jeudi 25 octobre 2012

La mort n'est pas une maladie

Marronnier. Fleur et feuille.
Voilà bien un  sujet bien de saison, ce qu'on peut appeler 'un marronnier' (le marronnier est cet arbre qui refleurit chaque année à date fixe). Donc, à l’occasion de la Toussaint, d’halloween, de la fête des défunts, voici quelques mots à propos de la mort, et  plus précisément sur la fin de la vie.  Pratiquement, quelles portes de sorties se présentent à nous  et quels sont leurs avantages ou inconvénients selon moi et aujourd’hui.

Avant d'avoir été malade, situation qui m'a fait réaliser que je pourrais être 'en coquetterie avec la mort',  j'étais plutôt partisan d'une mort rapide, qui me prendrait par surprise, sans que je m'en aperçoive. Du genre tu vas te coucher et puis tu ne te réveilles plus jamais. Ou bien encore, seul au volant la nuit un arbre traverse ta route à 200 km/h (aussi vite que Senna).  Ou encore mieux, connaître la très sainte épectase, climax d'une ultime étreinte. Bref, pas de temps à perdre avec une maladie surtout si elle doit être longue, et sans doute douloureuse. L'amour de la vitesse quoi. La mort sans s'en rendre compte, comme si elle n'existait pas.

Une autre option, assez proche,  est celle d'une mort  'dans la pleine possession de ses moyens'. En d'autres termes, se faire mourir en bonne santé. Naturellement cela sous-entend volonté et préméditation (comme Beregovoy). Je trouve que c'est un mauvais exemple pour les enfants, et que ça culpabilise ceux qui restent. Même si il ne faut jamais dire jamais, la hantise de mourir idiot me dissuade d’accélérer par tel ou tel moyen  l'inéluctable. 

Depuis peu, j'ai dû vieillir, ou grandir en sagesse comme vous voudrez, mais tout bien pesé, je préfère mourir d'une longue maladie, même si je me dis que ça doit quand même être plus facile au début.
Pourquoi  une longue maladie ?  Et bien, le temps de se préparer et d'arranger, autant que possible ses petites affaires manière de ne pas rater ‘ça’. Je ne me souviens pas comment je suis arrivé ici, ce serait bien dommage de filer à l’anglaise sans même faire d'adieux. Il me semble aujourd'hui que le top de l’art de vivre c'est de profiter de la vie jusqu'à sa fin en faisant l'expérience d'une telle situation sans suite ni précédent. Ne plus avoir peur d'affronter sa vie. Apprendre à se passer de soi-même et fumer ce qui reste dans le tapis. Jusqu'où  peut-on ?


 Afin de bien se mettre en condition voici une romantique description du grand mystère sous le regard macabre et plein de dérision de Théophile Gautier.  Tremblons mortels !


"J'étais dans une chambre qui n'était pas la mienne ni celle d'aucun de mes amis, une chambre où je n'étais jamais venu, et que cependant je connaissais parfaitement bien: les jalousies étaient fermées, les rideaux tirés; sur la table de nuit une pâle veilleuse jetait sa lueur agonisante. On ne marchait que sur la pointe du pied, le doigt sur la bouche; des fioles, des tasses encombraient la cheminée. Moi, j'étais au lit comme si j'eusse été malade, et pourtant je ne m'étais jamais mieux porté. Les personnes qui traversaient l'appartement avaient un air triste et affairé qui semblait extraordinaire. "Jacintha était à la tête de mon lit, qui tenait sa petite main sur mon front, et se penchait vers moi pour écouter si je respirais bien. De temps en temps une larme tombait de ses cils sur mes joues, et elle l'essuyait légèrement avec un baiser.  "Ses larmes me fendaient le coeur, et j'aurais bien voulu la consoler; mais il m'était impossible de faire le plus petit mouvement, ou d'articuler une seule syllabe: ma langue était clouée à mon palais, mon corps était comme pétrifié.  "Un monsieur vêtu de noir entra, me tâta le pouls, hocha la tête d'un air découragé, et dit tout haut: "C'est fini!"

Alors Jacintha se prit à sangloter, à se tordre les mains, et à donner toutes les démonstrations de la plus violente douleur: tous ceux qui étaient dans la chambre en firent autant. Ce fut un concert de pleurs et de soupirs à apitoyer un roc.  "J'éprouvais un secret plaisir d'être regretté ainsi. On me présenta une glace devant la bouche; je fis des efforts prodigieux pour la ternir de mon souffle, afin de montrer que je n'étais pas mort: je ne pus en venir à bout. Après cette épreuve on me jeta le drap par-dessus la tête; j'étais au désespoir, je voyais bien qu'on me croyait trépassé et que l'on allait m'enterrer tout vivant. Tout le monde sortit: il ne resta qu'un prêtre qui marmotta des prières et qui finit par s'endormir.  

"Le croque-mort vint qui me prit mesure d'une bière et d'un linceul; j'essayai encore de me remuer et de parler, ce fut inutile, un pouvoir invincible m'enchaînait: force me fut de me résigner. Je restai ainsi beaucoup de temps en proie aux plus douloureuses réflexions. Le croque-mort revint avec mes derniers vêtements, les derniers vêtements, les derniers de tout homme, la bière et le linceul: il n'y avait plus qu'à m'en accoutrer.  "Il m'entortilla dans le drap, et se mit à me coudre sans précaution comme quelqu'un qui a hâte d'en finir: la pointe de son aiguille m'entrait dans la peau, et me faisait des milliers de piqûres; ma situation était insupportable. Quand ce fut fait, un de ses camarades me prit par les pieds, lui par la tête, ils me déposèrent dans la boîte; elle était un peu juste pour moi, de sorte qu'ils furent obligés de me donner de grands coups sur les genoux pour pouvoir enfoncer le couvercle.  "Ils en vinrent à bout à la fin, et l'on planta le premier clou. Cela faisait un bruit horrible. Le marteau rebondissait sur les planches, et j'en sentais le contrecoup. Tant que l'opération dura, je ne perdis pas tout à fait l'espérance; mais au dernier clou je me sentis défaillir, mon coeur se serra, car je compris qu'il n'y avait plus rien de commun entre le monde et moi: ce dernier clou me rivait au néant pour toujours. Alors seulement je compris toute l'horreur de ma position. 

"On m'emporta; le roulement sourd des roues m'apprit que j'étais dans le corbillard; car bien que je ne pusse manifester mon existence d'aucune manière, je n'étais privé d'aucun de mes sens. La voiture s'arrêta, on retira le cercueil. J'étais à l'église, j'entendais parfaitement le chant nasillard des prêtres, et je voyais briller à travers les fentes de la bière la lueur jaune des cierges. La messe finie, on partit pour le cimetière; quand on me descendit dans la fosse, je

ramassai toutes mes forces, et je crois que je parvins à pousser un cri; mais le fracas de la terre qui roulait sur le cercueil le couvrit entièrement: je me trouvaisdans une obscurité palpable et compacte, plus noire que celle de la nuit. Du reste, je ne souffrais pas, corporellement du moins; quant à mes souffrances morales, il faudrait un volume pour les analyser. L'idée que j'allais mourir de faim ou être mangé aux vers, sans pouvoir l'empêcher, se présenta la première; ensuite je pensai aux événements de la veille, à Jacintha, à mon tableau qui aurait

eu tant de succès au Salon, à mon drame qui allait être joué, à une partie que j'avais projetée avec mes camarades, à un habit que mon tailleur devait me rapporter ce jour-là; que sais-je, moi? à mille choses dont je n'aurais guère dû m'inquiéter; puis revenant à Jacintha, je réfléchis sur la manière dont elle s'était conduite; je repassai chacun de ses gestes, chacune de ses paroles, dans ma mémoire; je crus me rappeler qu'il y avait quelque chose d'outré et d'affecté dans ses larmes, dont je n'aurais pas dû être la dupe: cela me fit ressouvenir de plusieurs choses que j'avais totalement oubliées; plusieurs détails auxquels je n'avais pas pris garde, considérés sous un nouveau jour, me parurent d'une haute importance; des démonstrations que j'aurais juré sincères me semblèrent louches; il me revint dans l'esprit qu'un jeune homme, un espèce de fat moitié cravate, moitié éperons, lui avait autrefois fait la cour. Un soir, nous jouions ensemble, Jacintha m'avait appelé du nom de ce jeune homme au lieu du mien, signe certain de préoccupation; d'ailleurs je savais qu'elle en avait parlé favorablement dans le monde à plusieurs reprises, et comme de quelqu'un qui ne lui déplairait pas.  "Cette idée s'empara de moi, ma tête commença à fermenter; je fis des rapprochements, des suppositions, des interprétations: comme on doit bien le penser, elles ne furent pas favorables à Jacintha. Un sentiment inconnu se glissa dans mon coeur, et m'apprit ce que c'était que souffrir; je devins horriblement jaloux, et je ne doutai pas que ce ne fût Jacintha qui, de concert avec son amant, ne m'eût fait enterrer tout vif  pour se débarrasser de moi. Je pensai que peut-être en ce moment même ils riaient à gorge déployée du succès de leur stratagème, et que Jacintha livrait aux baisers de l'autre cette bouche qui m'avait juré tant de fois n'avoir jamais été touchée par d'autres lèvres que les miennes.  "A cette idée, j'entrai dans une fureur telle que je repris la faculté de me mouvoir; je fis un soubresaut si violent, que je rompis d'un seul coup les coutures de mon linceul. Quand j'eus les jambes et les bras libres, je donnai de grands coups de coudes et de genoux au couvercle de la bière pour le faire sauter et aller tuer mon infidèle aux bras de son lâche et misérable galant. Sanglante dérision, moi, enterré, je voulais donner la mort! Le poids énorme de la terre qui pesait sur les planches rendit mes efforts inutiles. Epuisé de fatigue, je retombai dans ma première torpeur, mes articulations s'ossifièrent: de nouveau je redevins cadavre. Mon agitation mentale se calma, je jugeai plus sainement les choses: les souvenirs de tout ce que la jeune femme avait fait pour moi, son dévouement, ses soins qui ne s'étaient jamais démentis, eurent bientôt fait évanouir ces ridicules soupçons. 
"Ayant usé tous mes sujets de méditation, et ne sachant comment tuer le temps, je me mis à faire des vers; dans ma triste situation, ils ne pouvaient pas être fort gais: ceux du nocturne Young et du sépulcral Hervey ne sont que des bouffonneries, comparés à ceux-là. J'y dépeignais les sensations d'un homme conservant sous terre toutes les passions qu'il avait eues dessus, et j'intitulai cette rêverie cadavéreuse: La vie dans la mort. Un beau titre, sur ma foi! et ce qui me désespérait, c'était de ne pouvoir les réciter à personne.

Théophile Gautier. Les Jeunes France. Romans goguenards.1833.



"La mort n'est rien
Le fil n'est pas coupé.
La mort n'est rien. Je suis simplement passé
Dans la pièce d'à côté.
Je suis moi, vous êtes vous.
Ce que nous étions les uns pour les autres,
Nous le sommes toujours.
Donnez-moi le nom que vous m'avez toujours donné;
Parlez-moi comme vous l'avez toujours fait,
N'employez pas de ton différent
Ne prenez pas un ton solennel et triste.
Continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble
Priez, souriez, pensez à moi.
Que mon nom soit prononcé comme il l'a toujours été.
Sans emphase d'aucune sorte, sans trace d'ombre
La vie signifie tout ce qu'elle a toujours été.
Pourquoi serais-je hors de votre pensée
Simplement parce que je suis hors de votre vue ?
Je vous attends. Je ne suis pas loin
Juste de l'autre côté du chemin
Vous voyez, tout est bien
."
Charles Péguy
 

Pour poursuivre au delà:

http://www.lebruitagene.info/lamortnestpasunemaladie.html

http://www.danse-macabre.net/


Petite anthologie du bien mourir. Philippe Martin. Vuibert

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