'une valeur selon laquelle on doit toujours maximiser le potentiel de ressources qui vous est alloué, en intériorisant d'ailleurs l'armature du capitalisme libéral . Le corps doit donc durer le plus longtemps possible, dans une visée inavouée de l'immortalité posée comme point optimal de l'allongement de l'espérance de vie. Ainsi, la mort à l'américaine est toujours un peu de votre faute."

Aux état-unis, la mort facultative vient flirter avec le virtuel. Les mythes technologiques, les grands récits utopiques d'hier ont été transformés en projets d'actualité. Les projets humains les plus futuristes sont devenus réalité. Ils se nomment Biosphère2 ou encore Artificial life. Tout cela pour réaliser le rêve d'une surhumanité destinée à vivre dans une planète conquise, quand la vieille terre sera engloutie et mise en fusion. 
Mutants Henriette Valium
Dans ce nouveau monde, la maladie n'est qu'une turbulence, un désordre dont il faut extirper le germe, et la mort n'est qu'une erreur de parcours. Chez les anciens grecs, qui avaient le sens de la mesure, chacun distinguait bien entre "l'obscurité dont est pétrie sa propre chair et l'éclatante lumière dont resplendit le corps invisible des Dieux"(JP Venant) . En revanche, le corps parfait des biotechnologies relève d'une autre métaphysique, d'une bio-religion qui révère l'homme parfait, l'Adam des laboratoires, celui d'avant la Chute et auquel Dieu avait donné toutes les qualités.
En dehors de lieux sacrés où se fabriquent les héros appelés à conquérir une nouvelle planète qui sauvera l'humanité, les citoyens ordinaires se préparent aussi à changer de corps. Du moins, ils ont déjà changé leur façon de voir le corps. Des femmes se font préventivement enlever les ovaires ou les seins (ex Angelina Jolie) et les tests pré-nataux dépistent les gènes défectueux. La santé parfaite devient affaire de volonté, de décision, une affaire technologique. "Pour les américains du nord, le récit utopique ne saurait rester un récit. Il doit devenir une opération concrète." (L.Sfez)
Dans cette perspective, Vivre, guérir, mourir, nous en sommes donc tous responsables
Voici un théorème lourd de conséquences , et d'injonctions culpabilisantes :
« Pour votre santé, chaque geste compte» ;
« Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour » ;
« Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière » ;
« Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé » ;
« Pour votre santé, évitez de grignoter entre les repas »

« Préservez votre capital santé » ;
« vieillir, oui mais en forme ! »
etc ... etc 

D'après Christine Bergé. "Héros de la guérison" p 100-101 (Les empêcheurs de penser en rond).

samedi 7 février 2015