dimanche 6 décembre 2015

La fin de Michel Foucault

Le philosophe Michel Foucault, est mort du Sida le 25 Juin 1984.
Dans son dernier cours 'le courage de la vérité' Michel Foucault étudie les formes de production de la vérité, les actes par lesquels la vérité se manifeste et les risques de la parole. Un sujet qui le touchait sans doute de près puisqu'à la même époque le sida dont il était atteint commençait à devenir un fléau, une évidence, un scandale.


Comment Michel Foucault a-t-il réagi au sida? Voici ce que nous dit Daniel Defert qui était alors son compagnon 
"Jusqu'à fin 1983, on n'a jamais soupçonné que c'était cette maladie-là étant donné que la description de cette maladie était rare et essentiellement axée sur le Kaposi [cancer de la peau]. Michel n'a jamais eu de Kaposi. Associer une maladie qu'on présente mortelle et stigmatisante et la sinusite persistante dont il souffrait, on n'y pense pas. Il ne faut pas aussi qu'on associe systématiquement homosexualité et sida, il faut qu'on recherche d'autres pistes, donc les médecins hésitent beaucoup. Ce n'est que fin décembre 1983 qu'ils disent que ça peut être ça, mais ils ne sont pas prêts à lui proposer le diagnostic. 

Début 1984, Michel a été remis sur pied par l'antibiotique Bactrim contre un début de pneumocystose. Il a repris son cours au Collège de France. Il était convaincu que ce n'était pas le sida puisqu'il arrivait à faire tout cela. Pourtant je pense que Michel le savait, il en avait parlé à quelques personnes, il ne m'en a pas parlé, pour ne pas m'affoler. Son médecin, Odile Picard, m'avait dit: «Si ça avait été ça je vous aurais examiné». Ça m'a rassuré et j'en ai parlé à Michel qui au contraire était paniqué parce qu'il a pensé à ce moment-là que je pouvais être contaminé.
Un dimanche, Michel a eu une syncope à la maison. Je n'arrive pas à joindre ses médecins traitants. Le lundi, on retrouve les médecins traitants. Bientôt, l'hôpital de quartier n'a de cesse que de se débarrasser de ce malade encombrant, et il est prévu qu'il soit transféré à la Salpêtrière. Manifestement, ses médecins s'étaient arrangés pour que Michel ne soit pas hospitalisé dans un service trop marqué «sida». Ils écartent l'hôpital Claude-Bernard et le service où était Willy Rozenbaum. On arrive à la Salpêtrière le jour de la Pentecôte. On reste coincés dans le couloir. On nous dit tout d'abord : «La chambre n'est pas prête, on ne vous attendait que le soir.» On me fait remarquer qu'il n'était même pas enregistré.
Je me rends à l'accueil. Au retour, une nouvelle surveillante m'accueille, aimable, s'excusant, disant que la chambre n'était pas prête, mais que tout allait s'arranger. Finalement Michel est installé dans une chambre confortable. Peu après, j'entends un médecin interroger une infirmière : «Est-ce que la chambre a bien été désinfectée ?» Je crois comprendre que la réponse est négative, qu'on avait manqué de temps. Peut-être deux jours après, Michel a une infection pulmonaire, l'hypothèse circule dans le service qu'il a pu être infecté à l'hôpital. Il est transféré en soins intensifs. 

On voit bien un mode de fonctionnement, une surveillante qui ne sait pas dire que la chambre n'est pas désinfectée et qu'il fallait seulement attendre, puis une autre qui avait appris, dans l'intervalle, que c'était Michel Foucault. On peut supposer que le chef de service avait été prévenu et, au bout du compte, Michel est installé trop vite dans la chambre, tout cela en raison de politesses hiérarchiques. C'est tout le jeu des rapports de pouvoir dans un service hospitalier et tout le jeu des rapports de vérité

 Michel Foucault meurt le 25 juin.
"Après le décès, on me demande d'aller à l'état civil de la Salpêtrière. La personne en charge est assez agacée. «Ecoutez, les journalistes nous harcèlent depuis plusieurs jours pour avoir un diagnostic et savoir si c'est le sida. Il faut faire un communiqué.» .../...
Sur le bulletin d'admission de Michel, je vois : «Cause du décès : sida.» Je demande à son médecin (Odile Picard): «Mais qu'est-ce que cela veut dire ?» Elle me répond : «Rassurez-vous, cela disparaîtra, il n'y en aura pas de traces.» «Mais attendez, ce n'est pas le problème.» Et là, violemment, je découvre la réalité sida : faire semblant dans l'impensable social.

C'est à partir des malentendus, des mensonges, des prises de pouvoir médicales et politiques, et plus généralement des hypocrisies autour de ce décès à l'hôpital Pitié-Salpêtrière, que Daniel Defert allait décider de faire de son deuil une «lutte». En créant, en décembre 1984, l'association Aides, qui allait bouleverser le paysage, non seulement de l'épidémie de VIH en France, mais aussi celui de la santé.

.../...Un savoir qui n’est pas transgressif est un savoir qui répond à l’attente de l’autre, qui répond à l’attente répressive, et justement, quand on est amené à parler d’homosexualité, de prostitution, de toxicomanie, de transsexualité, nous sommes amenés à tenir des discours transgressifs et à faire entrer dans le champ du savoir, de l’expérience collective des choses transgressives. On n’a pas forcément à affirmer une identité, mais à affirmer une expérience, un savoir, une parole transgressive. Ce que Foucault nous a légué, c’est effectivement la prise de parole des gens exclus de la parole et de leur donner la forme d’un savoir transgressif qui doit fonctionner comme contre-pouvoir..../... 

vendredi 27 novembre 2015

Fait d'hiver


Dimanche après midi, le ciel était gris.  Je prends la voiture pour aller en ville et je décide de passer par les champs de maïs pour photographier un épouvantail à corbeaux  (corbac mort qui pourrit pendu à un piquet planté dans un champ pour dissuader ses congénères). Hélas et heureusement,  la dépouille n'était finalement  qu'un vulgaire  plastique noir sur un piquet (photo1).  Comme quoi, les traditions se perdent et ma vue baisse !
Au bout du champ,  une troupe de chasseurs du dimanche  traquait la galinette cendrée...

Il était près de 15h57 quand soudain, 200m  plus loin, là où le chemin agricole  longe l'autoroute, une poule faisane traverse la chaussée . Comme l'appareil photo était à portée de main,  et que l'oiseau ne courait pas vite, je m'arrête pour le photographier. La faisane grimpe alors le talus qui atteint l'autoroute. Je la suis. 
Et là, c'est le drame ! Une auto, et le bruit d'un choc suivi de plumes qui volent (photo2).  
Je n'ai plus qu'à me baisser pour récupérer ma proie tuée net,  toute chaude sur le bas côté de la route (photo3) et lui rendre les honneurs d'une belle faim (photo 4 et5).








mercredi 18 novembre 2015

Evaluations

Ecole, travail, Internet... Que nous soyons en position d'évalué ou d'évaluateur, impossible aujourd'hui d'échapper aux notes, évaluations, rankings et benchmarks.


L'idéologie de l'évaluation qui s'affiche sous la bannière de l'égalitarisme et de la méritocratie est en fait l'opposé du paradigme de l'émancipation. L'évaluation du travail est une pratique mortifère  qui modifie la nature du sujet et la définition de son travail pour établir une note. 
L'évaluation calibre, détruit la singularité, l'irremplaçabilité du travailleur. Aucune forme de capitalisation n'est alors possible pour le travailleur, dans la mesure où pour capitaliser il faut revendiquer une propriété intellectuelle, un droit d'auteur, un "nom". Faire disparaître l'individu derrière un chiffre permet simplement d'usurper son dû.

L'évaluation produit de la servitude volontaire , car elle s'assimile à un processus de formation du sujet. Aucune valeur n'est attribuée au sujet tant qu'il n'a pas été évalué. Créer l’évaluation, c'est placer la conscience sous surveillance, sous sous sa propre surveillance. Le sujet dépossédé de sa propre liberté de conscience suffit comme seul bourreau. L'évaluation se pose comme unique dispositif de visibilité de l'évalué. elle refuse au sujet la possibilité de poursuivre son individuation  ailleurs et autrement.  Placé sous le joug de l'évaluation le sujet reste à jamais sous tutelle.
C'est l'évaluation qui qui après avoir tué ce qu'il y d'agent dans le sujet le reconnaît en tant que tel, mais désormais devenu non plus un sujet libre mais un sujet domestiqué, sous domination. 
L'évaluation est une forfaiture de la vérité, mais aussi une légitimation réelle du pouvoir en place. Le pouvoir cherche à détruire la capacité d'individuation de chaque individu ou plutôt de faire croire à l'individu que son individuation nécessite un strict individualisme. Le pouvoir tient par l'intérêt qu'il alimente. Il substitue à la notion d'individuation celle de l’intérêt, en donnant l'illusion qu'elle lui est similaire. Mais cet intérêt n'a de sens qu'à l'intérieur d'un système qui reconnait la valeur de la domination. Jouir de cet intérêt suppose la mise sous tutelle. L' "avoir" met en demeure la liberté d'être du sujet. 

Quand l'évaluation n'arrive pas à évaluer elle met en accusation. 
Contester l'évaluation ne permet nullement d'accéder à un débat sur l'évaluation. Contester l'évaluation c'est risquer sa propre marginalisation ou stigmatisation. Le procédé est bien connu avec la surenchère sécuritaire liberticide : qui peut avoir peur des contrôles de police, des surveillances électroniques sur le web... si ce n'est le fautif ou celui qui se reproche quelque chose ? 
Ainsi le mythe de la neutralité de l'évaluation suit les rails du mythe de la neutralité de la technique. Chacun est tenu par le pouvoir anonyme de l'évaluation, pour plus d'illusion d'égalité.

Extraits du livre de Cynthia Fleury 'Les Irremplaçables' Chapitre 'le dogme du pouvoir' .
Mes notes de lecture dans  http://sansdire.blogspot.fr/2015/11/les-irremplacables.html?view=flipcard
Prisonner in Panopticon (early XIXth)                                                Worker in open space (early XXIst  )

"L’évaluation généralisée est une pratique néolibérale pathologique. Née dans la finance la pratique de l'évaluation est en voie de coloniser toutes les sphères de la vie sociale, organisant par là leur soumission à la logique d'une société de marché de part en part régie par le principe de concurrence. On évalue les chauffeurs de VTC, les appartements de location, les toilettes d'aéroport, et sans doute bientôt les dîners entre amis. "
Frédéric Lordon 22 février 2017

mardi 10 novembre 2015

Inégalités et économie du partage


"En 2014 si on mettait quatre-vingt cinq multimilliardaires dans un autobus, il contiendrait une fortune équivalente à celle de la moitié la plus pauvre de l'humanité, environ trois milliards de personnes. Un an plus tard, l'autobus a rétréci : il n'a plus que quatre vingt places" (Joseph Stiglitz).

En 2015, la moitié des richesses mondiales sont détenues par 1% de la population.

En 2016, 1% de la population mondiale possédera autant que les 99% restants.
Un nombre de fortunes de plus en plus réduit concentre les richesses. 

Le problème avec le système capitaliste, c’est qu’il y est toujours question de concentration mais jamais de redistribution. Son mouvement global tend donc à l’hyper-concentration des richesses, à l’accaparement des moyens sans prendre en compte la réduction des inégalités, ni le développement humain. Le système résulte notamment dans l'accaparement des terres, ou l'accélération de la progression des revenus les plus élevés


La nouvelle 'économie du partage' pose aussi beaucoup de questions. Même si 'j'adore le concept', je vois arriver les grands acteurs qui tirent les marrons du feu en prélevant leur dîme sur chaque échange enregistré tandis que nous mutualisons nos ressources dans le cadre d’un ‘libre marché’ où la règle est celle de la dérégulation et de la concurrence.  Collaboratif peut être, mais surtout libéral avancé.
Que ce soit pour le covoiturage, l'hébergement, la restauration, les prêts de matériel, la tarification touche de plus en plus l’hospitalité les échanges de service, la solidarité. 
On peut se demander dans quelle mesure la consommation collaborative crée réellement du lien ou si elle n'installe pas plutôt un rapport marchand à la solidarité et l'échange. L'uberisation de l'économie n'est rien d'autre qu'un libéralisme augmenté, une gigantesque marchandisation du monde.
A vous l'antenne...
Ozias
D'après Développement durable et territoires.'Collaborative Consumption, the ambiguous aspect of the functional economy'.

vendredi 30 octobre 2015

Le Palais de Ferdinand Cheval

Au palais du facteur Cheval on est frappé par la flamboyance de l'oeuvre et son caractère mystique. Quel sens cela a t'il ? Et surtout, qu'est ce qui pousse un facteur que rien n'a préparé à accomplir une oeuvre aussi exigeante et aussi folle ?  
Pourquoi collecter des cailloux les ramener chez lui, les entasser dans une brouette pour les ramener chez lui et les assembler sous le soleil, le froid, la pluie, le vent ?
Voici ce qu'a écrit Ferdinand Cheval à l'intention des futurs contempleurs de son oeuvre:
"J'avais bâti, dans un rêve, un palais, un château ou des grottes; je ne peux pas bien vous l'exprimer; mais c'était si joli, si pittoresque, que dix ans après, il était resté gravé dans ma mémoire et que je n'avais pu l'en arracher. Je me traitais aussi, moi même de fou, d'insensé; je n'étais pas maçon, je n'avais jamais touché une truelle; sculpteur, je ne connaissais pas le ciseau; pour l'architecture, je n'en parle pas, je ne l'ai jamais étudiée. Je ne le disais à personne, par crainte de tourner en ridicule et je me trouvai aussi ridicule moi même.
Voilà qu'au bout de quinze ans, au moment où j'avais à peu près oublié mon rêve, que j'y pensais le moins du monde, c'est mon pied qui me le fait rappeler. Mon pied avait accroché un obstacle qui faillit me faire tomber; j'ai voulu savoir ce que c'était. C'était une pierre de forme si bizarre que je l'ai mise dans la poche pour l'admirer à mon aise. Le lendemain, je suis repassé au même endroit, j'en ai encore trouvé de plus belles, je les ai assemblées sur place, j'en suis resté ravi. C'est une pierre molasse, travaillée par les eaux et endurcie par la force des temps, elle devient aussi dure que les cailloux. Elle présente une sculpture aussi bizarre qu'il est possible à l'homme de l'imiter: elle représente toutes espèces d'animaux, toutes espèces de caricatures. Je me suis dit : puisque la nature veut faire la sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l'architecture. Voici mon rêve. A l'oeuvre, me suis je dit."

 Dans cette lettre du 15 mars 1905 Ferdinand Cheval exprime de quoi est fait un créateur:
"Un être complexe traversé par une émotion créatrice exaltée par l'imaginaire, capable de transgresser les normes, ayant la force d'endurer pour faire une oeuvre reconnue  en dépit des conventions sociales et de la raison."*
Comme quoi, "L'émotion créatrice a toujours le dernier mot"*

A lire aussi dans ce blog autour du même sujet :
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2013/11/art-brut-artiste-singulier.html
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2013/10/hors-normes-enorme.html
http://www.franceculture.fr/emissions/latelier-de-la-creation-14-15/le-facteur-cheval-que-celui-qui-na-jamais-reve-lui-jette-0









Sources : Une pierre, un songe et un facteur. par Hubert Ripol*.
Lettre autobiographique de Ferdinand Cheval datée 15 mars 1905.

jeudi 22 octobre 2015

Oblomov

Oblomov, écrit en 1859 par Ivan Gontcharov, raconte l'histoire d'un gentilhomme russe jeune et paresseux. C'est un roman qui aborde les thèmes de la mélancolie, de la vanité, et de la paresse. 
Oblomov a décidé un jour de tourner le dos au monde et à la société : par peur mais aussi et surtout par lucidité. Sa renonciation est une attitude, une posture existentielle. Vêtu de sa robe de chambre,  il ne quitte guère son poële et ne s'éloigne pas du samovar. Oblomov cherche où se cacher de la vie.  Partisan de la position allongée (sur son sofa), il ne recherche le bonheur que dans le sommeil, et le plaisir dans la nourriture. Oblomov aime plonger dans un état entre le sommeil et la veille et rêver de plénitude. Oblomov est un homme dont le ressort intérieur est cassé, mais c'est aussi un héros lucide qui ne veut pas être sa propre dupe. Il sait tout ce qu'on lui reproche et il sait aussi que l'homme n'est pas un héros. Il porte en lui, comme l'a fait remarquer Lévinas, l'horreur de l'être
Les personnages qui rendent visite à Oblomov (des amis  mondain, travailleur, écrivain) sont tous vains alors que lui montre une réelle hauteur d'âme .../...Ainsi, voici la réponse d'Oblomov à son ami Pennkine lorsque ce dernier lui demande de lire son article intitulé 'L'amour d'un prévaricateur pour une femme déchue' destiné à buzzer dans les gazettes de St Petersbourg: 
-"Certainement non, Pennkine, je ne le lirai point.
-Pourquoi ? Cela fait du bruit, on en parle ..
-Eh ! qu'on en parle ! Il y a des gens qui n'ont rien d'autre à faire que parler. C'est là surtout qu'il y a beaucoup d'appelés.
-Mais lisez, ne fut-ce que par curiosité.
-Qu'y lirai-je que je ne connaisse pas ? dit Oblomov, Pourquoi écrivent ils ? Uniquement pour s'amuser eux mêmes... De la réalité vivante il n'y en a nulle part: il n'y a ni intelligence ni sympathie; il n'y a rien de ce que vous appelez, vous autres, "humanitaire". Rien que de l'amour propre. Ils ne représentent que des voleurs, des femmes perdues, exactement comme s'ils les empoignaient dans la rue et les conduisaient au poste. Dans leurs livres on entend non pas "des pleurs invisibles", mais rien que le rire visible et grossier, la méchanceté..../... Qu'on représente un voleur, une femme perdue, un sot bouffi d'orgueil mais qu'en eux on n'oublie pas l'homme ! Où est donc l'humanité ? Vous ne voulez écrire qu'avec la tête ! criait presque Oblomov. Vous croyez que la pensée n'a rien à faire avec le coeur ? .../... L'homme, donnez moi l'homme ! disait Oblomov; aimez le ..."
Malgré cette profonde empathie, "Pourvu que rien n'arrive" pourrait être la devise due ce procrastinateur professionnel. Ni son ami Stolz, incarnation de l'énergie et de l'esprit d'entreprise, ni la belle Olga avec qui se nouera l'embryon d'une idylle, ne parviendront à le tirer de sa léthargie. Entreprendre et aimer sont décidément des choses trop fatigantes. 


 En son retrait caméral Oblomov incarne magistralement la paresse comme pratique et doctrine. Aboulie, procrastination, apathie, avolition, acédie, neurasthénie semblent l'accabler. Acédiaque  il est accablé, mélancolique. Paresseux, il ne parvient pas à tourner son intérêt vers le futur. Neurasthénique, il fait toujours un effort pour se tenir dans la vie. Oblomov en effet essaie 'de s'en tirer à bon compte avec la vie'. Toutes ces nuances de la paresse, que l'on trouve regroupées chez lui, sont une interrogation sur la nature et le sens de cette paresse.
La paresse est elle créative ou mélancolique ? L'ennui peut être un facteur de créativité. ainsi Radiguet nous dit que  "La jeunesse est niaise faute d'être paresseuse" tandis que pour Nietzsche, "L'activisme aliène l'individu". Prendre son temps est une émancipation.

Pour le chrétien, en ne faisant rien, le paresseux ne poursuit pas l'oeuvre de Dieu. La paresse est donc l'un des 7 péchés capitaux. Notons à ce sujet que l' acédie et la tristesse sont deux péchés capitaux qui ont été fondus ensemble. Et comme paresse rime avec caresse, la sensualité et la luxure sont ils si éloignés que ça de mollesse et mélancolie ? Pourquoi ne limiterait on pas à 6 le nombre des péchés capitaux ?
La question existentielle sous-jacente est de savoir ce qu'est le temps et à qui il appartient. Le temps est il bien de l'argent ?
Le temps appartient t'il à Dieu ? à l'ensemble de l'humanité, ou à l'individu ? ... Réfléchissons bien.

Comme l'a fort bien dit Gustave-Henri Jossot, auteur de l’Évangile de la paresse, paru en 1939 : « Il y aurait un livre à faire sur la paresse ; cet ouvrage ne pourrait être écrit que par un paresseux. Mais les paresseux sont bien trop occupés à se tourner les pouces… »
Pour moi, il y a quelques années, en faire le plus possible était le minimum. Mais ça, c'était avant...Aujourd'hui je passe la matinée à rechercher le livre que je voudrais achever: Oblomov de Ivan Gontcharov.

Bel aujourd'hui !
Ozias

Bruegel l'ancien. Allégorie de la paresse.

PS: Les animaux de la paresse: l'âne qui ne veut pas apprendre, l'escargot mollusque lent et visqueux, l'écrevisse (qui avance à reculons).

vendredi 16 octobre 2015

Technologie politique

Organiser et contrôler.
Après la guerre de sécession, les États-Unis connurent une explosion démographique nourrie à la fois par la croissance intérieure et par l'immigration en provenance d’Europe. Tous les 10 ans le recensement précis de la population était rendu nécessaire par la nature du système politique américain car l’élection des représentants dépendait du poids démographique de chaque État. Le comptage de 1880 fut un cauchemar: la population des États-Unis dépassait 50 millions d'habitants; sept ans allaient être nécessaires pour dépouiller et exploiter les informations recueillies. En 1890, le blocage serait total. Les décideurs économiques et législatifs ne pourraient plus disposer en temps utiles des informations qui leur seraient nécessaires et les règles constitutionnelles ne seraient plus respectées. Une évolution radicale devenait donc indispensable. Cette évolution fut l’invention de la première machine statistique à cartes perforées. L’entreprise qui deviendra plus tard IBM fut fondée à la suite de cette invention.
En France, c’est sous Vichy qu’est inventé le NIR (Numéro d’identification au répertoire). C’est un numéro à treize chiffres, autour duquel le Service national de Statistiques (SNS), crée par un ingénieur militaire, construit un grand fichier unifié des citoyens français. À chaque citoyen un numéro, celui des hommes commençant par 1, celui des femmes par 2 (celui des Juifs par 3, celui des musulmans par 4… jusqu’en 1944). On reconnaît là le numéro de Sécurité sociale attribué à chaque français depuis 1945: après la Libération, les élites issues de la Résistance conservent un service national de statistiques placé sous l’égide de l’État, afin d’aider au pilotage de l’économie. On le rebaptise INSEE (Institut nationale de la statistique et des études économiques) et on conservera une partie des acquis techniques et bureaucratiques du SNS.

Une innovation technique évite de se poser la question de l’organisation légitime du pouvoir dans de nouvelles conditions. En cela, la technique n’est jamais neutre. La société de traçabilité intégrale qui se déploie aujourd’hui est le produit de ces visions organisatrices.
Ainsi, la logique algorithmique de Facebook colle à ce que font les individus de façon très conservatrice. En préférant les conduites aux aspirations, les algorithmes de Facebook nous emprisonnent dans notre conformisme. Facebook place ses utilisateurs dans une bulle ('filter bubble'): selon les affinités de l'utilisateur, l'algorithme ferme la fenêtre sur le monde en réduisant son paysage au choix de ses amis. Nous nous déconnectons de nos semblables pour ne plus rencontrer que nos 'mêmes'.
L’individualisation des calculs,dans les grandes bases de données, produit des catégorisations sans en avoir l'air. Par exemple, aux Etats_Unis, le "FICO score" mesure, en fonction de son historique bancaire, les risques que chaque individu 
 présente face au crédit à la consommation.En Chine, le "Credit Score" géré par le géant du commerce en ligne Alibaba et la holding chinoise Tencent, prend en compte les hobbies, les amis que l'on possède sur les réseaux sociaux, ou encore les habitudes en matière de shopping. "si vous achetez des choses que le régime apprécie, comme un lave-vaisselle ou des couches pour bébé, votre score augmente. Si vous achetez des jeux vidéo, il va diminuer".
En réunissant l'ensemble de ces données, le système est ainsi supposé être capable de déterminer la capacité d'une personne à gagner de l'argent à l'avenir. Ainsi, jouer aux jeux vidéo est considéré comme non productif, et donc pénalisant.
"C'est l'utilisation du Big Data la plus stupéfiante qui ait été publiquement annoncée", estime Michael Fertik, auteur de The Reputation Economy. Cette utilisation du système rappelle férocement le Big Brother  de George Orwell.  

À travers le classement de l’information, la personnalisation publicitaire, la recommandation de produits, le ciblage des comportements ou l’orientation des déplacements, les méga-calculateurs sont en train de s’immiscer, de plus en plus intimement, dans la vie des individus. Or, loin d’être de simples outils techniques, les algorithmes du 'Big data' véhiculent leur propre projet politique.

Moralité, la technique n'est jamais neutre. Le totalitarisme ne réside dans seulement dans des finalités condamnables, mais aussi dans les moyens utilisés.

Sources :
https://sortirdefacebook.wordpress.com/2013/10/29/la-liberte-dans-le-coma-groupe-marcuse-extrait/

http://www.directmatin.fr/monde/2015-10-08/la-chine-note-chaque-citoyen-en-fonction-de-son-mode-de-vie-713055

"A quoi rêvent les algorithmes"  Dominique Cardon. Editions du seuil 2015.

http://www.slate.fr/story/112681/qui-controle-ce-qui-apparait-sur-votre-fil-facebook

https://esprit.presse.fr/article/emmanuel-alloa/l-egalitarisme-automatise-42083