lundi 28 novembre 2022

Psychothérapie et chamanisme

Denis Dubouchet, psychothérapeute, gestalt-thérapeute, formé à la Fondation d'études chamaniques de Michael Harner exerce depuis 35 ans en tant que psychologue clinicien. Il est l'auteur de "Etats de Conscience Elargie, Psychothérapie et Chamanisme" publié aux éditions Dervy en 2017.

Denis Dubouchet (DD) définit la conscience comme la capacité à nommer les évènements que je perçois à partir de mes sens ou de mon ressenti. Les états de conscience élargie nous donnent accès à des informations que notre conscience habituelle ne parvient pas à atteindre (monde imaginal). Quelles que soient nos croyances, nous pouvons tous faire le constat de notre présence minuscule au milieu de l'immensité de l'Univers. Le développement humain passe donc forcément par un développement spirituel, mais l'expérience mystique peut nous soutenir autant qu'elle peut nous couper de la réalité et susciter des comportements inadaptés. Vouloir que tous le monde s'adonne à l'expérience mystique serait finalement un signe de non intégration de l'expérience.

Pour DD les états de conscience élargis (obtenus par la transe ou par les plantes sacrées) sont autant des outils thérapeutiques que des sources de confusion car les visions non ordinaires qu'elles font vivre, ainsi que les différents paradigmes sur lesquels elles peuvent s'appuyer génèrent une complexité qui, si elle n'est pas éclaircie (intégrée), provoque l'inverse de ce que l'on veut obtenir. En fonction de la culture les délimitations de la conscience sont variables. Dans les sociétés traditionnelles la transe, ou les cérémonies de prises de psychotropes, ne sont pas des moyens de développement personnel mais adviennent dans un contexte particulier et au service de la communauté. Dans notre société se pose donc la question de la place à accorder à une vision : Quelle validité accorder à un phénomène perçu de moi seul ? Et pour le thérapeute, comment travailler avec les 'Invisibles' ?  

Thérapie psychédéliques ?

Denis Dubouchet reste donc très interrogatif sur l'utilisation des plantes psychotropes comme outil de thérapie. Pour lui, l'utilisation de psychédéliques demande un véritable savoir et de multiples compétences (médicales, psychologiques) et peut déclencher des états mentaux aussi bien positifs que négatifs car avec les psychédéliques les images s'imposent au psychonaute expérimentateur. En trip, c'est comme si nous assistions à une réalité autonome qui ne dépend pas de nous.  Le sentiment d'être le réceptacle de visions provenant d'un extérieur ne facilite pas un processus de dialectisation permettant de donner du sens et d'assimiler ce qui a été vu. Difficile de critiquer une parole venue "d'en haut". Difficile dans ces conditions de questionner les visions. Avec les psychédéliques, le 'Je' de l'utilisateur "se pense" dans une position de contemplation et de jouissance passive face à ce que le "Produit", "la Plante" ou "le Champignon" lui offrent à penser.  La prise d'hallucinogènes impose les visions et les ressentis. Le voyageur subit. Le risque est alors que la vision soit prise au pied de la lettre, car trop nette pour être comprise sous ses différents aspects. L'intégration d'une expérience doit se faire au regard des autres expériences de vie que nous avons eues et des valeurs et croyances qui nous portent. Quand une seule expérience vient effacer les précédentes sans davantage les questionner cela peut donner des postures caricaturales où des personnes deviennent de véritables 'talibans' de la pensée, car irréfutablement, ce qui transcende ne peut être réfuté. Le risque est alors de prendre ces visions pour une réalité équivalente à notre réalité quotidienne (celle de nos 5 sens) et de s'enfermer dans nos certitudes. La force de l'évidence complexifie l'intégration de l'expérience car la facilité de décryptage apparente est souvent un leurre pouvant aller jusqu'au passages à l'acte. L'autre point problématique avec l'utilisation des psychédéliques est celui de l'illégalité de ces pratiques qui conduit à l'introjection de discours paranoïdes et à l'impossibilité de parler ouvertement et de partager avec tout le monde le contenu de ces expériences. Enfin, la dispense du produit par l'encadrant maintient son 'patient' dans un rapport de dépendance qui ouvre la porte à des schémas de domination et à de potentiels abus. 

Du point de vue thérapeutique ce sont les intentions qui comptent, et non les moyens. Plus que le contenu de l'expérience, c'est la façon dont elle va ou ne va pas s'intégrer, prendre sens, ou se symboliser dans la réalité partagée qui est importante. Pour DD l'exploration et le travail sur les visions en état de conscience élargie ont un effet thérapeutique grâce à l'accompagnement particulier du thérapeute. La difficulté étant de trouver le langage de ces images pour chaque personne car il existe de multiples niveaux de lectures permettant de de décrypter les images contactées. DD pose le principe qu'il n'y a pas de cosmologie unique et véritable. Il existe des cosmologies évolutives et des symboles qui peuvent être propres à chacun ou partagés par tous. Quelle que soit la technique utilisée (hypnose, transe, psychédéliques etc) le rôle de l'accompagnant sera d'aider la personne à se construire un système de repères qui lui soit propre (p102) car le processus transformatif qu'induisent les visions importe plus que leurs contenus. Les états de conscience élargie permettent de regarder sous l'angle de l'imaginal, et avec détachement, les expériences passées, et de trouver des postures dans des situations complexes ou de crise.  En revanche, pour DD, les séances non préparées peuvent entrainer le sujet dans des scénarios totalement traumatisants. 

Notes et extraits de la lecture de  "Etats de Conscience Elargie, Psychothérapie et Chamanisme" Denis Dubouchet 2017.

Ozias

Comme  l'a dit CG Jung, "il ne faut pas confondre l'expérience intérieure et son interprétation métaphysique".

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