Organiser et contrôler.
Après la guerre de sécession, les États-Unis connurent une explosion démographique nourrie à la fois par la croissance intérieure et par l'immigration en provenance d’Europe. Tous les 10 ans le recensement précis de la population était rendu nécessaire par la nature du système politique américain car l’élection des représentants dépendait du poids démographique de chaque État. Le comptage de 1880 fut un cauchemar: la population des États-Unis dépassait 50 millions d'habitants; sept ans allaient être nécessaires pour dépouiller et exploiter les informations recueillies. En 1890, le blocage serait total. Les décideurs économiques et législatifs ne pourraient plus disposer en temps utiles des informations qui leur seraient nécessaires et les règles constitutionnelles ne seraient plus respectées. Une évolution radicale devenait donc indispensable. Cette évolution fut l’invention de la première machine statistique à cartes perforées. L’entreprise qui deviendra plus tard IBM fut fondée à la suite de cette invention.
En France, c’est sous Vichy qu’est inventé le NIR (Numéro d’identification au répertoire). C’est un numéro à treize chiffres, autour duquel le Service national de Statistiques (SNS), crée par un ingénieur militaire, construit un grand fichier unifié des citoyens français. À chaque citoyen un numéro, celui des hommes commençant par 1, celui des femmes par 2 (celui des Juifs par 3, celui des musulmans par 4… jusqu’en 1944). On reconnaît là le numéro de Sécurité sociale attribué à chaque français depuis 1945: après la Libération, les élites issues de la Résistance conservent un service national de statistiques placé sous l’égide de l’État, afin d’aider au pilotage de l’économie. On le rebaptise INSEE (Institut nationale de la statistique et des études économiques) et on conservera une partie des acquis techniques et bureaucratiques du SNS.
Une innovation technique évite de se poser la question de l’organisation légitime du pouvoir dans de nouvelles conditions. En cela, la technique n’est jamais neutre. La société de traçabilité intégrale qui se déploie aujourd’hui est le produit de ces visions organisatrices.
Ainsi, la logique algorithmique de Facebook colle à ce que font les individus de façon très conservatrice. En préférant les conduites aux aspirations, les algorithmes de Facebook nous emprisonnent dans notre conformisme. Facebook place ses utilisateurs dans une bulle ('filter bubble'): selon les affinités de l'utilisateur, l'algorithme ferme la fenêtre sur le monde en réduisant son paysage au choix de ses amis. Nous nous déconnectons de nos semblables pour ne plus rencontrer que nos 'mêmes'.
L’individualisation des calculs,dans les grandes bases de données, produit des catégorisations sans en avoir l'air. Par exemple, aux Etats_Unis, le "FICO score" mesure, en fonction de son historique bancaire, les risques que chaque individu présente face au crédit à la consommation.En Chine, le "Credit Score" géré par le géant du commerce en ligne Alibaba et la holding chinoise Tencent, prend en compte les hobbies, les amis que l'on possède sur les réseaux sociaux, ou encore les habitudes en matière de shopping. "si vous achetez des choses que le régime apprécie, comme un lave-vaisselle ou des couches pour bébé, votre score augmente. Si vous achetez des jeux vidéo, il va diminuer".
En réunissant l'ensemble de ces données, le système est ainsi supposé être capable de déterminer la capacité d'une personne à gagner de l'argent à l'avenir. Ainsi, jouer aux jeux vidéo est considéré comme non productif, et donc pénalisant.
"C'est l'utilisation du Big Data la plus stupéfiante qui ait été publiquement annoncée", estime Michael Fertik, auteur de The Reputation Economy. Cette utilisation du système rappelle férocement le Big Brother de George Orwell.
À travers le classement de l’information, la personnalisation publicitaire, la recommandation de produits, le ciblage des comportements ou l’orientation des déplacements, les méga-calculateurs sont en train de s’immiscer, de plus en plus intimement, dans la vie des individus. Or, loin d’être de simples outils techniques, les algorithmes du 'Big data' véhiculent leur propre projet politique.
Moralité, la technique n'est jamais neutre. Le totalitarisme ne réside dans seulement dans des finalités condamnables, mais aussi dans les moyens utilisés.
Sources :
https://sortirdefacebook.wordpress.com/2013/10/29/la-liberte-dans-le-coma-groupe-marcuse-extrait/
http://www.directmatin.fr/monde/2015-10-08/la-chine-note-chaque-citoyen-en-fonction-de-son-mode-de-vie-713055
"A quoi rêvent les algorithmes" Dominique Cardon. Editions du seuil 2015.
http://www.slate.fr/story/112681/qui-controle-ce-qui-apparait-sur-votre-fil-facebook
https://esprit.presse.fr/article/emmanuel-alloa/l-egalitarisme-automatise-42083
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