dimanche 19 février 2017

fckng serious

"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit"
Ce soir, clubbing techno-minimal avec Boris Brejcha au ZigZag (Paris VIII).  
La piste est vaste, circulaire, le parquet ciré attend. 
Minuit passé, warm-up. Dans la salle ça déboule et ça glisse déjà. Décor assez simple, comme le look des gens qui étaient dans la queue, certains venus de loin pour cette soirée. Sur les tables, des seaux à glacer sont grands comme des bidets.
Public middle-class, plutôt bien rangé, blanc et jeune. Je suis même frappé par le peu de visages étranges autour de moi. Pas de déguisement ni de maquillages baroques, peu de talons hauts. Quelque part un mec danse avec un laser multicolore dans la bouche...
Jeu de lumière à tendances tricolores. Forêt de smartphones brandis à bout de bras pour un selfie avec ou sans Boris. Autour de moi je capte plus de likes que de french kisses. La musique n'est pas trop forte (on peut s'entendre sans coller les lèvres au pavillon de son interlocuteur). Le son est de qualité variable selon où on se trouve (attention aux balcons ! le meilleur son c'est depuis l'escalier qui descend au parterre).
Je savoure un grand sentiment de liberté. Je me sens vivant, plongé dans un grand bain de jouvence -eaux/elles-, et je me sens seul aussi. C'est vrai, dans ces bals technos je me demande toujours si je suis seul à être seul. C'est vrai que je viens toujours seul et un peu sans trop d'envie de tout quand même. Alors, je danse avec une fille qui porte des 'lunettes pas de soleil', comme moi.  Souris moi, montre moi tes dents, souris moi, montre moi dedans. Autour de moi les danseurs sont cools, souriants, sympathiques. De temps en temps je cale l'un d'eux sur une banquette car il penche un peu trop, je retiens un autre qui a raté une marche. Alors que j'avais piqué du nez une jeune fille m'embrasse gentiment.
La musique, les lumières et tout le monde danse cette nuit.

5h40. 'Paris s'éveille' et je rentre. La lune est gibeuse, un oiseau chante.
Je marche et je réalise toute la chance que j'ai d'être ici, instruit, libre et avec un bon lit qui m'attend.

"Ne savez-vous pas qu'il vient une heure au milieu de la nuit où tout le monde doit faire tomber son masque." Søren Kierkegaard
" Ce qui se dit la nuit ne voit jamais le jour" (Jacques de Bascher ?)


Autres sorties sur ce blog : http://emagicworkshop.blogspot.fr/2016/05/je-sors-ce-soir.html
 et aussi   https://emagicworkshop.blogspot.fr/2017/04/je-misole.html




mercredi 8 février 2017

Le temps de la société du spectacle

La première partie de la Société du Spectacle montre l’aliénation de la vie par procuration dans la sociétés des marchandises. L’auteur, Guy Debord,  consacre ensuite un long chapitre à l’histoire des luttes révolutionnaires. La  troisième partie du livre, titrée ‘temps et histoire’,  est une réflexion sur  l’appropriation sociale du temps  au profit de la classe dominante.

Pour Debord « Le temps est l’aliénation nécessaire, le milieu où le sujet se réalise en se perdant, devient autre pour devenir la réalité de lui-même. Mais son contraire est justement l’aliénation dominante, qui est subie par le producteur d’un présent étranger. Dans cette aliénation spatialela société qui sépare à la racine le sujet et l’activité qu’elle lui dérobe, le sépare d’abord de son propre temps. (#161 p124)

Guy Debord oppose le  ‘temps cyclique’ des sociétés anciennes rythmé par  les  saisons de l’année et de la vie, c’est-à-dire le temps réellement vécu par les individus, au ‘temps spectaculaire’ (temps marchandise) de nos sociétés qui est un temps irréversible vécu illusoirement.
« Le temps de la production, le temps marchandise, est une accumulation infinie d’intervalles équivalents. C’est l’abstraction du temps irréversible, dont tous les segments doivent prouver sur le chronomètre leur seule égalité quantitative. C’est dans cette domination sociale du temps-marchandise que « le temps est tout, l’homme n’est rien ; il est tout au plus la carcasse du temps ». #147 p117
Le temps irréversible est le temps de celui qui règne. Les dynasties sont sa première mesure, l’écriture est son arme. ../… Avec l’écriture apparaît une conscience qui n’est plus portée et transmise dans la relation immédiate des vivants : une mémoire impersonnelle qui est celle de l’administration et de la société. « Les écrits sont les pensées de l’Etat ; les archives sa mémoire »(Novalis) #131 p101
« Le temps spectaculaire est le temps de l’aventure et de la guerre, le temps qui apparaît dans le heurt des communautés étrangères, le dérangement de l’ordre immuable de la société. L’histoire survient donc devant les hommes comme un facteur étranger, comme ce qu’ils n’avaient pas voulu et ce contre quoi ils se croyaient abrités. »
Pour Guy Debord  « Les possesseurs de l’Histoire [classe dirigeante] ont mis dans le temps un sens qui est aussi une signification…/…Les maîtres qui détiennent la propriété privée de l’Histoire, sous la protection du mythe, la détiennent eux même sur le mode de l’illusion [c’est-à-dire du Spectacle].

Cette dépossession de l'individu par le pouvoir renvoie au travail de Cynthia Fleury dans son ouvrage 'les irremplaçables'  dans lequel elle affirme que "Le pouvoir tient par l'intérêt qu'il alimente. Il substitue à la notion d'individuation celle de l’intérêt, en donnant l'illusion qu'elle lui est similaire. Mais cet intérêt n'a de sens qu'à l'intérieur d'un système qui reconnait la valeur de la domination. Jouir de cet intérêt suppose la mise sous tutelle. L' "avoir" met en demeure la liberté d'être du sujet."

Dans notre quotidien, le slogan "l'actualité n'attend pas" matérialisé par le fil d'actualité de BFM diffusé en continu dans de nombreux établissements publics illustre bien cette spoliation de notre temps vécu et la façon dont on nous impose chaque jour une histoire symbolique qui porte nos destins.
Bref, les peuples heureux n'ont pas d'histoire.

Liens : 
Debord, derniere déclaration avant suicide

mercredi 1 février 2017

le Spectacle

La Société du spectaclede Guy Debord est un essai plutôt difficile d'accès. Son style fait penser à Lacan, son propos fait appel à l'histoire, à la sociologie, à l'ethnologie, à la philosophie, à l'histoire des luttes révolutionnaires. 
Ce livre paru en 1967  est une critique de la marchandise et de sa domination sur la vie, de l'« aliénation » de la société de consommation. La Société du spectacle est également une réflexion sur nos moyens de changer l'Histoire. 

Citations et extraits du livre (en italique) :

Thèse 1 "Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation." (p3)

Thèse 4 "Le Spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images." (p4).

Thèse 30 " L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé (qui est le résultat de sa propre activité inconsciente) s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. L’extériorité du spectacle par rapport à l’homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représente. C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout. (p16)

"Selon Debord, le spectacle est le stade achevé du capitalisme, il est un pendant concret de l'organisation économique de la marchandise. Le spectacle est une "idéologie économique" qui permet à la société contemporaine de légitimer l’universalité d’une vision unique de la vie, en l’imposant aux sens et à la conscience de tous, via une sphère de manifestations audio-visuelles, bureaucratiques, politiques et économiques solidaires. Le but de ce dispositif est de de maintenir la reproduction du pouvoir et de l’aliénation. Ce qui conduit inexorablement à la perte du vivant, à la perte de la vie."

De la même façon que l'accumulation des moyens de production instaure un rapport social ceux qui possèdent le capital et ceux qui n'ont que leur force de travail pour survivre, le spectacle, qui constitue le modèle présent de la vie socialement dominante, instaure un rapport social entre le monde sensible de nos vies quotidiennes et l'ensemble des autres. Ce qui était directement vécu par l'individu est éloigné au profit de représentations dominantes.  
Le Spectacle met en scène un monde irréaliste, coupé de la réalité vécue par la population. Le spectacle est le monopole de l'apparence et le langage de la séparation.  Le spectacle est en cela une autre forme du Capital et de sa domination.
Dans un monde où l'économie n'est plus au service des hommes mais où les hommes sont au service de l'économie, la société du spectacle est, à la fois un remède et un poison. C'est un remède puisqu'il permet de supporter l'insupportable et un poison car il véhicule les idées de la classe dominante qui contrôle la production du Spectacle. 
Le spectacle est aliénation: en fantasmant une vie qui n'est pas la sienne et qu'il ne pourra jamais réaliser, le spectateur ne vit que par procuration et devient étranger à lui-même (aliéné) et à son propre désir. 

Le retour au sensible, au réel, à la vie quotidienne sont nos simples et humbles moyens de faire la guerre au spectacle et de devenir acteurs de l'histoire.
« Nous voulons que les idées redeviennent dangereuses !»

«Tout est fait pour que l'individu ne se rencontre pas dans une vie. Parce que s'il se rencontre c'est terrible, il développe un sens critique, il développe un jugement. Et alors là il est ingouvernable. Les politiques n'ont aucun intérêt à ce que l'individu se trouve.» Albert Dupontel
La société du spectacle est un film, regardez le ICI.
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