mercredi 18 novembre 2015

Evaluations

Ecole, travail, Internet... Que nous soyons en position d'évalué ou d'évaluateur, impossible aujourd'hui d'échapper aux notes, évaluations, rankings et benchmarks.


L'idéologie de l'évaluation qui s'affiche sous la bannière de l'égalitarisme et de la méritocratie est en fait l'opposé du paradigme de l'émancipation. L'évaluation du travail est une pratique mortifère  qui modifie la nature du sujet et la définition de son travail pour établir une note. 
L'évaluation calibre, détruit la singularité, l'irremplaçabilité du travailleur. Aucune forme de capitalisation n'est alors possible pour le travailleur, dans la mesure où pour capitaliser il faut revendiquer une propriété intellectuelle, un droit d'auteur, un "nom". Faire disparaître l'individu derrière un chiffre permet simplement d'usurper son dû.

L'évaluation produit de la servitude volontaire , car elle s'assimile à un processus de formation du sujet. Aucune valeur n'est attribuée au sujet tant qu'il n'a pas été évalué. Créer l’évaluation, c'est placer la conscience sous surveillance, sous sous sa propre surveillance. Le sujet dépossédé de sa propre liberté de conscience suffit comme seul bourreau. L'évaluation se pose comme unique dispositif de visibilité de l'évalué. elle refuse au sujet la possibilité de poursuivre son individuation  ailleurs et autrement.  Placé sous le joug de l'évaluation le sujet reste à jamais sous tutelle.
C'est l'évaluation qui qui après avoir tué ce qu'il y d'agent dans le sujet le reconnaît en tant que tel, mais désormais devenu non plus un sujet libre mais un sujet domestiqué, sous domination. 
L'évaluation est une forfaiture de la vérité, mais aussi une légitimation réelle du pouvoir en place. Le pouvoir cherche à détruire la capacité d'individuation de chaque individu ou plutôt de faire croire à l'individu que son individuation nécessite un strict individualisme. Le pouvoir tient par l'intérêt qu'il alimente. Il substitue à la notion d'individuation celle de l’intérêt, en donnant l'illusion qu'elle lui est similaire. Mais cet intérêt n'a de sens qu'à l'intérieur d'un système qui reconnait la valeur de la domination. Jouir de cet intérêt suppose la mise sous tutelle. L' "avoir" met en demeure la liberté d'être du sujet. 

Quand l'évaluation n'arrive pas à évaluer elle met en accusation. 
Contester l'évaluation ne permet nullement d'accéder à un débat sur l'évaluation. Contester l'évaluation c'est risquer sa propre marginalisation ou stigmatisation. Le procédé est bien connu avec la surenchère sécuritaire liberticide : qui peut avoir peur des contrôles de police, des surveillances électroniques sur le web... si ce n'est le fautif ou celui qui se reproche quelque chose ? 
Ainsi le mythe de la neutralité de l'évaluation suit les rails du mythe de la neutralité de la technique. Chacun est tenu par le pouvoir anonyme de l'évaluation, pour plus d'illusion d'égalité.

Extraits du livre de Cynthia Fleury 'Les Irremplaçables' Chapitre 'le dogme du pouvoir' .
Mes notes de lecture dans  http://sansdire.blogspot.fr/2015/11/les-irremplacables.html?view=flipcard
Prisonner in Panopticon (early XIXth)                                                Worker in open space (early XXIst  )

"L’évaluation généralisée est une pratique néolibérale pathologique. Née dans la finance la pratique de l'évaluation est en voie de coloniser toutes les sphères de la vie sociale, organisant par là leur soumission à la logique d'une société de marché de part en part régie par le principe de concurrence. On évalue les chauffeurs de VTC, les appartements de location, les toilettes d'aéroport, et sans doute bientôt les dîners entre amis. "
Frédéric Lordon 22 février 2017

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