Oblomov a décidé un jour de tourner le dos au monde et à la société : par peur mais aussi et surtout par lucidité. Sa renonciation est une attitude, une posture existentielle. Vêtu de sa robe de chambre, il ne quitte guère son poële et ne s'éloigne pas du samovar. Oblomov cherche où se cacher de la vie. Partisan de la position allongée (sur son sofa), il ne recherche le bonheur que dans le sommeil, et le plaisir dans la nourriture. Oblomov aime plonger dans un état entre le sommeil et la veille et rêver de plénitude. Oblomov est un homme dont le ressort intérieur est cassé, mais c'est aussi un héros lucide qui ne veut pas être sa propre dupe. Il sait tout ce qu'on lui reproche et il sait aussi que l'homme n'est pas un héros. Il porte en lui, comme l'a fait remarquer Lévinas, l'horreur de l'être.
Les personnages qui rendent visite à Oblomov (des amis mondain, travailleur, écrivain) sont tous vains alors que lui montre une réelle hauteur d'âme .../...Ainsi, voici la réponse d'Oblomov à son ami Pennkine lorsque ce dernier lui demande de lire son article intitulé 'L'amour d'un prévaricateur pour une femme déchue' destiné à buzzer dans les gazettes de St Petersbourg:
-"Certainement non, Pennkine, je ne le lirai point.
-Pourquoi ? Cela fait du bruit, on en parle ..
-Eh ! qu'on en parle ! Il y a des gens qui n'ont rien d'autre à faire que parler. C'est là surtout qu'il y a beaucoup d'appelés.
-Mais lisez, ne fut-ce que par curiosité.
-Qu'y lirai-je que je ne connaisse pas ? dit Oblomov, Pourquoi écrivent ils ? Uniquement pour s'amuser eux mêmes... De la réalité vivante il n'y en a nulle part: il n'y a ni intelligence ni sympathie; il n'y a rien de ce que vous appelez, vous autres, "humanitaire". Rien que de l'amour propre. Ils ne représentent que des voleurs, des femmes perdues, exactement comme s'ils les empoignaient dans la rue et les conduisaient au poste. Dans leurs livres on entend non pas "des pleurs invisibles", mais rien que le rire visible et grossier, la méchanceté..../... Qu'on représente un voleur, une femme perdue, un sot bouffi d'orgueil mais qu'en eux on n'oublie pas l'homme ! Où est donc l'humanité ? Vous ne voulez écrire qu'avec la tête ! criait presque Oblomov. Vous croyez que la pensée n'a rien à faire avec le coeur ? .../... L'homme, donnez moi l'homme ! disait Oblomov; aimez le ..."
Malgré cette profonde empathie, "Pourvu que rien n'arrive" pourrait être la devise due ce procrastinateur professionnel. Ni son ami Stolz, incarnation de l'énergie et de l'esprit d'entreprise, ni la belle Olga avec qui se nouera l'embryon d'une idylle, ne parviendront à le tirer de sa léthargie. Entreprendre et aimer sont décidément des choses trop fatigantes.
En son retrait caméral Oblomov incarne magistralement la paresse comme pratique et doctrine. Aboulie, procrastination, apathie, avolition, acédie, neurasthénie semblent l'accabler. Acédiaque il est accablé, mélancolique. Paresseux, il ne parvient pas à tourner son intérêt vers le futur. Neurasthénique, il fait toujours un effort pour se tenir dans la vie. Oblomov en effet essaie 'de s'en tirer à bon compte avec la vie'. Toutes ces nuances de la paresse, que l'on trouve regroupées chez lui, sont une interrogation sur la nature et le sens de cette paresse.
La paresse est elle créative ou mélancolique ? L'ennui peut être un facteur de créativité. ainsi Radiguet nous dit que "La jeunesse est niaise faute d'être paresseuse" tandis que pour Nietzsche, "L'activisme aliène l'individu". Prendre son temps est une émancipation.
Pour le chrétien, en ne faisant rien, le paresseux ne poursuit pas l'oeuvre de Dieu. La paresse est donc l'un des 7 péchés capitaux. Notons à ce sujet que l' acédie et la tristesse sont deux péchés capitaux qui ont été fondus ensemble. Et comme paresse rime avec caresse, la sensualité et la luxure sont ils si éloignés que ça de mollesse et mélancolie ? Pourquoi ne limiterait on pas à 6 le nombre des péchés capitaux ?
La question existentielle sous-jacente est de savoir ce qu'est le temps et à qui il appartient. Le temps est il bien de l'argent ?
Le temps appartient t'il à Dieu ? à l'ensemble de l'humanité, ou à l'individu ? ... Réfléchissons bien.
Comme l'a fort bien dit Gustave-Henri Jossot, auteur de l’Évangile de la paresse, paru en 1939 : « Il y aurait un livre à faire sur la paresse ; cet ouvrage ne pourrait être écrit que par un paresseux. Mais les paresseux sont bien trop occupés à se tourner les pouces… »
Pour moi, il y a quelques années, en faire le plus possible était le minimum. Mais ça, c'était avant...Aujourd'hui je passe la matinée à rechercher le livre que je voudrais achever: Oblomov de Ivan Gontcharov.
Bel aujourd'hui !
Ozias
Bruegel l'ancien. Allégorie de la paresse. |
PS: Les animaux de la paresse: l'âne qui ne veut pas apprendre, l'escargot mollusque lent et visqueux, l'écrevisse (qui avance à reculons).
http://www.franceculture.fr/emission-concordance-des-temps-eloge-et-decri-de-la-paresse-immemoriaux-2013-10-19
voir aussi http://emagicworkshop.blogspot.fr/2015/05/au-travail.html
http://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-les-voyages-immobiles-13-oblomov-d%E2%80%99ivan-gontcharov- (à écouter)
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4763286
Paul Lafargue 'Le droit à la paresse'... ou le droit 'à la grève' ?
http://www.franceculture.fr/emission-concordance-des-temps-eloge-et-decri-de-la-paresse-immemoriaux-2013-10-19
voir aussi http://emagicworkshop.blogspot.fr/2015/05/au-travail.html
http://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-les-voyages-immobiles-13-oblomov-d%E2%80%99ivan-gontcharov- (à écouter)
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4763286
Paul Lafargue 'Le droit à la paresse'... ou le droit 'à la grève' ?