dimanche 24 janvier 2021

les boules... de cristal

Un disque d'accrétion est une structure astrophysique formée par de la matière en orbite autour d'un objet céleste central très dense. Le corps central constitué d'une proto étoile telle que naine blanche, ou trou noir attire par sa force gravitationnelle toute matière passant à proximité sans possibilité d'échappement.
Cette image du disque d'accrétion qui se forme autour d'un trou noir est pour moi une métaphore de la situation politique actuelle.
Le vieux monde agonise, les démocraties néo-libérales sont en panne. Le système économique basé sur une croissance infinie n'est pas réaliste et le réchauffement climatique nous le rappelle quotidiennement. Un changement radical semble inéluctable, mais ce qui me parait caractéristique de notre époque, c'est qu'aujourd'hui, seule la droite est armée et prête pour demain. 
Tout se passe comme si toutes les volontés de renouveau, toutes les subversions, qu'elles soient de gauche, d'extrême gauche ou pas, se retrouvaient attirées et captées dans le champ de pesanteur d'un 'projet historiquement dominant' actuellement marqué par la pensée d'une droite autoritaire, libertarienne et identitaire. C'est cette attraction, ce 'moment' (au sens historique comme au sens mécanique), ce processus d'agglomération de toute subversion que j'appelle ici 'le disque d'accrétion de droite'.

Depuis des années les partis européens d'extrême droite progressent dans les suffrages et atteignent des records. Le rejet de l'immigration, mais aussi de l' Union Européenne et de la mondialisation sont les causes les plus souvent invoquées.
En France, la démocratie représentative, décrédibilisée par des décennies de compromis et de collusion avec les intérêts économiques des puissants se trouve prise dans un face à face mortifère entre un néo-libéralisme autoritaire et un souverainisme populiste. A quatorze mois de l’élection présidentielle de 2022, le scénario paraît écrit d’avance : les électeurs devront à nouveau trancher le duel opposant Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Comme en 2017. C’est en tout cas ce que décrivent les sondages, et ce à quoi s’attend toute une partie du personnel politique (Le Monde 11février 2021). 'Comme deux miroirs face à face Macronie et Lepénie occupent tout l'espace de notre république oligarchique pour en protéger les riches propriétaires par le même non-choix'.
En France comme ailleurs, l'essor du populisme se nourrit d'un désaveu cinglant des médias et d'un rejet rageur des élites politiques. La gauche, elle, est devenue inaudible. Son discours ne passe plus auprès des classes les plus populaires, et les militants s'épuisent dans de délétères combats d'égo ou de pureté militante à grands coups de stalinisme intersectionnel.
Suite aux fins de non-recevoir données ces dernières années aux formes classiques de mobilisation (loi travail, réforme retraites), les mouvements sociaux et les influenceurs de gauche se sont radicalisés. Beaucoup échappent désormais aux partis politiques traditionnels et militent parfois sur des média alternatifs souvent bien ancrés à droite.
Je pense ici à Michel Onfray, qui tout en se revendiquant de la gauche libertaire, a formé d'étranges alliances et a crée la revue FRONT POPULAIRE pour "réunir les souverainistes de gauche et de droite, mais aussi d'ailleurs et de nulle part'. J'aimais beaucoup Michel Onfray, son travail de vulgarisation de la philosophie et son ouverture d'esprit, mais je suis quand même écœuré par sa collaboration avec Eric Zemmour.

De nouveaux influenceurs sont apparus, parfois difficiles à placer sur l'échiquier politique. C'est signe d'une pensée libre et sans préjugé, et parfois aussi révélateur d'affinités avec des thèses très à droite. Je pense par exemple à Etienne Chouard, initiateur et promoteur du RIC qui se place de lui même à l'ultra gauche, mais qui a fait l'objet de polémiques pour avoir défendu des thèses et des personnalités affiliées à l'extrême droite ou conspirationnistes comme Soral. Idem pour Maxime Nicolle (allias 'Fly rider'). Ce porte-parole des gilets-jaunes s'est illustré par ses revendications démocratiques et par des affirmations plus douteuses, comme quand il a repris des théories d'extrême droite sur "le pacte de Marrakech" de l'ONU sur les migrations.


Coté média, des canaux d'information russes (RT France, Sputnik,...) portent la parole des influenceurs alternatifs de gauche comme de droite. RT France est une chaîne d'information créée en 2017 qui trouve un certain écho dans les milieux conservateurs et nationalistes. En même temps RT France sert de forum à des militants fermement ancrés à gauche comme Franc Lepage, Alain Damasio ou Emmanuel Todd.
Sur le terrain de la liberté d'expression, les lignes bougent. Par exemple, le slogan soixante-huitard 'Interdit d'interdire' est devenu le titre d'une rubrique de RT France. Cinquante ans après mai 68, après la chute des régimes communistes, la droite est devenue Championne de la liberté d'entreprendre, mais aussi, de la liberté d'expression. Ainsi, fidèle à sa devise qui est "surtout si vous n'êtes pas d'accord", Causeur est un magazine plutôt réactionnaire mais anticonformiste et très ouvert à la contestation qui a traditionnellement été l'apanage de la gauche. 


Aux USA, la recherche de liberté individuelle trouve une justification théorique dans la philosophie politique libertarienne. Les libertariens s'opposent à l'étatisme, au profit d'une coopération libre et volontaire entre les individus sur la base de contrats librement consentis.
Pour les libertariens la modération n'a pas de place dans la défense du droit à la libre expression et l'Etat doit se faire le plus léger possible. En cela, le libertarisme constitue un terreau fertile aux politiques de droite et d'extrême droite. Pour ce qui est de la présidence de Donald Trump (président sorti en 2020 avec 47% des suffrages) : "Le nativisme et le protectionnisme de Trump s'apparentent grandement aux discours des partis d'extrême droite en Europe. (.../...) Le même ressentiment à l'égard d'une classe politique aux allégeances idéologiques indistinctes qui a sanctionné la financiarisation de l'économie est aussi perceptible dans l'ensemble du monde occidental" (Philippe Fournier 2018).


Bref, dans le monde occidental qui est le notre, le centre de gravité de la subversion à basculé à droite et ce qui reste de la gauche, porté par des média de droite, a de plus en plus en plus de mal à se distinguer et à faire entendre auprès d'une majorité. 

Sur le terrain, les contestations de gauche ou de droite finissent par se recouper et il en résulte une polarisation des opinions selon une ligne binaire divisant le monde entre pro-systèmes et antisystèmes.
Les pro-système veulent la continuité, essaient de conserver et de respecter les institutions tandis que les antisystèmes œuvrent à miner la légitimité des régimes qu'ils veulent changer.
L'hypocrisie et le dévoiement de nos 'démocraties' aux intérêts privés est si manifeste qu'elle ne soulève même plus les foules. A part être réactionnaire, ou tétanisé par la peur, il n'y a pas de raison à vouloir conserver l'iniquité et la dangerosité du système actuel. Dans le contexte actuel d'effondrement écologique, on ne peut laisser se poursuivre l'action organisée d'un patronat financier autoritaire prêt à ruiner la Terre et ses habitants pour amasser les richesses et conserver ses privilèges. L'histoire doit avancer. La pression grandissante des désespérés, le délitement du lien social, la complexité ingérable de nos systèmes s'ajoute à la perspective de catastrophes climatiques prochaines et donne (si j'ose dire) "espoir" de voir l'histoire basculer bientôt sous l'effet d'un effondrement, ou d'un soulèvement.
Quand nous étions jeunes, nous en avons tellement parlé de la révolution ! Peut être la verrons nous ?
Mais en tout cas, ce ne sera pas le grand soir socialiste de nos rêves gauchistes. En unissant leurs efforts pour saper l'intenable système actuel, les forces antisystème portent à droite toute(s). Toutes les volontés de changement, qu'elles soient de gauche, d'extrême gauche ou pas, me paraissent canalisées, attirées, accaparées par le disque d'accrétion d'une idéologie de droite dans ce "moment" mécanique et historique actuel.

Historiquement, ici, je pense à la révolution iranienne, aux communistes iraniens des années 70 et je me rappelle Michel Foucault, auteur génial de l'histoire des idées et des sciences humaines, qui parlait en 1979 de Khomeiny (alors réfugié en France) comme du "saint homme exilé à Paris".
"Le mouvement populaire iranien qui intéressait Foucault, quelques mois avant le retour de Khomeiny, révélait en fait trois paradoxes : un peuple sans armes qui fait vaciller un régime armé; une révolte qui s'étend sans se disperser ni se diviser; un mouvement qui n'a pas d'autre objectif que de dire "non" au Chah [dégagisme]. Pas d'armes, pas d'intérêt personnel ou corporatiste, pas de programme. Ce qui pourrait apparaître au premier abord comme une lacune (un mouvement sans contenu et sans moyen) est au contraire ce qui fait apparaître dans sa nudité la vérité de ce mouvement : il ne peut être détourné ou récupéré, car il ne possède rien en propre."
Ce constat fait en 2004 par Philippe Chevallier me rappelle nombre de mouvements actuels, spontanés, sans organisation revendiquée, ni revendications claires. Comme ceux de la place Tahrir au printemps égyptien, comme 'Occupy Wall-Street' en 2011 et d'autres révoltes. Mais 20 ans après que reste t'il de ces mouvements ?

Il semble que l'histoire profite à ceux qui sont prêts et organisés. En Russie, en 1917 les bolchevicks n'étaient pas très nombreux, mais comme ils étaient bien organisés et très influents dans les syndicats, ils ont pris le pouvoir. Toutes choses égales par ailleurs, on pourrait faire ici la comparaison avec le poids des syndicats policiers en France. Quand on sait que les trois quart des policiers d'active envisagent de voter  pour Marine Le Pen, qui serait le mieux armé et le plus organisé en cas de soulèvement ? l'antifa ou les syndicats policiers et les forces de l'ordre ?
De surcroit, l'autoritarisme décomplexé qui devient la norme au niveau mondial inspire de plus en plus les démocraties occidentales et forcément l'opinion et la sphère politique française.

Bref, je suis un indécrottable pessimiste, et pour les années qui viennent je crains de voir le système actuel de plus en plus inégalitaire et répressif  débordé par des soulèvements qui finiront par consacrer une idéologie faite d'autoritarisme d'identitarisme et de sécurité.

Oz

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Ozias 2020





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