illustration: Thomas Fuchs |
Depuis quelques années l’échec de la politique de contrôle répressive des drogues est officiellement dénoncé par la Commission globale sur la politique des drogues, (qui rassemble d’anciens chefs d’Etat), et même au sein de l'ONU qui en matière de contrôle des stupéfiants a invité les États à « réexaminer les politiques et pratiques » . cf https://emagicworkshop.blogspot.com/2016/10/drogues-vers-la-fin-du-tout-repressif.html
On apprenait dernièrement que 64000 Américains étaient morts des suites d'une overdose liée aux opiacés en 2016, soit deux fois plus que ceux, pourtant nombreux, qui ont été tués par une arme à feu. (cf https://emagicworkshop.blogspot.com/2016/02/heroine-le-retour.html )
En fait, ce qui est nouveau dans cette crise des opioïdes aux USA c'est qu'elle touche les classes moyennes vivant en zones rurales et que 77% de ces récents usagers d'héroïne disent avoir connu les opiacées par des médicaments légaux.
Cette crise met une nouvelle fois en lumière la confusion existant entre drogues et médicament car cette forme d'addiction 'nouvelle vague' s'est installée à partir de prescriptions d'Oxycontin, ou de Tramadol et a conduit nombre de leurs consommateurs à aller chercher sur le marché illicite des effets similaires avec l’héroïne ou le fentanyl.
Or, en matière d'addiction, la limite entre le prescrit et l'interdit est assez peu opérante, les acteurs officiels (labos pharmaceutiques) et officieux (narcos) fonctionnent de la même façon en favorisant l'existence de consommateurs réguliers de leurs produits, derrière les apparences du soin, de la défonce ou de la substitution, et que pour une large part, la toxicomanie est moins liée à la recherche de l'évitement d'une forme de douleur qu'à celle de la quête de plaisir.
La tentation est alors grande de fustiger l'impitoyable fatalité de l'addiction, cette fois relayée par les vilains labos pharmaceutiques qui remplacent dans l'imagination les dealers d'autrefois. Les pourvoyeurs, quels qu'ils soient, sont forcément les agents du Mal et à l'autre bout du spectre, notre jeunesse est ontologiquement une victime innocente.
Ainsi, après qu'on ait réussi à prendre en charge la douleur et développé, à cause de la menace du sida les traitements de substitution, il nous faudrait de nouveau adhérer aux peurs d'un autre siècle et hurler avec les loups ?
Non ! car dans les faits les overdoses sont la plupart du temps dues au mélange des opioïdes avec d'autres sédatifs tels que l'alcool, les anti-histaminiques (ex promethazine) ou les benzodiazépines (ex Xanax). C'est en réalité l'ignorance du sujet qui cause plus de morts que les opiacés ingérés en eux-mêmes.
L'ignorance tue aussi par la difficulté à connaitre la composition des produits vendus illicitement. Des analyses anonymes et gratuites de la composition des drogues sont déjà mises en place par des associations, mais dans beaucoup de pays cela reste trop limité et trop confidentiel. On peut même imaginer que les produits saisis fassent l'objet d'analyses afin de partager les résultats auprès des associations de réduction des risques et des communautés d'usagers.
Enfin, la Naloxone, qui est un antidote à l'action des morphiniques, devrait être mise à disposition et vulgarisée auprès des communautés ou des proches de consommateurs d'opioïdes, ainsi que des associations de réduction des risques.
Pour citer Carl Hart, "Les médecins n'ont pas besoin d'être formés aux opioïdes, la population doit l'être." http://drcarlhart.com/
La tentation est grande de préférer la guerre contre un mauvais objet à la réelle prise en compte du sujet. Alors que le prohibitionnisme qui combat l'offre et corrige la morale de l'individu échoue depuis 50 ans, il faut nous préparer à vivre dans un monde où l'accès aux molécules psychotropes sera toujours plus facile et moins contrôlable, et ce en s'appuyant sur des dynamiques collectives de santé publique et de réduction des risques.
L'aveuglement et l'ignorance tuent plus que les produits.
Ozias
Voir sur le même sujet dans ce blog : https://emagicworkshop.blogspot.com/2016/02/heroine-le-retour.html
Comment l'addiction aux opioïdes s'est installée aux USA : https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2019/05/opioid-epidemic-west-virginia-doctor/586036/
https://www.scientificamerican.com/article/people-are-dying-because-of-ignorance-not-because-of-opioids/
Ecrit d'après les articles de Jean-Maxence Grenier, Bertrand Lebeau, Fabrice Olivet. parus dans journal ASUD #61.
The Real Opioid Emergency. By Carl L. Hart. Aug. 18, 2017
Testez vos produits ! https://dancesafe.org/shop/
Mines d'informations : http://vih.org/kiosque#swaps; http://www.asud.org/category/journal/
Dernier update (Janvier 2020) revue SWAPS p9-16
Le principe de prohibition est solidement assis sur la croyance en l'absolue supériorité des mécanismes de l'offre par rapport à la demande pour expliquer un acte de consommation (à noter que l'offre est le moteur de croissance du modèle libéral). Supprimez ou diminuez cette offre et vous réglez la question. Les coupables sont les pourvoyeurs, les trafiquants et les usagers qui partagent diffusent et offrent. L'idée que des personnes puissent volontairement, voire rationnellement opter pour une consommation, même maitrisée est incompatible avec l'approche prohibitionniste. Présenter la sociologie des consommateurs de drogues comme un argument explicatif fut longtemps assimilé à une forme de laxisme, pas très éloignée du "comprendre, c'est déjà excuser".
La rassurante limite entre l'interdit et le permis est illusoire, les produits, les logiques économiques et les motivations de consommation de ces deux univers apparaissent comme les deux faces de la même monnaie.
Ecrit d'après les articles de Jean-Maxence Grenier, Bertrand Lebeau, Fabrice Olivet. parus dans journal ASUD #61.
The Real Opioid Emergency. By Carl L. Hart. Aug. 18, 2017
Testez vos produits ! https://dancesafe.org/shop/
Mines d'informations : http://vih.org/kiosque#swaps; http://www.asud.org/category/journal/
Dernier update (Janvier 2020) revue SWAPS p9-16
Le principe de prohibition est solidement assis sur la croyance en l'absolue supériorité des mécanismes de l'offre par rapport à la demande pour expliquer un acte de consommation (à noter que l'offre est le moteur de croissance du modèle libéral). Supprimez ou diminuez cette offre et vous réglez la question. Les coupables sont les pourvoyeurs, les trafiquants et les usagers qui partagent diffusent et offrent. L'idée que des personnes puissent volontairement, voire rationnellement opter pour une consommation, même maitrisée est incompatible avec l'approche prohibitionniste. Présenter la sociologie des consommateurs de drogues comme un argument explicatif fut longtemps assimilé à une forme de laxisme, pas très éloignée du "comprendre, c'est déjà excuser".
La rassurante limite entre l'interdit et le permis est illusoire, les produits, les logiques économiques et les motivations de consommation de ces deux univers apparaissent comme les deux faces de la même monnaie.
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