Traitements de substitution, prescripteurs et addicts : quoi qu'on puisse en penser, voici ce qu'en disent des 'pros' de la région grenobloise d'après trois extraits d'articles parus dans le Journal Français de Psychiatrie #43 : "l'addiction est elle devenue notre norme ?"
Gisèle Bastrenta (Psychologue clinicienne, CSAPA CHU de Grenoble, Psychanalyste)
p76
" Nous assistons actuellement à la mise en place de plateformes médicales ayant pour mission de prescrire la bonne molécule aux "addicts" et de les orienter vers des services sociaux ou autres pour ce qui concerne le reste. La nomenclature des addictions est infinie pour la simple et bonne raison que cette idéologie médicale repose sur un monde sans manque. La traque des plaintes et des souffrances humaines à simplement éradiquer relance la course des prescriptions de psychotropes et donne le jour à des files actives de zombies "stabilisés". ../...Des médecins et des psychiatres sont aujourd'hui formés comme prescripteurs et s'en tiennent à cette approche pharmaco-neurobiologique. Alcooliques, toxicomanes, obèses, anorexiques se voient proposer les bonnes molécules par ces prescripteurs avisés des dernières avancées en la matière. Le face à face et le jeu de miroir entre le prescripteur qui "sait" sur la bonne jouissance et le patient qui en veut et en redemande laisse inaugurer quelques conséquences pathétiques autour de ces liens à teneur de maîtrise, voire passionnels.
.../... Les toxicomanes, ces êtres réduits à la passion de l'objet de jouissance, voire à la jouissance du plus de jouir, risquent de donner du fil à retordre à des prescripteurs agissant dans le même champ qu'eux. Les liens de maîtrise autour des objets de jouissance dans cette pathologie peuvent s'illustrer par des rapports sado-masochistes où le maître du jeu sera celui des deux qui pourra aller jusqu'au bout, c'est à dire jusqu'à la mort ." "...ou pire".
Jérôme Lebaud (Psychiatre, psychanalyste, Ancien responsable du CSAPA du CHU de Grenoble)
p61
"Nous, [les psychiatres] ne sommes plus très certains de l'attitude transférentielle de ces patients [toxicomanes sous traitement de substitution], tant ils sont volatils ou bien utilitaires. Nous sommes, à cet endroit, le moyen pour qu'ils puissent bénéficier de leur traitement. Il y a bien sûr une certaine avidité. Ce n'est pas la même chose selon l'endroit où l'on va s'adresser. Ce rapport aux médicaments est d'ailleurs très particulier et m'amène à aborder la problématique de la substitution. J'ai pu connaître la période juste avant l'arrivée de la substitution, puis ces produits, substituts, produits d'émergence. Ceux-ci ont eu un effet indéniablement salvateur. Cela a permis à bon nombre de personnes de se tirer d'affaire, d'éviter de mourir trop tôt. On peut entendre cela comme un progrès sur la plan sanitaire et sur le plan social, mais peut-on dire que c'est forcément une bonne chose ?
Pour beaucoup, cela les plonge dans une routine, une certaine tranquillité, voire une absence au monde.
Bien sûr, ils vivent, ils communiquent, ils ont une famille, ils travaillent, mais l'expression de la question du désir reste lettre morte.
J'ai parfois l'impression d'avoir à faire à des organismes vivants, mais pas à des êtres vivants."
Yasmina Cheguettine/Céline Romeuf (Psychologue clinicienne/Educatrice spécialisée CSAPA Hauquelin, CHU Grenoble-Alpes) p91
"La réduction d'un sujet à la manie des toxiques a pour conséquences un mode relationnel basé sur la manipulation des autres et l'expression du manque. S'ils sont encore aptes à communiquer, ces patients sont asservis à un monde de signes, d'urgence (pulsionnelle) et de tricherie.../...
Le caractère régulier des soins, le rythme des rencontres visent à introduire de 'l'automaton' (pour Lacan, l'automaton est le support de la parole et du discours, ce qui tamponne la rencontre avec le réel, qui limite la jouissance), à remettre en route le défilé des signes, court-circuité par une rencontre avec le réel, celle de l'objet-drogue. Pour des sujets très fragilisés, cet 'automaton' doit être particulièrement étoffé, tissé.
La prise de toxiques induit peu de tolérance à l'angoisse. .[...] Court-circuité, le corps n'est plus un lieu d'éprouvé. Et tout accroc signifie le retour de l'angoisse : modification minime du traitement, oubli par le médecin de la mention 'non-substituable' sur l'ordonnance ou encore décalage dans le versement des allocations...
.../... Les liens de la parole avec une secrétaire, une assistante sociale, un éducateur, un psychologue, un médecin peuvent amener des patients à orienter progressivement leur parole non plus de manière compulsive mais structurée et bornée par l'éthique des professionnels."
Bref, "Frères humains, qui avec nous vivez, n'ayez point contre nous vos cœurs endurcis"
Tranche de vie.
Je fréquente cette pharmacie grenobloise depuis des années où j'achète régulièrement mes 28 jours de traitement dosé à 2mg. Le traitement (buprénorphine 2mg) est toujours prescrit par le même médecin, au même dosage (2x2mg/j). Samedi dernier, j'attends mon tour sagement en avançant de case sanitaire en case sanitaire. Muni de mon ordonnance, je me rends au guichet où m'accueille une vendeuse que je ne connaissais pas. Je lui passe la prescription, elle retrouve mes coordonnées dans son ordinateur et commence à me demander si j'habite toujours au même endroit. Puis, lisant l'ordonnance, elle remarque que le nombre de comprimés journaliers est bien mentionné, mais que le dosage n'y figure pas. Elle m'annonce alors qu'elle ne peut pas me servir, car le dosage doit être mentionné. Je lui fais remarquer que depuis des années je prends le même dosage : 2mg. Elle vérifie sur sa machine, constate que l'on m'a vendu dans la même pharmacie la même prescription un mois ou deux avant, me déclare qu'on aurait pas dû le faire et refuse de me servir. Elle me demande alors de retourner chez le médecin (fermé le samedi) et de lui faire rajouter le dosage en signant et datant la correction ou mieux, de faire une autre ordonnance. J'essaie de négocier, discrètement, elle me demande si c'est mon médecin traitant qui a fait l'ordonnance, et ne se prive pas de faire des remarques à son sujet. Par contre, elle acceptera me servir de l'alprazolam tout en remarquant que pour ce médicament non plus aucun dosage n'est indiqué sur l'ordonnance.
Bref, je repars, dépité. Mal à l'aise. Week-end de manque*.
Deux jours après, de retour dans la même pharmacie, avec la même ordonnance, mais une autre vendeuse je suis accueilli et servi Normalement et même sympathiquement. Comme quoi, jugements moraux et subjectivité sont toujours là quand il s'agit de TSO.
Tranche de vie2
Même pharmacie, nouvelle péripétie. D'abord il n'y a pas de problème. Puis, il n'y a que 2 boîtes de princeps disponibles, le reste est en générique. Je dis OK pour le générique. "Je vais faire ma sortie" m'annonce la préparatrice. Elle revient, puis m'annonce qu'il n'y a plus de générique et seulement une boîte de princeps. Elle me demande si je peux passer prendre le restant de l'ordonnance le lendemain. Je dis que je n'habite pas sur place et que ça me pose un problème de repasser sous peu. Elle me lâche alors "Vous n'avez qu'à en prendre moins" !!! M'enfin !!!, qui détermine le dosage ? Elle ou le médecin ?
Finalement comme la "Sortie" est faite elle me fait payer le tout et me remet un "ticket de promis" pour les 7 boîtes restantes que je devrai passer prendre le lendemain. Je repars dépité, et pas très confiant. La nuit, je dors mal car je ne pense qu'à ça. La préparatrice a t'elle bien fait passer la consigne ? Mon "ticket" sera t'il valable demain ? Quelles parades si et si ... ? Quelles solutions "au cas où" ?
Le lendemain, je me pointe à la pharmacie. Longue file d'attente, j'en fais des caisses pour que, lorsque ce sera mon tour, je sois servi par la pharmacienne que je connais, qui me connait et avec laquelle il n'y a jamais de problèmes.
Finalement, un autre guichet, s'ouvre, c'est mon tour. Je présente mon ticket, et direct, on me ramène mes 7 boîtes comme promis, sans question ni attente. Merci. Merci.
Comme quoi, faut pas plaisanter avec les opiacés. Lol !
*Manque.
Le manque porte bien son nom. Parce que d'abord , on ne le sent pas, à part mentalement, une envie tenace dans un coin de la tête. Puis après la journée s'étire sans fin, ni appétit et plus rien ne vaut rien. Le jour, physiquement pas grand chose de violent à part des éternuements fréquents, mais cette impression pesante de peser 300kg un mal de dos tenace. Pas d'énergie.
La nuit, impossible de dormir. Sensation du corps comme chiffonné, qui aurait besoin d'être repassé. Tensions entre les épaules. Dans les membres comme des fils que l'on tire par ci par là, sporadiquement et qui piquent et déchirent quand poussent leurs aiguilles. Je tourne et retourne dans mon lit sans trouver le sommeil.
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