Voici un article extrait d'une Tribune du journal 'Le Monde' du 1 mars 2021 dans laquelle Mireille Delmas-Marty remarque que
« Le rêve de perfection transforme nos Etats de droit en Etats policiers ».
Après les discours musclés annonçant l’éradication du terrorisme, voici les discours savants sur le
« Zéro Covid ». Et toujours la même obsession sécuritaire, le même rêve d’un monde sans risque, sans crime et sans maladie. On s’en réjouirait si l’on ne savait avec quelle facilité le rêve d’un monde parfait peut tourner au cauchemar des sociétés de la peur.
Il y a plus d’un siècle, Emile Durkheim [1858-1917] avait pourtant montré que le crime est « un fait de sociologie normale » (Les Règles de la méthode sociologique, 1895), invoquant cette raison simple : « Pour que la société puisse évoluer, il faut que l’originalité humaine puisse se faire jour ; or pour que celle de l’idéaliste qui rêve de dépasser son temps puisse se manifester, il faut que celle du criminel, qui est au-dessous de son temps, soit possible. » D’où la formule provocatrice : « Le crime est donc nécessaire ; il est lié aux conditions fondamentales de toute vie sociale, mais par cela même il est utile, car les conditions dont il est solidaire sont elles-mêmes indispensables à l’évolution de la morale et du droit. » Le sociologue suscita de telles indignations qu’il dut préciser, dans la deuxième édition, qu’il n’entendait pas faire l’apologie du crime mais se préparer à mieux le combattre.
Que dirait-il à l’heure actuelle où le rêve de perfection s’accompagne d’une inflation de normes, véritable « goutte-à-goutte normatif » (Catherine Thibierge, 2018) qui, jour après jour, rend presque invisibles les transformations en cours. D’autant que de nouvelles technologies ne cessent d’arriver sur le marché, offrant aux décideurs des moyens de surveillance encore inimaginables au temps de Durkheim. La reconnaissance faciale, développée par Apple pour le déverrouillage de ses nouveaux téléphones, se combine à la surveillance par caméras, voire par drones, à la géolocalisation des utilisateurs d’Internet ou encore aux algorithmes de reconnaissance des émotions. Insensiblement, tout cet arsenal transforme nos Etats de droit en Etats policiers et nos sociétés ouvertes en sociétés de la peur où la suspicion suspend la fraternité et fait de l’hospitalité un délit pénal.
Univers infantilisant
Comment s’en plaindre, alors que nous fournissons nous-mêmes les données, les réseaux sociaux ayant su exploiter le désir illimité d’avoir accès à tout, tout de suite et en permanence ? Obéissant à des « pulsions narcissiques plus puissantes encore que le sexe ou la nourriture », nous passons d’une plate-forme à l’autre « comme un rat de la boîte de Skinner qui, en appuyant sur des leviers, cherche désespérément à être toujours plus stimulé et satisfait » (Bernard Harcourt, « Postface » in La Société d’exposition. Désir et désobéissance à l’ère numérique, Seuil, 2020).
Avec la lutte contre la pandémie, le mouvement s’accélère. Sommés de protéger ce bien commun que constitue la santé, peu de dirigeants politiques résistent à la tentation d’instaurer une surveillance permanente et généralisée digne d’un régime autoritaire. La pédagogie de la complexité n’est plus de mise dans cet univers infantilisant, car fait de normes contradictoires et incompréhensibles. Tocqueville avait vu juste quand, imaginant le despotisme en démocratie, il avait prophétisé un « despotisme doux » qui couvrirait la surface de la Terre « d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour ».
Peu importe que les dispositifs de fichage, puçage et traçage ne soient pas totalement fiables. Peu importe que les acteurs publics soient débordés et que grandes villes comme Etats fassent appel à des entreprises privées, au mépris de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, instituant la force publique « pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Peu importe, enfin, que l’Etat de droit soit bafoué et que les garanties restent illusoires quand la sécurité, promue « premier des droits », devient le fait justificatif suprême, une sorte de légitime défense face à l’agression du virus.
Car le langage guerrier n’est pas seulement une métaphore. Rappelons-nous le tournant sécuritaire post-11 septembre 2001. Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies (13 et 18 septembre) avaient considéré pour la première fois que des attentats terroristes soient qualifiés d’agression et que les représailles relèvent de la légitime défense. Le Patriot Act américain permit alors le transfert des pleins pouvoirs au président George W. Bush ; par la suite, en mars 2003, des frappes aériennes furent lancées contre l’Irak au nom d’une légitime défense élargie, dite « préventive », véritable négation de l’Etat de droit. Cette vision guerrière devait par la suite atteindre la plupart des démocraties occidentales, « décomplexées » par l’exemple américain.
Double extension de la surveillance
Ainsi en France, la loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté permet de retenir en prison, pour une durée indéfiniment renouvelable, des condamnés ayant déjà purgé leur peine, au motif de leur « dangerosité », attestée par une commission de composition hétérogène. Puis, après les attentats de Paris et la déclaration de l’état d’urgence, la France réduira encore les libertés, systématisant le transfert de pouvoirs à l’exécutif et l’affaiblissement de l’autorité judiciaire au profit des pouvoirs de police et des services de renseignement (voir notamment, la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement).
Comme la sécurité n’est jamais parfaite, le rêve du risque zéro, qu’il s’agisse de terrorisme ou de pandémie, entraîne inévitablement une surenchère, voire une sorte d’hystérie législative qui relève plus de l’activisme que de l’action efficace. Encore plus dangereux que Ben Laden pour la démocratie, le coronavirus accélère le recul de l’Etat de droit. Et ce au nom d’une urgence sanitaire qui se prolonge au point qu’on se demande s’il ne s’agit pas cette fois d’une mutation durable du régime politique.
La menace du virus conduit à une double extension de la surveillance : d’une part l’anticipation, une extension dans le temps (prévenir au lieu de guérir), qui peut sembler souhaitable, mais à condition de poser les limites et de garantir la proportionnalité des mesures de défense à la gravité de la menace ; d’autre part la globalisation, une extension de la surveillance dans l’espace (de l’espace national à l’espace mondial, réel ou virtuel) qui appellerait des contrôles presque impossibles à mettre en place à une telle échelle.
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Mireille Delmas-Marty est juriste, professeure émérite au Collège de France, membre de l’Institut de France.
Je copie ici un article lu sur Mr Mondialisation. C'est une interview de David Cayla au sujet du populisme. Une analyse que je trouve lucide et sensée.
Dans son dernier ouvrage : l’économiste David Cayla cherche à faire la connexion entre Populisme et Néolibéralisme, deux phénomènes que tout semble opposer mais qui ne sont, en réalité, que « les deux faces d’une même pièce ». Entretien paru le 26 janvier 2021.
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Dans ce quatrième livre, David Cayla décide de s’attaquer à deux phénomènes qui bousculent la vie politique et économique de nos sociétés modernes : le populisme et le néolibéralisme. L’occasion pour lui de clarifier la définition de populisme – un terme un peu galvaudé à force d’être utilisé à tout vent – et d’expliquer en quoi ce phénomène est une réaction populaire aux dogmes néolibéraux.
Depuis quelques années, le terme populisme s’est largement imposé dans le débat public. On a l’impression cependant qu’il est utilisé pour désigner tout et son contraire. On accuse Marine Le Pen d’être populiste, quand François Ruffin se revendiquait comme tel dans nos colonnes. Qu’est-ce que le populisme exactement ?
David Cayla :
Il y a, en gros, deux manières d’aborder le populisme. La première, pour caractériser un parti ou un leader politique. Dans une optique souvent péjorative, on dit d’un leader qu’il est « populiste » parce qu’il serait démagogue et qu’il manipulerait les colères populaires pour se faire apprécier des électeurs en jouant sur l’opposition peuple / élites. Il arrive aussi que l’étiquette soit revendiquée et assumée. Dans ce cas, le populisme renvoie à un projet plus structuré qui impliquerait de rassembler et d’unifier les revendications populaires pour porter un programme de transformation sociale et politique. C’est cette seconde acceptation qui a cours parfois à gauche, notamment chez François Ruffin, et qui explique qu’il puisse se revendiquer comme populiste sans forcément être un démagogue.
Mais il existe une façon totalement différente d’envisager le populisme. Elle consiste à s’interroger non sur l’offre politique mais sur la demande des citoyens. La question n’est donc plus de se demander qui est populiste, mais de savoir pourquoi une population peut être attirée par des idées et des mouvements antisystèmes qui renvoient au populisme. C’est cette seconde approche que j’adopte. Je crois en effet qu’il est vain de chercher à caractériser politiquement le populisme. Certes, la littérature nous enseigne qu’il existe certains critères. Les populistes sont anti-élites et antisystème. Pour le politologue allemand Jan-Werner Müller ils seraient également anti-pluralistes puisqu’ils revendiquent avoir le monopole de l’expression populaire. Mais le populisme dénote surtout une manière particulière de faire de la politique, un certain rapport au monde. On range ainsi sous ce label des organisations clairement d’extrême droite telles que les « Proud boys » qui soutiennent Donald Trump, les dirigeants conservateurs de Hongrie et de Pologne, les gouvernements autoritaires de Russie et de Turquie, des mouvements de gauche comme Podemos, mais aussi le Mouvement cinq étoiles italien, les anti-masques, les pro-Raoult, les gilets jaunes…
Tous ces mouvements n’ont pas grand-chose en commun d’un point de vue programmatique et ne partagent en général pas la même vision du monde. Mais ceux qui les soutiennent ont néanmoins des points communs. S’enthousiasmer sur le professeur Raoult ou le Mouvement cinq étoiles, c’est exprimer une profonde défiance envers les institutions et les classes dirigeantes. En somme, le populisme n’a pas nécessairement d’idéologie structurée car il est avant tout le produit d’un certain état d’esprit, celui d’une défiance populaire qui entend se soulever contre un système jugé oppressif.
Le populisme serait donc pour vous un phénomène social plutôt que politique ?
David Cayla : Exactement ! Ce qui a fait le succès de Didier Raoult, de Donald Trump et de Beppe Grillo c’est qu’ils ont su incarner un élan de révolte. La cristallisation s’est faite sur leur personne, mais elle aurait pu se faire autrement. Le populisme est une réaction chimique qui précipite soudainement dans un système social instable. Si Raoult est devenu le héros des taxis marseillais, ce n’est pas en raison de son discours sur l’hydroxychloroquine ou de la pertinence de ses remèdes, mais parce qu’une partie de la population française, traumatisée par l’annonce du confinement et la confusion du pouvoir, avait besoin de dire « non ». Rappelons que deux semaines avant que le confinement ne soit décidé, le gouvernement profitait d’un Conseil de défense consacré à la pandémie pour annoncer que la réforme des retraites passerait sans examen parlementaire, via la procédure du 49-3.
La crise sanitaire arrive donc dans un contexte de défiance profonde vis-à-vis du pouvoir. Aussi, lorsque la « punition » du confinement est annoncée, au moment où le gouvernement s’avère incapable d’approvisionner les soignants en masques et en matériel médical et que les conditions de travail à l’hôpital sont déplorables, il devient nécessaire qu’une figure d’opposition émerge pour capter cette colère. Ce fut Didier Raoult. Il a été, en quelque sorte, l’instrument de cette révolte, tout comme Trump a été l’instrument du désarroi des populations ouvrières et rurales méprisées, victimes de la mondialisation et de la désindustrialisation. Ce ne sont pas seulement les personnalités qui sont populistes, c’est le mouvement qu’elles incarnent et la colère qu’elles représentent.
Par ailleurs, il faut prendre conscience que le populisme prend des formes spécifiques d’un pays à l’autre en fonction des caractéristiques et de l’histoire des peuples. En France, les mouvements populistes ont tendance à être laïcs et teintés de libertarisme, en Europe centrale ils sont davantage autoritaires et conservateurs, tandis qu’aux États-Unis ils peuvent être anti-État et très religieux, comme le fut le mouvement du Tea Party. En somme, le populisme c’est le retour d’un certain refoulé populaire. On réaffirme une identité collective, souvent fantasmée, contre des classes dirigeantes perçues comme extérieures au peuple et défendant des intérêts contraires à ceux de la population.
Vous mettez en lumière un paradoxe : les leadeurs populistes qui entendent faire tomber le système en sont souvent des représentants particulièrement scintillants. Comment l’expliquez-vous ?
David Cayla :
Un bon leader populiste est rarement une personne qui est elle-même issue des classes populaires. Cela tient à la raison évoquée plus haut. L’objectif de la population qui se donne au populisme est de contester le système en ouvrant une brèche. Lorsqu’on soutient Raoult, c’est d’abord pour contester la « dictature sanitaire ». Or, quoi de mieux qu’un médecin éminent, directeur d’un institut hospitalo-universitaire, pour contredire les décisions du Conseil scientifique ? De même, si l’on veut contester l’arrogance des « yankees » de la côte est, quoi de mieux que de mettre à la Maison Blanche un milliardaire de New York ? En instrumentalisant un membre de l’élite, les classes populaires prennent une sorte de revanche symbolique sur ceux qui, à leurs yeux, les ont trahies. S’approprier un membre de la classe dominante permet de révéler la faiblesse et l’hypocrisie du système qu’elles dénoncent
Mais tous les mouvements populistes n’ont pas nécessairement de leader. Les représentants des gilets jaunes incarnaient bel et bien le peuple français dans toute sa diversité. C’est peut-être justement ce qui a fait la faiblesse du mouvement. Aucun leader incontesté n’a pu émerger, sans doute parce qu’aucune des personnalités qui représentaient les gilets jaunes ne bénéficiait de la légitimité que lui aurait conféré le fait d’appartenir à la classe dirigeante. De ce fait, il manquait un élément important dans le mouvement des gilets jaunes : le plaisir de retourner les élites contre elles-mêmes.
« LE POPULISME EST AVANT TOUT UN CONTREMOUVEMENT QUI SE VEUT RÉPARATEUR. »
Pour comprendre ce paradoxe, il faut en revenir à l’analyse que fait l’historien et économiste Karl Polanyi de la crise des années 1930. Voulant comprendre les causes de l’émergence des mouvements fascistes en Europe, Polanyi estime qu’ils constituent une sorte de réponse, un « contremouvement », créé par la société en réaction à la destruction de l’ordre et des institutions traditionnelles.
Les causes du populisme sont pratiquement les mêmes que celles du fascisme des années 1930. Le populisme est avant tout un contremouvement qui se veut réparateur. Son objectif est moins de précipiter le « grand soir » de la révolution prolétarienne que de remettre la société « à l’endroit ». Seuls ceux qui appartiennent aux classes supérieures rêvent d’une société horizontale et sans frontières, d’un monde plat et sans règles où chacun se livrerait à ses passions individuelles. Les classes populaires, elles, ont surtout envie de retrouver un cadre, des règles, dans lesquels elles auraient toute leur place et le sentiment de compter collectivement. Elles refusent d’être immergées dans le bain de la compétition des désirs individuels. C’est pour cela qu’elles sont attachées à la Nation et à l’imaginaire culturel, historique et politique qui s’y rattache. À l’inverse, rien n’est plus angoissant que de sentir que le pays dans lequel on vit est gouverné par des gens qui n’ont aucun sens des responsabilités et qui semblent jouir du pouvoir de manière totalement immature.
Pour remettre la société à l’endroit, il faut donc trouver l’un des membres de la classe dirigeante qui semble plus honnête, plus sincère, plus attentif au peuple. C’est cette incarnation que cherchent inconsciemment les populations qui se donnent au populisme. Davantage qu’une rupture, c’est un rétablissement qu’elles attendent.
Pour certains, le populisme est susceptible de représenter une menace pour les démocraties libérales. D’autres intellectuels de gauche, comme Chantal Mouffe, analysent le populisme comme une nouvelle manière de faire de la politique. Qu’en est-il au juste ?
David Cayla :
Les deux visions ne sont pas incompatibles ! Le populisme peut effectivement être une nouvelle façon de faire de la politique. Les leaders qui parviennent à agréger les mécontentements peuvent susciter un fort sentiment d’adhésion et remporter de fulgurantes victoires électorales. Après tout, c’est ainsi qu’Emmanuel Macron a gagné la présidentielle de 2017. Tout ce qui vient d’être dit sur le populisme s’applique en effet parfaitement à la campagne électorale de Macron. Il a incarné une forme de rupture avec le système tout en en étant un membre éminent. Pour lancer sa campagne, il publie un livre dont le titre, Révolution, veut sonner le glas de « l’ancien monde ». Il est très jeune, donc neuf, mais aussi ancien ministre, ancien banquier d’affaires, énarque. C’est le Didier Raoult de la politique. Celui qui ose se lever, briser le consensus et le clivage gauche-droite. La stratégie électorale qu’il a mise en œuvre fut indéniablement populiste.Cela dit, on parle ici de la seule campagne présidentielle. Pour ce qui est de faire de la politique, Macron n’a en rien innové. Il a tout de suite repris les habitudes du système politique qu’il avait dénoncées jusqu’à la caricature, ce qui explique l’effondrement de sa popularité. De même, son gouvernement n’a en rien rompu avec les politiques menées par ses prédécesseurs ; il les a plutôt radicalisées, montrant une arrogance et une incompétence dans la gestion des affaires de l’État que la pandémie de Covid-19 s’est chargée de révéler aux yeux du plus grand nombre, avec son lot d’impréparations et d’amateurisme à tous les étages.
Mais le populisme peut aussi être un danger pour les démocraties libérales. En premier lieu, parce qu’il se nourrit de la défiance et du désordre. Le moteur du populisme est le sentiment d’un dysfonctionnement général et profond de la société. Mais si l’on perd confiance dans les institutions, si on ne croit plus au suffrage universel, aux médias, à la parole scientifique… le risque existe de ne pas accepter, par exemple, les mesures sanitaires élémentaires, voire le résultat des urnes, comme cela se passe chez certains soutiens de Trump. La défiance envers les institutions participe d’un affaiblissement du cadre commun indispensable à la vie démocratique. Le risque est de faire émerger des contre-sociétés avec leurs propres institutions, leurs propres médias, leurs propres croyances… qui seront d’autant plus virulentes et violentes qu’elles estiment être des victimes systémiques et qu’elles cherchent de ce fait à s’autonomiser et à s’émanciper.
Le populisme peut enfin être un danger dans sa manière de se revendiquer du peuple. Comme Müller l’explique dans son livre, cette revendication est avant tout morale au sens où ces mouvements peuvent tout à fait être très minoritaires dans l’opinion… ce qui ne les empêche pas de prétendre être les porte-parole de la « majorité silencieuse ». Le problème est qu’en s’identifiant à un « peuple » perçu comme un ensemble homogène, ils délégitimisent a priori toute expression susceptible de contredire leurs thèses. Autrement dit, ils en viennent à considérer ceux qui s’opposent à eux comme des traîtres à la solde d’intérêts économiques particuliers. Cela m’a beaucoup frappé chez les adeptes de Didier Raoult qui rangeaient systématiquement ceux qui contestaient leurs affirmations parmi les vendus au « Big Pharma » ou au pouvoir macroniste. Tous ceux qui les contredisent sont ainsi mis « en dehors » du peuple, ce qui revient à dire qu’il ne faut pas écouter leurs arguments ni leur répondre, mais les combattre et les traiter en ennemis. Il est clair qu’une telle attitude est extrêmement dangereuse pour la démocratie et interdit tout débat serein.
Pourquoi l’Union européenne est-elle structurellement propice à l’émergence de leaders populistes en son sein ?
David Cayla : Les mouvements populistes ont toujours existé et touchent aujourd’hui tous les pays du monde. Pendant longtemps, ils ont été très présents en Amérique latine (péronisme, chavisme…) ou dans les pays arabes (nasserisme), avant de s’imposer dans les anciens pays communistes. On pensait, il y a encore quelques années, que le populisme traduisait surtout la fragilité des démocraties des pays en transition. Mais le fait que des pays développés ayant une très ancienne tradition démocratique comme le Royaume-Uni, les États-Unis ou les Pays-Bas soient touchés contredit cette thèse.
Les pays de l’Union européenne ont connu des phénomènes populistes plus récemment, mais surtout plus massivement. Comment l’expliquer ? C’est d’abord l’un des effets de la crise économique et financière de 2008 et de la crise de l’euro. La gestion des faillites bancaires de 2009, les cures d’austérité imposées à l’Europe du Sud, le conflit ouvert entre le gouvernement grec et les autorités européennes en 2015 ont participé à susciter la défiance des citoyens envers les institutions européennes et leurs classes politiques. Dans beaucoup de pays, notamment en France, l’influence des partis traditionnels s’est soudainement effondrée.
Il faut dire que les gouvernements apparaissent impuissants à combattre la crise financière et les paradis fiscaux, impuissants à engager une politique commerciale ferme vis-à-vis de la Chine et à éviter une désindustrialisation accélérée. À cette impuissance économique s’est ajoutée une impuissance politique dans la gestion de la crise des réfugiés depuis 2015. Sans oublier la crise sanitaire du coronavirus qui semble avoir particulièrement touché l’Europe et qui a participé à la perte de crédibilité des autorités politiques.
L’incapacité des dirigeants à résoudre les problèmes économiques, migratoires et sanitaires affaiblit mécaniquement la confiance des peuples. Mais cette impuissance est en réalité structurelle. En effet, les gouvernements nationaux doivent agir dans un cadre supranational qui limite leur capacité de décision et leurs choix politiques. Comment lutter contre la désindustrialisation alors que la politique commerciale est négociée exclusivement à l’échelle européenne ? Comment maîtriser les flux migratoires alors que les traités imposent la libre circulation des personnes au sein de l’UE ? Comment contrer l’évasion fiscale alors que le droit européen sanctifie le libre mouvement des capitaux ?Ce n’est pas un hasard si l’Union européenne est particulièrement vulnérable au populisme. C’est parce qu’elle a créé dans les années 90, avec le marché unique et l’euro, un cadre institutionnel qui limite le pouvoir des gouvernements nationaux. Je renvoie le lecteur à l’ouvrage du politologue Yasha Mounk, Le Peuple contre la démocratie, dans lequel il explique que l’Union européenne est l’archétype d’un système de démocratie limitée. « La politique de l’euro zone offre un exemple extrême d’un système politique dans lequel les citoyens ont la sensation d’avoir de moins en moins à dire à propos de ce qui se passe dans leur vie », écrit-il avant de qualifier le régime d’Europe de l’Ouest de « libéralisme antidémocratique ». C’est du besoin de démocratie, de l’idée de reprendre le contrôle, que naissent les mouvements populistes dans l’opinion.
A la fin de votre livre vous diagnostiquez la mort imminente du néolibéralisme. Au-delà du débat économique, quand on considère l’état de délabrement dans lequel se trouve le monde – sur le plan écologique bien sûr, mais également humain avec une société désabusée à force de perdre les leviers lui permettant d’influer sur sa propre existence – peut-on dire que c’est la fin d’un cycle historique amorcé au XVIIe siècle, celui de la gouvernementalité par la rationalité ? Le populisme, en mobilisant de grands idéaux pour souder une communauté, n’est-il pas le symptôme de cette transformation ?
David Cayla :
J’espère sincèrement que nous ne sortirons pas de la gouvernementalité par la rationalité. Je suis profondément rationaliste et universaliste. En cela, je reste très attaché à l’esprit des Lumières et au libéralisme classique d’Adam Smith et de John Stuart Mill qui entendaient promouvoir l’émancipation individuelle et collective.
Autant je crois à la fin du néolibéralisme en tant que doctrine de l’action de l’État, parce qu’elle a engendré un monde qui déstabilise en profondeur nos principes démocratiques et notre capacité à vivre collectivement, autant je ne renonce pas au projet d’émancipation et à l’idée de construire une société meilleure fondée sur la raison. Il est vrai que les passions irrationnelles existent et que la crise que connaît le néolibéralisme est porteuse de dangers. Les mouvements populistes peuvent tout à fait être salutaires lorsqu’ils incarnent des revendications sociales légitimes. Il est de toute façon toujours bon que le peuple s’invite à la table des puissants pour faire valoir ses intérêts. C’est la raison pour laquelle, comme beaucoup de Français, j’ai soutenu le mouvement des gilets jaunes. Néanmoins, il faut aussi prendre garde à ce que la contestation légitime de l’ordre néolibéral ne débouche sur des idéologies alternatives délirantes qui pourraient être extrêmement dangereuses et porteuses de violence.
Nous avons redécouvert, depuis un an, le risque pandémique et la fragilité de notre société capitaliste. Je pense que le storytelling néolibéral est en bout de course et que la plupart des gens s’interrogent sur la pertinence de ses principes. Le cycle néolibéral, ouvert dans les années 1970, est clairement en train de s’achever. Mais, pour l’instant, nous n’avons toujours pas de doctrine de remplacement. Souder les communautés, développer de nouvelles représentations du monde, répondre à l’urgence écologique, c’est évidemment fondamental. Mais tout cela doit s’incarner dans une nouvelle conception du rôle de l’État, dans une profonde rénovation démocratique et dans l’organisation d’un nouveau système économique qui ne conduise pas tout le monde à un appauvrissement.
Si nous n’y prenons pas garde, la fin du néolibéralisme peut déboucher sur des choses bien pires que le système actuel. Il convient donc d’être vigilants et intraitables sur le respect de nos libertés fondamentales. Et il convient aussi de s’intéresser au sort des moins fortunés. Car c’est toujours à l’aune du sort qui est réservé aux plus fragiles que se juge le degré de civilisation d’une société.
– T.B.
Références de l'ouvrage de David Cayla : Populisme & néolibéralisme / Editions De Boeck Supérieur / ISBN : 2807328830
Un disque d'accrétion est une structure astrophysique formée par de la matière en orbite autour d'un objet céleste central très dense. Le corps central constitué d'une proto étoile telle que naine blanche, ou trou noir attire par sa force gravitationnelle toute matière passant à proximité sans possibilité d'échappement.
Cette image du disque d'accrétion qui se forme autour d'un trou noir est pour moi une métaphore de la situation politique actuelle. Le vieux monde agonise, les démocraties néo-libérales sont en panne. Le système économique basé sur une croissance infinie n'est pas réaliste et le réchauffement climatique nous le rappelle quotidiennement. Un changement radical semble inéluctable, mais ce qui me parait caractéristique de notre époque, c'est qu'aujourd'hui, seule la droite est armée et prête pour demain.
Tout se passe comme si toutes les volontés de renouveau, toutes les subversions, qu'elles soient de gauche, d'extrême gauche ou pas, se retrouvaient attirées et captées dans le champ de pesanteur d'un 'projet historiquement dominant' actuellement marqué par la pensée d'une droite autoritaire, libertarienne et identitaire. C'est cette attraction, ce 'moment' (au sens historique comme au sens mécanique), ce processus d'agglomération de toute subversion que j'appelle ici 'le disque d'accrétion de droite'.
Depuis des années les partis européens d'extrême droite progressent dans les suffrages et atteignent des records. Le rejet de l'immigration, mais aussi de l' Union Européenne et de la mondialisation sont les causes les plus souvent invoquées. En France, la démocratie représentative, décrédibilisée par des décennies de compromis et de collusion avec les intérêts économiques des puissants se trouve prise dans un face à face mortifère entre un néo-libéralisme autoritaire et un souverainisme populiste. A quatorze mois de l’élection présidentielle de 2022, le scénario paraît écrit d’avance : les électeurs devront à nouveau trancher le duel opposant Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Comme en 2017. C’est en tout cas ce que décrivent les sondages, et ce à quoi s’attend toute une partie du personnel politique (Le Monde 11février 2021). 'Comme deux miroirs face à face Macronie et Lepénie occupent tout l'espace de notre république oligarchique pour en protéger les riches propriétaires par le même non-choix'. En France comme ailleurs, l'essor du populisme se nourrit d'un désaveu cinglant des médias et d'un rejet rageur des élites politiques. La gauche, elle, est devenue inaudible. Son discours ne passe plus auprès des classes les plus populaires, et les militants s'épuisent dans de délétères combats d'égo ou de pureté militante à grands coups de stalinisme intersectionnel.
Suite aux fins de non-recevoir données ces dernières années aux formes classiques de mobilisation (loi travail, réforme retraites), les mouvements sociaux et les influenceurs de gauche se sont radicalisés. Beaucoup échappent désormais aux partis politiques traditionnels et militent parfois sur des média alternatifs souvent bien ancrés à droite. Je pense ici à Michel Onfray, qui tout en se revendiquant de la gauche libertaire, a formé d'étranges alliances et a crée la revue FRONT POPULAIRE pour "réunir les souverainistes de gauche et de droite, mais aussi d'ailleurs et de nulle part'. J'aimais beaucoup Michel Onfray, son travail de vulgarisation de la philosophie et son ouverture d'esprit, mais je suis quand même écœuré par sa collaboration avec Eric Zemmour.
De nouveaux influenceurs sont apparus, parfois difficiles à placer sur l'échiquier politique. C'est signe d'une pensée libre et sans préjugé, et parfois aussi révélateur d'affinités avec des thèses très à droite. Je pense par exemple à Etienne Chouard, initiateur et promoteur du RIC qui se place de lui même à l'ultra gauche, mais qui a fait l'objet de polémiques pour avoir défendu des thèses et des personnalités affiliées à l'extrême droite ou conspirationnistes comme Soral. Idem pour Maxime Nicolle (allias 'Fly rider'). Ce porte-parole des gilets-jaunes s'est illustré par ses revendications démocratiques et par des affirmations plus douteuses, comme quand il a repris des théories d'extrême droite sur "le pacte de Marrakech" de l'ONU sur les migrations.
Coté média, des canaux d'information russes (RT France, Sputnik,...) portent la parole des influenceurs alternatifs de gauche comme de droite. RT France est une chaîne d'information créée en 2017 qui trouve un certain écho dans les milieux conservateurs et nationalistes. En même temps RT France sert de forum à des militants fermement ancrés à gauche comme Franc Lepage, Alain Damasio ou Emmanuel Todd. Sur le terrain de la liberté d'expression, les lignes bougent. Par exemple, le slogan soixante-huitard 'Interdit d'interdire' est devenu le titre d'une rubrique de RT France. Cinquante ans après mai 68, après la chute des régimes communistes, la droite est devenue Championne de la liberté d'entreprendre, mais aussi, de la liberté d'expression. Ainsi, fidèle à sa devise qui est "surtout si vous n'êtes pas d'accord", Causeur est un magazine plutôt réactionnaire mais anticonformiste et très ouvert à la contestation qui a traditionnellement été l'apanage de la gauche.
Aux USA, la recherche de liberté individuelle trouve une justification théorique dans la philosophie politique libertarienne. Les libertariens s'opposent à l'étatisme, au profit d'une coopération libre et volontaire entre les individus sur la base de contrats librement consentis. Pour les libertariens la modération n'a pas de place dans la défense du droit à la libre expression et l'Etat doit se faire le plus léger possible. En cela, le libertarisme constitue un terreau fertile aux politiques de droite et d'extrême droite. Pour ce qui est de la présidence de Donald Trump (président sorti en 2020 avec 47% des suffrages) : "Le nativisme et le protectionnisme de Trump s'apparentent grandement aux discours des partis d'extrême droite en Europe. (.../...) Le même ressentiment à l'égard d'une classe politique aux allégeances idéologiques indistinctes qui a sanctionné la financiarisation de l'économie est aussi perceptible dans l'ensemble du monde occidental" (Philippe Fournier 2018).
Bref, dans le monde occidental qui est le notre, le centre de gravité de la subversion à basculé à droite et ce qui reste de la gauche, porté par des média de droite, a de plus en plus en plus de mal à se distinguer et à faire entendre auprès d'une majorité.
Sur le terrain, les contestations de gauche ou de droite finissent par se recouper et il en résulte une polarisation des opinions selon une ligne binaire divisant le monde entre pro-systèmes et antisystèmes. Les pro-système veulent la continuité, essaient de conserver et de respecter les institutions tandis que les antisystèmes œuvrent à miner la légitimité des régimes qu'ils veulent changer. L'hypocrisie et le dévoiement de nos 'démocraties' aux intérêts privés est si manifeste qu'elle ne soulève même plus les foules. A part être réactionnaire, ou tétanisé par la peur, il n'y a pas de raison à vouloir conserver l'iniquité et la dangerosité du système actuel. Dans le contexte actuel d'effondrement écologique, on ne peut laisser se poursuivre l'action organisée d'un patronat financier autoritaire prêt à ruiner la Terre et ses habitants pour amasser les richesses et conserver ses privilèges. L'histoire doit avancer. La pression grandissante des désespérés, le délitement du lien social, la complexité ingérable de nos systèmes s'ajoute à la perspective de catastrophes climatiques prochaines et donne (si j'ose dire) "espoir" de voir l'histoire basculer bientôt sous l'effet d'un effondrement, ou d'un soulèvement. Quand nous étions jeunes, nous en avons tellement parlé de la révolution ! Peut être la verrons nous ? Mais en tout cas, ce ne sera pas le grand soir socialiste de nos rêves gauchistes. En unissant leurs efforts pour saper l'intenable système actuel, les forces antisystème portent à droite toute(s). Toutes les volontés de changement, qu'elles soient de gauche, d'extrême gauche ou pas, me paraissent canalisées, attirées, accaparées par le disque d'accrétion d'une idéologie de droite dans ce "moment" mécanique et historique actuel.
Historiquement, ici, je pense à la révolution iranienne, aux communistes iraniens des années 70 et je me rappelle Michel Foucault, auteur génial de l'histoire des idées et des sciences humaines, qui parlait en 1979 de Khomeiny (alors réfugié en France) comme du "saint homme exilé à Paris".
"Le mouvement populaire iranien qui intéressait Foucault, quelques mois avant le retour de Khomeiny, révélait en fait trois paradoxes : un peuple sans armes qui fait vaciller un régime armé; une révolte qui s'étend sans se disperser ni se diviser; un mouvement qui n'a pas d'autre objectif que de dire "non" au Chah [dégagisme]. Pas d'armes, pas d'intérêt personnel ou corporatiste, pas de programme. Ce qui pourrait apparaître au premier abord comme une lacune (un mouvement sans contenu et sans moyen) est au contraire ce qui fait apparaître dans sa nudité la vérité de ce mouvement : il ne peut être détourné ou récupéré, car il ne possède rien en propre."
Ce constat fait en 2004 par Philippe Chevallier me rappelle nombre de mouvements actuels, spontanés, sans organisation revendiquée, ni revendications claires. Comme ceux de la place Tahrir au printemps égyptien, comme 'Occupy Wall-Street' en 2011 et d'autres révoltes. Mais 20 ans après que reste t'il de ces mouvements ?
Il semble que l'histoire profite à ceux qui sont prêts et organisés. En Russie, en 1917 les bolchevicks n'étaient pas très nombreux, mais comme ils étaient bien organisés et très influents dans les syndicats, ils ont pris le pouvoir. Toutes choses égales par ailleurs, on pourrait faire ici la comparaison avec le poids des syndicats policiers en France. Quand on sait que les trois quart des policiers d'active envisagent de voter pour Marine Le Pen, qui serait le mieux armé et le plus organisé en cas de soulèvement ? l'antifa ou les syndicats policiers et les forces de l'ordre ?
De surcroit, l'autoritarisme décomplexé qui devient la norme au niveau mondial inspire de plus en plus les démocraties occidentales et forcément l'opinion et la sphère politique française.
Bref, je suis un indécrottable pessimiste, et pour les années qui viennent je crains de voir le système actuel de plus en plus inégalitaire et répressif débordé par des soulèvements qui finiront par consacrer une idéologie faite d'autoritarisme d'identitarisme et de sécurité.
"Je suis bien sûr ultra-favorable aux tests, mais j’ai voulu montrer sur un cas simple que la question de leur fiabilité est cruciale.
Dans mon exemple, une personne positive a 98 chances sur 100 de ne pas être malade, ce qui rend le test fort peu utile !"
Cet entretien accordé à Marianne relate la prise de position d'Etienne Klein suite à la parution d'un 'tract de crise' chez Gallimard le 31 mars 2020 intitulé 'je ne suis pas médecin mais...' où le physicien disserte sur cette dialectique moderne dans laquelle le désir de véracité se double de suspicion à l'égard de la vérité .
Afin de démontrer l'existence de nos biais cognitifs, son texte s'ouvre donc sur une expérience de pensée montrant qu'un test fiable à 95% permet d'affirmer qu'un patient détecté positif est réellement malade avec une probabilité de 2% seulement si le test est réalisé sur une population où la prévalence de la maladie est de 1/1000.
Le calcul est rigoureusement juste, mais ce qui ne l'est pas c'est l'hypothèse faite sur la prévalence parmi la population testée. En effet, dans la vraie vie, seuls les malades présentant des symptômes vont bénéficier d'un test. Ainsi, si la prévalence de malades est de 10% parmi la population testée, la probabilité de vérité du test monte à 66%. Avec 20% de prévalence cette même probabilité s'élève à 80%. D'autre part, afin d'élever ce niveau de confiance, rien n'empêche de faire un deuxième test afin de confirmer le résultat du premier, la probabilité de vérité du test s'élève alors à 96%.
A l'époque donc, dans la panique du premier confinement, en pleine pénurie de masques, de tests et de gel hydroalcoolique, Sibeth N'Diaye (alors porte-parole du gouvernement) nous apprenait que 'le port du masque peut être contre-productif' et Marianne nous démontrait, par l'entretien d'Etienne Klein, que "une personne positive a 98 chances sur 100 de ne pas être malade, ce qui rend le test fort peu utile ".
Simple coïncidence ?... Je ne sais pas. Par contre ce qui est certain, c'est que le calcul d'Etienne Klein, a suscité autant de réactions que d'incompréhensions.
Au delà de la surprise de cette démonstration supposée nous faire prendre conscience de nos biais de pensée, j'ai été frappé de voir que le manque de compréhension du raisonnement d'Etienne Klein (pourtant clair) n'empêchait pas ses lecteurs de prendre parti et de défendre bec et ongle leurs positions sans discuter, ni suivre le raisonnement statistique qu'il avait utilisé.
Ainsi, dès le 6 avril, Etienne Klein se fait attaquer par un blogger médiapart, qui ne remet nullement en cause l'hypothèse conduisant Klein à affirmer que ' le test [est] fort peu utile', mais reproche à Klein "d' entreprendre, au nom de la SCIENCE, une charge contre le Pr Raoult et contre ceux qui prétendraient avoir un avis en faveur de cette méthode thérapeutique". Bref, il y avait de la polémique dans l'air, mais rien d'autre.
En fait, très peu de lecteurs suivent le raisonnement d'Etienne Klein jusqu'au bout et moins encore le questionnent. Le plus important semble être de se positionner, de s'affilier, de CROIRE en Klein ou en ses adversaires. D'après les réactions et les commentaires, ce qui compte, c'est être d'accord ou pas d'accord, mais sans explication ni argumentation. Même doté d'un solide bagage scientifique, le lecteur écoute la démonstration, applaudit le calcul, prend parti pour ou contre, mais ne discute pas les hypothèses, ne refait pas le calcul lui même. Science sans conscience n'est donc que rouille de l'âme !
Par exemple, je me suis fait remettre à ma place par un fan d'Etienne Klein qui m'a accusé de "ne pas être à son niveau pour comprendre " pas faux peut être, mais je trouve surprenant que le propre du maître soit de ne pouvoir être compris de ses lecteurs.
Repérer, chez les autres, de tels biais cognitifs est désespérant. Il est désespérant de réaliser qu'il existe autant de difficulté à communiquer, même lorsqu'il s'agit d'un calcul élémentaire magistralement expliqué. Un tel constat me fait douter de ma lucidité et de mon libre-arbitre : si mes pairs sont affectés de biais cognitifs aussi évidents, cela montre que je suis moi aussi victime de biais grossiers. J'ai pu voir clair ici, mais ailleurs ?
L'histoire ne s'arrête pas là. Fin novembre 2020, Etienne Klein fait une conférence au cours de laquelle il reprend le même raisonnement, fait la même démonstration et déclare " Pour les paramètres que j'ai pris comme paramètres d'hypothèse, (prévalence 1/1000,fiab 95%), si vous avez une personne positive dans ces conditions, il y a 98 chances sur 100 qu'elle ne soit pas malade. C'est énorme ! Autrement dit, le test ne sert à rien. Je dis ça pour tous ceux qui au moi de mars réclamaient des tests, des tests des tests. Si les tests ne sont pas fiables, ils ne servent à rien et peuvent même avoir des effets négatifs." cqfd ?
Une nouvelle fois, Klein nous assène cette conclusion sans que l'hypothèse de départ (la prévalence) soient discutée. Le biais du discours réside ici dans l'utilisation d'un calcul juste mais biaisé, afin d'argumenter face à une opinion .
Comble d'ambigüité, dans une pirouette médiatique, le 1er décembre, Libération publie un 'checknews' affirmant que "Non, le physicien Etienne Klein n'a pas dénoncé dans une conférence l'inutilité des tests PCR'. Ce qui est d'un côté exact, et d'un côté trompeur car Klein, fagoté comme un prestidigitateur, fait et refait son petit calcul et nous laisse sur une conclusion brillante mais biaisée sans dévoiler le 'truc' de la prévalence.
Ainsi, d'un côté le message selon lequel le manque de test n'était pas un problème en mars est largué dans l'opinion, tandis que de l'autre Klein repart les cuisses propres après nous avoir mis en garde sur nos biais cognitifs.
Bref, Comprend qui veut et surtout ce qu'il peut !
portez vous bien,
Ozias
PS. Finalement, voici mes calculs. Dites moi si vous avez des questions, ou des réflexions sur cet article. mon mail lui n'a pas changé : emagic.workshop@gmail.com
La mécanique quantique est la théorie mathématique et physique décrivant la structure et l'évolution dans le temps et l'espace des phénomènes physiques à l'échelle atomique et subatomique.
L'expérience la plus convaincante, et la plus simple à saisir, est celle des fentes de Young qui consiste à envoyer des électrons, un par un, vers deux fentes taillées dans un panneau.
Une fois les fentes franchies, l'électron arrive sur un détecteur où il est transformé en signal lumineux (mesure).
1. Avant la mesure, chaque électron se comporte comme une onde. La densité de probabilité de son état (composé de position, vitesse, direction, spin..) est décrite par sa fonction d'onde formalisée par l'équation de Schrödinger.
2. Au fur et à mesure que les électrons arrivent sur l'écran détecteur situé derrière les fentes, un spectre d'interférence apparait. (fig.(c) ci dessous). Conformément aux calculs, et ainsi que le montre l'expérience, cela signifie que l'onde traverse les deux fentes à la fois, et se superpose à elle même pour donner un spectre à bandes multiples . En effet, si les électrons passaient aléatoirement par une fente ou l'autre, le résultat de la mesure se limiterait à deux bandes. Chaque électron est donc passé par les deux fentes à la fois en se comportant comme une onde qui interfère avec elle-même.
3. Quand l'électron rencontre l'écran détecteur, il produit un spot lumineux en déclenchant l'émission de photons. Chaque point lumineux matérialise la position de l'électron lors de son arrivée sur l'écran. L'intégration de l'ensemble de ces points lumineux résulte en un spectre d'interférence.
Ce qui est remarquable c'est qu'à partir du moment où il est 'mesuré' l'électron se comporte comme une particule, et non plus comme une onde. La position de l'électron au moment de la mesure (ici lors de l'arrivée sur l'écran) est 'déterminée' au hasard (principe d'incertitude), et selon la densité de probabilité propre à la fonction d'onde qu'avait l'électron.
Je recommande particulièrement l'animation ci-dessous qui visualise bien le phénomène :
Il semble qu'au cours de sa mesure, l'électron, interagit avec une multitude d'autres particules, et que cela provoque l'écroulement de sa fonction d'onde (décohérence) que modélisait l'équation de Schrödinger. Une fois détecté l'électron perd sa nature ondulatoire et se matérialise en particule. La mesure agit comme un brouilleur qui empêche l'onde quantique de rester onde.
La mesure est Le problème de la mécanique quantique. Toute mesure effondre la fonction d'onde. L'onde se transforme alors en particule qui choisit(?) aléatoirement(?) un 'état' (position, vitesse, spin ...) parmi plusieurs possibles .
"En mécanique quantique, la "mesure" n’est pas une observation sans effet, comme dans la science classique, mais un acte qui transforme inévitablement ce qu’il cherche à saisir. Observer un état quantique, c’est le modifier, le fixer d’une certaine manière, au point que la "mesure" devient une prédiction statistique, une sorte de confirmation des corrélations établies dès l’intrication initiale Dans ce cadre, ce que nous percevons comme le "temps réel" n’est plus qu’un espace où se révèlent les échos de corrélations passées, que l’acte de mesure expose sans jamais nous offrir l’état initial inchangé. C’est une révélation déguisée en lecture, une projection de liens prédéterminés qui deviennent visibles dans le présent sans jamais trahir l’histoire originelle." (trouvé chez J Costoso)
Les expériences de "choix retardé" illustrent cette idée : des décisions actuelles semblent influencer des trajectoires passées, comme si l’état passé se "déterminait" au moment de l’observation présente. Ce phénomène nous invite à voir l’intrication comme une danse de corrélations intemporelles, où chaque mesure fixe une préfiguration d’un état déjà écrit, mais jamais totalement accessible.
Mais alors, que se passe t'il pendant la mesure ? A vrai dire, compte tenu du caractère non intuitif du phénomène, il n'y a pas de consensus sur les explications et les conséquences de cette dualité onde/corpuscule, mais plutôt diverses interprétations :
A. Interprétation de Copenhague (l'onde imaginaire):
L'interprétation de Niels Bohr (1920) est très pragmatique et très répandue. La fonction d'onde imaginée par les physiciens est une modélisation mathématique sans réalité propre. En revanche, suite à la mesure les propriétés de la particules sont définies et sa réalité devient tangible. En somme, la réalité est ce que je mesure. La particule n'a pas d'existence quantique en soi, mais seulement une probabilité de présence.
Le principal revers de cette théorie est de ne pouvoir expliquer ce qui se passe lors du passage du quantique au comportement classique.
B. Interprétation des ondes pilotes (coexistence onde/particule) :
Dans cette interprétation l'électron n'est ni une onde, ni une particule, mais les deux à la fois et au même moment. La particule coexiste avec l'onde qui la guide. La fonction d'onde 'guide la particule' comme la vague porte un surfeur. Dans le dispositif des fentes de Young l'électron passerait par une seule fente tandis que l'onde passerait par les deux fentes à la fois ce qui explique le profil d'interférence.
Le revers de ce modèle c'est que au moment précis de la mesure l'onde doit agir de façon instantanée sur la particule à distance, or ce point n'est guère conciliable avec la relativité qui considère indépassable la vitesse de la lumière.
C. Interprétation 'QBiste' : "La conscience provoque l'effondrement" :
Du point de vue QBiste, tout l'appareil mathématique de la mécanique quantique est un manuel d'utilisation réservé à un utilisateur unique et permettant aux expérimentateurs d'être guidés dans leurs anticipations de mesure. L'état quantique qui d'après la règle de Born, génère des probabilités, ne concerne alors plus l'état du microsystème lui-même, mais plutôt les degrés de croyance qu'un agent a sur les résultats possibles des mesures .
«L' effondrement de la fonction d'onde » - est simplement l'agent qui met à jour ses croyances en réponse à une nouvelle expérience.
D. Interprétation des mondes multiples (multivers) :
Ce qui intrigue Hugh Everett, c'est justement le passage du classique au quantique : Comment la particule fait elle pour choisir un état parmi plusieurs possibles ?
Dans cette interprétation la particule ne choisit pas, mais elle évoluerait vers tous les états à la fois dans des univers parallèles. Notre univers se dupliquerait ainsi, à chaque instant en un nombre astronomique de branches. Ces univers vivraient ensuite en parallèle, sans lien possible entre eux.
Pour Everett les solutions de l'équation de Schrödinger décrivent une multiplicité de destinées des appareils de mesure et des observateurs humains. Everett avance dans sa thèse que la réduction du paquet d'ondes est une sorte d'illusion qui résulte du postulat d'évolution unitaire et de l'intrication entre le système observé et le système observateur. Le principal revers de cette théorie est de ne pas bien expliquer pourquoi la probabilité observée semble suivre le carré de la fonction d'onde(*)..
Il existe bien d'autres interprétations (ondes pilotes, stochastiques, etc, mais pour les physiciens la position la mieux partagée est le "shut up and calculate" car la science se préoccupe plus des 'comment' que du 'pourquoi'.
Une certaine spiritualité "new-age" invoque les propriétés quantiques pour expliquer les mystères de la conscience et proposer des thérapies à base de méditation etc. Même si ces extrapolations paraissent séduisantes, à la température de 37°C et composés de milliards de milliards de molécules, nos corpsne peuvent être dans une superposition d'états globale quantique, et donc nous n'échapperons pas aux règles de la mécanique classique.
Je trouve capitales ces questions d'interprétations relatives à l'effondrement de la fonction d'onde. Cet exemple montre bien l'impact que la mesure et les observateurs ont dans un phénomène. Certains auteurs parlent ici 'd'objectivité contextuelle'.
D'un point de vue très global, et hors du champ scientifique, il semble qu'épistémologiquement il n'est plus possible de considérer un phénomène sans prendre en compte son contexte. Intuitivement, je pense parfois que l'incompatibilité des approches intersectionnelles versus universalistes s'apparente aux divergences d'interprétations suscitées par l'effondrement de la fonction d'onde.
Pour résumer ma pensée, je dirais que L'électron -en tant que particule- est, en quelque sorte, une post-vérité de la fonction d'onde (lol).
(*) Dans l'équation de Schrödinger la densité de probabilité de présence ou probabilité de trouver une particule au voisinage de la position r (qui est un volume) à l'instant t est proportionnelle au module au carré de la fonction d'onde. |Ψ|2=|Ψ(r,t)|2
Les découvertes scientifiques majeures du début XXème siècle telles que la relativité et la physique quantique ont définitivement déboulonné l'antique vision horlogère du monde. Le déterminisme et la causalité ont fait place aux probabilités et au principe d'incertitude. Par exemple, dès 1935, Karl Popper affirme que "la science ne repose pas sur un lit de granit" et en 1952 Heidegger nous dit que 'la science ne pense pas' et il rajoute "la philosophie n'est pas science".
A l'issue de la seconde guerre mondiale, avec le développement des sciences humaines et sociales, et entraînés par les succès de l'économie de guerre et de la planification, le savoir et la science sont devenus des produits de nos sociétés destinés à servir des besoins sociaux. A l'Est, pour des raisons idéologiques, la propagande stalinienne dénonce la "science bourgeoise" et préfère les thèses fumeuses de Lyssenko aux théories chromosomiques de l'hérédité. A l'Ouest, les néo-libéraux, partisans d'un monde de "liberté" et de "flexibilité" promeuvent la concurrence des idées à la place de l'expertise traditionnellement monolithique.
Dans les années 80, la montée en puissance du néo-libéralisme, puis la dislocation du bloc soviétique ont consacré la mondialisation des marchés et favorisé le développement des clubs, des think-tanks, et des lobbies politiques et économiques.
Le monde de 2020, traversé par une pandémie, menacé par le réchauffement climatique, et livré aux mains de sociétés privées qui concentrent la plus grande partie des richesses, semble plus effrayant que jamais.La peur instrumentalisée s'empare des esprits et la sécurité prime sur les libertés. Comme disait Averroès, "l'ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence".
L'opinion réclame des solutions simples, des réponses claires et des leaders forts, qui cognent et qui protègent. Par exemple, et selon une étude réalisée pour la huitième année consécutive pour le quotidien « le Monde », plus de 80 % des Français estiment qu’« on a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre ». La radicalité et l'autoritarisme fleurissent à droite comme à gauche boostés par des réseaux sociaux qui leur servent de chambre d'écho et sur lesquels l'authenticité supplante la vérité. "L’isolation électronique des gens avec lesquels nous sommes en désaccord permettent aux forces des biais de confirmation, la pensée de groupe, et le tribalisme de nous écarter toujours plus les uns des autres"* .La compétition exacerbée présente la vie comme un jeu à somme nulle dont la seule issue est de gagner, ou de ne pas perdre ses biens, ses avantages, son identité, et ce, aux dépens de son adversaire. Comme en sorcellerie, "qui n'est pas agresseur devient victime, qui ne tue pas meurt" dans de telles circonstances où il n'y a pas de place pour l'autre, la rationalité est reléguée au second plan.
D'autre part, la remise en question des autorités trans-partisanes et le rejet de l'universalisme classique conduit à des replis communautaires qui favorisent l'entrisme et la radicalité. Dans la perspective de luttes identitaires, la validité d'une information n'est plus évaluée sur la base de standards universels, mais sur une vision subjective du monde compatible avec cette identité. Le lobbyisme néo-libéral, qui depuis longtemps a montré son efficacité, et les combats identitaires se syncrétisent sous forme d'épistémologie tribale (relativisme épistémologique)où la vérité d'une information, l'intérêt d'un fait, dépend -pour celui qui en prend conscience- avant tout de sa capacité à supporter les valeurs de sa communauté.
Il y a aussi cette espèce de narcissisme et d'hyperémotivité exacerbée propre à notre époque. L’échange libre des informations et des idées, qui est le moteur même des sociétés libérales, devient de plus en plus limité. La censure, que l’on s’attendrait plutôt à voir surgir du côté des droites radicales, se répand dans toute notre culture: intolérance à l’égard des opinions divergentes, goût pour l’humiliation publique et l’ostracisme, tendance à dissoudre des questions politiques complexes dans une certitude morale aveuglante. Blessés, offensés comme des intégristes, les identitaires de de droite et de gauche s'alimentent réciproquement. Malheureusement, il ne suffit pas toujours de dire vrai pour avoir raison.
Face à une logique faite d'objectifs communautaires et de compétitions victimaires le contrat social et le jeu démocratique perdent leurs sens. Ainsi, "Pour Trump, la vérité n’existe pas, elle n’a pas de réalité autre que ce qu’il croit dans un moment donné et qui peut changer le lendemain. Ses porte-parole parlent de "faits alternatifs", faits qui prennent de l’importance par la grâce des réseaux. Ce n’est pas le mensonge politique qui est nouveau, c’est l’échelle à laquelle il est reproduit qui en change la nature. Elle gomme la frontière entre réel et fiction ; vrai et faux ; fantasme et réalité". Il y a un problème de relation à la vérité, l'absence totale de régulation des plateformes qui conduit à des fakenews, des rumeurs complotistes, des mensonges qui prospèrent car ils ont des millions d'adeptes. Puissance des réseaux sociaux qui, par l'ampleur qui lui donnent, transmutent le mensonge pour créer une réalité alternative.
Les "faits" ne parlent pas d'eux-mêmes mais seulement en rapport avec des institutions et des normes. Sans institutions crédibles capables de démêler le vrai du faux les médias ne peuvent être considérés neutres et il ne peut y avoir de vérités que partisanes. L'un des traits de l'autoritarisme est justement de démonter les institutions et de déconstruire l'état administratif comme Trump le fait aux USA depuis 2016. La norme n'a plus de valeur si le président lui-même la méprise. Dans les pays qui ont déjà succombé aux autocraties (comme la Russie, la Turquie, la Hongrie etc..) le déclin des institutions et des normes est à la fois cause et conséquence de l'autoritarisme. Trump et les autocrates tirent leur crédit du discrédit qu'ils jettent sur les institutions. Cette inversion explique la provocation et les conflits permanents, l'émergence continue et instrumentalisée de fausses nouvelles.
Au bout du compte, dans un univers multipolaire où la réalité se résume à un jeu à somme nulle, comment faire pour que la vérité compte à nouveau ? Sans normes partagées, se battre à la loyale et pour un idéal de neutralité revient à jouer aux échecs avec un pigeon: le pigeon va juste renverser toutes les pièces, chier sur le jeu et glousser comme s’il avait gagné.
Alors, comment lutter pour que tout ne soit pas égal et donc sans valeur ? Il y a peu à attendre du côté d'une opinion échaudée depuis des années par l'industrie du doute des lobbies du tabac et des phytosanitaires. Côté institutions, l’État s'est souvent lui-même montré "le principal instigateur des inégalités" en produisant des normes et des lois essentiellement favorables à la classe dominante. Idem côté médias, où la concentration mondiale des entreprises médiatiques et leur dépendance aux grands acteurs économiques n'inspire nullement confiance. "La défiance envers les institutions participe d’un affaiblissement du cadre commun indispensable à la vie démocratique. Le risque est de faire émerger des contre-sociétés avec leurs propres institutions, leurs propres médias, leurs propres croyances… qui seront d’autant plus virulentes et violentes qu’elles estiment être des victimes systémiques et qu’elles cherchent de ce fait à s’autonomiser et à s’émanciper." David Cayla
Dans l'isolement systémique libéral actuel la vérité est ce qui paye, la vérité, est ce qui m'aide (et naturellement, Dieu, ou la Science, ou ma Conscience sont à mes côtés :). Même si comme disait Valery, "Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l'est pas est inutilisable.", ce qui est sûr, c'est que le simplisme est fédérateur, mais ne mène qu'à la connerie.
Bref, en attendant la formalisation de l'objectivité contextuelle, la vérité est au fond du puits, Ubu est roi, et nous... on n'est pas sorti du bois !
Oz
* (J. Haidt et G. Lukianoff)
Mais comment ça peut être faux puisque c'est exactement ce que je pense ?
La vérité sortant du puits
Pensées à la volée :
Bientôt, la vérité c'est ce que tu racontes, le réel c'est ce qu'on te dit.
Nous sommes des interprètes du réel.
La réalité est un possible.
Une contradiction n'est pas une micro-agression.
Le chacun pour soi est il la règle pour tous ?
Il ne suffit pas de dire vrai pour avoir raison.
Le réel est ce qui résiste.
L'esprit est tout ce qui n'est pas réalisé.
La conscience est ce qui réalise.
Croire est une expérience.
Aimer, c'est faire exister
La réalité, c'est ce qui continue d'exister lorsqu'on a cessé d'y croire. Philip K. Dick