La comédie humaine du travail, titre du dernier livre de la sociologue Danièle Linhart.
Danièle Linhart constate qu'en dépit des apparences, la sur-humanisation du travail en entreprise (numéro vert psy, coaches, lutte contre le stress, massages, conciergerie...) présente de multiples points communs avec l'organisation déshumanisante du taylorisme et du fordisme qui a mis les travailleurs à la chaîne au nom d'une organisation scientifique où le consensus est présenté comme une évidence et profitant à tous.Le discours managérial actuel le répète en boucle : 'la priorité c'est l'humain'. On voit bien que ce que recherchent aujourd'hui les entreprises n'est plus tant des compétences et des connaissances professionnelles que de la confiance et du don de soi à l'état brut. Les managers préfèrent s'adresser à des ressources humaines plutôt que professionnelles. Les qualités telles que le 'savoir être', 'l'agilité, la 'flexibilité' (synonymes d'allégeance et de soumission) sont de plus en plus privilégiées.
En même temps le travail, se 'procédurise' de plus en plus, et le phénomène du "process" s'est étendu aux cadres et aux professions intellectuelles tout en continuant à vider le travail de sa substance, de son sens. En conséquence, les directions mettent en place des politiques de ressources humaines destinées à redonner au travail le sens dont il est vidé mais surtout ajuster et conformer la ressource humaine aux choix organisationnels effectués par les directions d'entreprises.
D'autre part, en évaluant constamment les salariés sur la base de critères qui évoluent sans cesse et qui sont établis unilatéralement par la direction et le management, le travail moderne précarise subjectivement les salariés. Comme tout change tout le temps [par une production d'amnésie voulue], les salariés ne peuvent se fier à l'expérience qu'ils ont acquise, aux compétences qu'ils se sont forgées. Ils doivent s'en remettre aux indicateurs, aux procédures, aux 'bonnes pratiques' sans cesse renouvelées qui sont censées adapter le travail à un environnement organisationnel incertain et fluctuant.
Pour arranger le tout, depuis les années 80' et la disparition des 'collectifs', le salarié se trouve tout seul face à une hiérarchie solidement constituée. De plus l'individualisation des tâches et des rémunérations encourage chacun à cultiver son autonomie, sa liberté et sa créativité pour un pouvoir qui renforce sa dépendance, sa soumission et son conformisme.
Dans notre société où l'épanouissement dans le travail est une injonction libérale, quand le travail se passe mal, c'est toute la personne qui s'engage et qui souffre. Cette dépendance décuple le levier dont dispose les ressources humaines pour obliger les individus à se conformer aux demandes d'une organisation sans laquelle il n'est plus rien (cf article précédent sur l'évaluation).
Finalement la prise en compte des besoins humains redonne leurs lettres de noblesse aux entreprises. Elles apparaissent ainsi légitimes et bienfaitrices alors même qu'elles s'en prennent à la professionnalité de leurs salariés. Stratégie gagnante car il est bien difficile de critiquer les dimensions humaines qu'elles mettent en exergue.
Il faut bien comprendre que les employeurs ont à affronter plusieurs défis quand ils mettent les individus au travail : ils ont à trouver l'organisation technique du travail la plus efficace de de leur point de vue; ils ont également à trouver des modalités par lesquelles ils pourront obliger les individus à se conformer aux impératifs de cette organisation technique du travail.; ils ont enfin à légitimer idéologiquement leurs choix (p12).
Pas étonnant alors les entreprises fassent tout leur possible pour arracher la confiance de leurs salariés sans jamais aller jusqu'à leur faire confiance.
Voir aussi :
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2015/11/evaluations.html
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2015/05/au-travail.html
http://www.lesoir.be/1137303/article/debats/cartes-blanches/2016-03-01/neoliberalisme-est-un-fascisme
http://2ccr.unblog.fr/2016/03/06/halte-aux-methodes-du-neomanagement/
https://www.bastamag.net/La-dictature-du-changement-perpetuel-est-le-nouvel-instrument-de-soumission-des
Article à lire !
https://www.liberation.fr/debats/2019/04/24/sylvaine-perragin-l-obligation-d-etre-heureux-au-travail-fera-bientot-partie-des-objectifs-a-atteind_1723161
à voir
https://solidaires-isere.fr/2019/04/28/grenwashing-grenoble-capitale-du-capitalisme-vert-ueux/
Les coachs de vie sont des usurpateurs
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