samedi 19 septembre 2015

Seuls ensemble

Pour entrer en contact avec ceux qui sont loin nous avons d'abord envoyé des lettres puis des télégrammes  avant que le téléphone permette d'entendre les voix. Ces techniques étaient des substituts : elles étaient mieux que rien quand il était impossible de se voir en tête à tête. Mais nous avons très vite commencé à préférer parler au téléphone plutôt que de se voir. Dès les années 70, nous n'étions jamais très loin de nos téléphones, car l'arrivée des répondeurs téléphoniques nous invitait déjà à surveiller tous nos appels entrants. Les gens apprenaient à laisser le téléphone sonner et à "laisser le répondeur décrocher à leur place". 
A l'étape suivante de cette histoire, c'est la voix elle même qui disparut  des messages quand il devint plus rapide de communiquer par écrit. Les emails permettaient de mieux contrôler son temps et l'exposition de ses émotions. Mais même les mails n'étaient plus assez rapides. 
Avec l'arrivée de la connectivité mobile (les textos, les tweets) nous pouvons maintenant parler de nos vies presque aussi vite que nous les vivons et nous pouvons "traiter" les gens aussi vite qu'on le souhaiteL'écoute elle, ne peut que nous ralentir. Nous nous exprimons par salves de messages lapidaires, mais nous en envoyons énormément, souvent à plusieurs destinataires à la fois. Nous en recevons encore plus de réponses- et l'idée de communiquer autrement que par écrit finit par paraître épuisante. De plus, Par texto, par chat ou par email, on peut ne dire que ce que l'on veut dire et cacher le reste. On peut se présenter comme on veut "être vu". Nous rêvons de n'être jamais seuls et de toujours contrôler la situation.  En ligne, nous trouvons facilement "de la compagnie", mais l'exigence d'être en représentation permanente nous épuise. Nous aimons être toujours connectés, mais on nous accorde rarement une attention totale. Nous touchons un public quasi instantanément mais affadissons notre propos par le formatage bref ou l’utilisation d’abréviations, d'émoticônes. Nous faisons de nouvelles rencontres, mais elles nous paraissent instables, toujours susceptibles d'être mises sur "pause" si une meilleure occasion se présente.
Nous aimons penser qu'Internet nous "connait" mais nous payons ceci de notre vie privée et laissons derrière nous des traces numériques qui peuvent être exploitées politiquement et commercialement. Internet est un régime de surveillance qui n'oublie jamais rien. Cette idée est si intolérable qu'on fait comme si de rien n'était.

Le système est en train de se retourner contre nous. Comme aurait pu le dire Shakespeare, aujourd'hui "Ce qui nous nourrit nous consume". 

D'après "Seuls Ensemble". Sherry Turkle. Editions l'Echappée
Isaac Cordal. The office
'../... une pure accumulation de données finit par saturer et obnubiler, comme une espèce de pollution mentale. En même temps, les relations réelles avec les autres tendent à être substituées, avec tous les défis que cela implique, par un type de communication transitant par Internet. Cela permet de sélectionner ou d’éliminer les relations selon notre libre arbitre, et il naît ainsi un nouveau type d’émotions artificielles, qui ont plus à voir avec des dispositifs et des écrans qu’avec les personnes et la nature. Les moyens actuels nous permettent de communiquer et de partager des connaissances et des sentiments. Cependant, ils nous empêchent aussi parfois d’entrer en contact direct avec la détresse, l’inquiétude, la joie de l’autre et avec la complexité de son expérience personnelle. C’est pourquoi nous ne devrions pas nous étonner qu’avec l’offre écrasante de ces produits se développe une profonde et mélancolique insatisfaction dans les relations interpersonnelles, ou un isolement dommageable'.
Le Pape. Encyclique Laudato si'
Hyperconnectivité. Waldemar von Kazak
Zuckenberg et ses fans
Hillary Clinton et ses fans
Voir aussi sur ce blog : 
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2013/12/facebook.html
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2014/04/rezos-sociaux.html

Et aussi : http://culturainquieta.com/es/lifestyle/item/8685-25-ilustraciones-satiricas-sobre-nuestra-adiccion-a-la-tecnologia.html

samedi 12 septembre 2015

La santé (Nietzsche)

"En soi, il n'y a point de santé et toutes les tentatives pour donner un nom à cette chose ont misérablement avorté. Il importe de connaître ton but, ton horizon, tes forces, tes impulsions, tes erreurs et surtout l'idéal et les fantômes de ton âme pour déterminer ce que signifie la santé, même pour ton corps. Il existe donc d'innombrables santés du corps; et plus on permettra à l'individu particulier et incomparable de lever la tête, plus on désapprendra le dogme de "l'égalité des hommes", plus il faudra que nos médecins perdent la notion d'une santé normale, d'une diète normale, du cours normal de la maladie. Et, alors seulement, il sera peut-être temps de réfléchir à la santé et à la maladie de l'âme et de mettre la vertu particulière de chacun dans sa santé : la santé pourrait ressembler chez l'un au contraire de la santé chez l'autre. Finalement, la grande question demeure ouverte de savoir si nous pouvons nous passer de la maladie, même pour le développement de notre vertu et si notre soif de connaissance et de connaissance de soi, en particulier, n'a pas autant besoin de l’âme malade que de l'âme bien portante : en un mot, si la seule volonté de santé n'est pas un préjugé, une lâcheté, et peut être un reste de la barbarie la plus subtile, de l'esprit rétrograde le plus fin."

Friedrich Nietzsche. Le Gai Savoir. article 120.
Lire aussi dans ce blog : 

mercredi 9 septembre 2015

Black dog depression

Mattew Johnstone
Mattew Johnstone n'est ni psychologue, ni psychologue ni psychiatre, mais il connait la dépression , qu'il appelle son chien noir, depuis plus de 20 ans. Même s'il s'en est 'sorti' il sait qu'il doit en permanence gérer ce 'chien noir' qui le suit.


"Lors que nous souffrons, physiquement ou psychiquement, notre première idée est de se soustraire aux effets de la douleur. Nous essayons d'évacuer, de nier, d'oublier et nous faisons rarement face à ce qui nous torture. Pour Matthew Johnstone,  face à la dépression, accepter ce qui nous arrive est une attitude payante, car intégrer nos souffrances c'est leur accorder une place parmi les autres choses (positives) qui composent notre vie . Cette remise en place permet de continuer à vivre pour que ça aille mieux . Laisser venir le chien noir, c'est apprendre à le connaitre, savoir l'apprivoiser et le remettre à sa place. 
"Lorsque le chien noir vient vers moi, je ne gâche plus mon énergie à l'éloigner et à faire comme s'il n'était pas là. Je lâche prise sur certaines choses car je sais qu'il va s'éloigner et que je reprendrai le dessus, comme toujours. Il est très important d'apprendre à gérer sa dépression en faisant de l’exercice, en se reposant suffisamment et en mangeant correctement. Il n'y a pas de recette miracle qui convienne à tous, mais parler à son médecin, à sa famille ou même avec un groupe de parole est d'une aide précieuse. Comme un chien méchant, le chien noir doit être éduqué et dressé."

 Matthew Johnstone auteur/illustrateur qui a connu lui-même une grave dépression nous explique  dans la  vidéo ci dessous réalisée  à partir de ses illustrations comment gérer la dépression.  Il a utilise la métaphore du chien noir pour la représenter dans son livre « I had a black dog » d’où est extraite cette animation. 
Avertissement, ceci est un message de l'OMS et l'illustration musicale peut déprimer certains de nos auditeurs.
https://www.youtube.com/watch?v=XiCrniLQGYc




vendredi 4 septembre 2015

La pudeur

Howard Lefthand

La pudeur est un sentiment «normal», une réalité sociale : on n’arrive pas en maillot de bain à une soirée entre amis, on ne déambule pas nu dans la rue. La pudeur est liée au respect de soi, de son intimité. La honte, en revanche, relève de la dépréciation de soi, de la culpabilité, de la faute. Mais la frontière entre l’une et l’autre n’est pas toujours très claire


"Des travaux anglo-saxons considèrent la pudeur comme l’angoisse de la honte. Pour d’autres, la pudeur installe une démarcation entre le montrable et le non-montrable, le partageable et le non-partageable. Alors sans pudeur, il n’y aurait pas de honte.

Il n’est pas aisé de les distinguer l’une de l’autre. Honte et pudeur sont présentes toutes deux dans la relation : on n’est pas plus honteux seul que l’on n’est pudique seul. Elles mettent l’une et l’autre au premier plan la dimension sexuée du corps, saisi d’abord dans sa nudité. Toutes deux sont sous la dépendance du regard, mais le regard honnisseur juge, réduit le sujet au rang d’objet, de déchet, tandis que le regard de la pudeur assure un rôle de protection et de modulation du désir. La pudeur voile, la honte révèle une image mensongère que le sujet entend donner de lui. Mais toutes deux, à leur façon, protègent le narcissisme. Si elles participent à la construction du sujet et à la mise en place de l’altérité, notons cependant que la honte vient révéler une blessure ou une défaillance narcissique, tandis que la pudeur témoigne de la qualité de la relation d’objet, révélant l’existence d’un espace de discontinuité par rapport à l’autre, dont l’existence n’est pas évidente, lorsque c’est la honte qui se manifeste.

Ainsi, on peut dire que la honte et la pudeur sont toutes deux à l’interface entre le sujet et l’autre, l’une, la honte, côté narcissisme, relevant plus de la répression, l’autre, la pudeur, côté objectal, plutôt manifestation d’un refoulement partiel intermittent. Entre ces deux bornes, ou peut-être plutôt ces deux enveloppes, se spécifie l’espace de l’intime."

vendredi 7 août 2015

Douleurs

"il n'y a qu'une douleur qu'il soit facile de supporter, c'est celle des autres. » 
Ces paroles sont de René Leriche, chirurgien et physiologiste français, spécialiste de la douleur (1879-1955). 


Autant il est facile de trouver des dissertations et des écrits sur la douleur, autant il est délicat pour tous ceux qui souffrent de trouver les mots pour le dire. 


La douleur individuelle n'a pas de mots, mais le souci de disséquer le pourquoi et le comment de la douleur est une constante du discours sur soi occidental. Chaque époque, appréhende, comprend et représente la douleur d'une manière qui lui est propre et nous propose ses approches de la douleur tout en ne voulant rien savoir de nos douleurs intimes.
La philosophie doloriste nous montre la souffrance comme une forme d'étalon de la vie. "Je souffre, donc je suis..." . Pour Nietzsche par exemple la douleur est connaissance de soi-même, du monde. Elle évite de vivre une existence anesthésiée et permet de rencontrer la pleine humanité sensible, spirituelle et artistique. 
Pour la médecine, la douleur est un signe physiologique de la présence de la vie dans le corps, un indice important du combat contre la maladie. La douleur est 'utile' comme un signal qui nous avertit des menaces de la maladie.
A cet éloge médical de la douleur, s'ajoute une théologie de la souffrance. Pour le chrétien , la souffrance patiemment endurée a toujours été considérée comme une richesse. La douleur est un moyen de se rapprocher de Dieu par l'intermédiaire d'une identification au Christ, et la seule façon d'expier ses péchés. Le fidèle chrétien doit endurer avec un fatalisme béat jeûne, chasteté, privations, pénitence, retraite et compassion avec les plus démunis. 
Dans notre société contemporaine qui pratique le culte des corps et ne cesse d'euphémiser la violence des rapports sociaux, le sport est aujourd'hui l'un des ultimes refuges de la douleur. Les sportifs de haut niveau acquièrent la volonté de nier la souffrance tout en l'affrontant pour la sublimer en énergie suprême. Il faut bien sûr distinguer douleur consentie (comme le sport) et douleur subie (blessure, deuil...), mais en fin de compte, philosophie, médecine, sport et religion nous vendent leurs théories et leurs explications pour enrôler nos douleurs muettes et nous dire "ne vous plaignez pas", vos souffrances ont un sens. Car comme toujours, "les autres, ça ne fait pas mal".

D'après "En d'atroces souffrances" Antoine de Baeque.Alma Editeur. 2015

« La douleur ne protège pas l'homme. Elle le diminue. » Rene Leriche
« La santé est la vie dans le silence des organes. » 
Rene Leriche

Henriette Valium
"Tout avait explosé dans une lumière jaune. Inconcevable. Inconcevable qu'un seul coup puisse causer une telle souffrance! .../...Jamais pour aucune raison au monde on ne pouvait désirer un accroissement de douleur. De la douleur on ne pouvait désirer qu'une chose, c'est qu'elle s'arrête. Rien au monde n'est aussi pénible qu'une souffrance physique. "Devant la douleur il n'y a pas de héros, aucun héros.". George Orwell 1984

Ce que l'on sait de la douleur
https://lejournal.cnrs.fr/articles/ce-que-lon-sait-de-la-douleur?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#Echobox=1550764932

mercredi 5 août 2015

culs



Araki
IRENE, Erotic Fanzine 3, Katarina Soskic ©
Amanda Charchian


Lucien Clergue
Jan Saudek
Dani Olivier

Blumenfeld + Michel Ange + Oz

Serrano

samedi 25 juillet 2015

Nietzsche et la Grande Santé. Olivier Razac

Après la santé par le régime qui rétablit l’équilibre des humeurs selon Hippocrate, la santé thermodynamique des hygiénistes du XIXème siècle, et avant nos ‘systèmes de santé sociaux’  qui visent à ‘réduire les risques’ des populations, Olivier Razac nous propose et nous décrit le modèle de ‘la grande santé’ de Nietzsche.
Maux de têtes atroces, coliques récurrentes, Nietzsche a passé sa vie à souffrir. Et voilà pourtant l’inventeur de « la grande santé » comme expression d’une volonté de puissance qui n’a pas grand-chose à voir avec la « bonne » santé . La grande santé est une santé ‘active’ par opposition à la santé ‘réactive’ qui se borne à éloigner et combattre les maladies. La grande santé pose la question de la finalité de nos vies : sommes-nous des bougies qui se consument ou bien des flammes qui éclairent ? Devons-nous souhaiter que rien ne nous arrive, ou plutôt « pourvu qu’il nous arrive quelque chose ».

Pour Nietzsche, « Vouloir se conserver soi-même est l’expression d’une situation de détresse, d’une restriction apportée à l’impulsion vitale qui, de sa nature, aspire à une extension de puissance et par là même souvent met en cause et sacrifie la conservation de soi ». Face à une médecine réactive, Nietzsche cherche donc une méthode, un régime, une ascèse, qui soient en faveur des forces actives. La médecine affirme que la conservation est l’instinct vital primordial parce qu’elle interprète le corps d’une façon réactive. Du point de vue des forces actives, la conservation n’est pas l’essence du vivant. Le corps ne veut se conserver que pour exercer sa volonté de puissance. …/… La grande peur, le grand dégoût de Nietzsche, c’est que l’homme puisse dégénérer de la sorte. Non pas qu’il devienne un mauvais soldat un mauvais travailleur, un mauvais citoyen, mais au contraire qu’il devienne l’individu rêvé par les militaires, les industriels et les politiciens, bref le corps conçu par les hygiénistes du XIXème.
« La grande santé donne à l’esprit lire le privilège périlleux de vivre à titre d’expérience et de s’offrir à l’aventure ». C’est pourquoi Nietzsche donne une place essentielle à la maladie. Nietzsche met en doute l’idée même de bien-être et de guérison comme idéaux et comme buts à atteindre. La « guérison » n’a de sens qu’en intégrant la maladie. »La possibilité d’atteindre à des buts élevés est fournie par l’apparition de natures dégénérescentes et, en conséquence, d’affaiblissements et de lésions partielles de la forme stable ; c’est justement la nature plus faible qui, étant plus subtile et libre, rend possible le progrès quel qu’il soit. La maladie n’est plus vécue comme un malheur, mais comme un danger à courir qui est la condition d’une vie puissante.
La « grande santé » est la capacité de faire des expériences toujours nouvelles. Elle n’est ni une chose que l’on possède, ni une puissance de production mais une puissance de dépense. L’affirmation du devenir est un dépassement de soi comme la conservation en est la négation. « Faites tout ce que vous voudrez, mais soyez d’abord capables de vouloir »

Ainsi parlait Zarathoustra…

D’après ‘La grande Santé’ essai de Olivier Razac. Paru chez Climats en 2006.


Voir aussi sur mon autre blog : http://sansdire.blogspot.fr/2015/07/olivier-razac-la-grande-sante.html
 

lundi 13 juillet 2015

Salle de shoot

La même substance peut être poison ou médicament, source de plaisir ou de souffrance. Pourtant au vu de la loi les utilisateurs de drogues sont traités comme des malades ou comme des délinquants. Petite histoire de la consommation de drogues et du traitement des  usagers d'opiacés.

Depuis 1916 seul l’usage de stupéfiants en société était pénalisé mais l’usage solitaire ou privé n’était pas condamné .

1970 fut l’année de la création du délit d’usage de stupéfiant (L628). Cette loi est avant tout destinée à lutter contre la « déchéance morale », « la société de tolérance qui empoisonne la jeunesse ». Faisant suite aux évènements de 68 La loi de 70 s’est donné pour but de restaurer l’autorité des adultes. La loi de 1970 a vendu la question des drogues comme opposant le bien et le mal, la décadence morale à l’ordre social. Son but est de compliquer à l’extrême la vie des consommateurs de stupéfiants pour les pousser à suivre un traitement médical. L’usager doit être mis dans l’inconfort et le malheur, afin de devenir demandeur de soins et de repentance. L’image répulsive des drogues implique la stigmatisation et l’exclusion de leurs usagers. Cet effet répulsif –dont l’efficacité est relative si on considère l’augmentation continue de la croissance de masse dans le monde – n’est rien d’autre que la méthode moyenâgeuse de mise au pilori : il faut laisser ces parias, les usagers de drogue dure, consommer et mourir dans des conditions indignes, pour qu’ils restent un repoussoir pour la société.


1980 La grande peste du SIDA fait des ravages parmi utilisateurs de drogues injectables. Aujourd'hui l’injustice du sida liée à la connerie de la  politique de la stigmatisation des drogues me fait honte d’avoir eu honte de ces années d’injection.

1987 Autorisation de vente libre des seringues. Les opposants à la libération des seringues sont nombreux : la majorité des professionnels de santé, les pharmaciens, l’IGAS (inspection Générale des Affaires Sociales), la commission des stupéfiants… Tous luttent pied à pied pour une « vraie » prise en charge des usagers (le sevrage) et considèrent que toute libéralisation constitue un pas vers une dangereuse légalisation, ou une incitation à l’usage.
En l’absence de traitements de substitution aux opiacés (TSO), les usagers utilisent des produits codeïnés vendus sans ordonnance [le corps métabolise la codéïne en morphine]. Ainsi la vente du Néo-Codion a explosé dans les années 90. Huit millions en 1990 , douze millions en 1994 , dont 80% utilisés en auto-substitution.

1995 généralisation des traitements de substitution. (Methadone, Subutex). Le Subutex (buprénorphine haut dosage) peut être prescrit dans le cadre de la médecine libérale, mais ne fait pas l’objet de préparation injectable en France. La buprénorphine n’est pas classée comme stupéfiant (malgré la fatwa prononcée à son encontre par l’OICS – Organisation Internationale de Contrôle des Stupéfiants - ).

2002 Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur déclare : « rien ne sera toléré […]. Il n’y a pas de petite consommation personnelle, il n’y a pas d’expérience individuelle, il n’y a pas de jeunes libres et branchés. »

2004 Institutionnalisation de la réduction des risques. Depuis le débat national sur les salles de consommation continue d’exacerber les tensions entre les tenants de la guerre à la drogue et les partisans de la réduction des risques.

2016
la premières salle de shoot ouvre à Paris le 14 octobre http://www.europe1.fr/societe/la-1ere-salle-de-shoot-va-ouvrir-mardi-a-paris-2868958#xtor=CS1-15


Sources : Salles de shoot. Editions de la Découverte.

Auteurs : Pierre Chappard a présidé Act Up-Paris de 2009 à 2011. Il est actuellement président de PsychoACTIF et coordinateur du Réseau français de réduction des risques.
Jean-Pierre Couteron est psychologue clinicien et président de la Fédération Addiction
http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Salle_de_shoot-9782359250688.html
http://www.rvh-synergie.org/ressources-et-informations-pratiques/methadone-centres-de-prescription-en-france.html
http://www.federationaddiction.fr/la-federation/nos-partenaires/reseau-francais-de-reduction-des-risques/
Un bon site sur les opiacés (en anglais) http://factsanddetails.com/world/cat54/sub348/item1218.html

mercredi 8 juillet 2015

Intimités

Intime est le superlatif de intérieur
L'intime est ce qui est au fond, ce qui est caché, personnel, essentiel, réservé, préservé, non communicable. 
Par nature l'intime est subversif car il ne se s'expose pas aux censures aux jugements des regards extérieurs. 
L'intime pourrait être la matérialisation physique de l'âme, sa trace, son oeuvre, son corps. 
Toute la question est de savoir qui peut partager l'intime et jusqu'où ?
Petit exemple de confession intime toute personnelle : 
" 1963. J'entends encore les mystérieux claquement de latex des préservatifs préliminaires aux craquements de lit, aux  grincements de sommier et aux gémissements parentaux que je cherchais à distinguer, à attribuer.  Qui peut gémir ainsi ? est-ce ma mère ou bien mon père ?
Un matin que je demandais l'origine de ces bruits nocturnes, mon père, gêné, me répondit "maman a eu une indigestion". L’indigestion pour moi, se caractérisait par la diarrhée et le vomi dont je cherchais en vain des traces. Pourtant j'avais découvert sous le traversin du lit parental une boîte de plastique 'hygiénique' rose où devaient se cacher les capotes paternelles. De même, chaque mois je voyais  sans comprendre sécher à l'étendage les serviettes rouillées des menstrues de ma mère. 
A cette époque les garçons naissaient encore dans les choux et les filles dans les roses. Du haut de mes six ans mon regard s'arrêtait forcément sur les ventres énormes des amies de ma mère quand elles avaient 'commandé un bébé' - selon l'expression retenue-. Très logiquement j'avais demandé à quel magasin s'adressaient ces dames. Je ne me souviens plus de la réponse, mais le jeudi quand j’accompagnai ma mère au Monoprix, je cherchais le rayon des "commandes". Rayon pour dames, rayon enfants, rayon secrets." 

Que faire des révélations intimes? Qui s'en soucie, qui peuvent elles gêner ? 
Les garder pour soi peut être lourd et pénible : 
" Si tu protèges avec trop de tendresse le jardin secret de ton âme, il peut facilement se mettre à fleurir de façon trop luxuriante, à déborder au-delà de l’espace qui lui était imparti et même à prendre peu à peu possession dans ton âme de domaines qui n’étaient pas destinés à rester secrets. Et il est possible que toute ton âme finisse par devenir un jardin bien clos, et qu’au milieu de toutes ses fleurs et ses parfums elle succombe à sa solitude. " Schnitzler 1927 dans le recueil " Dits et réflexions " (Buch der Sprüche und Bedenken).

Mais quand tout est dit, ça n'est pas toujours plus simple. Comme chacun sait, toute vérité n'est pas bonne à dire et la confession peut se retourner contre son auteur. Cela est vrai au niveau familial ou privé mais aussi pour l'ensemble de la société. Ainsi Pierre Pachet* s’interroge sur le besoin de préserver l’intime face à un État qui prétend contrôler jusqu’à la pensée des gouvernés. Est-ce un hasard si c’est sous la Terreur qu’est apparue la pratique du journal intime « parole abritée, méditative, désireuse de se constituer en tribunal intérieur en récusant les jugements publics » ?

Voilà, c'est tout pour aujourd'hui et vous, dites moi tout !

Ozias

*Pierre Bachet  http://www.lebruitdutemps.fr/_livres/Barometres%20de%20l%20ame/Index.htm

vendredi 26 juin 2015

La grande santé

Pietà. Dernière oeuvre de Titien
La grande santé, selon Nietzsche, c’est savoir accueillir le tragique de l’existence. La grande Santé est également le titre d'un livre de Olivier Razac paru en 2006. C'est aussi le titre du récit de Frédéric Badré dernièrement paru aux éditions du Seuil. En 2012, Frédéric Badré, peintre et littérateur apprend qu'il est atteint de SLA, une maladie neurologique dégénérative qui lui fait perdre peu à peu l'usage de ses muscles, de son corps. Dans son livre il raconte comment il s’accommode de sa maladie, et l'usage qu'il en fait. "Mon corps se suicide. J'ai beau me trouver en complet désaccord avec lui, je vois bien qu'il ne se range pas à mes raisons." Malgré «lui» il apprend à vivre "avec lui". Il nous parle de la force vitale qui s'éveille au fur et à mesure que la maladie progresse. D'où ce titre "La grande santé". Sa démarche rappelle Nietzsche dans 'Ecce homo': « La maladie me libéra lentement : elle m’épargna toute rupture, toute démarche violente et choquante. […] La maladie me conféra du même coup le droit à un bouleversement complet de toutes mes habitudes : elle me permit, elle m’ordonna l’oubli ; elle me fit le cadeau de l’obligation à la position allongée, au loisir, à l’attente et à la patience…Mais c’est cela qui s’appelle penser » .
Edward Watson interprétant Gregor Samsa

Tout au long de son livre Frédéric Badré partage avec nous ses trésors artistiques et particulièrement sa lecture de 'La métamorphose' de Kafka par laquelle il aborde la question délicate des rapports du malade avec son entourage.

Frédéric Badré nous le dit: "Ce que je ne peux pas partager [avec mon entourage], c'est la monstruosité."
Gregor Samsa, monstrueux héros de Kafka métamorphosé du jour au lendemain en cafard, est une métaphore douloureuse de la séparation avec le monde qu'impose le changement de la maladie. 
"La métamorphose met en scène la violence des rapports familiaux" et montre aussi la façon dont "l'étrangeté trouve sa place dans la normalité".  

p131 "Grégor ne se voit pas comme un gros scarabée. Dans sa tête il reste le Grégor qui aime sa famille, son travail et qui voudrait payer les études de sa soeur". p134 "Comme Grégor, qui ne sait plus vraiment, en son for intérieur, s'il est un homme ou un scarabée, je risque à mon tour de perdre mes repères." p135 "après l'insignifiance, voici venu [Pour Grégor] le stade du bouc émissaire. On n'hésite plus à le brutaliser. Une godasse vient blesser sa carapace. Clopinant, Grégor se réfugie dans son antre poussiéreux, réduit à presque rien." 
Puis dans la vraie vie p138 "La vie suit son cours. Papotages, rires, disputes aussi, discussions sur les activités des uns et des autres. Je les regarde comme Grégor écoute le récital de violon de sa soeur. Je participe intérieurement aux conversations. Je lance des phrases qui ne sortent pas de ma bouche. Elles se brisent sur cette cage de verre invisible qui m'enferme. Une analyse remarquable qui met en évidence la profondeur de la nouvelle de Kafka et qui dit avec sensibilité et tact le drame et la force de Frédéric Badré. 
"La grande santé, s'exprime dans un rapport particulier à la dépense où le sacrifice joyeux vient remplacer la comptabilité inquiète." *

Ozias

Notes :
Pendant mon traitement j'avais ressenti cette congruence entre l'état de Grégor et la condition du malade:
http://www.huffingtonpost.fr/olivia-phelip/la-grande-sante-frederic-badre-sla_b_7208190.html

lundi 22 juin 2015

Voutch outch outch


                   Vous savez, ma petite Florence, dans la charcuterie c'est exactement comme dans le cinéma: 
ça couche énormément.

                  -Notre complémentarité est elle capable de dépasser le cadre strictement juridico-fiscal ?                             C'est précisément l'objet de cette réunion de travail, Verdonnet.
-Personne ne sortira de cette pièce avant que nous n'ayons pu répondre à ces deux questions:
 a) Qui a organisé cette réunion? b) Dans quel but ?

-J'aurais aimé vous parler de la qualité du travail de chacun, de l'esprit d'équipe, des excellentes performances obtenues récemment, bref, de toutes ces choses qui existent dans la plupart des entreprises, sauf la nôtre.
-Les marchés sont persuadés que nous préparons un plan social de 15000 personnes et nous ne pouvons absolument pas nous permettre de les décevoir. Or, nous ne sommes que 13500. Il va donc falloir embaucher.

Pour notre entreprise, cette question soulève à la fois un grave problème éthique et un problème économique. Si personne n'y voit d'objection, passons directement au problème économique.

Bienvenue dans la batterie 37B. A partir d'aujourd'hui, votre challenge personnel est de devenir le meilleur club-sandwich poulet/crudités/mayonnaise jamais vendu dans une station-service d'autoroute.

samedi 13 juin 2015

Etourdissement

Pub pour une boucherie parisienne.
On mange du porc, du bœuf, du mouton, comme si la viande était un produit qui ne provenait pas d'animaux ayant vécu. Dans la viande l' l'individualité de l'animal disparaît dans les morceaux géométriques présents sur l'étal.  La présentation en pièces standardisées et décorées fait disparaître le côté tragique de la mise à mort. La vie de l'animal, sa souffrance, son agonie sont totalement absentes de cette exhibition d'un artisanat boucher qui se réclame parfois de l'art. 
D'autre part, s'il faut montrer autre chose, il faut aussi parler d'autre chose. 
Éluder : voilà qui pourrait résumer le propos des campagnes de promotion des produits carnés. Ce qu'il s'agit d'éluder c'est l'effusion du sang qui coule au moment de la mort, de l'abattage. En fait, lorsque le boucher assumait la double fonction d'être à la fois le tueur et le vendeur, la viande était clairement le cadavre d'un animal tué à la vue de tous.
Camille D'Alençon. Triptyque.
Pourtant dès le moyen âge  La salubrité et la sécurité publiques ont été invoquées  par les pouvoirs publics pour dissocier les lieux de mise à mort et de vente.
Outre les problèmes d'hygiène que posait la proximité des animaux vivants avec la viande, la banalisation de l'effusion du sang n'a pas manqué d'alerter les milieux éclairés soucieux de "moraliser le peuple". Cette brutalité inscrite dans la quotidienneté enlève à la violence tout caractère transgressif, et les possibles conséquences (sur le plan social) de l'accoutumance à un tel spectacle sont soulignées. De façon exemplaire à ce propos, Sébastien Mercier (1782-1788) écrit qu'"il n'est ni bon, ni sage d'égorger l'agneau sous les yeux de l'enfance, de faire couler le sang des animaux dans la rue. Ces ruisseaux ensanglantés affectent le moral de l'homme ainsi que le physique : il s'en exhale une double corruption. Qui sait si tel homme n'est pas devenu assassin en traversant ces rues et en rentrant chez lui les semelles rouges de sang. Il avait entendu les gémissements des animaux qu'on égorge vivants, et peut-être par la suite fut-il insensible aux cris étouffés de celui qu'il avait frappé". C'est moins le souci d'adoucir la mort des animaux que celui de ne pas montrer le "mauvais exemple" qui se fait jour ici.

 L' abattoir, lieu clos (silence) et excentré (invisibilité) est une construction sociale qui confine au déni de réalité. La séparation des lieux de mise à mort et de vente des animaux — impliquant du même coup que celui qui vend n'est plus celui qui tue — constitue la condition nécessaire, quoique non suffisante, de l'oubli de l'animal.  La mise à mort des bêtes dans des lieux clos épargne la vue, l'ouïe, l'odorat — donc la réflexion. 

 La lecture des textes réglementaires rassurera toute personne cherchant à l'être : anesthésie, étourdissement, insensibilisation sont théoriquement de mise dans tout abattoir moderne. En quoi consiste cet 'étourdissement', la mort industrielle des animaux de boucherie est-elle devenue indolore, pareille à un profond sommeil ?
Cantonner la souffrance à la sphère humaine est un lieu commun. A la « souffrance humaine » est communément opposée la « douleur seulement animale », c’est-à-dire quelque chose de purement physique, qui n’atteindrait que le corps, bref une douleur sans sujet douloureux et qui ne nous touche pas.
Loin des yeux loin des cris. Gastronomie, santé, esthétisation, et évacuation de la souffrance voilà l' étourdissement au prix duquel nous pouvons continuer à engloutir des tonnes d'animaux sans jamais nous demander ni comment ils ont vécu, ni comment ils sont morts.  Pour ne pas voir notre propre animalité nous étouffons leurs cris et déguisons leurs carcasses.

D'après Florence Burgat : LA MORT DÉNIÉE DES ANIMAUX DE BOUCHERIE

Etourdissement

Etourdissement
Crédit photo Cinefritour.



L214

A propos de 'l'étourdissement'http://www.fao.org/3/a-y5454f/y5454f07.pdf


Autre article de ce blog au sujet de la viande : 
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2014/02/la-viande.html
et aussi :
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2014/06/le-cadavre-et-la-viande.html

vendredi 5 juin 2015

Entartages

Samedi 30 mai 2015 , le célèbre entarteur belge Noël Godin, 69 ans, s’en est pris pour la huitième fois à Bernard-Henri Lévy. !
Rares ceux qui ne se sont pas réjouis de voir les badernes politiciennes, les cuistres ignobles et les puissants les plus impudiques recouverts de crème chantilly et suffoquant d’indignation. Le général Kabila père, qui régnait au Zaïre, a déclaré dans Le Soir : « Je préfère mourir sous les balles d’opposants politiques que d’être entarté. ».  Arriver à faire vivre les crapules dans la peur armé d'une simple pâtisserie c'est héroïque, c'est fou  ! 
La tarte à la crème est un acte terroriste burlesque, un happening héroïque et subversif. Noël Godin, alias l'entarteur, alias Georges le Gloupier, est maître de cette guérilla pâtissière qui signe ses actions aux cris de 'gloup gloup gloup'.
"Au début, l'Internationale pâtissière s’attaquait aux baudruches culturelles. Après, il y a eu la deuxième phase de la croisade pâtissière, avec les médias faux-culs, dont Jean-Pierre Elkabbach qui présidait à la fois France 2 et France 3. Quand le réseau de complices s’est étendu, on est passé à la phase n°3, les élites économico-politiques, avec Bill Gates, Sarkozy et bien d’autres." Voyons quelques exemples.

BHL. 2015.
Huitième entartage le 30 mai à Namur. "BHL restera toujours la tête à tarte par excellence”.Noël Godin
Ecoutez le "ooh non...!" de BHL dès il entend 'gloup-gloup'
https://www.youtube.com/watch?v=0tioui55_qU
Dernier en date, et médaille d'or : Michel Blanquer


Si le terrorisme burlesque vous tente, sachez qu'il existe aussi  la BAC (Brigade Activiste des Clowns).  Il y a un groupe grenoblois 'Pièces et Main d’Oeuvre', qui s’en prend aux « nécrotechnologies » et décommande des congrès de nanotechnologues en envoyant des courriers. Il y a aussi le mouvement des Robins des Bois, composé d’employés d’EDF qui se pointent chez des gens à qui on a coupé l’électricité et les rebranchent piratement. Ou de très grand comparses, les Yes Men, des Américains qui opèrent aussi en France. Ils interviennent devant des patrons pour proposer des mesures ignobles contre les pauvres, avec des discours aussi horribles que crédibles. . Les Casseurs de Pub sont parfois très drôles aussi, comme les dégonfleurs de pneus de 4x4 et les faucheurs de mais transgénique. Ça fait beaucoup de résistances. A signaler, un livre consacré à ce sujet : 'Les Nouveau Militants' édité par Les Petits Matins.

Interview de Noel Godin , 
http://www.les-renseignements-genereux.org/var/fichiers/textes/Interview_Godin_article11.pdf

Approfondissement des us et coutumes de la croisade pâtissière : www.gloupgloup.be 



Brigade de clown à Grenoble. (présidentielles 2017)