vendredi 18 décembre 2020

Croire ou comprendre : une controverse

Dans un article du 7 avril, paru sur Marianne, Etienne Klein déclare :

"Je suis bien sûr ultra-favorable aux tests, mais j’ai voulu montrer sur un cas simple que la question de leur fiabilité est cruciale. 
Dans mon exemple, une personne positive a 98 chances sur 100 de ne pas être malade, ce qui rend le test fort peu utile !"

Cet entretien accordé à Marianne relate la prise de position d'Etienne Klein suite à la parution d'un 'tract de crise' chez Gallimard le 31 mars 2020 intitulé 'je ne suis pas médecin mais...' où le physicien disserte sur cette dialectique moderne dans laquelle le désir de véracité se double de suspicion à l'égard de la vérité . 

Afin de démontrer l'existence de nos biais cognitifs, son texte s'ouvre donc sur une expérience de pensée montrant qu'un test fiable à 95% permet d'affirmer qu'un patient détecté positif est réellement malade avec une probabilité de 2% seulement si le test est réalisé sur une population où la prévalence de la maladie est de 1/1000. 

Le calcul est rigoureusement juste, mais ce qui ne l'est pas c'est l'hypothèse faite sur la prévalence parmi la population testée. En effet, dans la vraie vie, seuls les malades présentant des symptômes vont bénéficier d'un test. Ainsi, si la prévalence de malades est de 10% parmi la population testée, la probabilité de vérité du test monte à 66%. Avec 20% de prévalence cette même probabilité s'élève à 80%.  D'autre part, afin d'élever ce niveau de confiance, rien n'empêche de faire un deuxième test afin de confirmer le résultat du premier, la probabilité de vérité du test s'élève alors à 96%.

A l'époque donc, dans la panique du premier confinement, en pleine pénurie de masques, de tests et de gel hydroalcoolique, Sibeth N'Diaye (alors porte-parole du gouvernement)  nous apprenait que 'le port du masque peut être contre-productif' et Marianne nous démontrait, par l'entretien d'Etienne Klein, que "une personne positive a 98 chances sur 100 de ne pas être malade, ce qui rend le test fort peu utile ". 
Simple coïncidence ?... Je ne sais pas. Par contre ce qui est certain, c'est que le calcul d'Etienne Klein, a suscité autant de réactions que d'incompréhensions.

Au delà de la surprise de cette démonstration supposée nous faire prendre conscience de nos biais de pensée, j'ai été frappé de voir que le manque de compréhension du raisonnement d'Etienne Klein (pourtant clair) n'empêchait pas ses lecteurs de prendre parti et de défendre bec et ongle leurs positions sans discuter, ni suivre le raisonnement statistique qu'il avait utilisé. 

Ainsi, dès le 6 avril, Etienne Klein se fait attaquer par un blogger médiapart, qui ne remet  nullement  en cause l'hypothèse conduisant Klein à affirmer que ' le test [est] fort peu utile', mais reproche à Klein  "d' entreprendre, au nom de la SCIENCE, une charge contre le Pr Raoult et contre ceux qui prétendraient avoir un avis en faveur de cette méthode thérapeutique". Bref, il y avait de la polémique dans l'air, mais rien d'autre.

En fait, très peu de lecteurs suivent le raisonnement d'Etienne Klein jusqu'au bout et moins encore le questionnent. Le plus important semble être de se positionner, de s'affilier, de CROIRE en Klein ou en ses adversaires. D'après les réactions et les commentaires, ce qui compte, c'est être d'accord ou pas d'accord, mais sans explication ni argumentation. Même doté d'un solide bagage scientifique, le lecteur écoute la démonstration, applaudit le calcul, prend parti pour ou contre, mais ne discute pas les hypothèses, ne refait pas le calcul lui même. Science sans conscience n'est donc que rouille de l'âme ! 
Par exemple, je me suis fait remettre à ma place par un fan d'Etienne Klein qui m'a accusé de "ne pas être à son niveau pour comprendre " pas faux peut être, mais je trouve surprenant que le propre du maître soit de ne pouvoir être compris de ses lecteurs.

A titre d'exemple, la publication Facebook ci dessous montre bien comment s'enchaînent incompréhensions, invectives, digressions et prises de parti catégoriques : https://www.facebook.com/david.camille.758/posts/696676231269495
Repérer, chez les autres, de tels biais cognitifs est désespérant. Il est désespérant de réaliser qu'il existe autant de difficulté à communiquer, même lorsqu'il s'agit d'un calcul élémentaire magistralement expliqué. Un tel constat me fait douter de ma lucidité et de mon libre-arbitre : si mes pairs sont affectés de biais cognitifs aussi évidents, cela montre que je suis moi aussi victime de biais grossiers. J'ai pu voir clair ici, mais ailleurs ?

L'histoire ne s'arrête pas là. Fin novembre 2020, Etienne Klein fait une conférence au cours de laquelle il reprend le même raisonnement, fait la même démonstration et déclare " Pour les paramètres que j'ai pris comme paramètres d'hypothèse, (prévalence 1/1000,fiab 95%), si vous avez une personne positive dans ces conditions, il y a 98 chances sur 100 qu'elle ne soit pas malade. C'est énorme ! Autrement dit, le test ne sert à rien. Je dis ça pour tous ceux qui au moi de mars réclamaient des tests, des tests des tests. Si les tests ne sont pas fiables, ils ne servent à rien et peuvent même avoir des effets négatifs." cqfd ?  
Une nouvelle fois, Klein nous assène cette conclusion sans que l'hypothèse de départ (la prévalence) soient discutée. Le biais du discours réside ici dans l'utilisation d'un calcul juste mais biaisé, afin d'argumenter face à une opinion .

Comble d'ambigüité, dans une pirouette médiatique, le 1er décembre, Libération publie un 'checknews' affirmant que "Non, le physicien Etienne Klein n'a pas dénoncé dans une conférence l'inutilité des tests PCR'. Ce qui est d'un côté exact, et d'un côté trompeur car Klein, fagoté comme un prestidigitateur, fait et refait son petit calcul et nous laisse sur une conclusion brillante mais biaisée sans dévoiler le 'truc' de la prévalence.  
Ainsi, d'un côté le message selon lequel le manque de test n'était pas un problème en mars est largué dans l'opinion, tandis que de l'autre Klein repart les cuisses propres après nous avoir mis en garde sur nos biais cognitifs.
Bref, Comprend qui veut et surtout ce qu'il peut !

portez vous bien,
Ozias
 
PS. Finalement, voici mes calculs. Dites moi si vous avez des questions, ou des réflexions sur cet article. mon mail lui n'a pas changé : emagic.workshop@gmail.com



L'article d'origine sur Marianne :

https://www.marianne.net/societe/etienne-klein-les-resultats-de-la-science-ne-se-decident-pas-par-le-recours-des-sondages

Le 'tract de crise' paru chez Gallimard

https://tracts.gallimard.fr/fr/products/tracts-de-crise-n-25-je-ne-suis-pas-medecin-mais

La polémique (Mediapart)

https://blogs.mediapart.fr/bunchun/blog/060420/reponse-etienne-klein-au-sujet-de-son-tract-de-crise

Le checknews de Libération 

https://www.liberation.fr/checknews/2020/12/01/non-le-physicien-etienne-klein-n-a-pas-denonce-dans-une-conference-l-inutilite-des-tests-pcr_1806601

A lire à propos des tests : 

https://www.pourlascience.fr/sr/covid-19/de-lart-de-bien-comprendre-les-tests-de-depistage-du-covid-19-20330.php

Autre controverse, autre débat d'experts

https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/04/bebes-sans-bras-une-etude-conforte-les-suspicions-d-un-cluster-dans-l-ain_6071945_3224.html



samedi 14 novembre 2020

Quantique

Fentes de Young
La mécanique quantique est la théorie mathématique et physique décrivant la structure et l'évolution dans le temps et l'espace des phénomènes physiques à l'échelle atomique et subatomique.

L'expérience la plus convaincante, et la plus simple à saisir, est celle des fentes de Young qui consiste à envoyer des électrons, un par un, vers deux fentes taillées dans un panneau. 
Une fois les fentes franchies, l'électron arrive sur un détecteur où il est transformé en signal lumineux (mesure).


1. Avant la mesure, chaque électron se comporte comme une onde. La densité de probabilité de son état (composé de position, vitesse, direction, spin..) est décrite par sa fonction d'onde formalisée par l'équation de Schrödinger. 

2.  Au fur et à mesure que les électrons arrivent sur l'écran détecteur situé derrière les fentes, un spectre d'interférence apparait.  (fig.(c) ci dessous). Conformément aux calculs, et ainsi que le montre l'expérience, cela signifie que l'onde traverse les deux fentes à la fois, et se superpose à elle même pour donner un spectre à bandes multiples . En effet, si les électrons passaient aléatoirement par une fente ou l'autre, le résultat de la mesure se limiterait à deux bandes. Chaque électron est donc passé par les deux fentes à la fois en se comportant comme une onde qui interfère avec elle-même.

3. Quand l'électron rencontre l'écran détecteur, il produit un spot lumineux en déclenchant l'émission de photons. Chaque point lumineux matérialise la position de l'électron lors de son arrivée sur l'écran.  L'intégration de l'ensemble de ces points lumineux résulte en un spectre d'interférence. 

Ce qui est remarquable c'est qu'à partir du moment où il est 'mesuré' l'électron se comporte comme une particule, et non plus comme une onde. La position de l'électron au moment de la mesure (ici lors de l'arrivée sur l'écran) est 'déterminée' au hasard (principe d'incertitude), et selon la densité de probabilité propre à la fonction d'onde qu'avait l'électron. 



Je recommande particulièrement l'animation ci-dessous qui visualise bien le phénomène :

https://youtu.be/JlsPC2BW_UI

Il semble qu'au cours de sa mesure, l'électron, interagit avec une multitude d'autres particules, et que cela provoque l'écroulement de sa fonction d'onde (décohérence) que modélisait l'équation de Schrödinger. Une fois détecté l'électron perd sa nature ondulatoire et se matérialise en particule. La mesure agit comme un brouilleur qui empêche l'onde quantique de rester onde.

 La mesure est Le problème de la mécanique quantique. Toute mesure effondre la fonction d'onde. L'onde se transforme alors en particule qui choisit(?) aléatoirement(?) un 'état' (position, vitesse, spin ...) parmi plusieurs possibles .  

Mais alors, que se passe t'il pendant la mesure ? A vrai dire, compte tenu du caractère non intuitif du phénomène, il n'y a pas de consensus sur les explications et les conséquences de cette dualité onde/corpuscule, mais plutôt diverses interprétations :

A. Interprétation de Copenhague (l'onde imaginaire):

L'interprétation de Niels Bohr (1920) est très pragmatique et très répandue. La fonction d'onde imaginée par les physiciens est une modélisation mathématique sans réalité propre. En revanche, suite à la mesure les propriétés de la particules sont définies et sa réalité devient tangible.  En somme, la réalité est ce que je mesure. La particule n'a pas d'existence quantique en soi, mais seulement une probabilité de présence.

Le principal revers de cette théorie est de ne pouvoir expliquer ce qui se passe lors du passage du quantique au comportement classique.

B. Interprétation des ondes pilotes (coexistence onde/particule) :

Dans cette interprétation l'électron n'est ni une onde, ni une particule, mais les deux à la fois et au même moment. La particule coexiste avec l'onde qui la guide. La fonction d'onde 'guide la particule' comme la vague porte un surfeur. Dans le dispositif des fentes de Young l'électron passerait par une seule fente tandis que l'onde passerait par les deux fentes à la fois ce qui explique le profil d'interférence. 

Le revers de ce modèle c'est que au moment précis de la mesure l'onde doit agir de façon instantanée sur la particule à distance, or ce point n'est guère conciliable avec la relativité qui considère indépassable la vitesse de la lumière.

C. Interprétation 'QBiste' : "La conscience provoque l'effondrement" :

Du point de vue QBiste, tout l'appareil mathématique de la mécanique quantique est un manuel d'utilisation réservé à un utilisateur unique et permettant aux expérimentateurs d'être guidés dans leurs anticipations de mesure. L'état quantique qui d'après la règle de Born, génère des probabilités, ne concerne alors plus l'état du microsystème lui-même, mais plutôt les degrés de croyance qu'un agent a sur les résultats possibles des mesures .
«L' effondrement de la fonction d'onde » - est simplement l'agent qui met à jour ses croyances en réponse à une nouvelle expérience.

D. Interprétation des mondes multiples (multivers) :

Ce qui intrigue Hugh Everett, c'est justement le passage du classique au quantique : Comment la particule fait elle pour choisir un état parmi plusieurs possibles ? 

Dans cette interprétation la particule ne choisit pas, mais elle évoluerait vers tous les états à la fois dans des univers parallèles. Notre univers se dupliquerait ainsi, à chaque instant en un nombre astronomique de branches. Ces univers vivraient ensuite en parallèle, sans lien possible entre eux.  

Pour Everett les solutions de l'équation de Schrödinger décrivent une multiplicité de destinées des appareils de mesure et des observateurs humains. Everett avance dans sa thèse que la réduction du paquet d'ondes est une sorte d'illusion qui résulte du postulat d'évolution unitaire et de l'intrication entre le système observé et le système observateur. Le principal revers de cette théorie est de ne pas bien expliquer pourquoi la probabilité observée semble suivre le carré de la fonction d'onde(*)..

Il existe bien d'autres interprétations (ondes pilotes, stochastiques, etc, mais pour les physiciens la position la mieux partagée est le "shut up and calculate" car la science se préoccupe plus des 'comment' que du 'pourquoi'. 



Une certaine spiritualité "new-age" invoque les propriétés quantiques pour expliquer les mystères de la conscience et proposer des thérapies à base de méditation etc.  Même si ces extrapolations paraissent séduisantes, à la température de 37°C et composés de milliards de milliards de molécules, nos corps ne peuvent être dans une superposition d'états globale quantique, et donc nous n'échapperons pas aux règles de la mécanique classique.

Je trouve capitales ces questions d'interprétations relatives à l'effondrement de la fonction d'onde. Cet exemple montre bien l'impact que la mesure et les observateurs ont dans un phénomène. Certains auteurs parlent ici 'd'objectivité contextuelle'.
D'un point de vue très global, et hors du champ scientifique, il semble qu'épistémologiquement il n'est plus possible de considérer un phénomène sans prendre en compte son contexte. Intuitivement, je pense parfois que l'incompatibilité des approches intersectionnelles versus universalistes s'apparente aux divergences d'interprétations suscitées par l'effondrement de la fonction d'onde.  
Pour résumer ma pensée, je dirais que L'électron -en tant que particule-  est, en quelque sorte, une post-vérité de la fonction d'onde (lol).

Ozias

Liens :

https://scienceetonnante.com/2018/04/13/lexperience-des-fentes-dyoung-en-mecanique-quantique/

Comprendre la réduction de la fonction d'onde :

https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/cherie-jai-reduit-le-parquet-donde  (début à 6mn30s)

https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-emission-du-mardi-17-novembre-2020 (début à 6mn15s)

https://www.futura-sciences.com/sciences/definitions/physique-video-mecanique-quantique-844/

https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique/comment-raconter-le-monde-quantique

Cours de physique et rappels mathématiques

http://www.phys.ens.fr/~sinatra/cours.pdf

La Quantique autrement. Julien Bobroff Flammarion 2020

Fonction d'onde : http://vetopsy.fr/mecanique-quantique/fonction-onde.php


(*) Dans l'équation de Schrödinger la densité de probabilité de présence ou probabilité de trouver une particule au voisinage de la position r (qui est un volume) à l'instant t est proportionnelle au module au carré de la fonction d'onde.  |Ψ|2=|Ψ(r,t)|2


lundi 5 octobre 2020

Quelle réalité aujourd'hui ?

Les découvertes scientifiques majeures du début XXème siècle telles que la relativité et la physique quantique ont définitivement déboulonné l'antique vision horlogère du monde. Le déterminisme et la causalité ont fait place aux probabilités et au principe d'incertitude.  Par exemple
, dès 1935, Karl Popper affirme que "la science ne repose pas sur un lit de granit" et en 1952 Heidegger nous dit que 'la science ne pense pas' et il rajoute "la philosophie n'est pas science"
A l'issue de la seconde guerre mondiale, avec le développement des sciences humaines et sociales, et entraînés par les succès de l'économie de guerre et de la planification, le savoir et la science sont devenus des produits de nos sociétés destinés à servir des besoins sociaux. A l'Est, pour des raisons idéologiques, la propagande stalinienne dénonce la "science bourgeoise" et préfère les thèses fumeuses de Lyssenko aux théories chromosomiques de l'hérédité. A l'Ouest, les néo-libéraux, partisans d'un monde de "liberté" et de "flexibilité" promeuvent la concurrence des idées à la place de l'expertise traditionnellement monolithique. 
Dans les années 80, la montée en puissance du néo-libéralisme, puis la dislocation du bloc soviétique ont consacré la mondialisation des marchés et favorisé le développement des clubs, des think-tanks, et des lobbies politiques et économiques

Le monde de 2020, traversé par une pandémie, menacé par le réchauffement climatique, et livré aux mains de sociétés privées qui concentrent la plus grande partie des richesses, semble plus effrayant que jamais.  La peur instrumentalisée s'empare des esprits et la sécurité prime sur les libertés. Comme disait Averroès, "l'ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence".

L'opinion réclame des solutions simples, des réponses claires et des leaders forts, qui cognent et qui protègent. Par exemple, et selon une étude réalisée pour la huitième année consécutive pour le quotidien « le Monde », plus de 80 % des Français estiment qu’« on a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre »La radicalité et l'autoritarisme fleurissent à droite comme à gauche boostés par des réseaux sociaux qui leur servent de chambre d'écho et sur lesquels l'authenticité supplante la vérité. "L’isolation électronique des gens avec lesquels nous sommes en désaccord permettent aux forces des biais de confirmation, la pensée de groupe, et le tribalisme de nous écarter toujours plus les uns des autres"* . La compétition exacerbée présente la vie comme un jeu à somme nulle dont la seule issue est de gagner, ou de ne pas perdre ses biens, ses avantages, son identité, et ce, aux dépens de son adversaire. Comme en sorcellerie, "qui n'est pas agresseur devient victime, qui ne tue pas meurt" dans de telles circonstances où il n'y a pas de place pour l'autre, la rationalité est reléguée au second plan.

D'autre part, la remise en question des autorités trans-partisanes et le rejet de l'universalisme classique conduit à des replis communautaires qui favorisent l'entrisme et la radicalité. Dans la perspective de luttes identitaires, la validité d'une information n'est plus évaluée sur la base de standards universels, mais sur une vision subjective du monde compatible avec cette identité. Le lobbyisme néo-libéral, qui depuis longtemps a montré son efficacité, et les combats identitaires se syncrétisent sous forme d'épistémologie tribale  (relativisme épistémologique) où  la vérité d'une information, l'intérêt d'un fait, dépend  -pour celui qui en prend conscience- avant tout de sa capacité à supporter les valeurs de sa communauté.

 Il y a aussi cette espèce de narcissisme et d'hyperémotivité exacerbée propre à notre époque. L’échange libre des informations et des idées, qui est le moteur même des sociétés libérales, devient de plus en plus limité. La censure, que l’on s’attendrait plutôt à voir surgir du côté des droites radicales, se répand dans toute notre culture: intolérance à l’égard des opinions divergentes, goût pour l’humiliation publique et l’ostracisme, tendance à dissoudre des questions politiques complexes dans une certitude morale aveuglante. Blessés, offensés comme des intégristes, les identitaires de de droite et de gauche s'alimentent réciproquement. Malheureusement, il ne suffit pas toujours de dire vrai pour avoir raison.

Face à une logique faite d'objectifs communautaires et de compétitions victimaires le contrat social et le jeu démocratique perdent leurs sens.  Ainsi, "Pour Trump, la vérité n’existe pas, elle n’a pas de réalité autre que ce qu’il croit dans un moment donné et qui peut changer le lendemain. Ses porte-parole parlent de "faits alternatifs", faits qui prennent de l’importance par la grâce des réseaux. Ce n’est pas le mensonge politique qui est nouveau, c’est l’échelle à laquelle il est reproduit qui en change la nature. Elle gomme la frontière entre réel et fiction ; vrai et faux ; fantasme et réalité". Il y a un problème de relation à la vérité, l'absence totale de régulation des plateformes qui conduit à des fakenews, des rumeurs complotistes, des mensonges qui prospèrent car ils ont des millions d'adeptes. Puissance des réseaux sociaux qui, par l'ampleur qui lui donnent, transmutent le mensonge pour créer une réalité alternative.

Les "faits" ne parlent pas d'eux-mêmes mais seulement en rapport avec des institutions et des normes. Sans institutions crédibles capables de démêler le vrai du faux les médias ne peuvent être considérés neutres et il ne peut y avoir de vérités que partisanes. L'un des traits de l'autoritarisme est justement de démonter les institutions et de déconstruire l'état administratif comme Trump le fait aux USA depuis 2016. La norme n'a plus de valeur si le président lui-même la méprise. Dans les pays qui ont déjà succombé aux autocraties (comme la Russie, la Turquie, la Hongrie etc..) le déclin des institutions et des normes est à la fois cause et conséquence de l'autoritarisme. Trump et les autocrates tirent leur crédit du discrédit qu'ils jettent sur les institutions. Cette inversion explique la provocation et les conflits permanents, l'émergence continue et instrumentalisée de fausses nouvelles.

Au bout du compte, dans un univers multipolaire où la réalité se résume à un jeu à somme nulle, comment faire pour que la vérité compte à nouveau ? Sans normes partagées, se battre à la loyale et pour un idéal de neutralité revient à jouer aux échecs avec un pigeon: le pigeon va juste renverser toutes les pièces, chier sur le jeu et glousser comme s’il avait gagné. 

Alors, comment lutter pour que tout ne soit pas égal et donc sans valeur ? Il y a peu à attendre du côté d'une opinion échaudée depuis des années par l'industrie du doute des lobbies du tabac et des phytosanitaires. Côté institutions, l’État s'est souvent lui-même montré "le principal instigateur des inégalités" en produisant des normes et des lois essentiellement favorables à la classe dominante. Idem côté médias, où la concentration mondiale des entreprises médiatiques et leur dépendance aux grands acteurs économiques n'inspire nullement confiance. "La défiance envers les institutions participe d’un affaiblissement du cadre commun indispensable à la vie démocratique. Le risque est de faire émerger des contre-sociétés avec leurs propres institutions, leurs propres médias, leurs propres croyances… qui seront d’autant plus virulentes et violentes qu’elles estiment être des victimes systémiques et qu’elles cherchent de ce fait à s’autonomiser et à s’émanciper." David Cayla

Dans l'isolement systémique libéral actuel la vérité est ce qui paye, la vérité, est ce qui m'aide (et naturellement, Dieu, ou la Science, ou ma Conscience sont à mes côtés :). Même si comme disait Valery, "Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l'est pas est inutilisable.", ce qui est sûr, c'est que le simplisme est fédérateur, mais ne mène qu'à la connerie

Bref, en attendant la formalisation de l'objectivité contextuelle, la vérité est au fond du puits, Ubu est roi, et nous... on n'est pas sorti du bois !

Oz

* (J. Haidt et G. Lukianoff)

Mais comment ça peut être faux puisque c'est exactement ce que je pense ? 

La vérité sortant du puits
Pensées à la volée :
Bientôt, la vérité c'est ce que tu racontes, le réel c'est ce qu'on te dit.
Nous sommes des interprètes du réel.
La réalité est un possible.
Une contradiction n'est pas une micro-agression.
Le chacun pour soi est il la règle pour tous ?
Il ne suffit pas de dire vrai pour avoir raison.
Le réel est ce qui résiste. 
L'esprit est tout ce qui n'est pas réalisé.
La conscience est ce qui réalise.
Croire est une expérience.
Aimer, c'est faire exister

La réalité, c'est ce qui continue d'exister lorsqu'on a cessé d'y croire.
Philip K. Dick

https://larevuedesmedias.ina.fr/48-pays-pratiquent-le-trolling-commandite-par-letat

https://www.academia.edu/39186099/Is_Neoliberalism_Biting_Its_Own_Tail_From_the_Economics_of_Ignorance_to_Post_Truth_Politics

https://www.vox.com/policy-and-politics/2017/3/22/14762030/donald-trump-tribal-epistemology

https://www.curieux.live/2020/12/06/quelle-est-la-difference-entre-une-opinion-et-des-faits

https://www.meta-media.fr/2018/11/11/bientot-lere-post-news.html


https://emagicworkshop.blogspot.com/2018/03/la-haine.html

https://emagicworkshop.blogspot.com/2020/03/identites.html

Alternatives: https://soundcloud.com/radiocampus/podcast-elsa-dorlin-se-defendre-une-philosophie-de-la-violence-radio-grenouille

https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/la-igeneration-a-investi-les-universites-americaines

https://deep-news.media/2020/06/04/complotisme-officialisme/

A propos du 6 janvier 2021 au Capitole

https://www.lalibre.be/debats/opinions/du-mensonge-a-la-violence-la-victoire-de-trump-5ff8a70d9978e227df572db7

Les derniers jours de Trump : https://www.nytimes.com/fr/2021/01/13/magazine/trump-capitole-fascisme-racisme.html

La corrosion de la réalité : https://www.cairn.info/revue-societes-2001-1-page-113.htm

https://lopezpsychologue.fr/le-complotisme-comment-lesprit-subvertit-la-realite

https://edition.cnn.com/2021/01/16/politics/fact-check-dale-top-15-donald-trump-lies

https://www.meta-media.fr/2018/11/11/bientot-lere-post-news.html

Une réflexion générale:

https://www.franceculture.fr/cinema/matrix-si-tout-le-monde-saccorde-sur-la-perception-ou-est-la-faussete-de-la-perception

dimanche 6 septembre 2020

Tripper

Aujourd'hui, voyager au bout du monde est devenu impossible et le réel disparaît sous des tonnes de fake-news et des avalanches de story-telling. Ce qui nous reste à découvrir, ce qui aura toujours du sens, est à l'intérieur de nous. 

Dans ce contexte, et alors que  de nombreux pays ont redémarré la recherche et les essais cliniques avec les psychédéliques, le voyage psychédélique à l'aide de produits tels que LSD, LSA, psilocybes, ou DMT constitue un moyen radical d'échapper, au moins pendant quelques heures,  au triangle Boulot-Dodo-Conso

Les produits psychédéliques permettent d'explorer notre conscience et nous ouvrent l'accès aux mondes de 'hyperespace. Comme dans tout voyage, pour que tout se passe bien, un minimum de préparation est nécessaire, c'est ce que Tim Leary, guru du LSD dans les années 60, a formalisé sous les vocables de "set (état d'esprit) and setting (environnement) " du trip. L'ambiance, et l'humeur, dans lesquelles se déroule le voyage ont une influence déterminante sur son contenu, et c'est ce que je rappelle ici :

Le plus important d'abord : Ne jamais se laisser 'forcer la main'. Tripper est une expérience personnelle, la décision de tripper est un choix personnel !

Côté 'Set' . Le 'Set' concerne le sujet qui se prête à l'expérience psychédélique (son état d'esprit, sa disponibilité, son histoire, ses antécédents, sa culture, ses expériences précédentes). Pour bien tripper, mieux vaut se sentir serein. Si l'on est en groupe, il faut se sentir en accord avec le groupe, éviter d'être en délicatesse ou même en concurrence avec une personne du groupe. Par exemple sous LSD, et souvent en phase de descente, certaines personnes ont l'impression qu'on les observe, qu'on parle d'eux.  

Côté 'Setting'  Le but du setting est de se sentir en sécurité, car en trip les petites mésaventures du quotidien peuvent vite devenir insurmontables. Par exemple vous pouvez oublier les moustiques  le temps d'un trip, mais les moustiques eux ne vous oublieront pas. Pour cela, on va se préparer et prendre soin de l'environnement matériel dans lequel se déroule le trip, pour en faire un lieu préservé à la fois nid (qui protège) et base spatiale (d'où l'on part, où l'on revient). La première des choses est de ne rien avoir à faire pendant toute la durée du trip et durant la journée qui suit. 

Si possible, manger une heure ou deux avant de consommer (sauf pour les champis où il vaut mieux avoir le ventre vide), car les psychédéliques ouvrent rarement l'appétit, mais le cerveau et le corps auront besoin de glucose et de nutriments pour éviter malaises, crampes et autres désagréments. Si vous dansez, pensez également à vous hydrater régulièrement en évitant de forcer sur l'alcool.

L'environnement sera choisi en fonction du produit consommé et de l'intention de l'expérience. Pour voyager au cœur de vous-même privilégiez un setting très calme et propice à l'introspection. Un sofa, une couverture, un casque sur les oreilles et un masque sur les yeux par exemple. Si vous vous sentez inspiré, munissez vous d'un stylo et d'un carnet pour noter les enseignements reçus ou les commentaires que vous voulez retrouver.

Pour tripper en extérieur, choisissez des vêtements confortables qui permettront de rester au sec et de ne pas avoir froid. Privilégiez les poches amples et qui ferment. Un petit sac à dos, ou une banane peuvent être bien utiles. Rangez soigneusement vos affaires car l'important est de ne rien perdre, de ne pas passer la soirée à chercher une clé, ou le papier à rouler. Pensez à charger votre téléphone. En extérieur, une batterie externe est bien utile. Préparez vos playlists, votre bouteille d'eau, roulez vos pétards à l'avance. 

Même pour un usage récréatif, en festival, il est bon d'avoir un lieu où se poser et garder ses affaires, une tente, un duvet, une lampe. Pour les déplacements, pensez au vélo, à la marche à pied (sauf la nuit en bord de falaise) et ne conduisez surtout pas. Par contre une montre ou un moyen d'avoir l'heure peut être rassurant car la perception du temps est complètement modifiée par l'expérience. Certains notent au creux de leur main l'heure à laquelle ils ont gobé. Cette balise permet de savoir où l'on en est du trip et de se souvenir que tout ça ne durera pas indéfiniment.

Tenir compte du bodyload propre au produit. Certains produits ne permettent ni de bouger ni de parler (DMT), d'autres peuvent causer des nausées ou des vertiges (champignons, LSA...).

La notion de "respect" du produit est également importante. Respecter la drogue, c'est avant tout comprendre qu'elle n'est pas anodine, qu'elle modifie notre perception, et donc qu'on ne peut pas la contrôler. Il ne s'agit pas de chercher à prendre le dessus sur elle, mais de chercher à s'y abandonner en toute sécurité.   
Autour de vous, n'essayez jamais de convaincre, ou d’administrer un produit à son insu à quelqu'un qui ne serait pas clairement prêt à tenter la même expérience que vous. 
Vous pouvez même faire du moment de l'ingestion un moment sacré car c'est toujours un moment de vérité, de courage et de choix.

Une autre dimension de l'expérience est celle de l'Intention que l'on pose avant le trip en espérant diriger le trip et recevoir des enseignements du produit. Même s'il est impossible de diriger son trip, on peut définir ses attentes avec précision afin d'aborder ces questions dans le courant du trip. A partir de là des enseignements viendront,... ou pas.

Voici quelques exemples d'intentions, ou de raisons de tripper, qui me parlent plus ou moins  :
  • Accès à des états de méditation profonds, découvrir et voyager dans l'hyperespace
  • Lâcher prise et accueillir en nous le monde extérieur
  • Augmenter mon empathie et ma facilité à me mettre à la place de l'autre
  • Accéder à des visions esthétiques, ou spirituelles
  • Améliorer sa créativité, visualiser, se représenter des phénomènes complexes
  • Apprendre à s'apprécier, à s'estimer et voir clair en soi. Briser l'enchaînement au Moi.
  • Pouvoir visualiser ses organes et leur fonctionnement
  • Faire une expérience mystique
  • Remercier celui qui a sauvé mon fils et savoir s'il existe
  • Synesthésies (visualisation de la musique)
  • Euphorie, amour, extase
  • Prendre conscience de vérités sur nous et sur la vie.
  • Sortir de moi-même. Me mettre à la place d'un autre pour mieux le comprendre
  • Changer de schéma mental, de croyances. Élever mon esprit.
  • Y voir plus clair dans les buts et les valeurs de la vie : Quel est le mieux que je puisse faire ici pour la suite de ma vie ?
  • Intégration de traumatismes. Faire la paix avec ses chagrins et ses cicatrices. Expulsion de souvenirs
  • Retrouver dans sa mémoire des éléments clé de nos vies, des souvenirs précis
  • Découverte de soi, de nos désirs enfouis. Identification de notre 'saboteur intérieur'

Le bad trip a été volontairement instrumentalisé dans les années 70 pour discréditer l'usage des psychédéliques. Il fonctionne depuis en prophétie auto-réalisatrice où la peur du bad trip devient la première cause de bad trip. Peut être que le bad trip n'existe pas, peut être y a t'il seulement des enseignement plus difficiles à recevoir que d'autre ?
Pour éviter le bad trip, quelques consignes de vol : Confiance, abandon et ouverture à ce qui vient. Le mieux est de se laisser porter car tout ce qui semble terrifiant au premier abord se transforme. Il parait qu'il faut toujours avancer, ne jamais fuir, quelque soit le caractère menaçant d'une éventuelle rencontre, affronter sa peur et demander aux 'esprits' qui nous visitent "qu'est-ce que vous faites dans ma tête, qu'est-ce que je peux apprendre de vous ?.. "
De toute manière, en cas d'images pénibles et insistantes, il sera bien pratique de changer de musique, d'ambiance, de porter son regard vers d'autres scènes plus sereines.

Pour se protéger, tout au long de son trip on peut aussi se choisir des guides et des gardiens. Si trop de visions pénibles nous assaillent, le secours d'un rite, ou d'un esprit allié familier peut être bienvenu. Dans une approche chamanique cela peut être une plume d'oiseau ou du tabac fumé qui chassent les "mauvais esprits". Pour d'autres une prière ou un saint Patron. Sinon, la présence d'une amulette, d'une figurine, à laquelle on tient, ou le souvenir d'une personne aimée ou d'une scène qui nous remplit de joie peuvent se montrer efficaces pour se recentrer et 'protéger son trip' d'affects trop négatifs et pénibles. Finalement, le plus important est de faire confiance à l'Univers et d'accepter de se perdre pendant quelques heures sans se poser la question de savoir si tout redeviendra 'normal' ou pas.

Intégration. Lorsque l'effet psychoactif s'efface, on retrouve la terre ferme tout en ayant en tête les visions et les émotions de son voyage. Ce serait alors dommage de rebasculer dans la réalité quotidienne sans prendre le temps de faire le point sur les enseignements reçus, et se remémorer les espaces découverts. Pour cela, le mieux est de s'accorder quelques heures d'intégration et battre le fer tant qu'il est chaud sur le lieu même du voyage en échangeant avec ses compagnons ou en prenant quelques notes pour soi. Si l'on a pris des notes en cours de trip, l'intégration est
 le moment où les consulter ou, si on veut, d'écrire un trip report.

Ethique du trip . Tout d'abord prendre soin des autres, respecter son environnement. Si l'on est en groupe veiller les uns sur les autres tout en restant discret, et en évitant d’être moqueur ou agressif. Le must est de tripper en compagnie d'un 'sitter' qui reste sobre et pourra "assurer" en cas de nécessité. En fin d'articles vous trouverez quelques mots sur l'éthique du trip-sitter

Charte du voyageur. D'autre part, comme le vécu du voyage est d'une réalité qui égale ou même dépasse celle de notre expérience courante du réel, je pense qu'il faut éviter de chercher à mélanger ce qui se passe dans la réalité et ce que l'on vit dans l'hyperespace. Ce que je vois, ce que j'apprends dans l'hyperespace ne m'autorise pas à exercer un pouvoir et prétendre influencer le monde perçu habituellement. Dans l'hyperespace je donne de l'amour, mais je ne dois pas venir en chercher, ni solliciter l'appui  d'aucune force occulte. Une fois le trip achevé, les esprits que j'ai pu rencontrer, et auxquels j'ai ouvert mon cerveau regagnent le monde des esprits et ne demandent ni ne procurent rien aux vivants.

Alprazolam. C'est un peu le siège éjectable, le joker si le trip tourne mal.  La présence d'un comprimé ou deux (mais pas plus !) dans la poche peut être rassurante, et pour moi l'effet placebo a toujours été suffisant. En fin de trip, l'effet relaxant des benzodiazépines, permettra en tout cas de trouver plus rapidement le sommeil.
Enfin, en cas de mal de crâne un bon vieux Doliprane peut être bienvenu.

Bons voyages !

Ozias


Références

https://psychedelictimes.com/achieving-set-in-set-and-setting-4-principles-make-most-of-your-psychedelic-experience/

https://www.psychedelics.com/articles/10-tips-for-a-safe-positive-psychedelic-experience/

Reframing Bummer trips: Scientific and cultural Explanations to adverse reactions to psychedelic drug use. Erika Dyck & Chris Elcock  https://www.journals.uchicago.edu/doi/full/10.1086/707512

Tripping,  the process: https://issuu.com/lucsalamindlift/docs/sacredjourneysnovemberacademia2016

https://froufrouettransendance.wordpress.com/2019/03/20/outils-chamaniques-le-psilo-et-la-ceremonie

Trip et RdR http://psychsitter.com/download-manual/

Dos and Dont https://www.psychedelics.com/articles/10-tips-for-a-safe-positive-psychedelic-experience/

Timothy Leary . The Psychedelic experience- 1963 

http://www.leary.ru/download/leary/Timothy%20Leary%20-%20The%20Tibetan%20Book%20Of%20The%20Dead.pdf

Zoé Dubus : women in set & setting

https://chacruna.net/women-and-history-of-set-and-setting

Un blog incontournable : https://psychedeliques.home.blog/

et aussi : https://youtu.be/Jh-2RB5EmFI

https://www.tripsitters.org/

vendredi 24 juillet 2020

Transhumanisme


Notre système néolibéral, nos sociétés, sont obsédés par la recherche de la performance et par la peur de la mort. 
Le Trans-humanisme est un courant de pensée dont on nous parle beaucoup et qui se propose d'augmenter les capacités physiques et intellectuelles de l'être humain grâce au progrès scientifique et technique.

D'illustres premiers de cordée, comme Larry Page (co-fondateur Google) ou Elon Musk (CEO de Tesla, fondateur de SpaceX etc..) pensent que l'avenir passe par une 'augmentation de l'homme' au moyen de prothèses mécaniques ou logicielles (IA) ainsi que d'améliorations génétiques ou biologiques. Cette perspective, ce projet, sont couramment désignés sous le nom de TRANSHUMANISME.

Larry Page et Elon Musk ne sont pourtant pas les premiers à avoir rêvé de surhomme ou d'amélioration de l'espèce (ou de la race) humaine. Depuis la découverte de la théorie de l'évolution par Darwin l'humanité est "devenue l'Evolution consciente d'elle même". C'est en tout cas la formule de Julian Huxley biologiste, et frère de l'auteur du 'meilleur des mondes'. 

Ces améliorations, ces évolutions peuvent être de nature physique ou immatérielle. 
L'amélioration physique prend le plus souvent la forme de prothèses ou de machines. Ainsi, on pourrait voir une dent en or comme une première étape d'une dématérialisation du corps. De la même façon l'usage d'un silex peut s'interpréter comme un premier stade  d' augmentation de la main de l'homme, même si aujourd'hui, pour faire moderne, on préfère rêver d'exosquelettes ou de  vision 'augmentée. 
En ce qui concerne l'immatériel, le mythe chrétien du Dieu fait homme montre déjà une forte proximité et une grande ambivalence avec le concept  d'homme devenu Dieu cher au Darwinisme culturel qui transforme la théorie de Darwin en une métaphysique de l'évolution (p29 'aux racines du transhumanisme'). Aujourd'hui le Transhumanisme veut fusionner l'intelligence biologique et l'intelligence artificielle au moyen de 'neuro-prothèses' implantées directement dans le cerveau.

Le transhumanisme est essentiellement basé sur la traditionnelle conception dualiste qui se représente l'homme comme un Esprit transporté par un Corps. Aujourd'hui  l'homme n'est plus un idéal pour la machine Le modèle du corps c'est la machine et le modèle de cerveau c'est l'ordinateur et Gunther Anders attribue cela à la 'honte prométhéenne'. Ce sont la peur de la mort et le mépris du corps qui ouvrent la voie du transhumanisme car le corps nous ralentit, le corps se décompose. Pour échapper à cette finitude programmée, le transhumanisme se donne pour mission d'augmenter notre corps et/ou de télécharger notre esprit dans des machines.  


L'idée d'un homme dépassé par la science qu'il a forgée traverse le XXème siècle.
Dès 1937 le terme de transhumanisme apparaît sous la plume de Jean Coutrot ingénieur français polytechnicien dans la lignée française des ingénieurs Saint Simoniens. Depuis le début du siècle dernier des auteurs, des scientifiques français ont  milité pour l'avènement d'un surhomme (Jean Rostand)  ou pour l'ultrahumain (Pierre Teilhard de Chardin) ou pour un eugénisme actif (Alexis Carrel) . Ce fantasme "d'élever l'homme" conduit facilement au projet de l'élevage de l'homme et finalement à la sélection d'une 'race supérieure' plus intelligente, plus robuste, mieux adaptée. Supérieure quoi. 

De plus il existe une intrication entre le libéralisme et l'anthropocentrisme qui est liée à l'exploitation intensive de soi et de l'environnement. Pour Larry Page (cofondateur Google), notre finalité, et la clé du bonheur humain est de "maximiser les expériences que l'on a en étant sur terre".  Cette conception très individualiste, guidée par la peur de la mort vise clairement à maximiser les profits individuels ou privés plutôt que les bénéfices humains et érige l'individualisme et le darwinisme social en système.  

L'une des principales conséquences de 'l'augmentation' de nos performances, qu'elle soit d'origine génétique ou mécanique, est de nous distancier socialement les uns des autres et aussi de notre environnement. 
A partir du moment où l'homme est augmenté, forcément certains seront forcément plus augmentés que d'autres (distanciation sociale par inégalité d'accès aux technologies). Ainsi, le 'bonheur' promis par le transhumanisme nous coupe fondamentalement les uns des autres.
L' évolution de l'espèce humaine induit également une distanciation de son environnement naturel. Par exemple, la notion d'ère anthropocène apparue récemment montre combien l'humanité diverge de plus en plus de l'écosystème terrestre original. Le projet transhumaniste, en perdant de vue que nous sommes tous embarqués dans un vaisseau spatial aux ressources précieuses et à l'écologie fragile, augure une catastrophe écologique ou, dans le meilleur des cas, une dystopique Technocratie écologique.
 
Enfin,  le transhumanisme parle souvent de Singularité c'est à dire du moment du dépassement de l'intelligence humaine par celle de la machine (Intelligence Artificielle), et d'organes 'augmentés' comme si ces évolutions allaient de soi. 
En réalité la vision transhumaniste du progrès se heurte à d'indéniables barrières de complexité, car la maîtrise de la complexité n'est pas seulement une question de puissance de calcul. Le cas des prévisions météo illustre bien ce point : il est possible de modéliser les phénomènes dynamiques, mais les conditions du système à l'origine sont si importantes qu'une différence non mesurable à l'origine va produire des effets imprévisibles à l'arrivée tant les interactions sont complexes. C'est une sorte d'application du théorème d'incomplétude qui, depuis Goedell nous apprend que fondamentalement: « une théorie cohérente ne démontre pas sa propre cohérence ». 
Autrement dit les changements sont possibles, mais chaque changement engendre ses propres effets secondaires. Le transhumanisme gagnerait donc à porter un regard plus critique sur les probabilités de succès et de bénéfices de ses entreprises. Enfin, même si la puissance des ordinateurs dépasse celle du cerveau humain il reste qu'une infinité d'enjeux ne relèvent pas de la pure question de la puissance de calcul.

Finalement, le risque du H+ (transhumanisme) c'est surtout de produire du H- (sous humanité) , c'est à dire faire de l'homme une machine enchaînée aux injonctions d'un système néolibéral dominant et vidé de toute conscience. 

Ozias



Post écrit suite à la lecture du livre 'Aux racines du transhumanisme' Alexandre Moatti. Editions Odile Jacob.
L'imposture du transhumanisme
A propos de transhumanisme
Jacques Testart : Le transhumanisme, une idéologie infantile
Journal du CNRS : de l'illusion à l'imposture
Les populations sont elles un bétail cognitif ?
Une société peut elle vivre avec 95% d'inutiles ?
Article passionnant sur Jean Brun : aux origines du technicisme

mercredi 24 juin 2020

Du Grand Amour

L'amour en trois cents mots et 3 chapitres. 

Amour et Energie sont deux mots qui font nos vies. 
L'Energie peut se mesurer, mais l'Amour, à l'instar de la conscience , ne se laisse pas appréhender par nos modèles scientifiques actuels.

L'Amour est partout mais il est rare. Souvent il nous appelle et aussi nous fait peur. Il est autant ce que l'on donne que ce que l'on reçoit. 
Il existe, je l'ai cherché puis rencontré et je l'ai fui parfois aussi. Quand il nous appelle, on évite souvent l'amour car on a peur que ça se voit, on a peur de donner, de partager, de se tromper d'être trompé, d'être déçu. Et d'ailleurs, comment pourrait-on, entre mortels, croire dans un amour éternel ? 

Chapitre1.
Le Grand-Amour ne dure jamais toujours. A l'amour-fusion des premiers jours succède l'habitude, la discorde, le respect ou la tendresse. On s'est aimé, on s'aime encore, mais l'addiction à l'autre devient un souvenir. L'amour fusion devient amour sous perfusion puis amour transfusion.
Le plus fréquent est alors de prendre ses distances, de lisser ses plus belles plumes et d'ouvrir ses chakras dans l'espoir qu'un nouvel amour nous appelle. Mais l'expérience du Grand-Amour peut elle se reproduire sans s'infirmer elle-même ? 
Quand on a tout abandonné, quand on a été prêt à mourir pour l'autre, quand on a été raide dingue amoureux au point de ne pouvoir imaginer vivre sans l'autre, comment remettre le couvert sans trahir, comment y croire encore ? 
Et si cette nouvelle relation ne marche pas, que d'amertume !
Et même si tout va bien comment y croire tout en sachant que cet état merveilleux, est transitoire et ne durera pas  ?
Car alors, si ce nouveau Grand-Amour est plus fort que tous les précédents, cela signifie qu'il nous faudrait retomber amoureux encore et encore sans finalement ne jamais pouvoir être sûr d'avoir connu Le Grand-Amour. Bref, tout casse passe lasse puis se tasse et s'efface mais même si rien n'est jamais assez quelque chose, ce qui reste du Grand Amour reste Grand.


Chapitre 2. Amour et liberté

Enfin, ça c'était avant, au temps de l'amour romantique, car aujourd'hui la difficulté d’aimer, de pouvoir dire si l’on aime ou non, devient une caractéristique de notre modernité émotionnelle.

Notre idéal moderne de liberté sexuelle et affective a pour prix une grande incertitude affective. "L'expression des idéologies contemporaines de la liberté, des technologies du choix et du capitalisme de consommation avancé*, .../...l'abondance des liens sociaux contemporains ont pour corollaire une grande instabilité de ces  liens. Instabilité qui se transforme en incertitude quand elle s’immisce dans la sphère affective. Ajoutons à cela l'idéologie du choix individuel, les principes de compétition et d'accumulation, et on obtient le choix amoureux d'aujourd'hui, résultat de l'institutionnalisation de l'autonomie, par laquelle on exerce sa subjectivité". 
Il faut lire à ce sujet "La fin de l'amour", ouvrage dans lequel  Eva Ilouz explique que nous sommes prisonniers et acteurs d'un système libéral basé sur la valorisation de soi et l'évaluation du partenaire. Depuis la révolution sexuelle des 60's le corps et la sexualité sont devenus des sources de certitude et les sentiments des sources d'anxiété. Sous l'égide de la liberté sexuelle les relations de couple ont pris la forme d'un marché. Le détachement affectif et l'absence d'attentes procure un sentiment de puissance, d'autonomie et de pouvoir. Au nom de la liberté, de l'indépendance et de la réalisation personnelle nous sommes conduits à des choix négatifs qui visent à éviter tout engagement ou tout attachement dans nos relations. La liberté de commencer une relation implique en contrepartie la liberté de s'en défaire, au risque d'une dévaluation de l'estime que nous avons de nous même. 

Les rencontres sexuelles organisées comme un marché sont vécues comme un choix mais aussi une incertitude. Cette forme de marché crée une incertitude affective et cognitive diffuse que vient réparer l'industrie psycho-sociale du coaching et du développement personnel.


Chapitre 3. Amour, symbiose, altruisme, coopération : pourquoi aimer ?

Dans toute situation, trois attitudes sont possibles: fuir, affronter ou coopérer.
Quand on cohabite, quand on partage, on peut s'affronter ou s'unir pour coopérer. Coopérer c'est être et faire ensemble. Etre ensemble, c'est parfois aimer. Mais pourquoi aimer ?
Est-ce pour régler la dette d'amour qu'on a reçue des autres ? 
Pour être plus forts ensemble (coopérer) 
ou encore pour être Plus ensemble ? (altruisme). Vous sentez vous plutôt symbiose ou plutôt osmose ? On s'entraide ou on fusionne ? Aimer : pour être ou pour faire ?

L'altruisme réciproque dans le cadre de la biologie de l'évolution caractérise une coopération altruiste entre deux organismes, reposant sur l'aide proposée à perte et sans condition par chacun des organismes, et créant un bénéfice commun.
Les logiques de l'altruisme réciproque se distinguent de l'échange mutuellement consenti par le fait qu'il ne peut être amorcé que par un don à perte, sans recherche de contrôle de la situation. Des mécanismes de régulation sont identifiés, le plus évident étant qu'un geste altruiste qui coûte trop -en l'absence de bénéfice- finit par disparaître.

Qu'il soit romantique,  moderne, ou même altruiste réciproque l'amour nous construit et nous tient tout au long de la vie. L'amour c'est tout ce qui nous reste à la fin.  Aimer, c'est faire exister.  Et je dis merci pour tout l'amour que j'ai reçu.




Une Grande chanson d'amour