Le LSD a été découvert en Suisse en 1943 par Albert Hofmann chimiste aux laboratoires Sandoz alors qu’il travaillait sur de nouvelles propriétés thérapeutiques aux dérivés de l’ergot de seigle.
Bien que l’ergot de seigle soit un redoutable poison identifié dès le XVIIème siècle on connaissait déjà de nombreux usages médicaux dérivés de ce minuscule champignon qui colonise les épis de seigle. Secale cornutum désigne la forme sclérote du Claviceps purpurea, champignon parasite toxique long de quelques millimètres qui pousse sur les épis de céréales et que l’on appelle couramment ’ergot de seigle’. L’ergot de seigle est décrit dès 1595 par Bauhin (botaniste suisse) puis sera identifié au XIXème siècle par Adolphe de Candolle (autre botaniste suisse) comme étant un champignon.
Source : Wikipedia |
L’historien Rodolphe écrivait : « En 993, il régna en France une grande mortalité parmi les hommes. C’était un feu caché qui, dès qu’il avait atteint quelque membre, le détachait du corps après l’avoir brûlé. Souvent l’espace d’une nuit suffisait pour cet effet. Beaucoup de gens de toutes classes périrent, et quelques-uns restèrent privés d’une partie de leurs membres pour servir d’exemple de la justice divine à ceux qui viendraient après eux.» Au 11e siècle, Guérin la Valloire, un jeune noble français, souffrait du feu de Saint Antoine. Il parvint à se remettre du mal qui l'affligeait et attribua sa santé recouvrée aux reliques du saint ; son père et lui fondèrent alors ce qui allait devenir l'Ordre hospitalier de Saint-Antoine vers 1095. À la fin du 15e siècle, les moines avaient construit environ 370 hôpitaux à travers l'Europe, en France, en Flandre, en Allemagne, en Espagne et en Italie pour traiter les foyers de feu de Saint Antoine.
En 1918 le chimiste suisse Arthur Stoll isole l'ergotamine qui ouvre la voie à l'usage thérapeutique moderne de l’ergot de seigle connu pour ses propriétés vaso-constrictrices (qui resserrent les vaisseaux sanguins) utiles pour lutter contre les saignements à la suite de l’accouchement, et aussi contre certaines migraines, crampes etc. En 1929, A la fin de ses études en chimie, à l'Université de Zurich, Albert Hofmann, futur père du LSD, entre au laboratoire de recherches Sandoz à Bâle, comme collaborateur du Pr. Arthur Stoll alors fondateur et directeur de la division Pharmacie de Sandoz.
Très jeune Albert Hofmann s’est intéressé aux agencements moléculaires des poisons végétaux (ciguë, curare…), aux champignons vénéneux (amanites, ergots…), aux venins, aux plantes psychotropes sacrées, aux phantasticum (haschich, mescaline). En 1930, utilisant du suc digestif d’escargot de Bourgogne, il réussit à isoler la structure chimique de la « chitine » dont sont faites les carapaces, les ailes et les pinces des insectes. En 1932, il s’intéresse à la scille et à la digitale laineuse, des fleurs vénéneuses dont les glucoses sont capables de soutenir un cœur affaibli – ou de l’arrêter. En 1935 Hofmann proposa de reprendre les recherches autour des alcaloïdes de l’ergot de seigle qui avaient conduit à l’isolement de l’ergotamine en 1918. C’est ainsi qu’en 1938, dans l’intention d’obtenir un stimulant circulatoire et respiratoire, il inventa la vingt-cinquième substance dans la série des descendants synthétiques de l’acide lysergique : le LSD25. Les essais faits sur les animaux ne révélèrent pourtant pas d’intérêt pharmacologique ou médical et les recherches furent de ce fait suspendues. Pourtant, après cinq années d’interruption le chimiste reprit les expérimentations au printemps 1943, mû par le pressentiment que cette substance, dont il “aimait la structure chimique”, pouvait avoir d’autres propriétés. Hofmann a déclaré qu'il avait un "pressentiment particulier" le poussant à resynthétiser le LSD et que cette substance lui "parlait".
Comment cette intuition a-t-elle pu s’imposer à Hofmann ?
Dans le cadre d’une entreprise comme Sandoz, il n’était pas évident d’allouer des
ressources à la reprise de recherches considérées comme sans intérêt. Nous ne
saurons jamais ce qui a pu le motiver. Hofmann recherchait il secrètement un nouveau
psychotrope « phantasticum » ?
Et en quoi la structure chimique de cette molécule lui parlait elle ?
Ce que l’on sait, il nous l’a dit, c’est qu’au cours d'une
de ses promenades de jeunesse Hofmann avait eu une épiphanie, une expérience
décisive qui conditionna toute sa vie future de chimiste et de d’explorateur du
pouvoir des plantes. Ainsi la décrit il bien plus tard dans la préface de son
livre « LSD mon enfant terrible » :
"Cela s'est passé un matin de mai - j'ai oublié
l'année - mais je peux encore désigner l'endroit exact où cela s'est produit,
sur un chemin forestier à Martinsberg, au-dessus de Baden",. "Alors
que je me promenais dans les bois fraîchement verdoyants, remplis du chant des
oiseaux et éclairés par le soleil du matin, tout à coup, tout est apparu dans
une lumière d'une clarté peu commune. Elle brillait du plus bel éclat, parlant
au cœur, comme si elle voulait m'englober dans sa majesté. J'étais rempli d'une
indescriptible sensation de joie, d'unité et de sécurité béate."…/… Et
plus loin il écrit : Il s'est
produit dans ma vie une corrélation aussi inattendue que peu fortuite entre mon
activité professionnelle et le spectacle visionnaire de mon enfance. Je voulais
accéder à la compréhension de la structure et de l'essence de la matière :
c'est ainsi que je suis devenu chimiste. Comme, depuis ma plus tendre enfance, j'étais
passionné par le monde des plantes, j'ai décidé de me vouer à la recherche sur
les substances constitutives des plantes médicinales. C'est ainsi que j'ai
découvert des substances psychoactives, capables de produire des hallucinations
et, dans certaines circonstances, d'induire des états visionnaires comparables
aux expériences spontanées que je viens de décrire. La plus importante de ces
substances a été désignée sous l'appellation "LSD" ».
Hofmann(à droite) dans le labo Sandoz |
Convaincu par son expérience (celle du bicycle day) Albert
Hofmann fut de suite persuadé que le LSD25 allait ouvrir un champ
d’expérimentation psychique et thérapeutique extraordinaire. Surprenant mais
authentique, Hofmann invite le professeur Rothlin, directeur du département de
pharmacologie des laboratoires Sandoz, à répéter lui-même l’expérience avec ses
collaborateurs qui ingérèrent 50 µg de LSD-25 et subirent des effets qui
restaient “tout à fait impressionnants et fantastiques”. Stoll et
Hofmann déposent alors le brevet du LSD en 1943 en Suisse - et en
1948 aux États-Unis.
Dès 1947 le Professeur Werner A. Stoll, fils d’Arthur Stoll (le
boss de Albert Hofmann) publie dans le Schweizer Archiv für Neurologie und
Psychiatrie sous le titre « Diéthylamide de l'acide lysergique, un
phantasticum du groupe de l'ergo » les premiers résultats d'une
expérimentation systématique du LSD chez l'homme, et en particulier sur ses
patients.
La suite, est une autre histoire, celle du succès, puis du bannissement,
puis de la renaissance d’une substance aussi puissante que magique.
Ce qui me surprend dans cette histoire, c’est l’audace de Hofmann, son intuition, et même son acharnement pour à découvrir les propriétés psychoactives du LSD25. Pourquoi insiste t’il en 1935 pour reprendre des recherches sur l'ergot de seigle jusqu'en 1938 ? Puis il remet ça en 1943 bien que le LSD25 ait été déclaré sans intérêt en 1938 ? Comment se fait-il qu’après son expérience fortuite du 16 avril 1943, qui a été déstabilisante au point qu’il a dû quitter le labo, Hofmann décide de s'auto-administrer le 19 avril (bicycle-day) 250µg d'une substance inconnue aux effets inattendus ?
Et suite à son auto-expérimentation du bicycle-day qu'il résume dans ses écrits par « à travers ma propre expérience au LSD, je n'en ai connu que les effets démoniaques » comment se fait qu'il propose à ses proches collaborateurs de faire la même expérience ? Dans un contexte professionnel, faire ingérer un produit inconnu pour tester ses effets psychotropes semble irresponsable et frise la lourde faute professionnelle. En pleine guerre mondiale (Europe 1943), quel pouvait être l’état d’esprit des chimistes de ce laboratoire ? Que recherchaient ils vraiment ?
Autant de questions que je me pose et que j’aimerais poser aux descendants de chimistes qui ont travaillé chez Sandoz à l’époque et avec Hofmann. Si vous en connaissez, si vous êtes de ceux là, Merci !
Have a good trip,
Ozias
Reférences :
https://hal-univ-rennes1.archives-ouvertes.fr/hal-01163248/document
https://www.mycodb.fr/forum/viewtopic.php?f=7&t=17
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/petite-histoire-medicale-et-hallucinee-du-lsd_29129
https://blog.nationalmuseum.ch/fr/2018/10/voyage-psychedelique/
https://www.davidjaybrown.com/albert-hofmann-ph-d/
Petits chimistes : https://archive.org/details/BookOfAcid/page/n3/mode/2up