mercredi 28 mars 2018

la haine

Affiche "Oui à la guerre". Cobie Cobz
Je suis toujours surpris de voir un nombre croissant d'indignations, de pétitions, ainsi que le succès grandissant des sujets polémiques qui circulent sur Facebook et dans les soit-disant 'actualités' de l'espace public que nous adressent les sites web. 
Voici quelques exemples de sujets qui divisent, qui clivent  ces temps-ci: la corrida toujours, mais aussi le retour de Bertrand Cantat sur scène, une photo de Caroline de Haas, le nom de Michel Onfray etc.

L'animosité, la haine sont des passions tristes, des pulsions de mort, qui marchent bien ces temps-ci, en particulier sur les réseaux sociaux . Sans doute parce-qu'elles sont plus fédératrices que l'entente ou le consensus. Il est évidemment plus facile de se mettre d'accord sur ce que l'on ne veut pas que sur ce que l'on aime. Avis aux putes à clic et aux chaudasses du like qui lisent cet article, c'est avec les pire brûlots que l'on fait le plus gros buzz !.
Pour illustration, trois titres qui apparaissent aujourd'hui spontanément sur mon écran pour m'inciter à cliquer :"Yann Moix Dézingue Joseph Dicker !", "Thierry Ardisson insulte Stéphane Guillon !", "Clash avec Yann Barthès !" ...

On peut bien sûr invoquer des causes, des postures 'politiques'
Ainsi, à un certain point de détresse, on renonce facilement à la liberté et on attend que l'on nous dise quoi faire, quoi être, quoi dire. Hurler avec les loups a toujours été un principe de base du fascisme. La haine sert alors d'exutoire, d'identité et de lien à des suiveurs manipulés (cf les 2mn de la haine et la semaine de la haine dans le '1984' de George Orwell). 
A l'autre extrémité du spectre, si la culture est une forme de consensus, il existe aussi une tentation à transgresser cette forme de consensus, une séduction à aller au delà du langage pour dire ce qui ne s'exprime pas. La déconstruction titille le consensus, et ouvre naturellement des voies aux polémiques et aux réactions pulsionnelles car il faut bien reconnaître que celui qui n'offense jamais personne est toujours un peu fade.
Troisième facteur dans l'air du temps, la politique des identités qui place au premier plan nos appartenances, en en sélectionnant certaines : on nous classe en blancs ou noirs, homosexuels ou hétérosexuels. Ignorant notamment les situations intermédiaires… Chacun assénant d’entrée de jeu cette identité, la discussion ne saurait monter en généralité. Du reste, on ne cherche plus à persuader les autres : l’altérité radicale dont on est soi-même porteur est censée structurer une vision du monde qui interdit tout dialogue d’égal à égal. Dans cette logique, la politique est réduite à une lutte entre des communautés pour l’attribution préférentielle des ressources. (d'après joshua Mitchell).


Ce qui est nouveau, c'est que la polémique, l'indignation, et même parfois l'insulte ou la menace ont de plus en plus largement droit de cité dans l'expression écrite. L'existence de choses que l'on aime pas, la réalité de l'aversion, n'est pas un scoop, mais ce qui a changé c'est qu'il est devenu possible de se regrouper 'numériquement' pour exprimer son opposition à une échelle planétaire, tout en restant protégé par une identité numérique.
Le fait que la haine soit devenue plus "accessible" ou "démocratique" ne suffit pas à expliquer le succès actuel de la haine.  Pourquoi tant de haine ? sûrement, parce-qu'il y a une jouissance dans la haine. En premier lieu la jouissance par l'audience que procure la haine, et la notoriété qui est tout bénéfice pour l'ego.
D'autre part, il faut bien admettre que la haine se propage généralement plus vite que l'amour. La construction d'une relation pacifique demande des années de confiance alors qu'une déclaration de guerre peut se faire en un clic. Or, nous vivons dans une société de l'urgence qui favorise la vitesse, la pulsion et la surréaction. Comme 'statistiquement' il est plus facile, plus rapide, de rompre que de lier, il existe un excédent naturel des situations de conflit que vient magnifier et aggraver l'exigence de réaction dans l'instant.  

De plus l'audience publique des échanges numériques augmente cette "pulsionalité"  d'une volonté forte de sauver la face, attitude qui à son tour rigidifie les protagonistes dans leurs identités.  Car l'ensemble de notre société narcissique pousse à "l'identité" mais une identité calibrée, faite d'un avatar sélectionné dans une société d'images où il n'y a plus de ressources possible en soi-même. Sauver la face revient alors à maintenir la conformité à l'image de notre avatar. Mais cette exigence de cohérence n'est possible qu'en tuant une partie de nous-même : celle de nos propres contradictions que nous ne pouvons supporter. La lutte pour notre 'identité' génère alors une haine de soi que seule peut soulager la haine des autres. Aussi, je reste toujours méfiant devant les injonctions telles que  "Ne lâche rien !", "Bats-toi ! qu'on nous assène comme des mantras sans avoir à revenir sur soi même.

Comme le dit avec humour le slogan du chien à deux queues (parti politique parodique hongrois), "Sache que ta haine t'aime" 


Alors ouste ! allez en paix !

Ozias
crédit : BRKN/WRLD

A lire: Hélène L'Heuillet  "Tu haïras ton prochain comme toi même" https://soundcloud.com/radiocampus/podcast-pourquoi-tant-de-haine-rc-paris

http://www.liberation.fr/debats/2018/04/11/le-but-c-est-de-provoquer-la-mort-sociale_1642717

https://www.madmoizelle.com/cancel-culture-definition-1037892

A lire aussi sur ce blog : 
à propos du narcissisme de notre société
https://emagicworkshop.blogspot.fr/2014/10/narcissisme-de-masse-1.html
à propos des réseaux sociaux 
https://emagicworkshop.blogspot.fr/2015/09/seuls-ensemble.html

Pas plus tard que ce matin, un exemple de dérapage gratuit et savoureux, dont Facebook a le secret :


1 commentaire:

  1. Cela m'ennuie d'être associé à "La haine". Nous sommes parfois pris dans une bagarre de rue s'approchant de l'attroupement parfois pour assister une personne en danger d'être mordue par un roquet enragé et la relation qui sera faite de "l’événement"à posteriori par un "journaliste" en mal de copie mettra les protagonistes sur un même pied sans discernement et sans risque entre voyeurisme et délectation, l'autre nom du professionnalisme. C'est la règle, nous étions prévenus. Cependant, celui qui regarde par le trou de la serrure n'est pas indemne pour autant et, arbitre, c'est un autre métier.

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