jeudi 13 juin 2013

Pisser, laisser pisser.

Piss Christ. Andres Serrano 1987.
Le traitement à l'interféron fut pour moi fortement diurétique. 
Perpétuellement asséché de la bouche et sur la peau, je ne sortais plus sans une bouteille d'eau que je vidais goulûment. Effet secondaire: des envies pressantes à tout bout de champ. 
A la compression de ma vessie s'ajoutait le souci permanent, maniaque, de "prendre mes précautions". Une vraie peur panique de ne pas me contenir, de pas trouver de toilettes à temps. 
J'ai touché le fond au cours d'une sortie au cinéma. Vingt minutes avant la fin du film j'ai commencé à me retenir, à ne plus penser qu'à ça, puis je me suis tortillé sur mon siège tout au long des dix dernières minutes qui m'ont paru interminables. Enfin, toute la salle se lève. Pressé, je joue des coudes pour sortir au plus vite . Catastrophe ! L'issue est bloquée - pas encore ouverte -. Dans ma panique interféronnée je me vois alors prisonnier dans un wagon blindé. Je flippe ! Affolé, je retourne dans la salle et tente une  sortie par l'arrière. Impossible ! les portes y sont fermées aussi...
Mon salut est venu de ma bouteille que j'avais vidée pendant le film et que, le plus discrètement possible,  je remplis, avec honte et délivrance assis dans un coin de la salle désertée. 
Depuis dans les miroirs, je ne vois plus tout à fait comme avant.


L'invitée de la rime

Limpide aux jours d'été, sa dorure s'élance
Et déploie en avant son entrain sans pareil
Contenu sagement dans l'ombre du sommeil
Dans l'espoir des lueurs sonnant la délivrance.

Tous son empressement relâché dans l'urgence
Vient marquer à grands coups la stupeur du réveil
Et son spectre couleur paille couleur soleil
Se déverse au secret d'une obscure fragrance.

Sa provenance naît d'une ultime secousse,
Son charnier est un sac éphémère de mousse :
Quiconque s'en approche perçoit le signal.

Vous paraissez surpris, pourtant tout est normal,
C'est que la poésie a cela de malice 
Qu'elle peut vous conter d'un ton original 

En onze alexandrins le roman de la pisse.

Yannis Sanchez.

Strofka Meop.


Deux tercets d'Arthur Rimbaud, extraits de l'Oraison du soir
.../...
Puis, quand j'ai ravalé mes rêves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille, pour lâcher l'âcre besoin :

Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes,
Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin,
Avec l'assentiment des grands héliotropes.

Arthur Rimbaud.





Une petite chanson pour terminer : GiedRé : "Pisser debout"


jeudi 6 juin 2013

Un trait c'est tout.

Génie du trait et peintures chinoises.
Chu Ta (1626-1705) est un peintre chinois  à la fois dépositaire d'une tradition millénaire et explorateur de la modernité. Violemment  hostile à l’académisme officiel, Chu Ta mena, plus d'un demi siècle durant une existence de quasi vagabond  dont les péripéties sont celles d'un véritable roman. Il en fut si marqué qu'il n'hésita pas à s'engager un temps dans les seules issues extrêmes qui convinssent à son esprit rebelle : le mutisme et la folie.../....Au fil d'une vie longue et tourmentée, où le geste de peindre se révéla pour lui une voie de salut, il sut à ce point épurer son art. - un art fondé sur la maîtrise des traits essentiels. 
La sobriété formelle de ses œuvres  est à la mesure de la fulgurance de l’effet produit.


Tige et fleur de lotus. Collection particulière, Chine populaire.
Le lotus, ami des eaux dormantes, plonge ses racines dans la fange.
Le bel élan de ses tiges porteuses de larges feuilles évidées comme des coupes,
la carnation lumineuse de ces fleurs
ne laissent rien soupçonner de cette origine innommable.

Souche de prunus en fleur. Musée de Nankin.
Invitation à résister - ou à ne pas désespérer, c'est tout comme.
Le prunus aux branches rugueuses produit dès la fin de l'hiver, sous la neige souvent,
des fleurs d'une délicatesse, d'une pureté proprement incroyables.

Le poisson solitaire. Collection Sumitomo, Japon.
Peut être est-ce chez les poissaons que Chu Ta est le mieux à son aise...
qu'il nous livre en tout cas de lui même les portraits les plus "ressemblants".
Peut on être plus loin de tout que ces habitants du Monde du silence peuplé d'être muets
- frères en cela du taciturne artiste.

Les deux poussins. Musée de Shangaï.
Pure étude de matière : le peintre a voulu approcher d'aussi près que possible l'essence du duveteux.
 La forme est réduite à l'essentiel, presque exclue.

"La règle se fonde sur l'unique trait de pinceau. L'unique trait de pinceau est l'origine de toute chose, la racine de tous les phénomènes". Shitao Peintre chinois XVIIIème siècle. 
Le trait en effet est l'élément de base de la calligraphie et de la peinture chinoises. Traditionnellement, le premier trait tracé est identifié au Souffle Originel. Le premier trait, essentiel, fonde l'oeuvre toute entière. L'encre de Chine est trop noire, le papier de riz trop buvard. Une calligraphie, un dessin à l'encre est réussi ou est bon à brûler.On ne peut pas reprendre. 

On imagine rarement  l'accumulation de raffinements que recèle le pinceau calligraphique chinois. En poil de loup, de mouton, de lièvre roux ou de chat sauvage, assemblés parfois en plusieurs couches superposées, son corps est retaillé au rasoir si finement que l'extrémité s'en termine par un poil unique. Au plus léger contact avec le papier, l'encre dont son corps arrondi est gogé, commence à s'écouler; que la pression augmente, la pointe s'ouvre, donnant passage à plus de liquide, et le trait s'élargit; qu'elle se relâche, l'élasticité du poil reformant la pointe, le tracé peut, d'un seul geste ou progressivement, se réduire à un filament. Texte de Cyrille JD Javary en préface de "L'unique trait de pinceau". 
Fabienne Verdier Albin Michel. 2002.




Crédits : Chu Ta. le génie du trait. François Cheng. Phébus. 1999.
L'unique trait de pinceau. Fabienne Verdier. Albin Michel. 2002.

vendredi 31 mai 2013

Désarçonné.

"Tout mythe explique une situation actuelle par le renversement d'une situation antérieure. Tout à coup quelque chose désarçonne l'âme dans le corps. .../... Tout à coup une mort imprévue fait basculer l'ordre du monde et surtout celui du passé car le temps est continûment neuf. Le temps est de plus en plus neuf. Il afflue sans cesse directement de l'origine. Il faut retraverser la détresse originaire autant de fois que l'on veut revivre."
Pascal Quignard. Les Désarçonnés. Grasset 2012.


Suites du traitement : une année de visites hebdomadaires chez un psychothérapeute. 
Une année à répéter, à remâcher ce que je n'ai pas digéré, ce qui ne passe pas ,ce qui reste, et ce qui a changé pour moi.
Désarçonné je fus, je reste et je suis. La monture qui me portait et qui m'emportait m'a laissé là . La bête connaissait sa route mais elle a filé. 
Deux ans . Impression de ne plus être dans la course, d'avoir lâché le peloton dans lequel je pédalais dur, mais joyeusement et aveuglément aussi. Après avoir pansé mes éraflures, soigné mes bleus et mes bobos je me trouve donc à terre, à pied, en danseuse, à la recherche d'un nouveau véhicule, d'une autre course.
Hors de mes sentiers battus, au milieu du bois, sur la route ou sur le bord du chemin et parfois en plein champ, je recentre, je fais le point, Je cherche à saisir ce qui est important pour moi, ce que je veux et ce dont je ne veux plus. Combien de moi en moi, qui sont ils et que veulent ils.  Qui suis-je ? Qui sont-je ? Suis-je ceux que je suis? Et, l'important, est-ce plutôt ce que  je suis ou ce que je fais ?  
Autour de moi les autres, aussi ont changé aussi. Beaucoup de relations d'avant perdues de vue. Encore une question de rythme, de timing. Le mauvais tortillard de la "C" m'a fait rater des correspondances. Comme ma monture, les autres ont filé aussi avec le peloton, je ne retrouve plus leurs traces. En revanche j'ai retrouvé des amis perdus de vue depuis longtemps, et d'autres encore que je découvre maintenant.

Alors je relis les bribes de cartes, refais une feuille de route. Pour la feuille de route, soyons pragmatique et d'abord basique : "la fonction d'être d'un être, c'est d'être" et bien, soyons donc. Donc je suis. Bien, ça c'est fait, mais partant de là, être n'est pas tout. Quand on est, il faut alors exister . Exister c'est à dire être pour les autres, avoir une place, et si possible être à sa place. Ceci étant, plus ou moins en place, reste à voir la suite, où je vais, et pourquoi. Comme on s'élève dans la pyramide de 'Magueule'  la question devient plus difficile, plus abstraite plus changeante:  Comment savoir si l'on a pris une bonne route et quel cap garder. La seule réponse que je trouve me parait bien nombriliste et égocentrée, mais pourquoi le but  ne serait il pas simplement d'être content de moi ? 
Être bien avec soi même, être fier de ce que l'on a fait et de ce qu'il en reste, ça n'est pas  simple, et je me souhaite, ainsi qu'à  à chacun, d'y parvenir.  Comme quoi, le nombril n'est pas loin du foie et le foie, ça fait réfléchir la tête.

Ozias
Feuille de route
Musique: Horse with no name. America song by Handy Horace.

samedi 25 mai 2013

L'étranger. Exprimer l'indicible.

La maladie, la pénibilité du traitement me laissent plus misanthrope qu'avant.  Sans doute une conséquence de ce décalage avec le reste du monde qui a continué à courir quand  je restais crucifié de fatigue sur mon sofa. Un an d'angoisses, de fatigues, de frustrations. un an où j'ai réalisé ce que signifie 'se passer de soi même'. N'être là pour personne, ne plus se reconnaître devenir étranger à soi même, aux autres.  Mélancolie, dépression, démangeaisons, sautes d'humeur et convalescence bref, une année où cette question revient :  comment parler de ce que l'on est seul à ressentir, de ce qui n’intéresse pas grand monde, comment  exprimer l'indicible ? Comment parle t'on ?

Vous avez sûrement lu l'étranger d'Albert Camus. Les premiers mots du roman sont  'Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut être hier, je ne sais pas'. Vous souvenez vous de Meursault le héros de ce roman ? 
Meursault est un  garçon simple mais décalé. Il cherche toujours à se comporter 'comme il faut' et se sent contraint de se justifier sans cesse pour faire face aux convenances. On le dirait sans émotion, inhumain. 
Meursault refuse de mentir, de jouer le jeu de la société. Il ne parle pas pour rien dire, il ne parle que lorsqu'il a quelque chose à dire et paradoxalement  cela  le rend décalé, inhumain, et inquiétant.
'Meursault est l'homme qui dit "oui" pour ne plus avoir à parler. Impossible dialogue : autrui ne peut me comprendre; je ne peux comprendre autrui.
Cette impossibilité à rentrer en communication avec l'autre poursuit Meursaults dès le premier chapitre: Meursault se sent par exemple, accusé par le regard de son propre patron; - pourtant neutre- semblant le considérer avec un brin de malveillance lorsqu'il prend quelques jours de congé, afin d'assister à l'enterrement de sa mère. Meursault se sentant obligé de bredouiller quelques explications ne trouvera de la part de son patron qu'un profond silence.("J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n'avait pas l'air content. Je lui ai même dit "ça n'est pas de ma faute". Il n'a pas répondu."). puis c'est au tour des paroles du directeur de la maison de retraite - pourtant neutre, là encore !-  face auxquelles Meursault se sent contraint de lui donner quelques explications. Et tout le récit est émaillé comme cela de simples remarques comme "je n'ai pas entendu".  Par exemple au moment de la mise en bière de la mère de Meursault: "l'employé des pompes funèbres m'a dit quelque-chose que je n'ai pas entendu" Voici donc le caractère insolite de son réel qui sert aussi l'effet de l'absurde. Autrement dit l'incapacité d'entendre l'autre, la volonté du silence. 
Les gestes des autres sont vides de sens, les corps sont étrangers, seuls quelques fragments du corps, quelques fragments de gestes peuvent être perçus, l'homme absurde, selon Camus, ne pouvant percevoir les hommes dans leur unité, donc dans une signification globale.'*



Alors, comment parle t'on ?
...
*Etranger à soi-même, étranger au monde ? une lecture de L'étranger de Camus. (Paru dans La Presse Littéraire n°11, sept-oct-nov. 2007, revu et augmenté en avril 2011http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2008/01/06/etranger-a-soi-meme-etranger-au-monde-une-lecture-de-l-etran.html

Autre post dans ce sur un thème proche : La métaphore de la métamorphosehttp://emagicworkshop.blogspot.fr/2012/09/la-metaphore-de-la-metamorphose.html

Extrait de la bande dessinée "L'étranger' d'après Albert Camus. Illustré par Jacques Ferrandez.

dimanche 19 mai 2013

Hey, art bizarre.

L'exposition Hey qui se tient actuellement à la Halle Saint Pierre à Paris se présente comme un cabinet des curiosités du XXIème siècle.  Précision du délire et excellence de la facture. Un aperçu de cet art bizarre, manifeste de la contre culture. 



Beb Deum.  'Dépeindre de manière réaliste, allégorique l'évolution de notre société contemporaine qui, soumise à la globalisation et à une standardisation outrancière, transforme et réduit toute chose en produit marchand.'



Kate Clark.'La peau que j'utilise pour le visage humain est celle qui couvrait le visage de l'animal. Je tente de faire correspondre les sections de peau, par exemple en utilisant les paupières et les cils de l'animal autour des yeux humains. Je rase la fourrure et le spectateur peut reconnaître les caractéristiques huileuses et poreuses de notre propre peau.'



Travis Louie. Personnages à mi chemin entre l'animalité et l'humanité, tout de costumes victoriens ou édouardiens vêtus, fixant le spectateur comme autrefois les modèles l'objectif du photographe.



Mïrka Lugosi. Tantôt modèle du photographe ou de ses propres dessins, des ses vidéos, elle travaille en miroir son image mentale et celle de son corps à l'aide d'outils si fins qu'ils pourraient être des scalpels. 



Moolinex développe le concept personnel "d'art pute". Ici un point de croix distancié et plein d'humour.



Todd Schorr. Les techniques des maîtres classiques tels Jérôme Bosch, Salavador Dali,Otto Dix au service du surréalisme pop américain. Direct et efficace.



Masami Teraoka. Le travail du peintre s'exprime autour de deux traditions picturales: la peinture à l'huile héritée des maîtres anciens et l'aquarelle, héritée de la culture japonaise.



Joel-Peter Witkin. Photographe et metteur en scène grandiloquent et génial. Tel un graveur, il gratte, déchire, altère le négatif. Il déshabille le corps de toutes ses normes. Son oeuvre nous laisse entre deux rives, émerveillés et terrifiés.

Les commentaires des images sont extraits du catalogue de l'exposition.
http://www.hallesaintpierre.org/ Cours y vite !

Ozias


vendredi 10 mai 2013

Cartes postales.

Voici quelques cartes postales de quatre sites remarquables croisés au cours de mes visites sur la toile.

1.Le plus provoc : Juergen Klaukehttp://www.juergenklauke.de/

    
Bons baisers du Vatican.
Transformer


ÄSTHETISCHE PARANOIA, 2003/2006, Schwarz-Weiss-Fotoarbeit, 180 x 240 cm


2.Le plus cérébral: Rancinan et son travail de photographe sur la modernité: La trilogie des modernes.


A Marvellous world. 2010. Hypothèses II.
La liberté dévoilée. 2008. Métamorphoses.
Soldiers Save Our Value. 2011. Wonderful world.

3. Un travail dont je me sens proche : Murielle Belin. 
http://muriellebelin.jimdo.com/peintures-paintings/peintures-anatomiques/
'Son univers sombre et sensible est principalement inspiré d’iconographies anciennes (peintures d’anatomie, bestiaires de tous âges, imageries religieuses ou scientifiques).Entre art singulier, art visionnaire et surréalisme, les objets qui sortent de l’atelier de Murielle Belin, sont confectionnés avec patience et minutie. Ils relèvent d’un brassage spontané et instinctif entre art savant et imagerie populaire, qui laisse parfois poindre, sous les paysages et les personnages torturés, un certain cynisme et un humour discret.'



Sculpture en bocal, Crâne en coeur, Murielle Belin ©

4. Le plus drôle enfin : Le Tampographe Sardon. Voici un lien, au hasard,  vers un post de son blog. 

Assiette.
Tampon ex-Libris.

Parcourez donc son blog. Peut être y trouverez vous une idée de cadeau pour la fête des mères qui approche: http://le-tampographe-sardon.blogspot.fr/2009/04/tampon-fete-des-meres.html

jeudi 2 mai 2013

Musique et hépatite.

Au fil des posts de ce blog nous avons vu différents modes d'illustration de l'hépatite et des maladies virales:
Hépatite et littérature, hépatite et vidéo, illustration de l'hépatite, virus au musée, Hépatite et bande dessinée.
Voyons aujourd'hui ce que le thème de l'hépatite et des maladies virales a inspiré en matière de musiques et de chansons.

Par une recherche Google , j'ai appris que deux groupes de musique francophones ont choisi 'Hépatite' pour nom de groupe. Il s'agit -ordre alphabétique- de 'Hépatite B' (Quebec) et 'Hépatite X' (Paris).

Pour illustrer les maladies virales et ce sentiment d'exclusion et de perte de soi qui les accompagnent, l'incontournable 'Streets of Philadelphia' de Bruce Springsteen me tord toujours les tripes.

Plus énergique, plus didactique, un Hip hop Hepatite C en direct des US 'You dont want to mess with me'


Pour finir, une chanson très émouvante écrite pour Fred Chichin, mort d'un cancer deux ans après le traitement de son hépatite C.

En bonus, une mise en musique de "l'Ode au foie" de Pablo Neruda interprétée en français par le groupe "L'or et la patate". 

Et plus recemment :
http://www.soshepatites.org/2016/11/02/savoircguerir-des-artistes-se-mobilisent-pour-le-depistage-universel/

Merci pour vos clics.
Ozias