vendredi 18 octobre 2013

Le dandysme de la chute.

Kurt Cobain. Peu avant sa mort.
Le suicide est le dernier sacrement du dandysme disait Baudelaire, qui en connaissait un rayon.

'Les grands dandys finissent mal en général, meurent plutôt jeunes, désargentés. Un des grands aphorismes de Wilde dit qu’il faut « soit porter une oeuvre d’art, soit être soi-même une oeuvre d’art ». Or, tout le tragique du dandy, qui désire élever sa personne au rang d’oeuvre d’art, vient de ce que même s’il a été béni des dieux et possède la beauté, il ne peut indéfiniment échapper à la décrépitude. D’où la tentation chez beaucoup de mettre fin à leurs jours. « Le suicide est le dernier sacrement du dandysme » disait Baudelaire, repris par Michel Butor… Il y a une phrase cruciale de Baudelaire pour comprendre la portée philosophique du dandysme, tirée de son journal intime, « Mon coeur mis à nu » : « Il y a en tout homme deux postulations simultanées, la vocation à dieu, une spiritualité, qui est une joie de montée, et la vocation à Satan, qui est une joie de descente ». Cette double postulation simultanée, permet d’appréhender à quel point 
 le dandy pousse l’être jusque dans ses extrêmes limites. Il s’agit d’un jeu permanent entre pulsion de vie et pulsion de mort. C’est en cela que c’est un courant artistique et philosophique, ce qui n’est pas compris pas en général.
Cette tendance à l’autodestruction se retrouve chez certaines Rock stars, comme Amy Winehouse par exemple, morte récemment de ses excès…
Oscar Wilde, Brummell, Lord Byron, John Keats, la plupart des grands dandys historiques sont morts relativement jeunes et l’on retrouve en effet ce phénomène chez certaines Rock stars comme Jim Morrison, Kurt Cobain, Amy Winehouse donc (que j’ai définie comme une « femme dandy aux couleurs du crépuscule ») ou encore Jimmy Hendrix. Malgré un certain dévoiement, ils perpétuent l’esprit dandy, même de manière caricaturale. Il y a un album de 1972 de Bowie que j’aime beaucoup, sous-titré « the rise and fall of Ziggy Stardust and the spiders from Mars ». On y assiste à la montée vers la gloire, puis à la chute. Beaucoup de grandes rock stars ont à peu près le même trajet, et en ce sens incarnent, toute proportion gardée, une nouvelle expression de ce qu’était les poètes maudits au XIXe siècle, Baudelaire, Rimbaud, Gérard de Nerval. Il y a une ambiguïté fondamentale. Regardez encore John Galliano, patron de la haute-couture chez la plus grande marque qui soit en France… Et au moment où il est au sommet, il dit une énorme bêtise (pour autant que ce soit vrai)… Il y a peut-être une volonté de provocation inconsciente, mais ce mécanisme autodestructeur est en tout cas récurrent chez les dandys. Prenez Wilde, au sommet de sa gloire, « L’importance d’être constant » sa quatrième comédie fait le tour de Londres, il est adulé, et il se fait prendre en flagrant délit d’homosexualité, punissable alors de deux ans de travaux forcés. Il se croyait tellement fort, original et puissant, il pensait tout pouvoir se permettre, mais la société l’a rattrapé et lui a fait payer. Parmi les Rock stars Michaël Jackson, a pratiqué cette même autodestruction, avec chez lui en plus un travail sur sa propre personne physique,la multiplication des personnalités, du crooner au Bad boy… Il était devenu lui-même son propre masque, une oeuvre d’art, peut-être kitsch, de mauvais goût, mais en cela a rejoint l’aphorisme de Wilde..../...

Ainsi des dandys se moquent éperdument de leur silhouette et la sabotent même volontairement, dans leur avatars contemporains pratiquant la provocation, le trash ou le kitsch, comme chez certains punks, Sid Vicious par exemple, qui est un suicidé de la société au même titre que Van Gogh l’était aux yeux d’Antonin Artaud, ou que l’ont été Kurt Cobain et Ian Curtis de Joy Divison..../...
Sid Vicious. Toxique.

Dans le clair-obscur, la lumière est la condition de l’obscurité. Tout est synthétisé dans la personne et l’oeuvre du dandy, c’est la totalité de l’être. Il n’y a plus de distinction entre l’être et le paraître, de séparation franche entre l’ombre et la lumière, le masculin et le féminin, l’âme et le corps. Il s’agit d’une tentative d’échapper au dualisme platonicien repris par le christianisme, cela est fondamental. D’où la figure de l’androgyne, qui se situe par-delà le masculin et le féminin, par-delà la sexualité, mais aussi au-delà du bien et du mal. "
(Daniel Salvatore Schiffer)


"Pas besoin d'une pulsion de mort ou de destruction, ni même d'effet pervers. C'est très logiquement et inexorablement, que la montée en puissance de la puissance exacerbe la volonté de la détruire. Et elle est complice de sa propre destruction. L'allergie à tout ordre définitif, à toute puissance définitive est heureusement universelle.Il y a incontestablement l'esthétique de la chute, une forme de dandysme eschatologique qui accompagne l'homme depuis la nuit des temps. Les fins du monde font partie de notre histoire, mais sont aussi élément fondamental dans la psyché universelle pour nous libérer de l'ancien monde. "Thierry Hermann
Le mot de la fin revient donc à Steve Jobs, qui lui aussi savait de quoi il parlait lorsqu'il disait" La plus belle invention de la vie, c'est la mort".


Steve Jobs.
Charles Baudelaire. www.deviantart.com

"Qu'est ce que le dandysme ? Une ascèse dont le but inatteignable est de transformer sa vie toute entière en miracle. Qu'est ce que le dandysme ? La volonté de prouver qu'une existence élégante, digne et haute est possible et ainsi conjurer la chute. Qu'est ce que le dandysme ? La vie comme oeuvre d'art en un sens radical : non pas seulement une vie élégante, mais une vie qui interpelle, donne à penser et change notre point de vue sur le monde - comme est censé le faire une oeuvre d'art. Le dandy est esthétique, moral, philosophique, spirituel et politique. Il incarne - du moins tente d'incarner - la figure d'un homme nouveau, une sorte d'aristocratie montante qui aurait vocation à l'exemple et à l'abolition du médiocre. Mais rassurez vous, le destin du dandy est d'échouer". Yann Kerninon . Le pingouin cannibale p35.

'La mort de l'ambition, enfin, on y est. L'obligation de réussir - cette menace qui pèse sur vous dès la naissance, cette lame que la société vous place sous la gorge, qu'elle maintient fermement jusqu'à la suffocation et ne retire qu'à l'heure de la proscription, ce moment où elle vous met hors jeu, vous disqualifie, c'est l'heure du grand nettoyage, on élimine comme on dérode ! - ce qu'il y a de jouissif dans ce bannissement dont on ne sait jamais s'il est provisoire ou définitif, cet instant où l'on est admis dans la confrérie des ratés/des has-been, ceux que l'âge ou l'échec ont marginalisés, les sans-papiers et les sans-grades, les petits et les simples, les inconnus et les ternes, ceux qui pointent aux Assedic, se lèvent tôt, dont le nom ne vous dit rien, ceux que l'on ne prend pas au téléphone, que l'on ne rappellera jamais, auxquels on dit "non", "plus tard", pour lesquels on n'est jamais libre et jamais aimable, les gros, les faibles, les femmes jetables, les amis ridicules, les débarrassant - enfin- de la peur de décevoir, de la pression que le souci de plaire fait peser sur eux, ces impératifs que l'on s'impose à soi-même, par individualisme/goût des honneurs/ soif de reconnaissance/de pouvoir/mimétisme/instinct grégaire - tous ces effets dévastateurs et ces rêves avortés de l'autorité parentale/du déterminisme/des utopies hallucinatoires, cette injonction brutale qui régit l'ordre social et jusque aux rapports les plus intimes - Soyez PERFORMANTS ! Soyez FORTS !...'
Crédits : 
L'invention de nos vies, Karine Tuil, Grasset.

http://journaldesgrandesecoles.com/metaphysique-du-dandy-rencontre-avec-daniel-salvatore-schiffer/

Thierry Hermann : De l'Histoire des fins du monde ou le principe de la tabula rasa à la demeure du chaos.


Le dandy

"En 1840, les mauvaises langues dirent à la mort de George Brummel : « Dandy ans on n'en parlera plus ». Mais pourtant le dandysme perdure, il plane sur un nuage pendant que la mode dissipe les brumes, elle. C'est que le dandy se donne des airs dorés à Paris - un petit côté oisif de bien-être - hors des châteaux bruyants de Saint-Malo. Tellement raffiné qu’on le surnomme le sucre, le dandy multiplie les sorties mondaines et les rentiers d'argent, se dandine et dine dans les meilleurs maisons. Il travaille naturellement à ne rien faire - c’est le mondain à l’envers me direz-vous - grâce à son talent pour alterner droit à la paresse et droit à l'apparence. Entouré d'une clique à chapeau claque, il fait dans l'avis facile et la vie gracile. Représentant parnassien de l’art pour l’argent, il accumule les bijoux précieux en clinquant des doigts. Sa devise est « fiacre luxe ! » ce qui lui permet, en amateur de danse et de champagne, de se transporter de bals en bulles pour y séduire de belles habiles. Tel Lord Byron, il erre l'âme en peine et l'amour en berne. Vêtu d'une étouffante toilette, même si la ouate aère, le dandy ne néglige aucun détail vestimentaire : canne, redingote, gourmette, monocle, montre gousset. Élégant pour les mains alors ? Jaunes, évidemment. Maniant l’arrogance aristocratique, le dandy affiche envers le petit peuple un magnifique visage méprisant. Voilà pourquoi il a l'hautain frais !"

Pascal Hambourg

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