samedi 18 janvier 2020

Conscience et panpsychisme

Pour la science, la question la plus difficile à résoudre est sans doute celle de la conscience : "Qu'est ce que la conscience et d'où vient elle ?".
Dans son nouveau livre "Galileo's error : Foundations for a new science of consciousness", le philosophe Philip Goff adopte, pour répondre à cette question,  une perspective radicalement nouvelle :  
Et si la conscience n'était pas une production de notre cerveau, mais plutôt un attribut inhérent à toute chose de l'univers ?
Traduction ci dessous de l'article, vite fait et avec les moyens du bord !

Pour Philip Goff, cette approche, qui est celle de la théorie 'Panpsychique', est la piste la plus prometteuse pour progresser dans notre connaissance de la conscience. [Le panpsychisme est une conception philosophique d'après laquelle l'esprit est une propriété ou un aspect fondamental du monde qui s'y présente partout. L'esprit se déploierait ainsi dans toute l'étendue de l'Univers.]

Selon notre manière habituelle de représenter les choses, la conscience n'existe que dans le cerveau des organismes vivants les plus évolués et donc, ne concerne qu'un infime part de l'univers, celle apparue récemment avec les organismes vivants.
Pour le panpsychisme, au contraire, la conscience est présente dans tout l'univers et constitue même l'une de ses propriétés intrinsèques de tout ce qui existe. L'idée de base est que des composants élémentaires de la matière - comme les électrons et les quarks- sont dotés de formes minimales d'expérience et que la complexité de l'expérience humaine ou animale est un produit de l'agrégation des expériences élémentaires des constituants du cerveau.

Il faut clarifier ici ce qu'on entend par 'conscience', car ce mot est ambigu. On peut entendre par 'conscience' la perception que l'on a de soi-même ou la capacité à se représenter l'existence de l'autre. C'est une chose difficile à concevoir pour beaucoup d'animaux non humains et donc à fortiori pour des particules élémentaires. Mais quand nous utilisons ici le mot 'conscience', cela signifie simplement Expérience : plaisir, douleur, perception visuelle ou auditive etc.

Les humains ont une expérience riche et complexe de leur réalité; les chevaux un peu moins; mais pourtant plus que les souris... et ainsi de suite. En zoomant sur des formes de vie de plus en plus simples nous réalisons qu'il leur correspond des formes d'expérience de plus en plus simples -Peut être d'ailleurs à partir d'un certain point n'y a t'il plus de conscience, ni d'expérience du tout-  Mais au moins, il est cohérent de supposer qu'un gradient, un continuum,  d'élévation de la conscience s'étend à l'ensemble des organismes vivants  - depuis les plus simples jusqu'à l'homo sapiens-  tandis que les particules élémentaires pourraient avoir des formes  'inimaginablesd'expériences car tout aussi élémentaires qu'elles sont elles mêmes. C'est en tout cas l'hypothèse que pose le Panpsychisme.

Malgré les immenses progrès sur la connaissance du cerveau, nous n'avons pas l'ombre d'une explication sur la façon dont des perceptions électrochimiques peuvent donner naissance à un monde intérieur qui nous est propre sous la forme de couleurs, d'odeurs et de goûts. Il nous reste à comprendre comment ce que nous savons de nous-même peut s'accorder avec la façon dont la science décrit le réel qui nous environne.

Cette question est bien connue et la plupart des chercheurs considèrent qu'il suffit de poursuivre les recherches actuelles sur le fonctionnement du cerveau, mais pour Philip Goff, le découpage actuel des disciplines scientifiques et l' approche quantitative exclusive ne permet pas l'étude de la conscience. 

Pour lui, le moment clé dans la révolution scientifique fut quand Galilée déclara que les mathématiques étaient le langage de la science moderne, et que la science devait s'en tenir à un vocabulaire exclusivement quantitatif. Galilée a bien réalisé que l'on ne peut saisir la conscience ainsi puisque la conscience est un phénomène de nature qualitative par essence. Prenons l'exemple d'une nuance de rouge, du parfum d'une fleur ou du goût de menthe. Il est impossible de capter ces impressions qualitatives en utilisant le vocabulaire quantitatif des sciences dures. Galilée a donc décidé de sortir la conscience du champ de la science afin d'exprimer tout le reste à l'aide du langage mathématique.

Ce point est très important, car bien que la question de la conscience soit prise au sérieux, la plupart des gens sont convaincus que l'approche scientifique traditionnelle reste adaptée pour y répondre et que les sciences exactes permettront un jour d'expliquer aussi la conscience.
Philip Goff pense que cette réaction est née d'une erreur épistémologique. Oui, les sciences exactes ont montré leur réussite, mais leur succès vient justement du fait qu'elles ont soigneusement évité de tenir compte de la conscience ! Si Galilée revenait parmi nous, il pourrait nous expliquer que la physique ne sait rien de la conscience car la science a été construite pour résoudre des problèmes quantitatifs uniquement, sans se préoccuper des aspects qualitatifs.

Le point de départ du Panpsychisme est que la physique ne nous dis jamais ce qu'est la matière. [Comme disait Heidegger : 'La science ne pense pas'.] En fait, la physique, dans sa toute puissance, se contente de décrire le comportement de la matière, ce que fait la matière. Les relations entre grandeurs sont parfaitement décrites sans que rien ne soit dit sur la nature intrinsèque de la matière, ni sur ce qu'est la matière en tant que sujet, ni ce qu'elle est pour un objet extérieur.

Il y a donc dans notre histoire des sciences un vide immense. Et pour le panpsychiste, ce vide est le lieu de la conscience. Dans la pensée panpsychique, la conscience est la nature intrinsèque de la matière. Rien ici de surnaturel ou de spirituel. Simplement l'idée que la matière peut se décrire 'depuis l'extérieur', en termes de comportement, mais aussi  'de l'intérieur' selon sa nature intrinsèque constituée de formes de conscience.

Nous pouvons ainsi ré-introduire la conscience dans notre vision scientifique du monde et faire le lien entre ce que nous ressentons de nous même et ce que les sciences nous apprennent du monde physique.

Bien sûr tout le monde dira qu' une telle hypothèse est idiote, mais comme pour la théorie de la relativité ou de l'évolution, il faut bien admettre que rien ne tombe sous le sens et que la valeur d'une hypothèse, qu'elle soit intuitive ou non, tient avant tout en son pouvoir d'explication. Le Panpsychisme permet de penser le mystère de la conscience plus efficacement que les théories matérialistes ou spiritualistes.

La difficulté principale, avec la conscience, c'est qu'elle est inobservable. Impossible de savoir si un electron est conscient de la même façon qu'il est impossible de connaitre les pensées et les sentiments de quelqu'un d'autre. Nous savons que la conscience existe car nous sommes conscients mais mesure et expérience ne sont d'aucun secours ici. Le seul moyen de savoir si l'autre est conscient, c'est de lui demander : Je ne peux pas percevoir l'expérience de l'autre mais je peux lui demander ce qu'il ressent. Et si je suis neurologue, je peux en même temps voir, pour telle expérience tel témoignage, quelle partie du cerveau réagit chez l'autre. On sait ainsi quelles zones du cerveau sont associées à la faim, à la douleur, à la vue , au plaisir etc. Bien que très importantes, ces informations ne peuvent déboucher sur une théorie de la conscience dans la mesure où elles ne fournissent pas d'explication de ces corrélations. Pourquoi la faim est elle associé à un certain type d'activité de l'hypothalamus ? Pourquoi de cette façon ? 
La réponse à ces questions dépasse l'observation et la mesure car la conscience est inobservable et c'est donc vers la philosophie qu'il faut nous tourner.

La morale de l'histoire, c'est que pour établir une théorie de la conscience, nous devrons faire appel à la fois à la science et à la philosophie.Pour cela nous devons d'abord redéfinir ce qu'est notre science, ce que le panspsychisme nous invite à faire. 

Article "Does consciousness pervade the universe ?"
Interview de Philip Goff par Gareth Cook. Scientific American 14th january 2020
Traduction Ozias

Kieran Stone.
Scientificamerican.com/article/does-consciousness-pervade-the-universe/

samedi 4 janvier 2020

reboot psychédélique

Activité cérébrale et psilocybine
à gauche Placébo              à droite Psilocybine
A partir de la cinquantaine, le fonctionnement de notre esprit dépend quasi exclusivement de fonctionnements routiniers. Avec l'expérience et le temps il devient plus facile d'arriver directement à la conclusion. Peut-être est-ce que l'on appelle "la sagesse"...

Pourtant, l'apprentissage implique la création de nouveaux circuits neuronaux qui se renforcent au fur et à mesure de leur usage.
Le neurologue Franck Vollenweider, a avancé l'hypothèse que l'expérience psychédélique pourrait favoriser la "neuroplasticité" en ouvrant une fenêtre où les schémas mentaux et comportementaux deviendraient plus plastiques et, par conséquent, plus faciles à modifier.
L'idée est de s'affranchir des sillons les plus profonds creusés dans l'esprit par des habitudes de longue date.
L'expérience psychédélique semble avoir la capacité de provoquer une "claque chimique" suffisamment forte pour nous sortir de notre propre histoire et ouvrir une fenêtre de flexibilité mentale dans laquelle il est possible de se débarrasser des modèles à partir desquels nous organisons la réalité. Albert Einstein disait à propos de notre ego que " l’Être humain s'expérimente lui-même, ses pensées et ses émotions comme quelque chose qui est séparé du reste [de l'univers], une sorte d'illusion d'optique crée par la conscience. Cette illusion est une sorte de prison pour nous, nous restreignant à nos désirs personnels et à l'affection de quelques personnes proches de nous." (W.Sullivan, "The Einstein papers : a man of many parts. The NY Times, 29 mars 1972).

La peur de la mort, la dépression, l'obsession, les troubles du comportement alimentaire sont exacerbés par la tyrannie de l'ego et des schémas figés qu'il élabore à propos de notre rapport au monde, et qui sont susceptibles de perdurer.
Pris dans de bonnes conditions, les psychédéliques,  peuvent nous donnent l'occasion de composer des histoires plus constructives sur notre moi et sur notre rapport au monde. Les visions sont si précises, et ressenties avec une telle force qu'elles font partie de notre corpus d'expérience au même titre que ce que nous avons vécu 'en réalité'. 
En cela, les psychédéliques constituent une forme de thérapie unique car elle n'est pas uniquement chimique, ni purement psychodynamique. On est ici, bien sûr;dans le registre du placebo, mais un placebo monté sur turboréacteurs. 

Aussi, de nombreuses équipes de recherche retravaillent aujourd'hui sur le potentiel thérapeutique des psychédéliques afin d'améliorer le traitement de la dépression, des addictions, de notre anxiété à l'approche de la mort ou l' amélioration de notre créativité.

Mais avec les psychédéliques, les effets sont aussi puissants qu'imprévisibles car les conditions de l'expérience, l'état d'esprit du patient et les attentes son guide comptent autant que la molécule elle même. L'expérience est d'autant plus efficace qu'elle elle est profonde et débouche sur une 'reconnexion' spirituelle avec le 'Tout' qui nous entoure. Un des paradoxes les plus complexes des thérapies psychédéliques à visées médicales ou scientifiques est donc que leur efficacité semble dépendre d'une expérience intérieure, souvent mystique qui convainc les gens que ce monde a davantage à offrir que ce que la science peut expliquer. La science est alors utilisée pour valider une expérience qui semble déstabiliser la perspective scientifique et la pousser vers ce qu'on pourrait appeler du chamanisme en blouse blanche. 
Mais, faut il se soucier de la vérité si la thérapie aide ceux qui souffrent ?

Plus généralement encore, comment pouvons nous être certains que notre expérience de la 'conscience' (non modifiée), soit 'authentique' ? La réponse est hors de portée de la science dans son état actuel, et pourtant, personne ne doute de la réalité de sa propre conscience.
Finalement, les preuves de l'existence de la conscience ressemblent beaucoup à celles de l'expérience mystique : nous pensons qu'elle existe non parce que la science est en mesure de le certifier de manière indépendante, mais parce que beaucoup de personnes sont convaincues de sa réalité.

D'après 'Voyage aux confins de l'esprit'. Michaël Pollan. Editions Quanto 2019.


Voir aussi dans ce blog :

https://emagicworkshop.blogspot.com/2018/11/psychedeliques.html