C'est toute la thématique de 'the Raven' (le corbeau), album concept (2003) de Lou Reed écrit en hommage à Edgard Poe et illustré au pastel et crayon de couleur en 2009 par Lorenzo Mattotti .
Réflexions sur les psychédéliques, philosophie et décontamination idéologique. Ce qui m’émeut, ce qui me meut.
mercredi 30 décembre 2015
The Raven (le corbeau)
Qui sommes-nous ? Qui suis-je ? Qu’est-ce qui me pousse à faire ce que je ne devrais pas ? Qu’est-ce qui attire irrésistiblement vers le « mauvais côté » ? D’où viennent les forces d’auto-destruction ? Et le fatal désir pour ce qu’on ne peut avoir…
samedi 19 décembre 2015
La comédie humaine du travail
La comédie humaine du travail, titre du dernier livre de la sociologue Danièle Linhart.
Danièle Linhart constate qu'en dépit des apparences, la sur-humanisation du travail en entreprise (numéro vert psy, coaches, lutte contre le stress, massages, conciergerie...) présente de multiples points communs avec l'organisation déshumanisante du taylorisme et du fordisme qui a mis les travailleurs à la chaîne au nom d'une organisation scientifique où le consensus est présenté comme une évidence et profitant à tous.Le discours managérial actuel le répète en boucle : 'la priorité c'est l'humain'. On voit bien que ce que recherchent aujourd'hui les entreprises n'est plus tant des compétences et des connaissances professionnelles que de la confiance et du don de soi à l'état brut. Les managers préfèrent s'adresser à des ressources humaines plutôt que professionnelles. Les qualités telles que le 'savoir être', 'l'agilité, la 'flexibilité' (synonymes d'allégeance et de soumission) sont de plus en plus privilégiées.
En même temps le travail, se 'procédurise' de plus en plus, et le phénomène du "process" s'est étendu aux cadres et aux professions intellectuelles tout en continuant à vider le travail de sa substance, de son sens. En conséquence, les directions mettent en place des politiques de ressources humaines destinées à redonner au travail le sens dont il est vidé mais surtout ajuster et conformer la ressource humaine aux choix organisationnels effectués par les directions d'entreprises.
D'autre part, en évaluant constamment les salariés sur la base de critères qui évoluent sans cesse et qui sont établis unilatéralement par la direction et le management, le travail moderne précarise subjectivement les salariés. Comme tout change tout le temps [par une production d'amnésie voulue], les salariés ne peuvent se fier à l'expérience qu'ils ont acquise, aux compétences qu'ils se sont forgées. Ils doivent s'en remettre aux indicateurs, aux procédures, aux 'bonnes pratiques' sans cesse renouvelées qui sont censées adapter le travail à un environnement organisationnel incertain et fluctuant.
Pour arranger le tout, depuis les années 80' et la disparition des 'collectifs', le salarié se trouve tout seul face à une hiérarchie solidement constituée. De plus l'individualisation des tâches et des rémunérations encourage chacun à cultiver son autonomie, sa liberté et sa créativité pour un pouvoir qui renforce sa dépendance, sa soumission et son conformisme.
Dans notre société où l'épanouissement dans le travail est une injonction libérale, quand le travail se passe mal, c'est toute la personne qui s'engage et qui souffre. Cette dépendance décuple le levier dont dispose les ressources humaines pour obliger les individus à se conformer aux demandes d'une organisation sans laquelle il n'est plus rien (cf article précédent sur l'évaluation).
Finalement la prise en compte des besoins humains redonne leurs lettres de noblesse aux entreprises. Elles apparaissent ainsi légitimes et bienfaitrices alors même qu'elles s'en prennent à la professionnalité de leurs salariés. Stratégie gagnante car il est bien difficile de critiquer les dimensions humaines qu'elles mettent en exergue.
Il faut bien comprendre que les employeurs ont à affronter plusieurs défis quand ils mettent les individus au travail : ils ont à trouver l'organisation technique du travail la plus efficace de de leur point de vue; ils ont également à trouver des modalités par lesquelles ils pourront obliger les individus à se conformer aux impératifs de cette organisation technique du travail.; ils ont enfin à légitimer idéologiquement leurs choix (p12).
Pas étonnant alors les entreprises fassent tout leur possible pour arracher la confiance de leurs salariés sans jamais aller jusqu'à leur faire confiance.
Voir aussi :
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2015/11/evaluations.html
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2015/05/au-travail.html
http://www.lesoir.be/1137303/article/debats/cartes-blanches/2016-03-01/neoliberalisme-est-un-fascisme
http://2ccr.unblog.fr/2016/03/06/halte-aux-methodes-du-neomanagement/
https://www.bastamag.net/La-dictature-du-changement-perpetuel-est-le-nouvel-instrument-de-soumission-des
Article à lire !
https://www.liberation.fr/debats/2019/04/24/sylvaine-perragin-l-obligation-d-etre-heureux-au-travail-fera-bientot-partie-des-objectifs-a-atteind_1723161
à voir
https://solidaires-isere.fr/2019/04/28/grenwashing-grenoble-capitale-du-capitalisme-vert-ueux/
Les coachs de vie sont des usurpateurs
dimanche 6 décembre 2015
La fin de Michel Foucault
Dans son dernier cours 'le courage de la vérité' Michel Foucault étudie les formes de production de la vérité, les actes par lesquels la vérité se manifeste et les risques de la parole. Un sujet qui le touchait sans doute de près puisqu'à la même époque le sida dont il était atteint commençait à devenir un fléau, une évidence, un scandale.
Comment Michel Foucault a-t-il réagi au sida? Voici ce que nous dit Daniel Defert qui était alors son compagnon
"Jusqu'à fin 1983, on n'a jamais soupçonné que c'était cette maladie-là étant donné que la description de cette maladie était rare et essentiellement axée sur le Kaposi [cancer de la peau]. Michel n'a jamais eu de Kaposi. Associer une maladie qu'on présente mortelle et stigmatisante et la sinusite persistante dont il souffrait, on n'y pense pas. Il ne faut pas aussi qu'on associe systématiquement homosexualité et sida, il faut qu'on recherche d'autres pistes, donc les médecins hésitent beaucoup. Ce n'est que fin décembre 1983 qu'ils disent que ça peut être ça, mais ils ne sont pas prêts à lui proposer le diagnostic.
Début 1984, Michel a été remis sur pied par l'antibiotique Bactrim contre un début de pneumocystose. Il a repris son cours au Collège de France. Il était convaincu que ce n'était pas le sida puisqu'il arrivait à faire tout cela. Pourtant je pense que Michel le savait, il en avait parlé à quelques personnes, il ne m'en a pas parlé, pour ne pas m'affoler. Son médecin, Odile Picard, m'avait dit: «Si ça avait été ça je vous aurais examiné». Ça m'a rassuré et j'en ai parlé à Michel qui au contraire était paniqué parce qu'il a pensé à ce moment-là que je pouvais être contaminé.
Un dimanche, Michel a eu une syncope à la maison. Je n'arrive pas à joindre ses médecins traitants. Le lundi, on retrouve les médecins traitants. Bientôt, l'hôpital de quartier n'a de cesse que de se débarrasser de ce malade encombrant, et il est prévu qu'il soit transféré à la Salpêtrière. Manifestement, ses médecins s'étaient arrangés pour que Michel ne soit pas hospitalisé dans un service trop marqué «sida». Ils écartent l'hôpital Claude-Bernard et le service où était Willy Rozenbaum. On arrive à la Salpêtrière le jour de la Pentecôte. On reste coincés dans le couloir. On nous dit tout d'abord : «La chambre n'est pas prête, on ne vous attendait que le soir.» On me fait remarquer qu'il n'était même pas enregistré.
Je me rends à l'accueil. Au retour, une nouvelle surveillante m'accueille, aimable, s'excusant, disant que la chambre n'était pas prête, mais que tout allait s'arranger. Finalement Michel est installé dans une chambre confortable. Peu après, j'entends un médecin interroger une infirmière : «Est-ce que la chambre a bien été désinfectée ?» Je crois comprendre que la réponse est négative, qu'on avait manqué de temps. Peut-être deux jours après, Michel a une infection pulmonaire, l'hypothèse circule dans le service qu'il a pu être infecté à l'hôpital. Il est transféré en soins intensifs.
On voit bien un mode de fonctionnement, une surveillante qui ne sait pas dire que la chambre n'est pas désinfectée et qu'il fallait seulement attendre, puis une autre qui avait appris, dans l'intervalle, que c'était Michel Foucault. On peut supposer que le chef de service avait été prévenu et, au bout du compte, Michel est installé trop vite dans la chambre, tout cela en raison de politesses hiérarchiques. C'est tout le jeu des rapports de pouvoir dans un service hospitalier et tout le jeu des rapports de vérité
Michel Foucault meurt le 25 juin.
"Après le décès, on me demande d'aller à l'état civil de la Salpêtrière. La personne en charge est assez agacée. «Ecoutez, les journalistes nous harcèlent depuis plusieurs jours pour avoir un diagnostic et savoir si c'est le sida. Il faut faire un communiqué.» .../...
Sur le bulletin d'admission de Michel, je vois : «Cause du décès : sida.» Je demande à son médecin (Odile Picard): «Mais qu'est-ce que cela veut dire ?» Elle me répond : «Rassurez-vous, cela disparaîtra, il n'y en aura pas de traces.» «Mais attendez, ce n'est pas le problème.» Et là, violemment, je découvre la réalité sida : faire semblant dans l'impensable social.
C'est à partir des malentendus, des mensonges, des prises de pouvoir médicales et politiques, et plus généralement des hypocrisies autour de ce décès à l'hôpital Pitié-Salpêtrière, que Daniel Defert allait décider de faire de son deuil une «lutte». En créant, en décembre 1984, l'association Aides, qui allait bouleverser le paysage, non seulement de l'épidémie de VIH en France, mais aussi celui de la santé.
Comment Michel Foucault a-t-il réagi au sida? Voici ce que nous dit Daniel Defert qui était alors son compagnon
"Jusqu'à fin 1983, on n'a jamais soupçonné que c'était cette maladie-là étant donné que la description de cette maladie était rare et essentiellement axée sur le Kaposi [cancer de la peau]. Michel n'a jamais eu de Kaposi. Associer une maladie qu'on présente mortelle et stigmatisante et la sinusite persistante dont il souffrait, on n'y pense pas. Il ne faut pas aussi qu'on associe systématiquement homosexualité et sida, il faut qu'on recherche d'autres pistes, donc les médecins hésitent beaucoup. Ce n'est que fin décembre 1983 qu'ils disent que ça peut être ça, mais ils ne sont pas prêts à lui proposer le diagnostic.
Début 1984, Michel a été remis sur pied par l'antibiotique Bactrim contre un début de pneumocystose. Il a repris son cours au Collège de France. Il était convaincu que ce n'était pas le sida puisqu'il arrivait à faire tout cela. Pourtant je pense que Michel le savait, il en avait parlé à quelques personnes, il ne m'en a pas parlé, pour ne pas m'affoler. Son médecin, Odile Picard, m'avait dit: «Si ça avait été ça je vous aurais examiné». Ça m'a rassuré et j'en ai parlé à Michel qui au contraire était paniqué parce qu'il a pensé à ce moment-là que je pouvais être contaminé.
Un dimanche, Michel a eu une syncope à la maison. Je n'arrive pas à joindre ses médecins traitants. Le lundi, on retrouve les médecins traitants. Bientôt, l'hôpital de quartier n'a de cesse que de se débarrasser de ce malade encombrant, et il est prévu qu'il soit transféré à la Salpêtrière. Manifestement, ses médecins s'étaient arrangés pour que Michel ne soit pas hospitalisé dans un service trop marqué «sida». Ils écartent l'hôpital Claude-Bernard et le service où était Willy Rozenbaum. On arrive à la Salpêtrière le jour de la Pentecôte. On reste coincés dans le couloir. On nous dit tout d'abord : «La chambre n'est pas prête, on ne vous attendait que le soir.» On me fait remarquer qu'il n'était même pas enregistré.
Je me rends à l'accueil. Au retour, une nouvelle surveillante m'accueille, aimable, s'excusant, disant que la chambre n'était pas prête, mais que tout allait s'arranger. Finalement Michel est installé dans une chambre confortable. Peu après, j'entends un médecin interroger une infirmière : «Est-ce que la chambre a bien été désinfectée ?» Je crois comprendre que la réponse est négative, qu'on avait manqué de temps. Peut-être deux jours après, Michel a une infection pulmonaire, l'hypothèse circule dans le service qu'il a pu être infecté à l'hôpital. Il est transféré en soins intensifs.
On voit bien un mode de fonctionnement, une surveillante qui ne sait pas dire que la chambre n'est pas désinfectée et qu'il fallait seulement attendre, puis une autre qui avait appris, dans l'intervalle, que c'était Michel Foucault. On peut supposer que le chef de service avait été prévenu et, au bout du compte, Michel est installé trop vite dans la chambre, tout cela en raison de politesses hiérarchiques. C'est tout le jeu des rapports de pouvoir dans un service hospitalier et tout le jeu des rapports de vérité
Michel Foucault meurt le 25 juin.
"Après le décès, on me demande d'aller à l'état civil de la Salpêtrière. La personne en charge est assez agacée. «Ecoutez, les journalistes nous harcèlent depuis plusieurs jours pour avoir un diagnostic et savoir si c'est le sida. Il faut faire un communiqué.» .../...
Sur le bulletin d'admission de Michel, je vois : «Cause du décès : sida.» Je demande à son médecin (Odile Picard): «Mais qu'est-ce que cela veut dire ?» Elle me répond : «Rassurez-vous, cela disparaîtra, il n'y en aura pas de traces.» «Mais attendez, ce n'est pas le problème.» Et là, violemment, je découvre la réalité sida : faire semblant dans l'impensable social.
C'est à partir des malentendus, des mensonges, des prises de pouvoir médicales et politiques, et plus généralement des hypocrisies autour de ce décès à l'hôpital Pitié-Salpêtrière, que Daniel Defert allait décider de faire de son deuil une «lutte». En créant, en décembre 1984, l'association Aides, qui allait bouleverser le paysage, non seulement de l'épidémie de VIH en France, mais aussi celui de la santé.
.../...Un savoir qui n’est pas transgressif est un savoir qui répond à l’attente de l’autre, qui répond à l’attente répressive, et justement, quand on est amené à parler d’homosexualité, de prostitution, de toxicomanie, de transsexualité, nous sommes amenés à tenir des discours transgressifs et à faire entrer dans le champ du savoir, de l’expérience collective des choses transgressives. On n’a pas forcément à affirmer une identité, mais à affirmer une expérience, un savoir, une parole transgressive. Ce que Foucault nous a légué, c’est effectivement la prise de parole des gens exclus de la parole et de leur donner la forme d’un savoir transgressif qui doit fonctionner comme contre-pouvoir..../...
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