mercredi 24 février 2016

Directives anticipées

Depuis 2005, la loi Leonetti donne la possibilité au patient d’écrire des directives anticipées concernant sa fin de vie. 
'Les directives anticipées sont des instructions écrites que donne par avance une personne majeure consciente, pour le cas où elle serait dans l’incapacité d’exprimer sa volonté'. Ces directives anticipées sont prises en considération pour toute décision concernant un patient hors d’état d’exprimer sa volonté, chez qui il est envisagé l’arrêt ou la limitation d’un traitement inutile ou disproportionné ou la prolongation artificielle de la vie.

Dans l’idéal, c’est vrai, on préférerait faire le geste soi-même. Mais justement, quand on est en fin de vie, on est souvent trop faible pour avoir ce geste. D’où l’importance de préciser tout cela avec les directives anticipées.
Ecrire, cela permet de simplifier les choses pour tout le monde : ça doit être tellement douloureux pour des proches de prendre une décision, et cela peut-être source de conflit. Pour leur éviter cela il semble donc plus facile de prendre soi-même cette décision. 
Vos directives anticipées permettront donc aux médecins de connaître vos souhaits sur la possibilité de limiter ou d’arrêter les traitements en cours. 

Sur le papier, tout parait clair, dans la pratique, c'est plus délicat:

Tout d'abord, savoir quelle forme donner au document de DA. Des 'formulaires' sont disponibles sur Internet. Même s'ils sont très clairs pour ce qui concerne l'état civil, il est bien difficile de remplir sereinement la partie concernant les 'Demandes' . En effet, comment se projeter quand on est en bonne santé ? Comment savoir quel sera, en situation de handicap ou de maladie, le seuil de ce qui est acceptable pour soi ?
Comment connaître son seuil de résistance à la souffrance ?. Plus prosaïquement, dans une formulation telle que  " que s’il n’existe aucun espoir de retour à une vie consciente et autonome, l’on me procure une mort rapide et douce.", comment se définit ce qui est une "vie consciente et autonome"  ou pas et comment répondre par OUI ou par NON ?.
Même une question aussi simple que celle de la personne de confiance est délicate: les directives sont valables 3 ans, c'est suffisamment court pour qu'elles soient obsolètes le jour-J mais suffisamment long pour que la confiance en la PC puisse s' éroder.
Finalement, après avoir mené à bien cette délicate dissertation, la première réaction de votre médecin traitant, auquel vous confierez vos directives, sera peut être de vous soigner pour dépression, et d'attendre un peu que ça aille mieux avant d’enregistrer finalement vos DA dans votre dossier médical.
Enfin, dans son exécution, cette demande implique que l'on transgresse l'interdit du contrat social et religieux « tu ne tueras pas » et que l'on impose à un professionnel de la médecine de faire une prescription ou un acte d'euthanasie (mort douce) à moins qu'il ne se désiste en évoquant la clause de conscience. Malgré l'attention qu'elle porte à vos D.A., l'équipe médicale se réserve le droit de ne pas les suivre (dans le cas d'une évolution du dossier médical par exemple). 
Bref, les directives anticipées, c'est bien et les respecter, c'est mieux ! http://incel-europe.com/2017/04/24/les-directives-anticipees-cest-bien-les-respecter-cest-mieux/

Finalement, selon une étude de l’Ined de fin 2012, seulement 2,5% des Français ont rédigé leurs directives anticipées. Souvent parce que tout simplement, ils n’en ont jamais entendu parler, une méconnaissance qu’on retrouve parfois de façon plus étonnante dans le personnel de santé. Mais il ne s’agit pas que de méconnaissance. Car rédiger ses directives anticipées, comme l’a réalisé Jean Leonetti lui-même, est loin d’être une démarche naturelle.
à vous de jouer maintenant

Glossaire pour la fin de vie, objet de la loi Léonetti 2016.

- Euthanasie
L'euthanasie, qui vient du grec +bonne mort+, désigne l'acte d'un médecin, voire d'un tiers, "qui provoque la mort d'un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie" (définition Larousse).
Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE, organisme chargé de réfléchir aux questions éthiques) définit l'euthanasie comme "un acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d'une personne atteinte d'une maladie grave et incurable, à sa demande, afin de faire cesser une situation qu'elle juge insupportable." (Rapport fin de vie d'octobre 2014).
Dans les pays ayant adopté une législation favorable à l'euthanasie, ce terme est réservé aux situations où il existe une demande formulée par la personne malade, ce qui permet de distinguer l'euthanasie de l'homicide qui est le fait de donner la mort à une personne qui ne l'a pas demandée.

- Euthanasie passive et indirecte
L'euthanasie indirecte peut se définir comme le fait de donner à une personne des substances pour réduire sa souffrance avec comme effets secondaires possibles la mort.
L'euthanasie passive est l'interruption volontaire de traitements médicamenteux ou d'appareils qui maintiennent en vie une personne ou encore de l'arrêt de l'hydratation et de l'alimentation artificielles.

- Suicide assisté
Le suicide assisté, le suicide avec assistance médicale ou encore l'assistance au suicide, "diffèrent" en principe de l'euthanasie car dans ce cas "l'acte létal est accompli par la personne malade elle-même", selon le CCNE.

- Soins palliatifs
"Les soins palliatifs sont tous les traitements médicamenteux et non-médicamenteux donnés à une personne non-guérissable, dont la maladie évolue et s'aggrave, conduisant à des souffrances physiques et morales", selon Benoît Burucoa, chef de service de l'unité de soins palliatifs de l'Hôpital Saint-André à Bordeaux.
Les objectifs de la médecine palliative sont le soulagement du corps, l'apaisement moral, la personnalisation de l'accompagnement du malade et des proches, pas forcément dans l'optique d'un décès proche.

- Sédation profonde et continue
L'administration de sédatifs (substances anti-douleurs et apaisantes) de manière "profonde et continue", autorisée par la proposition de loi des députés Jean Leonetti (UMP) et Alain Claeys (PS) votée mercredi, permet à des malades graves en phase terminale, dont la souffrance est insupportable, d'être endormis jusqu'à leur mort.
Le droit à une "sédation profonde et continue", c'est "le droit de dormir pour ne pas souffrir avant de mourir", selon la formule de Jean Leonetti.






Quelques héros de la fin de vie :

1998 Ramón Sampedro, écrivain tétraplégique, figure historique du combat pour l’euthanasie en Espagne, se donne la mort avec l’aide et la responsabilité « partagée » de onze de ses amis.
2002 Vincent Humbert, tétraplégique, demande à Jacques Chirac un « droit de mourir ».
2008 Chantal Sébire, mourant d’un esthésioneuroblastome, demande le droit à mourir dans la dignité par suicide assisté chez elle, et non en Suisse ou en Belgique.
2009 Eluana Englaro, en état végétatif irréversible, décède après six jours d’arrêt de son alimentation, à la demande de son père, aux termes d’un combat ayant déchiré l’Italie.
2014 Nicolas Bonnemaison est acquitté de l’empoisonnement de sept patients en fin de vie mais reste radié de l’Ordre des médecins.
2015 Vincent Lambert est autorisé à mourir par la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) mais reste à l’heure actuelle otage d’un enjeu dont il n’a pas conscience

http://www.chu-lyon.fr/web/attached_file/Guide%20conseil-pro_10-2012.pdf?ComponentId=kmelia16&attachmentId=20452
http://www.la-croix.com/Actualite/France/Fin-de-vie-les-directives-anticipees-font-debat-2015-03-11-1290022

Exemple : https://www.francebleu.fr/infos/sante-sciences/atteint-de-la-maladie-de-charcot-francois-56-ans-voudrait-mourir-dans-la-dignite-1478004973
Assistance au suicide : http://www.admd.net/international/la-suisse.html

Mes directives à moi:
Si je ne peux opérer par moi même, je souhaite un dernier 'voyage en Suisse' pour partir sans souffrance inutile, en gardant la main jusqu'au bout et partir quand je le veux. 
Une fois mort, je le souhaite reposer chez moi, dans ma chambre, plutôt que dans un funérarium ou un hôpital. Pas de prélèvement d'organe.
Merci de publier mon avis de décès ainsi que l'information de mes obsèques sur mon compte Facebook. 

Ensuite, crémation de ma pomme, car je crains le froid et la solitude surtout si elle est éternelle.  Sur mon urne, merci faire graver 'Je suis là', même si je souhaite devenir cendres pour échapper à la prison du cercueil et me balader poussière au vent.
Je ne veux pas que mes survivants puissent imaginer mon corps se décomposer, tout seul au fond d'une boîte. Je trouve la crémation plus chaleureuse en quelque sorte. Bref, pas envie de faire de vieux os au cimetière. Par contre, sur le lieu où l'on pourra officiellement se recueillir (Grenoble ou Ardèche), je souhaite que soit gravée et posée cette plaque : 


mercredi 17 février 2016

Héroïne, le retour

La Nouvelle-Angleterre cette bucolique région du Nord-est des états-unis est connue pour ses villages paisibles, ses églises au clocher blanc, ses stations-service vintage, et ses maisons rangées comme dans les films de Tim Burton. 
Painting by David M. Brinley
Depuis quelques temps la Nouvelle Angleterre et les état du Vermont et du New-Hampshire, font aussi beaucoup parler d'eux à propos de l'épidémie de consommation d'héroïne qui les touche. 
L'héroïne, la drogue « vedette » des années 80, fait en effet un retour fracassant aux États-Unis. Plus de 500 000 Américains en seraient dépendants, soit une augmentation de 150% depuis 2010. Comme on peut le voir dans les séries américaines, l'addict aux médicaments opiacés fait partie du paysage américaine. Nurse Jacky et Docteur House en sont les représentants les plus connus tous deux dépendants au Vicodin un antidouleur opiacé largement prescrit ou détourné aux US.  
Ce qui est surprenant dans le cas du Vermont c'est que la consommation d'héroïne touche largement les classes moyennes vivant en zones rurales. Finis les fantasmes de la ville sombre et dangereuse, de la marge et du junkie écroulé au fond d'un squat du Bronx. Aujourd'hui on essaie d'abord d'échapper à l'ennui, à l'inutilité, et on redécouvre ce plaisir vintage des années 80. C'est une version plus soft où le junkie n'est plus forcément la loque, l'exclu au mode de vie impossible, mais peut être votre dentiste, votre cousin, vous ou moi. 
"If you liked oxys, you should try H.". 
Ce qui est paradoxal, c'est que ce retour de l'héroïne est lié au succès de la lutte contre la drogue. Avec la pénurie d’approvisionnement clandestin, les usagers se sont tournés vers les antidouleurs opiacés légaux: Vicodin, Oxycontin, Fentanyl etc. Ainsi en 2009 il y a eu  257 millions de prescriptions de ces médicaments soit une augmentation de +48% par rapport à 2000. Ce succès est clairement dû au détournement d'une forte partie des 'prescriptions' à des fins d'automédication ou bien récréativesLe Vermont serait particulièrement touché car cet état rural où les médecins sont rares, les habitants rudes et la couverture sociale faible  s'est copieusement intoxiqué aux opiacés pharmaceutiques par le biais de l'automédication dans les années 2000. 
En 2010 le laboratoire Purdue Pharma, qui produit l'oxycontin a dû modifier la formule de son produit pour qu'il ne soit plus possible de le sniffer ou de le shooter. Les conditions de prescriptions ont aussi été sévérisées à cette date. Trop tard, car la demande était crée. Les cartels du Mexique et d'Amérique du sud n'ont pas tardé réagir à cette opportunité en inondant le marché d'une héroïne moins chère, plus forte. Contrairement à l’héro d’il y a quarante ans, pure à 5% ou 10%  la poudre est désormais à 40%, voire 60% de pureté. Aujourd'hui 77% des récents usagers d'héroïne disent avoir connu les opiacées par des médicaments légaux et 25% des ceux qui essaient l'héroïne deviendraient accros. Une dose qui part à 6$ de New York se vend 10$ dans les état du nord et jusqu'à 30$ dans les bleds les plus paumés. Bref, une affaire qui tourne fort et qui risque fort de tourner mal.

L'héroïne est devenue un enjeu de santé publique aux États-Unis et provoque déjà un débat passionné chez les candidats à la Maison Blanche. En septembre dernier, Hillary Clinton a même proposé de mettre en place un plan de 10 milliards de dollars pour endiguer cette épidémie... 
Et en France, que se passe t'il ?
aux USA à partir de 2010 l'héroïne remplace les opiacés pharmaceutiques
Voir aussi sur ce blog : 
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2015/07/salle-de-shoot.html
à écouter : http://arteradio.com/son/616477/poudreuse_dans_la_meuse

Sources :
http://www.rollingstone.com/culture/news/the-new-face-of-heroin-20140403?page=4
https://www.mediapart.fr/journal/international/140216/les-etats-unis-font-face-une-epidemie-doverdoses-lheroine
et aussihttp://www.causeur.fr/etats-unis-oxycontin-medicament-drogue-heroine-38451.html
Portraitshttp://www.ledevoir.com/documents/special/16-08_injections-supervisees/portraits-injections-supervisees.html

The Paris touch : http://www.streetpress.com/sujet/1463153023-drogue-paris-crack-skenan

Opioïdes aux USA (oct 2017) https://bonpourlatete.com/actuel/Une%20mort%20avec%20anti-douleurs

Mise à jour 2018 http://vih.org/20180131/crise-opioides-en-amerique-du-nord/139927

Oxycodone https://www.psychoactif.org/psychowiki/index.php?title=Oxycodone_%28Oxycontin%29%2C_effets%2C_risques%2C_t%C3%A9moignages&from=encemomentw

lundi 1 février 2016

Kafka et la domination: la lettre d'Amalia

Durant toute sa vie d’écrivain, Kafka n’a cessé de tenter d’élucider les mécanismes de la domination, dont il avait personnellement souffert dans le rapport à la fois admiratif et conflictuel qu'il entretenait avec son père et qu’il avait pu observer dans divers espaces professionnels.

Dans son dernier roman 'Le Château' le chapitre de la lettre d'Amalia illustre et analyse ce processus de honte et de domination par lequel le pouvoir existe.

Pitch de 'la lettre d'Amalia': Un jour de fête alors que son père attend d' être décoré par la toute puissante administration du Château, Amalia (la soeur d'Olga)  refuse les avances grossières de Sortini, fonctionnaire au Château, et déchire la lettre qu'il lui a adressée.
Bien que ce refus soit tout à l' honneur d'Amalia et qu'aucune plainte n'ait été déposée par l'administration, la famille se retrouve alors mise en disgrâce et va tenter obstinément d'obtenir un pardon du Château pour retrouver sa place et son honneur. 
Comme l’explique Olga (soeur d'Amalia et narratrice de cet épisode) ce châtiment est indistinct. Ce n'est pas une punition car aucune procédure n'a été lancée mais les gens du Village s'éloignent de la famille d'Amalia pour ne pas être impliqués. « Nous savions tous qu’aucun châtiment explicite ne viendrait. On s’écartait simplement de nous. Les gens d’ici, comme aussi le Château ».  "C'était surtout, la peur à part, à cause du côté gênant de cette affaire qu'on s'était séparé de nous, pour n'en rien savoir , pour n'en pas parler, n'y point penser, ne pas risquer d'être atteint de façon ou d'autre. 
C'est parce-que la famille d'Amalia ne parvient pas à se détacher de cette affaire que le malaise persiste. "On s'aperçut que nous n'avions pas la force de nous tirer de cette histoire et on nous en voulut beaucoup plus". Olga reconnait que cette disgrâce ne repose que sur la culpabilité intériorisée par sa famille: "Si nous avions renoué nos anciennes relations sans même souffler mot de l'histoire de la lettre, cela aurait suffi. Tout le monde aurait renoncé de grand cœur de parler de cette histoire . 

'Le Château n'a rien d'autre à faire que de rompre un lien, de montrer son mécontentement pour entraîner immédiatement la marginalisation de la famille d'Amelia. L'essentiel est le fait de tous ceux qui, par peur du pouvoir, par crainte d'être associés à des êtres désavoués, se détournent d'eux. Ce qui fait le pouvoir, c'est en grande partie la croyance en la force de ce pouvoir'. 'Chercher des raisons, c'est déjà accorder trop de crédit à un pouvoir arbitraire et contribuer ainsi à maintenir sa légitimité.'
'L'intériorisation d'un rapport dominé au monde fait que le dominé se punit lui même avant toute sanction extérieure. Le sentiment de culpabilité, et tous les comportements d'autopunition qui l'accompagnent, le manque de confiance en soi ou la dépréciation permanente de soi ne sont que des manifestations de l'intériorisation d'un rapport de domination.'
Etienne de la Boétie, dans le discours de la servitude volontaire nous parle ainsi de l'autocensure, de la résignation, de l'inertie qui permet au pouvoir de se maintenir et de se reproduire sans force ni coercition. 
"Au commencement, c'est bien malgré soi et par force que l'on sert; mais ensuite on s'y fait et ceux qui viennent après , n'ayant jamais connu la liberté, ne sachant même pas ce que c'est, servent sans regret et font volontairement ce que leurs pères n'avaient fait que par contrainte. Ainsi les hommes qui naissent sous le joug, nourris et élevés dans le servage sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés, et ne pensant point avoir d'autres droits ni d'autres biens que ceux qu'ils ont trouvés à leur entrée dans la vie, ils prennent pour leur état de nature, l'état même de leur naissance".
En s'efforçant de décrire de l'intérieur les mécanismes psychiques et symboliques sur lesquels repose le pouvoir et décrivant ce qu'il y a de docilité et de soumission servile en lui, Kafka tente de s'en libérer et, du même coup, d'en libérer le lecteur qui voudrait accomplir le même travail que lui.



Crédits
Franz Kafka, Le château
Bernard Lahire, Kafka et le travail de la domination.
Etienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire