mercredi 9 août 2017

vendredi 4 août 2017

les mots, la mort, les sorts

"les mots, la mort, les sorts", c'est le titre d'un essai d'ethnologie paru en 1977. Dans son ouvrage, Jeanne Favret Saada étudie la sorcellerie en France au travers de cas et de témoignages d'agriculteurs du bocage normand. 
L'originalité de son point de vue est de prendre la 'force magique' au sérieux sans la considérer comme une erreur de jugement ou comme une simple croyance de l'autre.  Il en résulte une rare qualité d'écoute aux témoignages, aux confessions et un engagement personnel dans la résolution de crises réelles. 
Dégagée des a priori rationalistes selon lesquels la sorcellerie est une pratique réservée aux arriérés, elle réalise au cours de sa recherche qu'on ne peut parler de sorcellerie avec un interlocuteur s'il n'est pas impliqué lui même dans la croyance. Elle montre aussi, que lorsqu'il s'agit de sorcellerie, il n'est pas de position d'énonciation que l'on puisse impunément occuper. Autrement dit, dans une situation de sorcellerie, il n'y a que trois positions possibles : celle du sorcier, de l'ensorcelé ou du désorceleur (qui est un isolant entre le 'sorcier' et sa victime).
La croyance, c'est ce 'je sais bien, mais quand même' dans lequel la rationalité trouve sa limite, puisque "les sorts, on en parle à personne. Il faut être pris pour y croire" et puis, "les sorts, moins on en parle, moins on est pris".

Pour Favret Saada, La sorcellerie est comme une dramaturgie du malheur. Ce qui signe la sorcellerie c'est moins la réalisation d'une prédiction (ou malédiction) que la prise en charge par l'ensorcelé qui, à son corps défendant, devient agent de son destin.  Ce qui opère dans la sorcellerie, c'est la relation réciproque des agents, et elle seule, l'action du désorceleur agissant comme une thérapie du collectif familial des exploitants d'une ferme.

Le sorcier est celui qui désire, qui convoite, qui par une force 'magique' attire à lui l'énergie vitale. Sa force est magique parce qu'elle n'est plus contrôlable par les devoirs, les prescriptions et les interdictions inclus dans le système des noms qui ordonne la vie sociale d'un lieu. Comme les agriculteurs normands qui témoignent dans le livre sont enchaînés à leurs terres, à leurs biens, à leur lignée, à leur sort, il est impossible pour eux de déménager ou de changer de voisin. On aboutit donc très vite à des situations où il n'est pas de place pour deux. La sorcellerie devient ici une relation duelle qui engage deux familles, souvent rivales, voisines ou divisées par leurs histoires, et où le sorcier, c'est toujours 'l'autre'
En sorcellerie "qui n'est pas agresseur devient victime, qui ne tue pas meurt" dans de telles circonstances où il n'y a pas de place pour deux, la rationalité est reléguée au second plan. L'ensorcelé 'qui est pris fort' doit faire appel à un désorceleur. Ce dernier, tout en laissant à son patient la responsabilité de l'interprétation, aide à identifier le sorcier et prend sur lui le sort ou bien 'rend le mal pour le mal' en affrontant dans un combat magique 'la force' du sorcier. Gros sel chauffé à la poêle ou cœur de boeuf transpercé d'épingles feront l'affaire, mais seulement si  'la force' du désorceleur dépasse celle du sorcier.

Dans le bocage comme dans Lovecraft, la sorcellerie met en évidence l'existence d'un monde invisible concomitant au monde visible.  "un personnage pourvu de solides connaissances scientifiques et qui occupe généralement la position du narrateur fait la rencontre brutale d'un autre monde que son système de références échoue à décrire ou à nommer. Cette confrontation avec l’innommable, l'inconcevable, la démesure, etc, il la vit en souhaitant perpétuellement que cet autre monde - qu'il sait bien désormais- ne soit quand même qu'illusion ou folie. Mais ce souhait n'est pas réalisable et le héros doit se faire à l'idée qu'il ne peut plus désormais nier la réalité de cet autre monde archaïque qui, toujours, menace d'envahir notre civilisation." (p211, edition Folio)

En résumé, "les mots, la mort, les sorts" est un essai aussi intelligent que 'prenant'

Ozias

A lire aussi : http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/jfavret-saada/
plus récent, plus cool : https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/sorcieres-44-sorcieres-nature-et-feminismes
 et encore
https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/guerisseuses-anthropologues-et-exorcistes-racontent-les-rituels-du-bocage

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/magie-et-sorcellerie-nous-avons-commence-a-voir-deperir-tous-nos-valets-et-cuisiniers-les-uns-apres



dimanche 23 juillet 2017

Un autre monde est possible

1994, Pub Benetton avec boat-people albanais
"Un autre monde est possible" est un slogan lancé en 1999 lors des manifestations de Seattle.
"La sorcellerie capitaliste" (2005)  est un ouvrage dans lequel Philippe Pignarre (éditeur) et Isabelle Stengers (philosophe) réfléchissent aux  possibilités de nouvelles formes d'action politiques permettant de s'armer contre la paranoïa et la dépression face au néo-libéralisme dominant. 
C'est un livre dense et passionnant qui met en oeuvre une pensée complexe mixant  politique, philosophie et épistémologie.
L'ouvrage analyse en premier lieu comment tient le capitalisme et aussi comment il nous tient.
Pour les auteurs le capitalisme est un "flux réorganisateur mouvant", qui  nous est asséné comme une rationalité purement économique qui rendrait inutile la politique. Ils qualifient le capitalisme de "système sorcier" dans le sens où toute résistance semble impossible puisqu'elle nous confronte à des "alternatives infernales".  Exemple : " Vous voulez augmenter les salaires ? renforcer la législation protégeant les salariés contre les licenciements ? Mais vous allez provoquer la fermeture des usines, accélérer les délocalisations et mettre les gens au chômage". Cela peut se résumer par : « Vous agissez pour une chose mais les conséquences seront pires. » Ces alternatives infernales capturent notre envie de penser, de poser des questions, elles nous envoûtent.

Ce flux ne tient pas tout seul. Cette grande vague irrésistible est laborieusement fabriquée, maintenue, opérée par une multitude de "petites mains", (nous mêmes),  qui ne disent mot, qui ne pensent pas, qui refusent de penser et entretiennent le système pour que le flux réorganisateur mouvant continue de couler. Le premier pas consiste à résister à se sentir coupable de ce que l'on subit. Avoir à travailler pour vivre n'est pas contraire à penser, proposer, déformer, insister, nuancer, compliquer, donner notre avis, prendre la parole. Un moyen parmi d'autres de jeter du sable dans l'engrenage qui nous broie.
"La sorcellerie capitaliste" nous rappelle que la science n'est pas une victoire de la raison sur l'opinion, le progrès n'autorise pas la simplification. Le pragmatisme est un art des conséquences, un art du "faire attention" qui s'oppose à la philosophie de l'omelette justifiant les œufs cassés. 
Comme le disait Deleuze vers les années 80: " La gauche a besoin que les gens pensent et son rôle est de découvrir les problèmes que la droite veut à tout prix cacher". 
Il s'agit aujourd'hui de "penser par le milieu" , c'est à dire moins en termes de problèmes à résoudre que de de problèmes qui rassemblent. Ainsi, il s'agit plus d’intéresser des partenaires que de convaincre. Reconquérir une autonomie créatrice pragmatique plutôt qu’échafauder des théories alternatives qui prêtent le flanc aux critiques et divisent.
Par exemple, contester une appropriation injuste plutôt que le droit de propriété en général. Ou, autre exemple de prise de position pragmatique et subversive : "Si l'état est mobilisé pour imposer les monopoles commerciaux liés aux brevets de l'industrie pharmaceutique, pourquoi n'aurait il pas le droit d'intervenir, en contrepartie, sur les prix publics des médicaments ?"

Enfin, étant donné que ce système sorcier et ses alternatives infernales opèrent dans un monde qui ne croit plus à la sorcellerie, les auteurs constatent que nous ne possédons plus les moyens de nous en protéger. Lutter contre un système sorcier impose de rendre visible et sensible ses procédés. Il faut aussi trouver des mots pour  transformer le déshonneur de la capture en force qui oblige à penser/sentir/agir (p183).  Apprendre à tracer le cercle, créer l'espace de protection nécessaire à la pratique de ce qui expose et met en risque pour transformer, assister à la venue d'une version nouvelle de ce qui nous est à tous arrivé. Constater notre vulnérabilité, soumettre nos certitudes à l'épreuve des autres et  devenir capables de penser ensemble. Ces techniques font référence à l’activisme altermondialiste néo-paganiste de Starhawk.  

Les auteurs ne prétendent pas donner de remèdes miracles mais d'être des « jeteurs de sonde » pour qui la question reste « peut-on ici passer et comment ? » ce qui implique de toujours faire attention aux circonstances, penser local et intéresser des partenaires.


A lire à propos de la sorcellerie capitaliste:
http://www.humanite.fr/isabelle-stengers-la-gauche-besoin-de-maniere-vitale-que-les-gens-pensent
http://attac.valenciennes.free.fr/sorcellerie.php
Francis Juchereau, « La Sorcellerie capitaliste – pratiques de désenvoutement » [archive], sur lecerclegramsci.com, 2 février 2016 .
Didier Muguet, « La Sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoûtement » [archive], sur ecorev.org, 2006.

Roman d'une aliénation (1943) : http://sansdire.blogspot.fr/2016/02/lhomme-au-marteau.html?view=flipcard
Nouvelles sociologies et enjeux actuels de la critique sociale émancipatricehttp://www.revuedumauss.com.fr/media/PCORC.pdf

Excellent article de fond https://lundi.am/Entretien-avec-Josep-Rafanell-i-Orra

Compléments
Aurélien Berlan, Mathieu Rivat et Isabelle Stengers, « Le prix du progrès : Discussion avec Isabelle Stengers sur les sorcières néopaïennes et la science moderne » [archive], sur jefklak.org .
Catherine Lalonde, « Un grain de sable dans le rouage capitaliste » [archive], sur Le Devoir, 31 octobre 2016 .
Marc Lenglet, « Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient », Lectures,‎ 2009 (lire en ligne [archive]).
Lien externe
Thomas Berns, « Retenue capitaliste et spéculations anticapitalistes » [archive]

à propos des sorcières https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/sorcieres-44-sorcieres-nature-et-feminismes

samedi 8 juillet 2017

Banksy

Le graffiti est une forme de guérilla. C'est une façon d'occuper le pouvoir et de tirer à soi la renommée d'un ennemi plus gros et mieux équipé. Banksy l'a un jour qualifié de 'revanche': "Faire un tag parle déjà de représailles. Si vous ne possédez pas d'entreprise ferroviaire, allez peindre sur les murs de l'une d'entre elles à sa place [et vous verrez]" (2003).

Il n'y a pas d'art urbain sans illégalité. Sinon ce serait seulement de l'art "dans la rue", rien de plus. L'art urbain est excitant parce qu'il attaque la propriété et l'ennui, et parce qu'il reflète les luttes de pouvoir territorial "cachées" sous les yeux de tous dans l'espace de la ville. L'art urbain ne serait plus une aventure s'il devenait un simple loisir. Dans une société qui réduit toute activité humaine à un simple échange de marchandises, les dernières aventures possibles sont toujours antisociales. 

Avec l'art urbain, tout est affaire de propriété. L'art urbain, comme le graffiti avant lui, est une critique du concept même de propriété, peu importe la nature du contenu des images. S'il n'était pas illégal, l'art urbain n'existerait pas. Son illégalité le définit. Sans dégradation de biens, il n'y a a pas de Street-art, mais de "l'art" tout court. 

La ville est habitée par des individus qui n'ont aucun droit de propriété sur elle, et ce parce que l'environnement urbain est aux mains de propriétaires invisibles à l'autre bout d'une ,longue chaîne d'intermédiaires. Cette notion de possession n'est qu'une illusion. Une illusion qu'un graffiti peint sur un mur désavoue. Parce que l'illusion est momentanément rompue.


"Pardonnez nous nos offenses"
Accepte de travailler pour des idiots

Calais
Banksy au musée

Non seulement l'art urbain de Banksy rappelle que le pouvoir existe et qu'il oeuvre contre nous, mais aussi qu'il n'est pas vraiment efficient. Qu'il est - et devrait être- une illusion.
Nous sommes tous sensibles à la cacophonie, au chœur cauchemardesque d'idées que la publicité et les mass média martèlent. Ils nous hypnotisent et nous désorientent, c'est inévitable. Le grand art urbain révèle ce processus et s'en moque. Il montre, à l'aide de ses propres modèles, symboles et façons de communiquer, à quel point une large part de ce pouvoir n'est que du théâtre. Parce qu'en riant de ce spectacle, nous sapons son emprise et faisons place à un peu de pensée originale. Juste un peu. rien de plus qu'un niveau de menace acceptable. Nous le saurions si ça n'était pas le cas.


Si le graffiti changeait quoi que ce soit, ce serait illégal

Sources : Banksy, Editions ALTERNATIVES 2016

Voir aussi dans ce blog : http://emagicworkshop.blogspot.fr/2014/10/street-art-attentats-urbains.html

Fake news du 18 septembre 2017 !!! :  http://newsexaminer.net/art/graffiti-artist-banksy-arrested-in-palestine-identity-revealed/

dimanche 2 juillet 2017

âgisme

Vieille/jeune femme (image double)
Le terme âgisme* désigne une attitude ou un comportement de discrimination, de ségrégation, de mépris ou de dépréciation envers un individu ou un groupe d'individus en raison de leur âge.
Voici quelques définitions selon quelques spécialistes :
Butler (1978): «… profond désordre psychosocial caractérisé par des préjugés institutionnalisés,
des stéréotypes, et l'établissement d'une distance et/ou d'un évitement vis-à-vis des seniors. »
Traxler (1980): «… ensemble d'attitudes, d'actions personnelles ou institutionnelles par lesquelles est subordonnée une personne ou un groupe de personnes en raison de leur âge. Concept comprenant aussi l'assignation de rôles sociaux à des individus sur la seule base de leur âge. »
Palmore (1999): «… phénomène social se manifestant au travers de préjugés contre les seniors sous la forme d'attitudes et de stéréotypes positifs et négatifs. Il intervient là où se trouvent à la fois préjugés et discrimination, à la fois stéréotypes et attitudes, et par conséquent à la fois processus cognitifs et affectifs contre ou en faveur d'un groupe d'âge »
Boudjemadi & Gana (2009): «… mécanisme psychosocial engendré par la perception consciente ou non des qualités intrinsèques d'un individu (ou d'un groupe) en lien avec son âge. Le processus qui le sous-tend s'opère de manière implicite et/ou explicite, et s'exprime de manière individuelle ou collective par l'entremise de comportements discriminatoires, de stéréotypes et de préjugés pouvant être positifs mais plus généralement négatifs. »


L’âgisme, n’est pas seulement un concept ou un outil d’analyse, c’est un mot qui recouvre des discriminations et des oppressions. L’âgisme sert à justifier la subordination de certaines personnes à d’autres sur le seul critère d’âge. L'axiome, le principe de l'âgisme c'est que l'âge adulte est l'âge le plus développé, puisqu'on l'appelle l'âge de raison. Si le système accorde un maximum de poids à la voix de l'adulte c'est car ce dernier est économiquement comptable et que l' âge adulte est doublement formaté par l'école puis par par le travail. L'avis de l'adulte actif et 'responsable'  doit donc primer sur tous les autres. Les enfants sont écoutés avec un sourire, les ados sont excusés, les vieux sont remis à leur place et l'Adulte décide. 

Cette prééminence du pouvoir adulte actif est souvent présentée comme une protection, une autorité éclairée qui profite au 'plus grand nombre'. En réalité, ces dispositions arrangent avant tout un système dominant où les mineurs et les seniors viennent perturber le monde de la production comptable. L’âgisme déconsidère la parole des vieux et des mineurs en prétextant qu'un ado, "c'est comme ça", un vieillard "c'est comme ci" et ne veut pas reconnaître que l'expérience dépend autant du parcours de vie que de l'âge. 
L'âgisme nie surtout l'importance de ce que l'on ressent, et bien sûr ce principe est très pratique pour que tout le monde file droit. La négation ou le déni des expériences individuelles permet de chosifier les individus et de les soumettre à l'autorité.
Globalement cela revient à privilégier, à préférer, les rapports d'autorité aux rapports de confiance dans l'exercice du pouvoir. La pensée dominante, nos pairs, nous demandent avant tout d'assumer l'autorité dans le respect des règles. Pourquoi privilégier l'autorité à la confiance ? La réponse est que  l'autorité permet de structurer une société du haut jusqu'au bas sans avoir à faire appel à la confiance, ni à la bienveillance. Une société basée sur la confiance résulterait en une multitude de tribus aux pouvoirs autarciques et ne pourrait donc plus devenir puissante et asseoir son impérialisme. L'autorité est aveugle, et contractuelle. La confiance est ennemie de l'autorité.
Je trouve triste, dans nos vies, de nous croire tenus d'élever nos enfants sur un mode d'autorité plutôt que de confiance. La construction sociale âgiste nous incite à penser et croire qu' étant adulte on est investi de l'autorité, sommé d'agir en adulte et de souvent en abuser.  
Ainsi on nous répète que la crise de l'adolescence est une phase incontournable et on nous bassine avec la construction du jeune qui passe par l'opposition à l'autorité. (“Sans cette phase d'opposition et d'affirmation de soi, les adolescents ne peuvent pas se construire," selon Marion Haza. ” ). 
Dans cette perspective, l'adulte doit investir ce rôle et cette autorité, ce tout arbitraire 'tombé du ciel', sans se poser de question, et sans répondre aux questions,  Cela le conduit à poser des règles inutiles ou stupides (sur la façon de s'habiller par exemple) qui multiplient les conflits autour d'enjeux secondaires et dégradent la confiance entre l'ado et ses parents. Pour faire court, on attend de l'adulte qu'il 'élève' ses enfants au sens où élever signifie élevage et dressage plutôt que grandissement et élévation. 

Ozias

D'après  
l'Abordage, un journal qui traite du sujet avec intelligence: 
https://issuu.com/labordagerevue/docs/labordage_1_60p_fil

Un article de l'observatoire de l'âgisme:
http://www.agisme.fr/spip.php?article87
Sur France Culture
https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique/y-t-il-une-lutte-des-ages
http://brain-magazine.fr/article/brainorama/45138-Ou-sont-les-vieilles-lesbiennes  

Une petite chanson bien envoyée

samedi 17 juin 2017

William S Burroughs

Chet Baker ?, Jean Genet, William Burroughs (chapeau gris), Allen Ginsberg 
William S Burroughs est ce parrain de la beat-génération qui ressemble à pervers pépère (le vieux avec le chapeau gris).

William S Burroughs, petit fils du fondateur de la Burroughs Corporation, nait en 1914.  Après des étude de médecine (Vienne)  puis de littérature (Harward) il rencontre Jack Kerouac,  Allen Ginsberg et leurs amis à New-York dans les années 40. C'est à cette époque qu' il s'accroche à la morphine et à l'héroïne. Il voyage ensuite, au Mexique ou il tue sa femme d'un coup de feu, en Amérique du sud à la recherche de l'ayahuasca,  à Tanger où il se défonce. Selon ses mots "[à Tanger] j’ai passé un mois dans une chambre de la Casbah en train de regarder la pointe de mes pieds [...] j’ai compris brusquement que je ne faisais rien. J’étais en train de mourir ». 
Dès lors sa vie sera une suite de cures de 'désintoxication' aux opiacés, d'abord par traitement  à l'aide d'apomorphine (années 50)  puis de méthadone (années 80). 
Il est l'auteur de nombreux romans (Junkie, Le Festin nu, etc), de peintures et créations visuelles. Ses thèmes favoris sont la drogue, l'homosexualité, l'anticipation, et les armes à feu.  
C'est aussi un activiste qui a lutté contre la censure et la civilisation militaro-industrielle et pour la libération homosexuelle et la dé-criminalisation des drogues.
Par sa recherche d'une nouvelle façon de penser, sa quête d'élargissement de la conscience, sa rage de l'expression  William S Burroughs est un héros de la subversion. 
Durant 40 années de carrière underground, il a consciencieusement assumé son personnage de pervers défoncé austère et cynique. Comme on le voit sur les innombrables photos où il pose en compagnies des vedettes des révolutions pop il a su être vieux (il avait déjà 54 ans en 1968) et imposer son look décalé toujours fiché du costume cravate éternellement décalé. 
Avec son incorrigible égocentrisme et son indéboulonnable conscience de classe, William S Burroughs a apporté de la subversion jusque dans dans la subversion.

Son discours sur la drogue était très lucide comme le montre ce qu'il disait dans 'Le Job' (1979), Belfond Editeur.
"L'opposition officielle aux drogues est ambiguë. Elle condamne les drogues comme un danger pour l'autorité, mais les drogues sont elles un réel danger pour l'état ? ,Un drogué est il dangereux ? Oisif, peut être mais l'état n'a pas besoin de travailleurs; au contraire. Le drogué est il un facteur d’émeutes ? Je crois que l'opposition officielle aux drogues est une feinte, que toute la politique du Département Américain des Narcotiques, ainsi que celle des pays qui la suivent, est expressément conçue pour répandre l'emploi de ladrogue et pour créer simultanément des lois inavisées contre son emploi.
Ainsi, la jeunesse est conduite délibérément dans des voies en cul de sac et à partir de ce moment, elle est déclarée criminelle par les lois du Congrès ou du Parlement. ce jeu d'échecs élémentaire met dans un camp de concentration de criminalité l'opposition potentielle, affaible par les effets de drogues meurtrières comme la méthédrine, bercée dans des états malsains d'amour et d'unité avec le tout et d'acceptation de n'importe quoi avec le LSD, prise dans l'engrenage de l'héroïne, laquelle étant illégale, accapare tout le temps de l'intoxiqué et le rend absolument inoffensif. En bref, les drogues sont pour l'état un excellent instrument de contrôle et il se battra avec acharnement contre la légalisation qui mettrait en évidence cet état de fait."

Explorateur des drogues voici comment il distingue les drogues qui élargissent la conscience des drogues sédatives  :

"Voici l'expérience que je propose : administrez une drogue élargissant la conscience en même temps qu'une série précise de stimuli - de la musique, des tableaux, des odeurs, des goûts.... 
Quelques jours plus tard, lorsque les effets de la drogue se sont totalement dissipés, exposez le sujet aux mêmes stimuli, dans le même ordre.
Toute personne qui a fait usage de drogue élargissant la conscience sait qu'un stimulus quelconque, expérimenté sous l'influence de la drogue, réactive cette expérience. Il y a tout lieu de croire que l'expérience de la drogue peut être répétée en détail avec la répétition précise des stimuli associés. 
Répétez la même expérience avec un morphinomane ; administrez une dose de morphine en même temps que les stimuli; attendez que les symptômes de désintoxication se produisent. Maintenant répétez les stimuli. Est-ce que le sujet ressent un soulagement quelconque des symptômes ? Au contraire, les stimuli associés réactivent et intensifient le besoin de drogue.  La même chose est bien sûr vraie pour l'alcool.  
L'emploi des drogues sédatives mène à une dépendance augmentée de la drogue utilisée. L'emploi des drogues élargissant la conscience pourrait montrer la voie des aspects utiles des expériences hallucinogènes sans l'emploi d'un agent chimique. Tout ce qui peut être fait par des moyens chimiques peut l'être autrement, avec une connaissance suffisante des mécanismes en question."  ['Le Job' (1979), Belfond Editeur p176 ]

Bien qu' homosexuel (et alors marié), voici un extrait ce qu'il dit à propos des homosexuels dans 'Junky', son premier roman initialement paru en 1953.

"Une salle pleine de pédés me fait horreur. Ils sautillent comme des marionnettes actionnées par des fils invisibles et leur agitation hideuse est la négation de toute activité vivante et spontanée. L'être humain en eux a plié bagages depuis longtemps. Mais le vide laissé a été comblé par autre chose quand l'occupant de départ est parti. Les pédés sont comme les marionnettes d'un ventriloque qui se serait substitué au ventriloque lui même. La marionnette s'installe dans un bar en compagnie d'autres marionnettes, fait durer son verre de bière toute la soirée, et de sa tête figée de poupée se déverse un flot de jacassements incontrôlés." (p165 Folio)
Ou plus loin, dans le même bouquin (Junky édition 1972) à propos des jeunes hipsters camés:
".../...je remarquai que les jeunes hips se détachaient, formant un groupe à part, à l'instar des pédés qui prenaient des poses et piaillaient dans un autre coin de la cour. Les camés faisaient groupe et bavardaient tout en se renvoyant l'un à l'autre le geste du camé, coudes collés au corps et avant-bras qui s'agitent, paumes en l'air - geste de différence et de communion, tel le poignet mou du pédé. " (p239 Folio)

Avec David Bowie

Avec Mick Jagger et Andy Warhol (bonjour l'ambiance ...)
Bien perché, avec Francis Bacon


William S Burroughs à l'oeuvre, devant deux de ses œuvres
A propos du style de Burroughs : https://narratologie.revues.org/1268

Burroughs par Iggy Pop
http://www.openculture.com/2015/02/william-s-burroughs-audio-documentary-narrated-by-iggy-pop.html?fbclid=IwAR0SNURTgkiEe0FgcD3w13hk0-2af-3BJiZdoM0tlc2XHDtbwdvlNdak7vA

samedi 27 mai 2017

Novlangue néolibérale

Banksy performance: Guantanamo in Disneyland
George Orwell, l'auteur de 1984, écrit :  "Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables les mensonges, respectables les meurtres, et à donner l'apparence de la solidité à ce qui n'est que du vent". 
Orwell est l'inventeur de la Novlangue ,(cf 1984), cette langue dont le vocabulaire est construit de manière à pouvoir exprimer les idées orthodoxes exclusivement, la réduction du vocabulaire ayant pour but de rendre impossible la formulation d'idées hérétiques. Orwel note que le procédé le plus emblématique de la novlangue est l'inversion de sens comme par exemple dans le slogan  "La liberté c'est l'esclavage". 

Alain Bihr dans son livre "La novlangue néolibérale", montre que le discours néolibéral procède à une même inversion et réussit à renverser le sens d'un mot en son contraire. Ainsi pour le terme "Egalité" :
"La revendication d'égalité est issue des révolutions démocratiques de l'Europe moderne et contemporaine; elle a été rapidement, souvent dans le cours même de ces révolutions, retournée contre les limites que la bourgeoisie et, plus largement, l'ensemble des classes possédantes, ont cherché à imposer à ces bouleversements révolutionnaires dont elles n'entendaient faire que le simple moyen de leur accession au pouvoir d'état ou de la consolidation de leur emprise sur ce pouvoir. Cette revendication possède donc une portée subversive, potentiellement dangereuse pour l'ordre social capitaliste. Cette menace qui perdure de nos jours se trouve conjurée dans et par le discours néolibéral à travers une double procédure. D'une part, l'égalité est réduite à la seule égalité juridique et civique, l'égalité formelle des individus face au droit, à la loi et à l'état, la seule forme d'égalité qu'exigent et que tolèrent à la fois les rapports capitalistes de production. 
Quant à l'égalité réelle, l'égalité des conditions sociales, elle est rejetée comme synonyme d'uniformité et d'inefficacité, voire comme attentatoire en définitive à la liberté individuelle. D'autre part, pour tenter d'atténuer les effets potentiellement dévastateurs de la contradiction entre l'égalité formelle et l'inégalité réelle, de l’abîme séparant quelquefois les deux, le discours néolibéral se rabat sur la douteuse notion d'"égalité des chances", qui ignore ou feint d'ignorer l'inégalité des chances entre les individus dans la lutte pour l'accession aux meilleures places pour la hiérarchie sociale, qui résulte de leurs situations socio-économiques et culturelles respectives dans la société. Au terme de cette double procédure, le mot égalité est devenu propre à désigner l'inégalité sociale et sa perpétuation (sa reproduction) à travers les luttes de places et de placements. Dans le discours néolibéral : "L'égalité c'est l'inégalité"

Pour le terme "Propriété"
Comme son ancêtre, la pensée libérale, le discours néolibéral défend bec et ongles la propriété privée, en assimilant sous cette forme juridique des rapports sociaux tout à fait hétérogènes : la propriété des moyens de consommation par des ménages; la propriété des biens et des moyens de production par les travailleurs indépendants; la propriété capitaliste des moyens sociaux de production qui résulte de l'exploitation du travail social.../...
L’intérêt idéologique de cette confusion, ses effets de légitimation de la propriété capitalistique sont du même coup manifestes. Là encore, cependant, dans la mesure où cette propriété est fondée sur l'expropriation de l'immense majorité des producteurs, ce bénéfice idéologique est obtenu moyennant une inversion de sens. Dans le discours néolibéral : "La propriété c'est l'expulsion

Le discours néolibéral vise à justifier et renforcer les politiques néolibérales en masquant leur caractère de classe en brouillant l'intelligence de leurs enjeux par les classes dominées. La novlangue néolibérale justifie les politiques qui, à coup de déréglementation des marchés et de libéralisation des échanges, cherchent à asseoir la domination universelle du capital, au détriment de l'humain et de l'environnement.

D'après Alain Bihr. La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste. Syllepse 2017.

Voir aussi l'approche de Marcuse :