dimanche 10 septembre 2023

Qu'est-ce que le réel ?

Dans de nombreuses conversations relatives aux révélations psychédéliques, j'entends dire que 'le réel n'existe pas', que le monde est une construction subjective propre à chacun, que chaque individu a ses propres représentations qui sont tout autant d'illusions et que rien n'a de réalité propre autre que la prise de conscience au travers de laquelle les choses nous apparaissent. Le corollaire de ces assertions est que, naturellement, il revient à chaque individu de produire un réel sur mesure et optimal pour lui.  Pour cela, l'individu doit se connecter à son 'identité profonde', et élaborer 'la meilleure version de lui même' en élevant son niveau de conscience au travers de multiples exercices de développement personnel. 
Je dois dire que j'ai souvent tiqué à l'idée d'un individu doté d'un potentiel de puissance sans limite et d'un moi profond sans ni ombres ni contradictions ni replis. Cette croyance selon laquelle le monde ne serait que le produit des représentations individuelles tend également à nier toute conscience sociale et culturelle, ce que je trouve carrément gonflé. Balayer le réel d'un revers de main est impossible et je rappelle la définition qu'en donnait Philip K Dick : "« La réalité, c'est ce qui continue d'exister lorsqu'on cesse d'y croire »'.
J'écris donc ce post car je suis inquiet devant le 'dévissage' actuel de la réalité. Bien sûr comme Schopenhauer l'a dit, le monde est peut-être représentation. Sans doute le moi n'est qu'une illusion, mais en tant qu'être, je suis et je reste captif de mon anatomie, et héritier de mon histoire, de ma communauté et de ma culture. Que je le veuille ou non, et quoi qu'il arrive, je suis tenu d'assurer l'homéostasie de mon point de fonctionnement, par le truchement de mon 'moi' qui est ce processus qui gère les interactions entre mon corps et le monde extérieur.
Dans les discours subjectivistes, la plupart du temps, la science est confondue avec le scientisme et devient une croyance parmi d'autres qui la vaudraient bien et parmi lesquelles l'individu pourrait choisir (subjectivisme et relativisme*). Ce progrès du relativisme est sans doute dû à l'épistémologie constructiviste et relativiste qui plane au dessus de la grande majorité des recherches en sciences sociales. Pourtant, même si nous sommes incapables d'avoir le dernier mot sur la connaissance de la nature et de la matière du monde, toutes les conjectures ne se valent pas. Certaines sont plus probables, plus possibles, plus 'vraies' que d'autres. A ce jour la pratique scientifique, faite d'expériences reproductibles, de démonstrations partagées et de remises en question permanentes s'appuyant sur un socle de savoirs vérifiés reste le moyen le moins risqué d'accéder à une connaissance de ce qui nous entoure.

Qu'on le veuille ou non, matière ou pas, la réalité du monde extérieur est faite des relations entre les choses qui le composent. C'est à dire que chaque chose n'existe que par les relations qu'elle entretien avec d'autres choses.  Quelle que puisse être la substance des choses, particules ou vibrations ou archétypes, l'individu -ou le groupe-  ne peut tout changer selon sa volonté, ou par la seule puissance de sa 'conscience'. Il serait plus juste de dire que même si les choses n'existent pas, les évènements se produisent et nous affectent, car ils ne sont pas des illusions et constituent notre réel.
Peut être le confort matériel dans lequel nous vivons, et plus récemment la virtualité des Technologies de l'Information et de la Communication nous ont t'il éloignés des réalités physiques. Peut-être  la technologie, l'idéologie transhumaniste participent elles à cette illusion. Ce qui est certain c'est que  nous préférons au réel le rêve qui reste à notre portée ou le miracle qui apporte l'espoir.
 
Réel réalité vérité
Reformulation : Le réel existe-t-il comme quelque chose que nous aurions tous en commun et auquel nous pourrions nous référer ?
Le réel est un concept qui désigne ce qui existe en dehors et indépendamment de nous. Il se définit par rapport au concept de réalité qui, désigne ce qui existe pour nous grâce à notre expérience. La réalité naît d'une interaction entre nous et le monde, interaction constitutive de l’expérience (constructivisme). La conception purement constructiviste s'oppose à une certaine tradition dite réaliste, "La réalité serait, en quelque sorte, "construite de toutes pièces" par les savant., et quand on lui accorde une existence, on la conçoit comme malléable et modifiable à volonté'.   La réalité est bien faite d'interactions. Supprimons par la pensée toute interaction avec le monde, il ne restera aucune réalité. Mais, il serait abusif d'en conclure que le monde ait disparu et que plus rien n'existe. C'est ce qui existe en soi, indépendamment de nous, qui peut être nommé "réel". Le réel est une forme d'existence relativement stable et structurée que l'on suppose déterminer la réalité.
La réalité est marquée par le réel, car elle résiste et nous ne pouvons la construire arbitrairement. Réalité et réel ne sont pas dissociables. L'invariance est une propriété de la réalité. L'antonyme du réel est la fiction.

La réalité étant définie par ce qu’un individu perçoit et comprend du réel, toute conception du réel doit rester prudente, car l'accès au réel est indirect et passe par la connaissance de la réalité. La question de la réalité interroge donc notre rapport au monde : puis-je accéder au réel ou à la réalité, et si oui comment, par quels outils ? 
Dans la pratique, les mots sont très limités et insuffisants pour accéder à la réalité, ils établissent des séparations artificielles au sein du réel, selon des normes et des conventions liées à la culture du groupe humain considéré ('le mot est le meurtre de la chose' ). Pour Lacan encore, 'le réel est ce qui ne peut être complètement symbolisé dans la parole ou l'écriture et, par conséquent, ne cesse pas de ne pas s'écrire.'  Ainsi la notion de « réel » a souvent été employée pour expliquer l’impossibilité d’expliquer (d'où par exemple l'expression "C'est la vie !") 


A chacun sa vérité ?
Nous ne voyons le monde que par notre propre point de vue: nos sens sont partiels, restreints, et notre capacité à percevoir est extrêmement limitée. Force est de reconnaître que nous ne disposons pas de critères définitifs permettant de discerner le vrai du faux, le réel de l’illusoire. Du fait que nous ne pouvons pas réfléchir en dehors de nous-même, la réalité est forcément un phénomène subjectif : chacun a donc « sa » réalité qu'il propose et tient comme vérité. 
 
Vérité et réalité sont deux notions qui se recoupent mais ne se confondent pas: La vérité concerne plutôt le rapport à la raison: un discours est jugé vrai ou faux, tandis que la réalité concerne le rapport aux choses, à la matière: les choses existent ou n’existent pas.  La vérité n'est pas le résultat, mais plutôt la condition d'un raisonnement rationnel, tandis que la réalité est tout ce qui nous entoure. Il s’agit donc de réconcilier la vérité avec la réalité, en évitant deux écueils : le relativisme, qui consiste à dire que chacun perçoit sa réalité et peut créer sa propre vérité et le dualisme, qui sépare vérité et réalité et remet en cause l'existence du réel et ouvre la voie aux 'faits alternatifs' et aux interprétations. 
Les discussions au sujet de la présence du réel deviennent vite stériles et même pénibles car,  comme le dit très bien Bernard Lahire: "Dès lors que l'on considère que la réalité en soi n'existe pas et qu'il n'existe que des points de vue théoriques qui la construisent , il n'est plus pertinent de discuter, de s'opposer ou d'essayer de prouver la supériorité de l'un sur l'autre, puisque aucune théorie n'est censée parler de la même chose".

La physique quantique et les inégalités de Bell ont prouvé qu'il nous faut sans doute abandonner la vision d'un monde qui existerait dans toutes ses propriétés indépendamment de nous. Une vision éclairée permet même de se rendre compte que tout est vide d’existence propre: c'est la vacuité.  La vacuité, à ne pas confondre avec le vide, consiste précisément à approcher l'impermanence et l’interdépendance des choses. Nous pouvons faire l'expérience de la vacuité au cours d'états de conscience modifiés par les psychédéliques ou par la méditation qui sont deux formes de recherche de la part universelle de notre être.
Il n'empêche que pour l'individu, même si les choses n’existent pas en elles-mêmes, elles sont faites de l'ensemble des relations que nous entretenons avec elles. Pour le dire autrement, la réalité est bien plus que la matière. Qu'on le veuille ou non, il nous est impossible de changer par notre seule volonté, les termes des relations qui nous relient au monde qui nous entoure.  Le monde extérieur ne se décrète pas, il se répète, se construit, et se partage et c'est ce qui le distingue du rêve et de la fiction. Comme l'a rappelé Lacan "le réel c'est quand on se cogne" donc souvent ça fait mal. La fiction se voit donc volontiers préférée au dogmatisme du réel que l'on évite autant qu'on le peut.


Ozias, 15 septembre 2023 article toujours en travaux et toujours cette question : "Le réel, Non !... Mais comment léviter ? "



Question subsidiaire:  "La croyance en la réalité du réel est elle un dogmatisme ?"
 
Le constructivisme en épistémologie est une théorie de la connaissance qui repose sur l'idée que notre image de la réalité, ou les notions structurant cette image, sont le produit de l'esprit humain en interaction avec cette réalité, et non le reflet exact de la réalité elle-même. .

* Narcissisme et relativisme spontané se nourrissent réciproquement. À partir du moment où je considère que la vie bonne passe par l’affirmation de mon moi en toutes circonstances, le respect de mon individualité devient une valeur et un principe en soi. Or, si ce que je pense contribue à définir ce que je suis (ce qui, déjà, se discute !), alors l’opinion que j’exprime n’est pas intéressante en soi mais parce qu’elle me permet de m’exprimer. Il n’y a plus lieu de la contredire au nom de la recherche d’une vérité puisque ça reviendrait à me remettre en cause, non pas au sens positif du terme (la réflexivité critique) mais au sens de remettre en cause mon identité. Dès lors, les opinions ne valent que relativement à ceux qui les tiennent.



3 commentaires:

  1. Première approche, pour ce qui me concerne des publications de Ozias, et déjà je suis d'accord avec les thèses qu'il propose dans cette page.
    Concernant le réel, la réalité, et par conséquent ce qui découle comme visée plus générale.
    J'ajouterais, et ça pourrait être l'objet d'un débat, en ce qui concerne la vérité un deuxième point (de vue ? De raisonnement ? Ou d'expérience ? À préciser...), vu qu'en plus il est fait référence à une citation de Lacan, le même Lacan, et là je m'exprime pour y faire référence à l'aspect du champ pratique de la psychanalyse plutôt que celui de l'exposition théorique de concepts (séparation virtuelle en fait, mais là plus pratique pour faire court...), Lacan avance en ce qui concerne la vérité, pour le sujet (le sujet humain, celui qui va en analyse, pour l'instant je ne sais pas si les animaux y vont...), que son lieu est :
    1°) celui de l'inconscient,
    2°) celui d'un inconscient indéchiffrable (je peux développer là dessus mais ça risque de nous entraîner loin...),
    3°) qui est celui d'une vérité " psychotique " propre à tout constitution archaïque du sujet (je peux aussi développer là dessus mais " patati patata " ),
    4°) il avait avancé très tôt dans ses séminaires, que la vérité ne pouvait " que se mi-dire ",
    d'où 5°) par la suite il a ajouté que par voie de conséquence elle était toujours sujette à l'équivoque,
    pour enfin 6°) faire apparaître d'un point de vue pratique (concernant la question de la fin et de la sortie de l'analyse), et tout aussi indissociablement conceptuel, la notion d' " inconscient réel ", à la différence de l' "inconscient symbolique " (celui qu'il avait promu dès les débuts de son enseignement, qui était le lieu de cette vérité que l'analyse a pour pratique de déchiffrer séance après séance, en tant que " savoir inconscient du sujet " pris dans l'ordre symbolique.
    Vérité prise dans ce savoir " symbolique " inconscient du sujet qui produit, porte, les formations de l'inconscient (symptômes, lapsus, actes manqués, rêves), et qui était dès lors celle qui ne peut que se mi-dire et être équivoque dans les " révélations " que sont les interprétations du sujet (parce que contrairement à l'idée répandue, ce n'est pas l'analyste qui interprète, c'est l'analysant (je peux encore développer mais bis répétita). Évidemment je résume là.
    C'est pas pour prétendre faire un cours, il y a de très bons livres là dessus (voir Colette Soler : LACAN, l'inconscient réinventé - Chez PUF), c'est juste pour apporter une précision qui rend à la fois plus ambigu le statut de la vérité.
    Et plus intéressant aussi. Car cela le fait le sortir du seul domaine de la logique, de la théorie, et/ou de la philosophie systémique.
    En la ramenant dans celui du concret tout ce qu'il y a de plus concret. À condition évidemment, que l'on considère comme concret ce qui relève de l'inconscient comme présidant aux déterminismes de la vie (jouissance de l'être) du sujet parlant que nous sommes...

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    1. Merci pour ces précisions érudites sur le discours de Lacan. Bien sûr, comme toute chose, la vérité n'est jamais assez quelque chose. Accommodons nous de ses ambiguïtés et imperfections et singularités en éprouvant la solidité des indices et des connaissances par quoi elle se tient et qui la font qui la font plus probable, cohérente et nécessaire.

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    2. ... Le "corollaire de ses assertions" (encore des représentations verbales) imposé pour prouver ce qu'il invente et loin de correspondre au réel qui lui échappe, l'homme tel qu'il se definit lui-même ( d'autres animaux au vu de l'humain n'onot pas ce droit inventé) ...

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