Ernest Pignon Ernest. Extase |
Que ce soit le mémorial de Pascal (mystique), le "syndrome de Stendhal" (entre syncope et béatitude), "L'ardeur émerveillée" d'André Hardellet, ou "Le moment épiphanique" de Joyce, les textes témoignant du sentiment d'épiphanie ne manquent pas dans notre littérature. À côté du désenchantement, et de la nostalgie du Sacré qui ont irrigué la littérature romantique, à côté de la mélancolie et du soupçon qui ont caractérisé le XXème siècle, de nombreuses œuvres expriment le sens profane du miracle, le don de la surprise ou la révélation de l’épiphanie.
Malgré toutes ces descriptions, loin d’être « source de compréhension, […] l’épiphanie appartient d’emblée à l’obscurité, à l’opacité d’une expérience où, depuis toujours, l’être même des choses est inaccessible » (Ginette MICHAUD).
Quand il est question d'emerveillement, il serait aussi impertinent de postuler l'existence d'éléments ou d'événements substantiellement merveilleux que de donner une définition essentialiste de cette expérience, qui suppose la précédence d'un rapport entre un sujet et un objet.
Il est par contre essentiel de transmuer cette surprise en l'énergie d'un questionnement qui accepte de ne pas se clore par une réponse de l'ordre du savoir.
C’est bien parce que l’esprit s’avère capable d’un questionnement de ce qui échappe qu’il ouvre un infini au sein de chaque instant présent. Et ceci n’est pas à rejeter sous le nom d’inaccessible métaphysique; c’est simplement le souffle qui nous anime si, comme le disait Hermann Hesse, nous avons le souci de nous sentir vivre, .
Blaise Pascal. Pensées.
La nuit du 23 novembre 1654, Pascal fait l’expérience d’une illumination mystique. Il est ébloui par une sorte de feu sans flamme, comme celui que Jean de la Croix a décrit. Il consigne le récit de cette nuit-là sur deux petits feuillets qu’il conserve, cousus dans la doublure de son pourpoint.
" Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre."
Il est par contre essentiel de transmuer cette surprise en l'énergie d'un questionnement qui accepte de ne pas se clore par une réponse de l'ordre du savoir.
C’est bien parce que l’esprit s’avère capable d’un questionnement de ce qui échappe qu’il ouvre un infini au sein de chaque instant présent. Et ceci n’est pas à rejeter sous le nom d’inaccessible métaphysique; c’est simplement le souffle qui nous anime si, comme le disait Hermann Hesse, nous avons le souci de nous sentir vivre, .
Blaise Pascal. Pensées.
La nuit du 23 novembre 1654, Pascal fait l’expérience d’une illumination mystique. Il est ébloui par une sorte de feu sans flamme, comme celui que Jean de la Croix a décrit. Il consigne le récit de cette nuit-là sur deux petits feuillets qu’il conserve, cousus dans la doublure de son pourpoint.
" Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre."
André Hardellet. Les chasseurs. (Extrait)
LA NUIT DES RAMONEURS
Ecoute !...Tu les entends ?
Ils sont là, à une distance incalculable, contre le mur. Hohé ! Ho !
Ils s’appellent, les hottes chantent : c’est leur nuit, la seule de l’année. Mille dans la ville, noirs d’habits, noirs de figures. Ils grimpent, s’insinuent dans les tuyaux, gagnent les mansardes. …/…
James Joyce.
L'épiphanie est pour Joyce, "une manifestation spirituelle inattendue née de la vulgarité d’une expression ou d’un geste, ou d’une phase mémorable de l’esprit".
L’épiphanie participe de trois qualités : l’integritas, la consonantia et la claritas . Très grossièrement résumées, ces qualités renvoient au principe d’identité de la chose en tant qu’elle se différencie de toutes les autres, à l’harmonie de ses proportions et au rayonnement lumineux de son ipséité. Selon Joyce, c’était à l’homme de lettres d’enregistrer ces épiphanies esthétiques avec un soin extrême puisqu’elles « constituaient en elles-mêmes les instants les plus délicats et les plus évanescents. »
Exemple d'Epiphanie de Joyce, au sujet de de son frère cadet, George, qui meurt d'une péritonite à l'âge de 15 ans .
DUBLIN - Dans la maison de Glenngarff Parade, le soir.
Mrs Joyce (toute rouge et tremblante, apparaissant à la porte du salon)...
-Jim !
Joyce (au piano)...
-Oui ?
Mrs Joyce.
-Est ce que tu sais comment le corps fonctionne ? Que faut il faire ? C'est le petit George...Il y a quelque-chose qui sort du trou de son ventre. As-tu idée de ce que cela peut être ?
Joyce (surpris).
-Non, je ne vois pas ...
Mrs Joyce.
-Tu crois qu'on devrait appeler le médecin ?
Joyce.
-Je ne sais pas...Mais quel trou ?
Mrs Joyce (avec impatience).
- Mais le trou que nous avons tous ... Ici... (montrant quelque chose du doigt)
Joyce.(se lève en sursaut).
(Tiré de "Humour" -Frédéric Pajak et Yves Tenret. PUF p73)
Le syndrome de Stendhal
« Pour moi le syndrome de Stendhal c’était de l’ordre de la fiction… j’aurais jamais cru qu’on puisse vivre cela… Et c’est ce que j’ai vécu. Un sentiment de trop de beauté. J’étais épuisé par cette beauté en continu. »« Ça a duré 2 secondes, mais dans mon cœur ça a duré très longtemps. J’étais à la fois totalement moi-même, avec moi-même, et non envahie du moi-même qui n’est pas intéressant. »« Là, franchement, je peux avoir la gorge qui se noue, le rythme cardiaque qui s’accélère brutalement… Et les yeux écarquillés. Oui c’est une explosion. Un spasme, entre la joie et la douleur. Ça chauffe le cœur. Ça m’a foudroyé et j’ai crié. »
Une expérience personnelle.
J’ai embrassé l’aube d’été. Eté 74 j’ai 17 ans. Les vacances, l’Ardèche, et ce matin d’été je pêche les truites.
Le soleil déjà haut pénètre dans les gorges et éclabousse les rochers frais. Pour les yeux il y a le bleu impeccable du ciel, le vert des feuilles de châtaigniers, et l’or des herbes déjà hautes dans les contre-jours. Dans l’air les senteurs des genêts, de la rivière, des mousses et du granit. Le bruit du torrent remplit ces gorges isolées. Toute la matinée, sous mes pieds et dans mes mains se sont succédé le contact des rochers polis, des herbes glissantes, des graviers sonores, des eaux fraîches et du mucus frais de la robe des truites. Et voici l’heure où l’ombre et l’eau glacée font place au soleil d'été qui chauffe ma peau bronzée.
J’avale toutes ces sensations, toute cette énergie, cette jouissante palpitation qui m'entoure. Sentiment intense de me sentir vivant tout comme la rivière, les truites, les plantes ou les hirondelles dans le ciel. Alors, dans cette jouissance sensuelle et solaire, au sens propre comme au figuré, j’ensemence le gravier du lit de la rivière.
Ozias
J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins: à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors, je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.
Arthur Rimbaud
« Pour moi le syndrome de Stendhal c’était de l’ordre de la fiction… j’aurais jamais cru qu’on puisse vivre cela… Et c’est ce que j’ai vécu. Un sentiment de trop de beauté. J’étais épuisé par cette beauté en continu. »« Ça a duré 2 secondes, mais dans mon cœur ça a duré très longtemps. J’étais à la fois totalement moi-même, avec moi-même, et non envahie du moi-même qui n’est pas intéressant. »« Là, franchement, je peux avoir la gorge qui se noue, le rythme cardiaque qui s’accélère brutalement… Et les yeux écarquillés. Oui c’est une explosion. Un spasme, entre la joie et la douleur. Ça chauffe le cœur. Ça m’a foudroyé et j’ai crié. »
Une expérience personnelle.
J’ai embrassé l’aube d’été. Eté 74 j’ai 17 ans. Les vacances, l’Ardèche, et ce matin d’été je pêche les truites.
Le soleil déjà haut pénètre dans les gorges et éclabousse les rochers frais. Pour les yeux il y a le bleu impeccable du ciel, le vert des feuilles de châtaigniers, et l’or des herbes déjà hautes dans les contre-jours. Dans l’air les senteurs des genêts, de la rivière, des mousses et du granit. Le bruit du torrent remplit ces gorges isolées. Toute la matinée, sous mes pieds et dans mes mains se sont succédé le contact des rochers polis, des herbes glissantes, des graviers sonores, des eaux fraîches et du mucus frais de la robe des truites. Et voici l’heure où l’ombre et l’eau glacée font place au soleil d'été qui chauffe ma peau bronzée.
J’avale toutes ces sensations, toute cette énergie, cette jouissante palpitation qui m'entoure. Sentiment intense de me sentir vivant tout comme la rivière, les truites, les plantes ou les hirondelles dans le ciel. Alors, dans cette jouissance sensuelle et solaire, au sens propre comme au figuré, j’ensemence le gravier du lit de la rivière.
Ozias
J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins: à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors, je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.
Arthur Rimbaud