vendredi 14 octobre 2011

Poésie Jean-Genet. Prière


       LE CONDAMNE A MORT
Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,

Laisse tes dents poser leur sourire de loup.
Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.
Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.
Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.
Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l’escalier, plus souple qu’un berger,
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.
Ô Traverse les murs ; s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,

Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.

                   JEAN GENET
Maurice Pilorge
« J'ai dédié ce poème à la mémoire de mon ami Maurice Pilorge, dont le corps et le visage radieux hantent mes nuits sans sommeil. En esprit je revis avec lui les quarante derniers jours qu'il passa, les chaînes aux pieds et parfois aux poignets, dans la cellule des condamnés à mort de la prison de Saint-Brieuc. Les journaux manquent d'à propos. Ils commirent d'imbéciles articles pour illustrer sa mort qui coïncidait avec l'entrée en fonction du bourreau Desfourneaux. Commentant l'attitude de Maurice devant la mort le journal l'Oeuvre dit 'que cet enfant eut été digne d'un autre destin'. Bref on le ravala. Pour moi, qui l'ai connu et qui l'ai aimé, je veux ici, le plus doucement possible, tendrement, affirmer qu'il fut digne, par la double et unique splendeur de son âme et de son corps, d'avoir le bénéfice d'une telle mort. Chaque matin, quand j'allais, grâce à la complicité d'un gardien ensorcelé, par sa beauté, sa jeunesse et son agonie d'Appollon, de ma cellule à la sienne pour lui porter quelques cigarettes, levé tôt il fredonnait et me saluait ainsi, en souriant: 'Salut Jeannot du matin!' Originaire du Puy-de-Dôme il avait un peu l'accent d'Auvergne. Les jurés, offensés par tant de grâce, stupides mais pourtant prestigieux dans leur rôle de Parques le condamnèrent à 20 ans de travaux forcés pour cambriolage de villas sur la côte, et le lendemain, parce qu'il avait tué son amant Escudero pour lui voler moins de mille francs, cette même cour d'assises condamnait mon ami Maurice Pilorge à avoir la tête tranchée. Il fut exécuté le 17 mars 1939 à Saint-Brieuc. »


 Le condamné à mort.  Babx chante Jean Genet.

Il y a aussi la très belle version des "Chevals Hongrois" qui reprend les autres poèmes du texte de Genet: ils ont tout compris !
https://leschevalshongrois.bandcamp.com/album/le-condamne-a-mort-jean-genet
https://leschevalshongrois.bandcamp.com/track/le-condamne-a-mort-part-3

A lire, aussi pour mieux se rendre compte, le récit de l'exécution de Hamida Djandoubi par Monique Mabelly, juge d'instruction . C'était le 9 septembre 1977 à Marseille.


http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/10/09/c-est-a-ce-moment-qu-il-commence-a-realiser-que-c-est-fini_3492565_3232.html

à voir également, le film de Genet 'un chant d'amour' qui reprend les thèmes de l'incarcération et de l'homosexualité du 'condamné à mort'.

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