Dans son dernier cours 'le courage de la vérité' Michel Foucault étudie les formes de production de la vérité, les actes par lesquels la vérité se manifeste et les risques de la parole. Un sujet qui le touchait sans doute de près puisqu'à la même époque le sida dont il était atteint commençait à devenir un fléau, une évidence, un scandale.
Comment Michel Foucault a-t-il réagi au sida? Voici ce que nous dit Daniel Defert qui était alors son compagnon
"Jusqu'à fin 1983, on n'a jamais soupçonné que c'était cette maladie-là étant donné que la description de cette maladie était rare et essentiellement axée sur le Kaposi [cancer de la peau]. Michel n'a jamais eu de Kaposi. Associer une maladie qu'on présente mortelle et stigmatisante et la sinusite persistante dont il souffrait, on n'y pense pas. Il ne faut pas aussi qu'on associe systématiquement homosexualité et sida, il faut qu'on recherche d'autres pistes, donc les médecins hésitent beaucoup. Ce n'est que fin décembre 1983 qu'ils disent que ça peut être ça, mais ils ne sont pas prêts à lui proposer le diagnostic.
Début 1984, Michel a été remis sur pied par l'antibiotique Bactrim contre un début de pneumocystose. Il a repris son cours au Collège de France. Il était convaincu que ce n'était pas le sida puisqu'il arrivait à faire tout cela. Pourtant je pense que Michel le savait, il en avait parlé à quelques personnes, il ne m'en a pas parlé, pour ne pas m'affoler. Son médecin, Odile Picard, m'avait dit: «Si ça avait été ça je vous aurais examiné». Ça m'a rassuré et j'en ai parlé à Michel qui au contraire était paniqué parce qu'il a pensé à ce moment-là que je pouvais être contaminé.
Un dimanche, Michel a eu une syncope à la maison. Je n'arrive pas à joindre ses médecins traitants. Le lundi, on retrouve les médecins traitants. Bientôt, l'hôpital de quartier n'a de cesse que de se débarrasser de ce malade encombrant, et il est prévu qu'il soit transféré à la Salpêtrière. Manifestement, ses médecins s'étaient arrangés pour que Michel ne soit pas hospitalisé dans un service trop marqué «sida». Ils écartent l'hôpital Claude-Bernard et le service où était Willy Rozenbaum. On arrive à la Salpêtrière le jour de la Pentecôte. On reste coincés dans le couloir. On nous dit tout d'abord : «La chambre n'est pas prête, on ne vous attendait que le soir.» On me fait remarquer qu'il n'était même pas enregistré.
Je me rends à l'accueil. Au retour, une nouvelle surveillante m'accueille, aimable, s'excusant, disant que la chambre n'était pas prête, mais que tout allait s'arranger. Finalement Michel est installé dans une chambre confortable. Peu après, j'entends un médecin interroger une infirmière : «Est-ce que la chambre a bien été désinfectée ?» Je crois comprendre que la réponse est négative, qu'on avait manqué de temps. Peut-être deux jours après, Michel a une infection pulmonaire, l'hypothèse circule dans le service qu'il a pu être infecté à l'hôpital. Il est transféré en soins intensifs.
On voit bien un mode de fonctionnement, une surveillante qui ne sait pas dire que la chambre n'est pas désinfectée et qu'il fallait seulement attendre, puis une autre qui avait appris, dans l'intervalle, que c'était Michel Foucault. On peut supposer que le chef de service avait été prévenu et, au bout du compte, Michel est installé trop vite dans la chambre, tout cela en raison de politesses hiérarchiques. C'est tout le jeu des rapports de pouvoir dans un service hospitalier et tout le jeu des rapports de vérité
Michel Foucault meurt le 25 juin.
"Après le décès, on me demande d'aller à l'état civil de la Salpêtrière. La personne en charge est assez agacée. «Ecoutez, les journalistes nous harcèlent depuis plusieurs jours pour avoir un diagnostic et savoir si c'est le sida. Il faut faire un communiqué.» .../...
Sur le bulletin d'admission de Michel, je vois : «Cause du décès : sida.» Je demande à son médecin (Odile Picard): «Mais qu'est-ce que cela veut dire ?» Elle me répond : «Rassurez-vous, cela disparaîtra, il n'y en aura pas de traces.» «Mais attendez, ce n'est pas le problème.» Et là, violemment, je découvre la réalité sida : faire semblant dans l'impensable social.
C'est à partir des malentendus, des mensonges, des prises de pouvoir médicales et politiques, et plus généralement des hypocrisies autour de ce décès à l'hôpital Pitié-Salpêtrière, que Daniel Defert allait décider de faire de son deuil une «lutte». En créant, en décembre 1984, l'association Aides, qui allait bouleverser le paysage, non seulement de l'épidémie de VIH en France, mais aussi celui de la santé.
Comment Michel Foucault a-t-il réagi au sida? Voici ce que nous dit Daniel Defert qui était alors son compagnon
"Jusqu'à fin 1983, on n'a jamais soupçonné que c'était cette maladie-là étant donné que la description de cette maladie était rare et essentiellement axée sur le Kaposi [cancer de la peau]. Michel n'a jamais eu de Kaposi. Associer une maladie qu'on présente mortelle et stigmatisante et la sinusite persistante dont il souffrait, on n'y pense pas. Il ne faut pas aussi qu'on associe systématiquement homosexualité et sida, il faut qu'on recherche d'autres pistes, donc les médecins hésitent beaucoup. Ce n'est que fin décembre 1983 qu'ils disent que ça peut être ça, mais ils ne sont pas prêts à lui proposer le diagnostic.
Début 1984, Michel a été remis sur pied par l'antibiotique Bactrim contre un début de pneumocystose. Il a repris son cours au Collège de France. Il était convaincu que ce n'était pas le sida puisqu'il arrivait à faire tout cela. Pourtant je pense que Michel le savait, il en avait parlé à quelques personnes, il ne m'en a pas parlé, pour ne pas m'affoler. Son médecin, Odile Picard, m'avait dit: «Si ça avait été ça je vous aurais examiné». Ça m'a rassuré et j'en ai parlé à Michel qui au contraire était paniqué parce qu'il a pensé à ce moment-là que je pouvais être contaminé.
Un dimanche, Michel a eu une syncope à la maison. Je n'arrive pas à joindre ses médecins traitants. Le lundi, on retrouve les médecins traitants. Bientôt, l'hôpital de quartier n'a de cesse que de se débarrasser de ce malade encombrant, et il est prévu qu'il soit transféré à la Salpêtrière. Manifestement, ses médecins s'étaient arrangés pour que Michel ne soit pas hospitalisé dans un service trop marqué «sida». Ils écartent l'hôpital Claude-Bernard et le service où était Willy Rozenbaum. On arrive à la Salpêtrière le jour de la Pentecôte. On reste coincés dans le couloir. On nous dit tout d'abord : «La chambre n'est pas prête, on ne vous attendait que le soir.» On me fait remarquer qu'il n'était même pas enregistré.
Je me rends à l'accueil. Au retour, une nouvelle surveillante m'accueille, aimable, s'excusant, disant que la chambre n'était pas prête, mais que tout allait s'arranger. Finalement Michel est installé dans une chambre confortable. Peu après, j'entends un médecin interroger une infirmière : «Est-ce que la chambre a bien été désinfectée ?» Je crois comprendre que la réponse est négative, qu'on avait manqué de temps. Peut-être deux jours après, Michel a une infection pulmonaire, l'hypothèse circule dans le service qu'il a pu être infecté à l'hôpital. Il est transféré en soins intensifs.
On voit bien un mode de fonctionnement, une surveillante qui ne sait pas dire que la chambre n'est pas désinfectée et qu'il fallait seulement attendre, puis une autre qui avait appris, dans l'intervalle, que c'était Michel Foucault. On peut supposer que le chef de service avait été prévenu et, au bout du compte, Michel est installé trop vite dans la chambre, tout cela en raison de politesses hiérarchiques. C'est tout le jeu des rapports de pouvoir dans un service hospitalier et tout le jeu des rapports de vérité
Michel Foucault meurt le 25 juin.
"Après le décès, on me demande d'aller à l'état civil de la Salpêtrière. La personne en charge est assez agacée. «Ecoutez, les journalistes nous harcèlent depuis plusieurs jours pour avoir un diagnostic et savoir si c'est le sida. Il faut faire un communiqué.» .../...
Sur le bulletin d'admission de Michel, je vois : «Cause du décès : sida.» Je demande à son médecin (Odile Picard): «Mais qu'est-ce que cela veut dire ?» Elle me répond : «Rassurez-vous, cela disparaîtra, il n'y en aura pas de traces.» «Mais attendez, ce n'est pas le problème.» Et là, violemment, je découvre la réalité sida : faire semblant dans l'impensable social.
C'est à partir des malentendus, des mensonges, des prises de pouvoir médicales et politiques, et plus généralement des hypocrisies autour de ce décès à l'hôpital Pitié-Salpêtrière, que Daniel Defert allait décider de faire de son deuil une «lutte». En créant, en décembre 1984, l'association Aides, qui allait bouleverser le paysage, non seulement de l'épidémie de VIH en France, mais aussi celui de la santé.
.../...Un savoir qui n’est pas transgressif est un savoir qui répond à l’attente de l’autre, qui répond à l’attente répressive, et justement, quand on est amené à parler d’homosexualité, de prostitution, de toxicomanie, de transsexualité, nous sommes amenés à tenir des discours transgressifs et à faire entrer dans le champ du savoir, de l’expérience collective des choses transgressives. On n’a pas forcément à affirmer une identité, mais à affirmer une expérience, un savoir, une parole transgressive. Ce que Foucault nous a légué, c’est effectivement la prise de parole des gens exclus de la parole et de leur donner la forme d’un savoir transgressif qui doit fonctionner comme contre-pouvoir..../...