Dans mon exemple, une personne positive a 98 chances sur 100 de ne pas être malade, ce qui rend le test fort peu utile !"Cet entretien accordé à Marianne relate la prise de position d'Etienne Klein suite à la parution d'un 'tract de crise' chez Gallimard le 31 mars 2020 intitulé 'je ne suis pas médecin mais...' où le physicien disserte sur cette dialectique moderne dans laquelle le désir de véracité se double de suspicion à l'égard de la vérité .
Afin de démontrer l'existence de nos biais cognitifs, son texte s'ouvre donc sur une expérience de pensée montrant qu'un test fiable à 95% permet d'affirmer qu'un patient détecté positif est réellement malade avec une probabilité de 2% seulement si le test est réalisé sur une population où la prévalence de la maladie est de 1/1000.
Le calcul est rigoureusement juste, mais ce qui ne l'est pas c'est l'hypothèse faite sur la prévalence parmi la population testée. En effet, dans la vraie vie, seuls les malades présentant des symptômes vont bénéficier d'un test. Ainsi, si la prévalence de malades est de 10% parmi la population testée, la probabilité de vérité du test monte à 66%. Avec 20% de prévalence cette même probabilité s'élève à 80%. D'autre part, afin d'élever ce niveau de confiance, rien n'empêche de faire un deuxième test afin de confirmer le résultat du premier, la probabilité de vérité du test s'élève alors à 96%.
A l'époque donc, dans la panique du premier confinement, en pleine pénurie de masques, de tests et de gel hydroalcoolique, Sibeth N'Diaye (alors porte-parole du gouvernement) nous apprenait que 'le port du masque peut être contre-productif' et Marianne nous démontrait, par l'entretien d'Etienne Klein, que "une personne positive a 98 chances sur 100 de ne pas être malade, ce qui rend le test fort peu utile ". Simple coïncidence ?... Je ne sais pas. Par contre ce qui est certain, c'est que le calcul d'Etienne Klein, a suscité autant de réactions que d'incompréhensions.
Au delà de la surprise de cette démonstration supposée nous faire prendre conscience de nos biais de pensée, j'ai été frappé de voir que le manque de compréhension du raisonnement d'Etienne Klein (pourtant clair) n'empêchait pas ses lecteurs de prendre parti et de défendre bec et ongle leurs positions sans discuter, ni suivre le raisonnement statistique qu'il avait utilisé.
Ainsi, dès le 6 avril, Etienne Klein se fait attaquer par un blogger médiapart, qui ne remet nullement en cause l'hypothèse conduisant Klein à affirmer que ' le test [est] fort peu utile', mais reproche à Klein "d' entreprendre, au nom de la SCIENCE, une charge contre le Pr Raoult et contre ceux qui prétendraient avoir un avis en faveur de cette méthode thérapeutique". Bref, il y avait de la polémique dans l'air, mais rien d'autre.
En fait, très peu de lecteurs suivent le raisonnement d'Etienne Klein jusqu'au bout et moins encore le questionnent. Le plus important semble être de se positionner, de s'affilier, de CROIRE en Klein ou en ses adversaires. D'après les réactions et les commentaires, ce qui compte, c'est être d'accord ou pas d'accord, mais sans explication ni argumentation. Même doté d'un solide bagage scientifique, le lecteur écoute la démonstration, applaudit le calcul, prend parti pour ou contre, mais ne discute pas les hypothèses, ne refait pas le calcul lui même. Science sans conscience n'est donc que rouille de l'âme !
Par exemple, je me suis fait remettre à ma place par un fan d'Etienne Klein qui m'a accusé de "ne pas être à son niveau pour comprendre " pas faux peut être, mais je trouve surprenant que le propre du maître soit de ne pouvoir être compris de ses lecteurs.
Repérer, chez les autres, de tels biais cognitifs est désespérant. Il est désespérant de réaliser qu'il existe autant de difficulté à communiquer, même lorsqu'il s'agit d'un calcul élémentaire magistralement expliqué. Un tel constat me fait douter de ma lucidité et de mon libre-arbitre : si mes pairs sont affectés de biais cognitifs aussi évidents, cela montre que je suis moi aussi victime de biais grossiers. J'ai pu voir clair ici, mais ailleurs ?
L'histoire ne s'arrête pas là. Fin novembre 2020, Etienne Klein fait une conférence au cours de laquelle il reprend le même raisonnement, fait la même démonstration et déclare " Pour les paramètres que j'ai pris comme paramètres d'hypothèse, (prévalence 1/1000,fiab 95%), si vous avez une personne positive dans ces conditions, il y a 98 chances sur 100 qu'elle ne soit pas malade. C'est énorme ! Autrement dit, le test ne sert à rien. Je dis ça pour tous ceux qui au moi de mars réclamaient des tests, des tests des tests. Si les tests ne sont pas fiables, ils ne servent à rien et peuvent même avoir des effets négatifs." cqfd ? Une nouvelle fois, Klein nous assène cette conclusion sans que l'hypothèse de départ (la prévalence) soient discutée. Le biais du discours réside ici dans l'utilisation d'un calcul juste mais biaisé, afin d'argumenter face à une opinion .
Comble d'ambigüité, dans une pirouette médiatique, le 1er décembre, Libération publie un 'checknews' affirmant que "Non, le physicien Etienne Klein n'a pas dénoncé dans une conférence l'inutilité des tests PCR'. Ce qui est d'un côté exact, et d'un côté trompeur car Klein, fagoté comme un prestidigitateur, fait et refait son petit calcul et nous laisse sur une conclusion brillante mais biaisée sans dévoiler le 'truc' de la prévalence.
Ainsi, d'un côté le message selon lequel le manque de test n'était pas un problème en mars est largué dans l'opinion, tandis que de l'autre Klein repart les cuisses propres après nous avoir mis en garde sur nos biais cognitifs.
Bref, Comprend qui veut et surtout ce qu'il peut !
portez vous bien,
Ozias
PS. Finalement, voici mes calculs. Dites moi si vous avez des questions, ou des réflexions sur cet article. mon mail lui n'a pas changé : emagic.workshop@gmail.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire