lundi 6 décembre 2021

Antagonismes et tolérance

La dialectique est une rhétorique d'argumentation basée sur le raisonnement classique: Thèse Antithèse Synthèse, mais c'est aussi un mode de pensée reconnaissant le caractère inséparable de propositions contradictoires. 
Selon cette entrée du mot, la dialectique s'entend comme une pensée antagoniste qui s'oppose à la pensée identitaire. La pensée antagoniste considère que l'opposition est le lieu même de la régulation adaptative alors que la pensée identitaire souligne l'altérité, le plus souvent pour la réduire, la dominer, la détruire. La pensée antagoniste met l'accent sur l'opposition irréductible des contraires, leur complémentarité, voire leur fusion.

De plus en plus nos références identitaires empruntées à l'univers de la physique déterministe classique sont remises en cause par les modèles antagonistes issus de la mécanique quantique ou de la cosmologie moderne qui nous apprend que le plein et le vide ne sont finalement que deux formulations abstraites. Dans le cosmos, entre vide sidéral et trous noirs, il existe une infinité de réalités présentant des densités et des distances infiniment diversifiées. Même quand il manifeste des forces inimaginables de puissance et de violence, l'univers n'est pas un chaos permanent car il est le fruit d'une dynamique antagoniste faite d'expansions et de rétractations, de big-bangs et de trous noirs. La cosmologie nous montre que les conflits entrainent d'irréductibles destructions débouchant sur d'infinies créations faites d'équilibres plus ou moins provisoires. Car les équilibres eux mêmes sont le produit de forces qui s'opposent. 

Comme le savoir humain s’est essentiellement constitué en misant sur les régularités, les constances, les équilibres, il a défini les êtres et les situations à partir d’identités stables. En revers, cette orientation dominante de la pensée identitaire a entraîné des fixités, voire des rigidités qui ont nui à l’accompagnement, à l’anticipation, à l’invention du changement. Dans le monde contemporain l'individualisme de masse, les "lois du marché", le "sacre du présent" propres à la culture occidentale n'ont fait que renforcer le mythe de l'identité comme  source permanente et instantanée d'elle même. Le résultat en est que les polémiques, les clivages et les replis identitaires ont rarement été aussi puissants qu'aujourd'hui. D'où le risque moral et politique de vouloir chasser toute contradiction au nom de la pureté et de la cohérence. La contradiction est en réalité le moteur de la liberté et de l'évolution et la condition de l'équilibre. 

Ce que je veux dire ici c'est que de la même façon qu'il n'y a pas d'ombre sans la lumière, il n'existe pas d'équilibre sans forces qui s'opposent, pas d'adaptation sans écart et pas d'évolution sans adaptation. 
Aucune chose n'existe par elle même mais uniquement par les relations qu'elle entretient avec d'autres objets. La réalité est comme un tissu de relations sans essence ni substance première ni point de départ ou d'arrivée. La grande erreur serait de vouloir des certitudes ou croire en une essence. 
Toute pensée, toute croyance ira jusqu'où le phénomène la retourne sur elle même. Elle atteint alors sa limite où elle peut contredire son principe même. Inutile de croire que l'on a compris ou de se persuader que l'on a raison. Ce que l'on sait, ce en quoi l'on croit n'est juste, n'est vrai que sur un domaine restreint (au sens mathématique de domaine de définition) ou dans le cadre d'une relation contingente. Plus prosaïquement on pourrait dire que l'enfer est pavé de bonnes intentions, que le diable est dans les détails ou que celui qui veut faire l'ange fait la bête. Rien de nouveau sous le soleil de la lucidité sauf qu'il faut encore plus de courage pour vivre sans croyance que pour vivre sans dieu. Et si l'on veut changer le monde, pour plus de justice et d'équité, où trouver les forces, comment mobiliser avec des idées qui font si peu rêver ? Sans doute la pensée identitaire, produit dérivé de la pensée antagoniste sera utile ici, même si le changement se paye aux prix de l'erreur. 
Tout cela est contradictoire, absurde et me rappelle Camus selon qui il faut imaginer Sisyphe heureux.


Voici donc trois exemples de problématiques, sans lien entre elles, mais qui peuvent faire apparaitre le continuum existant entre une chose et son contraire. Comme sur le ruban de Möbius, intérieur et extérieur sont une seule et même face 


1. Pharmakon. Du remède au poison

En Grèce ancienne, le terme de pharmakon désigne à la fois le remède, le poison, et le bouc-émissaire.
Le pharmakon est à la fois ce qui permet de prendre soin et ce dont il faut prendre soin, au sens où on doit y faire attention. Cet 'à la fois' est caractéristique de la pharmacologie qui tente d’appréhender par un même geste le danger et ce qui sauve. Etant en même temps poison et remède, le pharmakon conduit fréquemment à désigner des boucs-émissaires tenus responsables des effets calamiteux auxquels il peut conduire en situation d’incurie.
Le bouc émissaire est une construction type de la pensée identitaire. La désignation et le sacrifice de bouc-émissaires permettent d'évacuer les tensions et de renforcer le paradigme de l'identité mais interdit la régulation par le jeu des contraires.
L'exemple du pharmakon est particulièrement parlant car il montre que la pensée identitaire elle même (le bouc-émissaire) est le produit dérivé de la pensée antagoniste (continuum remède/poison).


2. Santé globale, réduction des risques et libertarisme

L’illégalité de l’usage de drogues génère pour les consommateurs des risques spécifiques au niveau sanitaire, juridique et social qui doivent être pris en compte dans une approche de santé globale.
Plutôt que de (re)nier les pratiques et identités, la réduction des risques consiste à construire avec les usagers des solutions adaptées à leurs besoins pour améliorer leur santé. Sur le terrain, cela consiste à sortir des traditionnelles injonctions de sevrage et d'abstinence, d'accepter les pratiques mais de limiter les risques induits par les usages de drogues. Par exemple en mettant à disposition des usagers du matériel de consommation adapté et stérile (seringues, salles de consommation, etc).
Or, en ce qui concerne le tabac et les fumeurs, ' sous prétexte de défendre la liberté individuelle des usagers, de fausses organisations de consommateurs défendent le vapotage. Elles font illusion dans le but d'influencer la règlementation sur ces nouveaux produits et de contrer la lutte contre le tabagisme (astroturfing). Derrière elles, l'argent secret du lobby du tabac et les réseaux des milliardaires américains du pétrole.' [Le Monde 3 Novembre 2021]. Autrement dit, "Big tobacco" se sert de la réduction des risques comme cheval de Troie pour se présenter comme un interlocuteur crédible auprès des institutions de santé publique. Cette démarche fait l'impasse sur l'objectif de santé globale promu par la réduction des risques mais va dans le sens d'un prosélytisme libertarien financé par les multinationales du tabac.
Ce qui est m'intéresse ici est de voir comment le principe de réduction des risques, destiné à protéger les usagers peu, en toute logique, se retourner contre son objectif premier et se mettre au profit d'intérêts économiques et idéologiques.

3. Laïcité et tolérance

Le débat autour de la laïcité est aussi délicat qu'intéressant. Comme le ruban de Möbius certaines interprétations se retournent aisément contre les principes qui les dictent. C'est actuellement le cas de la laïcité qui, depuis que le respect a remplacé la tolérance, a évolué  d'une posture anticléricale qui privilégiait le pouvoir séculier vers un principe qui viserait principalement à garantir l'exercice des pouvoirs religieux. Intéressant de mettre en perspective l'allégorie de 1905 avec le mème  pêché en 2021 sur Internet qui pose la question de savoir si c'est à la religion de s'adapter à la laïcité ou bien le contraire. 

Si la tolérance rend acceptable le fait qu'il y ait 2 points de vue, il faut bien admettre qu'en matière de religions, et de laïcité, on doit tenir compte de la sensibilité de son auditoire. En réalité il est tout aussi difficile pour un occidental laïque de comprendre la pensée d'un croyant convaincu que l'est l'inverse. Par exemple,  défendre les caricatures de Mahomet ou les versets sataniques peut choquer les croyants de la même manière qu'une nouvelle comme celle de la mort  d'Ali Reza, jeune iranien décapité par sa famille quand elle a appris son exemption de service militaire pour cause d'homosexualité, peut choquer les laïques occidentaux. De plus il est vain d'espérer convaincre un croyant pour qui 'Dieu, c'est la vérité'. Concrètement, on ne peut opposer aux religions des arguments laïcs qui seront rejetés par leur nature même, mieux vaut opposer des principes de base que promeut la religion elle même. 

Il faut bien admettre que la tolérance perd son sens face au dogmatisme d'une parole divine pour laquelle 'Dieu, c'est la vérité'. Aucun argument ne peut s'opposer à un Dieu transcendant (à la fois extérieur et supérieur), si ce n'est la violence que ce soit celle des hommes, ou d'un autre Dieu. Comme le disait si bien Voltaire, "Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant" ?

C'est ainsi que la tolérance devient elle-même paradoxale. Autrement dit, peut on tolérer l'intolérance ?
L'idée d'une tolérance universelle s'avère difficile à tenir : l'étendre à ceux qui refusent la discussion et répondent aux arguments par la violence reviendrait à laisser les mains libres à ceux qui veulent s'en débarrasser ! 
De plus le relativisme a ses limites. Toutes les opinions n'ont pas la même valeur et la liberté d'expression n'autorise pas à mentir sans avoir à rendre de comptes.
Ainsi que l'a décrit Karl Popper, « pour maintenir une société tolérante, la société doit être intolérante à l'intolérance. »
Le "seuil de tolérabilité" de tel individu ou groupe ne se mesure pas au degré de tolérance ou de non-tolérance dont il fait preuve, mais plutôt à la menace effective qu'il représente. Selon Popper, nous devrions revendiquer le droit d'interdire une action intolérante, si et seulement si, elle met en péril les conditions de possibilité de la tolérance.
Question subsidiaire : qui détermine le  "seuil de tolérabilité" et sur la base de quels critères ... ?

Ozias


Bonus...

Sources et articles relatifs :

https://www.arretsurimages.net/articles/charlie-hebdo-raciste-un-ancien-accuse-article11

https://gerflint.fr/Base/Chine2/demorgon.pdf

https://www.franceculture.fr/philosophie/doit-encore-tolerer-trump-ou-le-paradoxe-de-la-tolerance-applique-au-president-des-etats-unis

https://www.lemonde.fr/sante/article/2021/11/03/vapotage-les-vrais-millions-des-fausses-organisations-de-consommateurs_6100830_1651302.html

https://www.medecinsdumonde.org/fr/qui-sommes-nous/reduction-des-risques-rdr

https://images.math.cnrs.fr/La-bande-que-tout-le-monde-connait.html

Pour prolonger la réflexion : Dualisme et dualité :

https://fr.wikiversity.org/wiki/Concept_de_Dualit%C3%A9

https://fr.wikipedia.org/wiki/Dualisme_(philosophie)

lundi 8 novembre 2021

Toxicophobie


La toxicophobie se définit comme la stigmatisation juridique et morale des usagers et des usages de drogues. 

Il existe tout un corpus de poncifs au sujet des usagers de drogues et des toxicomanes validé médiatiquement autant qu'institutionnellement: les 'toxicos' seraient tou-te-s des menteurs/euses, des manipulateurs/trices, des pervers-es, des psychopathes, des gens indignes de confiance. Le but est d'inspirer de la honte aux usagers ainsi que la honte des usagers afin de dissuader ceux qui pourraient être tentés de consommer.
 
Aux yeux de la loi, comme de la majeure partie de l'opinion, le consommateur de drogues ne peut être perçu que comme comme un délinquant ou un malade. C'est l'image que répètent tous les films où des junkies en manque vendent père et mère pour une dose, où les fumeurs de crack assassinent, les fumeurs d'herbe tournent mal, et les amateurs de LSD finissent fous ou défénestrés. Au quotidien les journaux de province n'hésitent pas à faire un couplet sur l'automobiliste qui 'conduisait sous l'emprise de stupéfiants'  3 jours après avoir fumé un joint plutôt que sur celui qui s'est fait arrêter avec 2g d'alcool dans le sang.  Notons d'ailleurs que l'appellation de 'toxicomane' ne concerne pas les utilisateurs des psychotropes légaux nocifs et addictifs, que sont l'alcool et le tabac.

Le premier effet de la toxicophobie est d’invisibiliser les usagers de stupéfiants.
La majorité des usagers de stups et des toxicos est invisible. Elle ne se dit pas, ne se montre pas, car elle a très bien intégré la toxicophobie ambiante. Elle n’a le droit à aucune espèce de forme de réunion, de revendication, puisqu’elle n’a tout bonnement pas le droit d’exister.
La première conséquence est un manque de soins par peur des conséquences pénales en cas d'overdose, ou la peur du jugement du médecin traitant en cas de désagréments ou pour de simples informations. Le consommateur vit en permanence avec une épée de Damoclès au dessus de la tête et tant que la consommation sera criminalisée, son come-out est impossible à cause du risque d'être poursuivi, ou socialement ostracisé.  

Finalement, là où la vindicte populaire croit discriminer et mépriser la catégorie des usagers de drogues (ce qui est ouvertement légitimé), elle s’ acharne surtout -et comme d’ habitude- surtout sur la catégorie de ceux qui n’ont pas les moyens matériels de se cacher, de s’entretenir, et de s’intégrer.
Ceux qui sont 
sont le plus punis sont les plus démunis : les étrangers en situation irrégulière, les sans abris, les “accidentés” de la vie et les inadaptés du système.
Cette situation fait le bonheur de la politique du chiffre l’usage de stupéfiant constitue une proportion déraisonnable de l’activité policière tout en se tenant au service d'intérêts  politiques. La politisation des thèmes sécuritaires est une plaie. Ceux qui n'y connaissent rien imposent leur point de vue et leurs idées simples (taper toujours plus fort) alors que les solutions sont connues de tous les professionnels et par ceux qui sont concernés. 

La lutte contre la drogue et par extension contre les drogués, est en fait responsable de bien des méfaits qu’on attribue aux drogues elles-mêmes... L' esprit toxicophobe et prohibitionniste provoque bien plus de dégâts que les produits eux-mêmes.  Les politiques prohibitionnistes, qui consistent à rendre impossible la vie des usagers, ont fait énormément de tort. La criminalisation des consommateurs est une grossière erreur qui persiste en France. Il y a tellement d’exemples de la toxicité de ces politiques. Par exemple, aujourd’hui, quand on arrête une personne qui consomme de la drogue, elle peut en garder une trace dans son casier judiciaire pendant des années, cela l’empêche d’obtenir un job et de suivre le cours d'une vie normale. Combien de fugues d'adolescents, de séparations, d'overdoses évitables, de maladies ou de dépendances non traitées peut-on mettre au compte de la prohibition ?
Mieux vaudrait se tourner du côté de pays comme la Suisse, le Portugal, le Luxembourg qui adoptent une politique de réduction des risques pragmatique et bien plus efficace que le sacro saint "zéro tolérance".

Plus en amont, il y a énormément de biais dans la recherche scientifique. On fait dire aux données des choses que les données ne disent pas, notamment en ce qui touche aux comportements des consommateurs et aux problèmes physiologiques engendrés par les drogues. De nombreux scientifiques qui étudient les substances psychoactives exagèrent régulièrement l'impact négatif que la consommation de drogues récréatives a sur le cerveau. Ils taisent en revanche les effets bénéfiques que la consommation peut avoir (automédication, compensations). Ces scientifiques n'osent pas partager une telle perspective par peur des répercussions sur leur capacité à obtenir des subventions.
Dans son livre 'drugs for grown-up' (des drogues pour les adultes) Le neuro-scientifique Carl Hart dénonce les effets pervers de la criminalisation ainsi que les biais de la recherche sur l'usage des drogues.

La toxiphobie est si répandue, qu'on la retrouve retrouve au sein même des communautés d'utilisateurs. Par exemple, en milieux festifs, les injecteurs et les utilisateurs d'opiacés sont plutôt mal venus. On remarque le même phénomène quand il est question de la légalisation du cannabis, où de nombreux partisans distinguent 'drogues douces' et 'drogues dures'. Bref, la drogue des autres est toujours celle qui craint et qui fait peur.

Toute question liée à la drogue est actuellement traitée au travers d’un prisme idéologique qui diabolise sa consommation. Cela nous empêche de réfléchir correctement. Le simple fait de consommer des drogues ne constitue pas un risque ou un préjudice en soi. En réalité il n'existe que des produits et des personnes ayant chacun leurs caractéristiques et une histoire qu'il nous faut connaître avant de pouvoir juger.

Ozias


Un texte de référence:
http://sociologie-narrative.lcsp.univ-paris-diderot.fr/IMG/pdf/toxicophobie_mon_amour_anonyme_.pdf

Un blog sensible et documenté:


EGUS 2021

Cinquante ans de répression : bila, OFDT 

Médecine et réduction des risques

samedi 2 octobre 2021

Champignons fantastiques

Les champignons dans les imaginaires collectifs :

Article référent : https://publicdomainreview.org/essay/fungi-folklore-and-fairyland

James Sowerby's English Mushrooms (1803).
 The mushrooms 1, 2, and 3, are all liberty caps
Que ce soient les ronds de sorcière de champignons dans les prés ou bien Alice au Pays des Merveilles, les champignons sont volontiers associés au surnaturel et au féérique dans l'art et la littérature. Cela proviendrait il d'une connaissance ancienne des pouvoirs hallucinogènes des champignons ? 
Cet article de Mike Jay s'intéresse aux premiers trip reports dus aux champignons, et comment un champignon, en particulier, est devenue symbole du romantisme féérique victorien.

Psylocibes liberty caps
Le premier trip report avec psilo vient de Green Park à Londres le 3 octobre 1799. Comme cela arrive parfois encore, c'était par accident. 
Un homme nommé « J. S. » avait l'habitude de cueillir de petits champignons dans un parc et d'en préparer du bouillon pour sa jeune famille. Mais ce matin-là, une heure après le bouillon, tout a commencé à devenir étrange. J. S. a remarqué des taches noires et de drôles d'éclairs de couleur interrompant sa vision; il se sentait désorienté et avait des difficultés à se tenir debout et à se déplacer. Toute la famille se plaignait de crampes d'estomac et d'avoir les extrémités froides et engourdies. L'idée d'un empoisonnement aux champignons lui vint à l'esprit. Il partit titubant dans la rue pour chercher de l'aide, mais cent mètres après, il avait oublié où il allait, et fut retrouvé errant et dans un état totalement confus. Everard Brande, médecin prit en charge J. S. et sa famille. La scène dont il était témoin était si inhabituelle qu'il l'a longuement décrite puis publiée quelques mois plus tard dans The Medical and Physical Journal : "Respiration laborieuse, retournant périodiquement à la normale avant de s'accélérer dans une autre crise. Tous étaient obsédés par la peur de mourir, à l'exception du plus jeune, le fils de huit ans dont les symptômes étaient les plus étranges de tous. Il avait mangé une grande partie des champignons et était « attaqué de fous rires immodérés " que les menaces de ses parents ne parvenaient pas à maîtriser. Il semblait comme transporté dans un autre monde, d'où il ne revenait que  pour dire des bêtises rapport à ce qui lui avait été demandé ".
C'était une intoxication aux Psilocybe semilanceata, autrement appelés 'liberty caps', des  «champignons magiques » qui poussent un peu partout en Grande-Bretagne chaque automne. 

L'illustrateur botanique James Sowerby, qui rédigeait son ouvrage phare Colored Figures of English Fungi or Mushrooms (1803), a spécialement rendu visite à J. S. pour identifier l'espèce en question. L'illustration de Sowerby (en tête de cet article) montre 3 Liberty caps, et une espèce similaire d'apparence  du genre Stropharia. Dans sa note d'accompagnement, Sowerby souligne que c'est la variété à tête pointue («avec le pileus acuminé») qui «s'est presque avérée fatale à une famille de Piccadilly, à Londres, ayant commis l'imprudence d'en consommer en quantité pour son repas".

  Omniana , un dictionnaire de choses naturelles, publié en 1812, décrit un « champignon commun, qui représente si exactement le poteau et le bonnet de la Liberté qu'il semble offert par la Nature elle-même comme l'emblème approprié du républicanisme gaulois ». Le bonnet phrygien porté par les esclaves affranchis dans l'empire romain, est devenu une icône de la liberté politique à travers les mouvements révolutionnaires des XVIIe et XVIIIe siècles. On retrouve ce bonnet de la liberté hissé au sommet de mâts dans l'iconographie révolutionnaire . Il aussi apparaît sur une médaille battue pour commémorer le 4 juillet 1776, sous la bannière LIBERTAS AMERICANA, et il a été porté pendant la Révolution française par les sans-culottes comme signe de ralliement. Ce sont ces ressemblances et non les propriétés psychoactives du champignon, qui ont conduit le baptiser "Liberty cap" (bonnet de la liberté).


Les aventures d'Alice témoignent elles d'une auto-expérimentation des champignons hallucinogènes ?

Au XIXème siècle, parallèlement à un intérêt scientifique croissant pour les toxiques et hallucinogènes, tout un corpus de traditions féeriques associait les champignons vénéneux aux elfes, aux lutins, à un monde peuplé d'esprits de la nature. Les ressemblances de ce monde avec celui engendré par les plantes psychédéliques des cultures Amérindiennes,  qui utilisent les champignons à psilocybine  depuis des millénaires, sont flagrantes. 

Sous son apparence innocente l'iconographie féerique victorienne conduirait elle à une tradition cachée des connaissances psychédéliques ? Lewis Caroll, par exemple – était-il conscient du pouvoir de certains champignons  ?  Peut-être a t'il même écrit à partir d'une expérience personnelle ?
Les scènes "psychédéliques" d'Alice sont très célèbres. Alice, au fond du terrier du lapin, rencontre une chenille assise sur un champignon, qui lui dit d'une « voix langoureuse et endormie » que le champignon est la clé pour naviguer dans son étrange voyage : « un côté vous fera grandir, l'autre côté vous fera devenir plus petit ». Alice prend un morceau de chaque côté du champignon et entame une série de transformations vertigineuses de taille, s'élançant dans les nuages ​​avant d'apprendre à maintenir sa taille normale en mangeant des bouchées alternées. Tout au long du reste du livre, elle continue de manger du champignon : pour entrer dans la maison de la duchesse, approcher le domaine du Lièvre de Mars, et, point culminant, avant d'entrer dans le jardin caché avec la clé d'or.

Depuis les années 1960, Alice au pays des merveilles est considéré comme un guide ésotérique des mondes psychédéliques - le plus célèbre illustration en est la chanson de Jefferson Airplane "White Rabbit" (1967), qui évoque le voyage d'Alice comme une découverte de soi où les conseils obsolètes des parents sont transcendés par des conseils reçus de l'intérieur en "nourrissant votre conscience". Mais cette interprétation est souvent critiquée par les spécialistes de Lewis Carroll. Pourtant les drogues et les états de conscience modifiés exerçaient une fascination sur L.Carroll qui lisait beaucoup sur le sujet. Cet intérêt était stimulé par sa propre santé délicate - insomnie et migraines fréquentes - qu'il traitait avec des remèdes dérivés de plantes psychoactives telles que l'aconit et la belladone. Sa bibliothèque comprenait des livres sur les plantes ainsi que des textes sur les drogues psychotropes, notamment le recueil complet de F. E. Anstie, Stimulants and Narcotics (1864). Il fut aussi très intrigué par la crise d'épilepsie d'un étudiant d'Oxford à laquelle il était présent, et en 1857, il visita l'hôpital St Bartholomew à Londres afin d'assister à une anesthésie au chloroforme, une nouvelle procédure qui avait attiré l'attention du public quatre ans auparavant lorsqu'elle a été administrée. à la reine Victoria pendant l'accouchement. 
L'érudit Michael Carmichael a démontré que, quelques jours avant de commencer à écrire Alice, L.Carroll a fait son unique visite à la bibliothèque d'Oxford, où une copie de l'enquête sur les drogues récemment publiée par Mordecai Cooke "Les Sept Sœurs du sommeil (1860)" venait d'être déposée. L'exemplaire d'Oxford de ce livre a encore la plupart de ses pages non coupées, à l'exception de la table des matières et du chapitre sur l'amanite tue-mouche, intitulé « L'exil de Sibérie ». Carroll s'intéressait aussi particulièrement à la Russie et c'est l'unique pays qu'il ait jamais visité en dehors de la Grande-Bretagne. Et, comme le dit Carmichael, Carroll « aurait été immédiatement attiré par les Sept Sœurs du Sommeil  pour une raison évidente : il avait sept sœurs et il fut insomniaque toute sa vie » !

Avec le romantisme, l'intérêt pour les cultures traditionnelles s'était étendu à tout le folklore européen. Une nouvelle génération de collecteurs, comme les frères Grimm, se rendit compte que l'exode rural effaçait avec une rapidité alarmante des siècles d'histoires folkloriques, de chants et d'histoires orales.  La tradition féerique victorienne était imprégnée d'une sensibilité romantique pour laquelle les traditions rustiques n'étaient point grossières et arriérées mais pittoresques et presque-sacrées, une évasion de la modernité industrielle vers une ancienne terre d'enchantement paganique. Ce vieux fond de traditions païennes permettait aux artistes d' explorer avec audace des thèmes sensuels. C'est alors que fleurirent les images d'elfes vivant sur les champignons jusqu'à devenir emblématiques du monde féérique victorien.

Amanita Muscaria
Mais finalement le champignon star du pays des merveilles ne fut pas le liberty cap mais la plus spectaculaire amanite tue-mouche  (Amanita muscaria). L'amanite tue-mouches est psychoactive aussi mais contrairement au Liberty Cap, qui délivre de la psilocybine, l'amanite contient un mélange d'alcaloïdes - muscarine, muscimol, acide iboténique - aux effets plus imprévisibles et toxiques. 


Au XVIIIe siècle, des explorateurs suédois et russes ont rapporté de Sibérie des récits sur les chamanes, leur possession par les esprits et la prise d'amanites ; mais c'est un polonais nommé Joseph Kopék qui le premier, en 1837, a publié le récit de son expérience avec l'amanite tue-mouches.

Vers 1797, après avoir passé deux ans au Kamtchatka, Kopék tomba malade avec de la fièvre et un habitant lui parla d'un champignon « miraculeux » qui le guérirait. Il manga la moitié d'une amanite et tomba dans un rêve intense. « Comme magnétisé », il fut entraîné à travers « les plus beaux jardins où seuls le plaisir et la beauté semblaient régner » ; de belles femmes vêtues de blanc le nourrissaient de fruits, de baies et de fleurs. Il s'est réveillé après un sommeil long et réparateur puis a pris une seconde dose plus forte qui l'a précipité dans le sommeil lui laissant le sentiment d'un voyage épique dans un autre monde. Il revit des pans de son enfance, retrouva des amis de toute sa vie et prédit même  l'avenir avec une telle confiance qu'un prêtre fut appelé pour en témoigner. Il conclut l'expérience avec ce défi à la science : « Si quelqu'un peut prouver que l'effet et l'influence du champignon sont inexistants, alors je cesserai d'être le défenseur du champignon miraculeux du Kamtchatka ».

Vous voudrez peut être, vous aussi, en apprendre plus sur ces champignons fantastiques voici quelques sites qui m'ont paru intéressants:

Plus sur l'amanita muscaria (amanite tue-mouche):

Le site d'une spécialiste de l'amanite muscaria:

https://www.amanitadreamer.net/

Un brevet sur la décarboxylation (c'est du sérieux, mais reste à savoir comment ça marche et pour ça faudra essayer !...)

https://patents.google.com/patent/US20140004084A1/en

Une société (secrète ?) spécialiste du champignon :

https://vdocuments.net/amanita-muscaria-herb-of-immortality-donald-e-teeter.html

A propos du microdosage de l'amanite tue-mouches

https://psychedeliques.home.blog/2020/04/23/decoction-et-microdosing-damanite-tue-mouche-recette-damanita-dreamer/

En tout cas, la puissance du champignon ne fait pas de doute. Mieux vaut se tenir à l'écart d'un tel champignon quand on ne connait ni les doses ni les effets ! Be safe !!

Plus sur les psilocybes lancéolés (liberty caps) ou psilocybe semilanceata

Un article de synthèse sur ce blog https://emagicworkshop.blogspot.com/2022/10/mycologie-doctobre.html

Comment les identifier ???

https://www.youtube.com/watch?v=OkdWanAy3r8

Où poussent ils et quand ? 

https://www.magicmushroommap.com/

Bravo pour votre intérêt mycologique pour ces deux champignons fantastiques. Je rappelle que le ramassage et la consommation des liberty-caps sont interdits en France et que l'amanite tue-mouche est une champignon toxique, même à faible dose . Be sharp ! keep safe !!

Ozias

dimanche 27 juin 2021

L'art visionnaire psychédélique

Souvent considérées comme ineffables, les expériences psychédéliques sont illustrées par de nombreux artistes de l'art visionnaire. Voici quelques exemples de ce qui se fait et qui me rappelle des décors que j'ai traversé avec les psychédéliques.

DMT. Illustrations par Yumaeda. https://www.yumaeda.com/




DMT waiting room
Alvar Gullichsenhttp://www.alvargullichsen.org/


A DMT jester. By Incedigrishttps://www.incedigris.com/


DMT Jesters. Harry Pack. https://www.harrypackart.com/


Mescaline. Rick Jacobi . https://www.facebook.com/rickjacobiart


Psilocybine. Samuel Farrand. https://www.tetramode.com/pages/samuelfarrand


Changa + Cannabis. Illustrations par Salviadroïd. https://www.salviadroid.com/

LSD. Cate Farrand. https://www.pinterest.fr/catefarrand/



Et bien sûr, DMT visions by Alex Grey. https://www.alexgrey.com/



DMT encore, voici les visions de Ben Ridgway




DMT encore, Jonathan Solter



Inconnus qui me parlent

samedi 5 juin 2021

Avancer en âge et consommer des drogues

Le vieillissement entraîne de nombreux changements et implique la mise en place de processus de réadaptation. Le processus de séparation-individuation, largement poursuivi à l’adolescence avec l’acquisition d’une identité stable et d’un rôle social, n’est jamais achevé. Il s’agit d’un processus dynamique, qui se réactive notamment chez le sujet âgé. En effet, le vieillissement amène des pertes progressives d’énergie, de capacités, de rôles et de relations. 
La fin de la vie active est aussi le temps de la fin des conventions sociales et des responsabilités.

Ces changements peuvent altérer l’image de soi et l’image que les autres renvoient. Cette image est directement liée à la relation que les sujets âgés entretiennent avec autrui et au rôle endossé par chacun (rôle de parent, d’ami, etc.).
Or toute personne cherche à maintenir son rôle et la perte de celui-ci inhérente au vieillissement entraîne nécessairement un état de frustration, voire de dépression. Dans de nombreuses situations, l
es addictions peuvent combler un vide social ou permettre un court-circuitage d’une pensée trop douloureuse.

A l’évidence, les problèmes de drogues ne concernent plus aujourd’hui uniquement les 
« jeunes ». Ce phénomène prend de l'ampleur car les plus de 65ans, dont beaucoup ont découvert les drogues au cours des années 70's, sont démographiquement de plus en plus nombreux : En 2020, 20% des Français ont dépassé l'âge de 65ans. 
Les personnes âgées sont des usagers fréquents et réguliers de drogues délivrées sur ordonnance ou en vente libre. Les plus de 65 ans consomment environ un tiers de toutes les drogues prescrites sur ordonnance, dont souvent des benzodiazépines et des analgésiques opiacés. Les femmes âgées sont plus susceptibles que les hommes de se voir prescrire des médicaments psychoactifs et d’en abuser; elles ont également un plus fort risque que les autres classes d’âge d’abuser de médicaments délivrés sur ordonnance. 

Les usagers réguliers de drogues festives vieillissent eux aussi et peuvent s’exposer à davantage de complications avec l’âge. Les sujets plus âgés métabolisent les drogues plus lentement et, avec l’âge, le cerveau peut être plus sensible à leurs effets. De nombreuses substances stimulantes peuvent induire des changements dans le fonctionnement des récepteurs cérébraux, posant la question de leurs effets à long terme. Ces incidents peuvent interagir avec d’autres processus pour accélérer leur progression ou accroître la gravité des déficiences neurocognitives qui accompagnent le vieillissement. 
Les problèmes de comorbidité devraient aussi être davantage pris en considération dans le traitement des patients âgés. Les usagers de dogues âgés peuvent souffrir, par exemple, de pathologies chroniques, notamment au niveau du foie à la suite d’une infection chronique par le virus de l’hépatite C, ou de maladies liées au virus d’immunodéficience humaine (VIH) (maladies opportunistes).  Enfin, beaucoup d'usagers séniors sont sous traitement médical chronique suite à des problèmes de d'hypertension, cardio-vasculaires, diabète ou autres. Pour eux se pose non seulement la question des risques liés à leur condition mais aussi celle des interactions entre leurs produits et leurs traitements.

Face aux notions d’abus ou de dépendance, cette population âgée se distingue de la population générale par différentes particularités : clinique, applicabilité des critères diagnostiques, dépistage, etc. 
Il arrive aussi que des adultes âgés refusent d’admettre leur problème en raison de la stigmatisation qu’il entraîne dans leur classe d’âge. Les problèmes dans cette classe d’âge sont donc particulièrement susceptibles de passer inaperçus. 

Le vieillissement d’une partie de la population des usagers de drogues va soulever de plus en plus de nouvelles questions en termes de santé publique. Compte tenu de la difficulté à trouver des médecins formés et ouverts à ces sujets, une démarche d'autosupport des usagers concernés est nécessaire pour répondre dans un premier temps aux questions de notre première vague de séniors consommateurs de produits. Des traitements appropriés et efficaces doivent être adaptés aux besoins spécifiques des consommateurs de substances âgés, en dépit du peu de connaissances actuellement disponibles sur ce groupe de patients. Cela pourrait impliquer de modifier les formes de traitement actuelles, ou d’en développer de nouvelles, plus attentives aux conditions de comorbidité auxquelles sont exposés les sujets âgés.

D'après Observatoire Européen des Drogues et de la Toxicomanie (2018), Sujets âgés et substances psychoactives : état des connaissances C. Marquette

Le plus récent : une étude belge par Eurotox

Voici sur ce sujet un article de Pascal MENECIER, médecin addictologue, docteur en Psychologie Centre Hospitalier de Mâcon & Université Lumière Lyon 2, laboratoire Diphe
pamenecier@ch-macon.fr. Addictaide mai 2021.
https://www.addictaide.fr/usage-de-drogues-chez-les-personnes-agees-une-epidemie-cachee

Usage de drogues chez les personnes âgées : une épidémie cachée !

Le rapport 2020 de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) émanant des Nations Unies, publié fin mars 2021, comporte un chapitre consacré aux personnes âgées. C’est une première internationale que d’envisager les ainés comme priorité de santé publique en addictologie, même si certains pays peuvent apparaitre pionniers par leurs initiatives (Québec, Suisse, Royaume-Uni…).

Dans son introduction générale, le président de cette instance (Cornelis P. de Joncheere), souligne que 2020 a été marquée par la pandémie de maladie à coronavirus, avec « une incidence disproportionnée sur le bien-être des personnes âgées, ce groupe de population est également touché par une épidémie cachée, liée à l’usage de drogues ».

Le rapport souligne que l’accroissement des durées de vie « s’accompagne d’une vulnérabilité accrue à la consommation des drogues et à la dépendance à la drogue », observant une augmentation du nombre des personnes âgées recevant un traitement pour des troubles liés à cet usage. Au regard de cela « L’OICS recommande de faire mieux connaitre cette épidémie cachée et de faire en sorte que ce groupe de population souvent négligé, ait accès aux services nécessaires à sa santé et son bien être » (Nations Unies, 2021).

Contexte épidémiologique
Les personnes âgées, envisagées après 65 ans dans le rapport, représentaient 6 % de la population mondiale en 1990, pour atteindre 9 % en 2019 et devraient tendre vers 16 % en 2050 selon les Nations Unies. La définition de personnes âgées parmi les usagers de drogues est beaucoup plus variable, pouvant débuter dès 35, 40 ou 50 ans… (Nations Unies, 2021).

« Les personnes âgées sont particulièrement susceptibles de faire usage de drogues et d’en être dépendantes » (Nations Unies, 2021), reprenant diverses formulations de la littérature spécialisée, ce rapport souligne la vulnérabilité aux addictions des ainés, alors que la vieillesse n’en prémunit d’aucunes, reconnaissant que « le sujet âgé devient un candidat naturel aux addictions » (De Brucq, 2008).

Le nombre de personnes âgées recevant des traitements pour des troubles liés à l’usage de substance a augmenté ces dernières années, surtout en pays à revenu élevé, ce qui a souvent été mis en lien avec le vieillissement des générations du baby-boom. Les ainés mésusant de substances avaient été considérés comme devant doubler entre 2000 et 2020 aux États-Unis (Han, 2009).

Devant le peu de données épidémiologiques entre gérontologie et addictologie, alors que beaucoup d’études s’arrêtent à 65 ans, ce texte formule l’hypothèse d’une tendance à négliger ces personnes, reflétant « les attitudes qui prévalent à l’égard de ces personnes dans la société », citant les notions d’âgisme et de stigmatisation (source d’exclusion sociale) des personnes âgées usant (ou mésusant) de drogues (Nations Unies, 2021). Le rapport reprend alors le terme d’épidémie silencieuse, pour une épidémie nationale (aux États-Unis) (Knauer, 2003) mais silencieuse (Sorocco, 2006) initialement associée aux développements des troubles de l’usage d’alcool chez les ainés.

Substances considérées
Le rapport de l’OICS envisage sous la notion de drogues les substances illicites, dont le cannabis et les médicaments (analgésiques ou tranquillisants, entre usages non médical et mésusage) (Nations Unies, 2021). Alcool et tabac n’apparaissent pas dans l’acception retenue de la notion de drogue.

La prévalence annuelle d’usage de cannabis apparait la plus en essor parmi les 55-64 ans, avec ensuite une évolution proche constatée pour la cocaïne. Aux États-Unis chez les plus de 65 ans, entre 2012 et 2019, la prévalence d’usage de cannabis au cours de l’année écoulée a plus que quadruplé (de 1,2 % à 5,1 %), alors que l’usage non médical ou le mésusage d’analgésique a doublé (de 0,8 % à 1,7 %) … Les autres substances semblent moins avoir changé de place (cocaïne, hallucinogènes…) malgré l’absence de présentation d’analyse statistique et l’absence de considération de l’alcool ni du tabac… (Menecier, 2020).

Si la question des produits illicites (variablement envisagée selon les Etats, notamment à propos du cannabis), semble commencer à apparaitre plus précisément que ce qui a été redouté depuis longtemps sans objectivation si ce n’est pour le cannabis en milieu urbain au Royaume-Uni (Fahmy, 2012), c’est aussi à propos des médicaments que ce rapport veut alerter. « Aux États-Unis, les personnes de 65 ans et plus représentent plus de 10 % de la population totale ; or, elles sont à l’origine de 30 % des prescriptions médicales ».

Addictions du sujet âgé
Diverses spécificités des conduites addictives de sujets âgés sont ensuite passées en revue, autour des âges de début du mésusage, des liens avec les polypathologies et pathologies chroniques dont la fréquence s’accroit avec l’âge, ou la gestion complexe des douleurs chroniques chez les ainés.

Les conséquences de l’usage de drogues considérées (avant même de parler d’addiction) sur la santé de ces personnes sont listées : risque accru de décès par maladie, surdose et suicide, mortalité plus précoce, apparition prématurée de maladies chroniques, risque d’infections virales (VHC, VIH), exacerbation de maladies associées à l’âge, risque majoré de chutes fractures, blessures et accidents, altération des capacités à effectuer les actes de la vie quotidienne, risque de surdose/surdosage avec malaise ou confusion, incidence accrue de troubles en santé mentale…

Les conséquences sociales ne sont pas oubliées : stigmatisation source de sentiment de honte limitant l’accès aux soins, incidence augmentée de problèmes financiers…, isolement social (solitude et exclusion).

Recommandations de l’OICS
Au regard de ces constats, explicites et diffusés pour une population rarement priorisée en addictologie, diverses recommandations apparaissent : élargir les tranches d’âge des études épidémiologiques, améliorer l’évaluation et la surveillance des médicaments soumis à prescription, lutter contre la stigmatisation, développer des soins dans une « offre de prise en charge intégrée, holistique et adaptée à l’âge ».Ce qui tend à éviter une surspécialisation des offres de soins pour favoriser la possibilité de « traiter conjointement plusieurs problèmes, par exemple de santé physique, de santé mentale et de dépendance à la drogue ».

La place du repérage est enfin abordée, recommandant « de procéder au dépistage et à l’évaluation de l’usage de drogues chez les personnes âgées » (Nations Unies, 2021).

En France
Si différents pays sont cités dans le rapport pour des initiatives d’évaluation, de développement d’offres de soins ou de programmes en santé publique, la France n’apparait pas…

Pour autant le sujet n’est pas absent des préoccupations, apparaissant dans la littérature addictologique ou gérontologique, avec des recommandations autour de la consommation d’alcool chez les personnes âgées en 2014 issue de sociétés savantes (SFA-SFGG 2014). En 2021 débute un groupe de travail sous l’égide de l’HAS sur la « Prévention des conduites addictives et réduction des risques et des dommages en établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS)[1] », ciblant pour partie les personnes âgées.

Cette préoccupation mériterait (ensuite et dans un autre cadre) de considérer la population âgée générale du domicile, largement majoritaire, en développant une action (et un programme national) de santé publique ouvert à toutes les substances psychoactives et toutes les formes de vieillissement et de vieillesse.

« L’addiction n’est pas plus rose quand on a des cheveux blancs » (Dubreuil, 2011) et « il n’est jamais trop tard » pour intervenir (AA, 2002), sont deux références pouvant guider un tel projet.

Pascal MENECIER,
pamenecier@ch-macon.fr. Addictaide mai 2021.



Le cas des personnes sous TSO (Traitement de substitution aux Opiacés)

La France est un pays marqué par la consommation des opiacés, addiction qui une fois en place, conduit souvent à une longue « carrière » de consommateur. L’introduction des traitements de substitution n’a fait que renforcer ce processus de vieillissement en fidélisant les usagers de drogues auprès du système de soins et en contribuant à diminuer les décès par surdose. Compte tenu de l’efficacité grandissante des programmes de substitution par la méthadone et autres conduisant au maintien des patients sous traitement et à la réduction des décès par surdose, le nombre de ces sujets plus âgés va augmenter peu à peu. En Europe, le pourcentage de patients répertoriés âgés de 40 ans et plus, traités pour dépendance aux opiacés, a plus que doublé entre 2002 et 2005 (passant de 8,6 à 17,6 %).

Les médecins généralistes qui suivaient les anciens patients substitués depuis deux décennies partent petit à petit à la retraite, tout comme les pharmaciens qui les approvisionnaient. Les jeunes médecins qui les remplacent manquent souvent d'expérience et de formation aux sujet des TSO. De même, les pharmacies qui acceptent de délivrer des traitements de substitution (TSO) ne sont pas légion.  Les jeunes pharmaciens nouvellement installés refusent de prendre en charge ces prescriptions, ignorant même souvent de quoi il est question. Il est temps que les autorités sanitaires se mettent à penser à une succession du personnel soignant susceptible ou disponible pour prescrire et délivrer leurs traitements aux vieux rescapés de l'héroïne des années 80. (Olivier Doubre ASUD).

Concernant les soins dentaires, une attention particulière doit être apportée aux personnes en traitement de substitution aux opiacés quand elles sont amenées à diminuer, voire à arrêter, leurs traitements. La réduction des opiacés peut laisser émerger des douleurs latentes (pulpites par exemple)

Une étude sur la fomation des médecins généralistes aux opiacés (2017) https://hal.univ-lorraine.fr/hal-01932049/document

Age et drogue : quels risques ?

Cannabis

https://www.santelog.com/actualites/drogues-lusage-du-cannabis-explose-chez-les-seniors

Cocaïne

https://www.santelog.com/actualites/cocaine-elle-accelere-considerablement-le-vieillissement-du-cerveau

Benzodiazépines

http://www.santecom.qc.ca/BibliothequeVirtuelle/MSSS/2550358899.pdf


Articles à propos de l'usage de drogue chez les personnes âgées :

https://www.incb.org/documents/Publications/AnnualReports/AR2020/Annual_Report_Chapters/04_AR_2020_Chapter_I.pdf

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22491805/

https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2010-3-page-161.htm

https://www.emcdda.europa.eu/attachements.cfm/att_50566_FR_TDAD08001FRC_web.pdf

https://www.todaysgeriatricmedicine.com/archive/071708p20.shtml

https://www.socialworktoday.com/archive/012312p8.shtml


Psychédéliques et vieillissement

https://psychedelic.support/resources/older-adults-and-psychedelics/
https://www.binasss.sa.cr/mar22/23.pdf

SUJETS ÂGÉS ET SUBSTANCES PSYCHOACTIVES : ÉTAT DES CONNAISSANCES C. Marquette, Morgane Guillou-Landreat, Marie Grall-Bronnec, O. Vermeulen, Jean-Luc Vénisse De Boeck Supérieur | « Psychotropes » 

dimanche 18 avril 2021

Fractales

Le mot "fractale" vient de l'adjectif latin fractus qui signifie irrégulier ou brisé.
Un objet fractal possède au moins l'une des trois caractéristiques suivantes :

 Il a des détails similaires à des échelles arbitrairement petites ou grandes; 
Il est trop irrégulier pour être décrit efficacement en termes géométriques traditionnels;
 Il est exactement ou statistiquement autosimilaire, c'est-à-dire que le tout est semblable à une de ses parties. 

Ce que j'aime avec les fractales, c'est qu'elles produisent des images qui dépassent l'imagination. Des figures inouïes où, comme dans la vie, l'ordre et le chaos co-existent. Les fractales sont à l'image de la création. 
 A partir d'une formule élémentaire réitérée un nombre immense de fois, on obtient un résultat à la fois déterministe et chaotique.  Par cette faculté à générer des formes inimaginables, les fractales apportent une explication aux torrents de visions géométriques ou organiques que l'on peut avoir avec la prise de drogues psychédéliques. L'hyper-espace cher aux psychonautes pourrait n'être qu'une visualisation faite de géométries hyperboliques et de constructions fractales rendues possible par la modification de notre état de conscience. 
En tout cas les fractales me semblent être des tests de Rohrschach, tout le monde peut y voir quelque chose de différent, comme les taches d'encre.

Les fractales : dans la nature et dans les mathématiques

Les suites mathématiques modélisent de nombreux phénomènes de « croissance sous contrainte », comme , par exemple l'évolution d'une population de bactéries avec un quota de nourriture donné : La population croit, consomme la nourriture, puis décroit et finalement se stabilise, ou pas, autour d'une ou plusieurs valeurs.  
En géométrie euclidienne, les dimensions données sont exclusivement entières. Un tronc d'arbre ressemble à un cylindre, une orange à une sphère. Mais la géométrie Euclidienne trouve ses limites quand on essaye de définir des formes plus complexes comme des montagnes, des nuages, ou même des choux-fleurs. Et c'est là que la géométrie fractale intervient. 
Les géométries fractales sont omniprésentes dans la nature et même dans l'Univers.
On peut les modéliser avec des équations récursives qui sont de la forme : Xn+1 = rX( 1-Xn). 


En mathématiques, l'ensemble de Mandelbrot est une fractale définie comme l'ensemble des points c du plan complexe pour lesquels la suite de nombres complexes définie par récurrence ci dessous est bornée (ne tend pas vers l'infini) :
En noir, l'ensemble des valeurs de z  pour lesquelles  converge.






Représentation graphique des fractales

Pour les fractales 2D il suffit de faire une itération pour chaque pixel de l’image. Si le point s’éloigne de l’origine il sera en dehors de l’ensemble et il reste à décider quelle couleur on donnera à ce pixel. On pourrait simplement colorer tous les pixels « en dehors » en blanc et les pixels « dedans » en noir, mais il y a beaucoup d’autres méthodes. On déclare un pixel comme « en dehors » si son module devient plus grand qu’un nombre qu’on a choisi à l’avance. Les méthodes pour colorer les pixels sont souvent basées sur un nombre d’itérations donné avant que le module ne devienne assez grand pour être déclaré « en dehors ».
Pour représenter un objet 3D, on doit penser à l’image comme un plan de projection. On choisit alors un point de vue virtuel et on tire des rayons de ce point de vue vers chaque point du plan de projection, donc vers chaque pixel de l’image. Pour chaque rayon, il faudra découvrir si le rayon rencontre l’objet fractal et, si oui, à quel endroit sur le rayon.

Pour comprendre tout ça, le mieux ici, est de lire l'article suivant :
http://images.math.cnrs.fr/Mandelbulb.html

Et finalement, voici quelques unes de mes découvertes faites à l'aide du logiciel Mandelbulb3D (et apophysis aussi) .

Ozias




















https://jeanbaptistehardy.info/fractals-architecture-french/