vendredi 6 juin 2025

Psychédéliques : révolutionnaires ou réactionnaires ?

LSD, Kétamine, Pourquoi Musk, Thiel et la droite américaine trippent sur les psychédéliques ?

Ces figures de l'Alt-Right et des libertariens, de Peter Thiel à Elon Musk, promeuvent l'usage du LSD, de la psilocybine, ou de la kétamine. Si cette industrie, brassant des milliards de dollars , prône un usage thérapeutique, elle pousse surtout un agenda autoritaire qui justifie les inégalités.

Nastasia Hadjadji. Publié sur Libération 6 avril 2025 

Janvier 2025. A l'occasion de l'investiture de Donald Trump, Elon Musk sidère le monde en effectuant deux saluts nazis. Un mois plus tard, celui qui a été nommé administrateur d'un département de l'efficacité gouvernementale, le Doge, monte sur la scène de la Conservative Political Action Conference (CPAC). Visiblement euphorique, il brandit une tronçonneuse, singeant le président argentin Javier Milei.; un anarcho-capitaliste déterminé à démanteler l'état social. Ces coups d'éclats successifs font le tour du monde. 

Depuis, les spéculations sur l'état psychique et le discernement du milliardaire vont bon train. Les média se chargent de rappeler que Elon Musk est un consommateur régulier de kétamine, substance psychotrope qu'il utilise sur prescription pour traiter un état dépressif. Le site d'information The Atlantic interroge : était il en plein trip lorsqu'il a effectué ces saluts nazis ? Consommée à haute dose, la kétamine produit des effets stimulants pouvant conduire à un sentiment de toute puissance. D'autant qu'il n'est pas la seule figure de la droite réactionnaire à revendiquer une consommation de psychédéliques. 

Quatre ans auparavant, le 6 janvier 2021, un homme vêtu comme un guerrier viking mène l'insurection trumpiste sur le Capitole, berceau des institutions démocratiques américaines. il s'agit de Jake Angeli, une figure de l'Alt-Right autoproclamé 'QAnon Shaman'. En plus d'être l'une des têtes de pont de la mouvance complotiste, Jake Angeli est un psychonaute, un consommateur de psychédéliques. cet intérêt, il le partage avec l'idéologue de l'Alt -Right Jordan Peterson, très prolixe sur les "expériences mystiques" vécues grâce à la psilocybine. Mais aussi avec l'influent podcaster d'extrême droite, Joe Rogan qui a consacré plusieurs épisodes à ses trips sous DMT et ayahuasca. 

Psychédélisme conservateur

Un nombre grandissant de figures de l'Alt-Right et de la droite Techno-libertarienne font aujourd'hui la promotion de l'usage thérapeutique des psychédéliques , alors même que ces substances demeurent associées à la contre culture libertaire et antimilitariste des années 60. S'agit il d'un basculement idéologique ? Historiquement, le psychédélisme n'est pas connoté idéologiquement, surtout pas à gauche, nuance Rémi Sussan; journaliste et spécialiste des contre-cultures numériques. 'L'un des premiers  psychonautes à défendre l'usage des psychédéliques est Ernst Jünger [1894-1998], un écrivain allemand issu de la droite réactionnaire. Et lorsque Aldous Huxley [1894-1963] a sorti son ouvrage les Portes de la perception [1954]; la revue conservatrice National Review en publie la première version positive'.

Avant que les années 1960 n'impriment la marque de la contre culture hippie sur les psychédéliques, la consommation de psychotropes est le fait de l'establishment financier. Ainsi, c'est un banquier de la firme JP Morgan, Gordon Wasson (1898-1986), qui a inventé la qualification de 'champignons m magiques' pour parler de la psilocybine, bien avant que les auteurs de la Beat Generation ne fassent des psychédéliques la source de leur créativité littéraire et de leur engagement politique en faveur des libertés sexuelles et politiques. 

Aujourd'hui, ce lien avec les élites est incarné par Robert Francis Kennedy Junior, ancien avocat et membre du parti démocrate, actuel secrétaire d'Etat à la santé et aux services sociaux. RFK junior s'est rallié à Donald Trump dans le sillage de sa croisade antivax contre l'industrie pharmaceutique. Une position qui l'a notamment conduit à défendre l'usage des psychédéliques. selon lui, ces substances seraient plus efficaces pour soigner les pathologies mentales et leur démocratisation permettrait de briser la mainmise des Big Pharma sur l'industri edes médicaments. Dans cette bataille, il peut compter sur le soutien de la milliardaire Rebekah Mercer, mécène historique du Parti Républicain, proche de Steve Banon et de Donald Trump, qui défend l'usage des psychédéliques pour traiter le stress post traumatique des vétérans de guerre.

Redécouvertes à des fins thérapeutiques

Aujourd'hui, les psychédéliques ne sont plus considérés comme des stupéfiants, illégaux dans une majorité de pays. Ces substances représentent un espoir thérapeutique. On parle ainsi de Renaissance psychédélique, un mouvement qui a conduit à ce que les propriétés du LSD, de la psilocybine, de la MDMA, de la kétamine, soient redécouvertes à des fins thérapeutiques pour traiter la dépression, l'alcoolisme ou le stress post-traumatique.

l'enjeu médical est majeur, puisque l'OMS estime que la dépression touche 300 millions de personnes dans le monde et que 2,6 millions meurent d'alcoolisme. D'un autre côté, les USA comptent15,8 millions de vétérans de guerre en 2023, soit 6% de la population âgée de plus de 18ans. Mais cet enjeu est également d'ordre commercial puisque les nouveaux traitements à base de psychédéliques pourraient représenter une manne de 4,6 milliards de dollars d'ici 2030; selon l'institut Research and Markets. Alors les fabricants de molécules synthétiques se livrent une bataille acharnée. Leur graal ? une approbation par le régulateur américain, la Food and Drug administration (FDA), qui leur permettrait de commercialiser de nouveaux traitements.

Mais à l'été 2024, l'agence américain du médicament a refusé la mise sur le marché d'un traitement à base de MDMA, car les preuves des bénéfices n'étaient pas suffisamment robustes. Cette décision a été particulièrement mal reçue par les figures i psychédélisme conservateur. RFK junior s'est ainsi emporté contre ce qu'il a qualifié de "décision agressive". Depuis, il tient l'agence fédérale dans son viseur tant celle-ci incarne, selon lui, les excès d'une "bureaucratie" prompte à entraver l'innovation.

Une industrie brassant des milliards de dollars

 Cet argument fait mouche, en particulier dans la Silicon Valley, berceau de l'innovation technologique. Que l'on pense à Stewaert Brand, hippie technophile et auteur du 'Catalogue des ressources', une bible de la contre-culture cybernétique, au mouvement extropien, une frange radicale et libertarienne d'ingénieurs transhumanistes ou encore au festival Burning  Man, la Silicon valley a toujours été amatrice d'expériences psychédéliques. en 2006; le magazine Wired qualifie le LSD de "drogue miraculeuse du geek".  

CEO de start-up, dirigeants de hedge funds, capital risqueurs: les businessmen de la Tech recherchent avec les psychédéliques des manières d'être plus créatifs, plus disruptifs, de vaincre les peurs liées à l'entreprenariat. En 2024, The Wall Street Journal rapporte que l'usage de substances psychotropes, dont le LSD; la kétamine et la psilocybine, est toléré voire encouragé dans les entreprises d'Elon Musk, officiellement pour aider les cadres à se dépasser dans la réalisation de leurs enjeux professionnels. Cet héritage explique pourquoi de grands oligarques de la Tech sont aujourd'hui les principaux argentiers de ce secteur; devenu au fil du temps une industrie brassant des milliards de dollars. Pivot de cet éco-système, le multi-investisseur techno-libertarien Peter Thiel finance les principales pépites du secteur via son fonds Founders Fund. A ses côtés, le milliardaire allemand Christian Angermayer, connu pour avoir affirmé que "c'est une expérience sous champignons qui lui a permis de comprendre le bitcoin", est notamment l'un des investisseurs de ATAI Life Sciences, une biotech cotée au Nasdaq. cette société, qui comprend également Compass Pathways, le leader des thérapies à base de psilocybine, incarne le  visage industriel et capitaliste des psychédéliques. Un visage que les auteurs du site critique Psymposia qualifient de "Corpadélic" néologisme formé de corporate et psychedelic.

"Eugénisme spirituel"

Un autre motif d'inquiétude est le lien entre le transhumanisme de l'élite des techno oligarques et la promotion des psychédéliques. pour la chercheuse critique Nese Devenotde l'université Johns Hopkins, la volonté des transhumanistes qui est de faire advenir un Homo Sapiens 2.0  résistant et immortel, cache en réalité un agenda politique. "Aujourd'hui, ce sont les milliardaires de la Tech qui capturent le discours sur les psychédéliques. Or, celui ci sert à pousser un agenda autoritaire qui justifie les inégalités du présent au nom d'un futur hypothétique", estime la chercheuse. Il ne s'agit pas tant de nous rendre plus 'conscients' que plus productifs et plus longtemps. D'autant que la vision des techo-oligarques s'accommode parfois avec une tendance à l'eugénisme. "Les techno-libertariens sont obsédés par l'idée de libérer le potentiel de l'humanité, en faisant advenir un super-humain augmenté, grâce aux psychédéliques, mais aussi grâce à l'intelligence artificielle, les thérapies géniques ou encore la conquête spatiale, relève Jules Evans, philosophe et auteur de la newsletter  Ecstatic Integration. Or, cette nouvelle espèce de pensée de l'évolution suggère qu'à l'avenir certaines personnes seront "plus évoluées" que d'autres et que cette hiérarchie sociale serait justifiée. Le philosohe rappelle ainsi que nombre de grands penseurs de la "révolution psychédélique" comme Aleister Crowley, HG Wells (1866-1946), Aldous et Julian Huxley (1887-1975) ont progressivement glissé vers ce qu'il qualifie d'"Eugénisme spirituel", c'est à dire une justification de la sélection génétique au nom d'une conscience spirituelle plus élevée. L'apôtre du LSD, Timothy Leary répétait ainsi qu'en soignant noter esprit, les psychédéliques permettaient de soigner la société entière. Mais Timothy Leary était aussi convaincu qu'il appartenait à une "élite génétique" de laquelle la majorité de la population était de facto exclue. Il a d'ailleurs fini sa vie en écrivant sur le caractère incroyable de l'expérience génétique menée par Hitler. Allant jusqu'à mimer à la télévision ...le salut nazi. 

Nastasia Hadjadji. Publié sur Libération 6 avril 2025 

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