lundi 23 décembre 2013

Poèmes au foie.

Marcus. Brainless tales.
En ces temps de l'avent, ces temps de ripaille ou peut être d'excès, une pensée pour notre foie.  Une ode au foie, préparée par un maître en terme de poésie et aussi de bien vivre :
Pablo Neruda.

Ode au foie :

Ami modeste et organisé. Travailleur profond, permets que je te donne l'aile de mon chant. Le coup d'air, le bondissement de mon Ode. Elle naît de ton invisible machine et prend son vol dans ton infatigable et secret moulin, entraille délicate et puissante toujours vive et obscure. Tandis que le cœur sonne et s'arroge la partition de la mandoline, à l'intérieur toi tu filtres, distribues, sépares, divises, multiplies, graisses, fais monter et recueilles les filets et les grâces de la vie.

Pièce ultime, mystère sous marin et mesureur du sang tu vis plein de mains et d'yeux dans ta secrète chambre d'alchimiste, scaphandrier de la plus périlleuse profondeur de l'homme, toujours caché là. Sempiternel dans l'usine, silencieux. Et tout sentiment, ou  stimulus accru dans ta machinerie a reçu quelques gouttes de ton infatigable machination. A l'amour tu as ajouté le feu ou la mélancolie.
Qu'une petite cellule fasse erreur, qu'une fibre se gâche dans ton travail et l'aviateur se trompe de ciel, le ténor s'effondre en un sifflement, l'astronome perd une planète.

Comme ils brillent là-haut, les yeux sorciers de la rose, les lèvres de l’œillet matinal ! Comme elle rit dans la rivière, la demoiselle !
Et en bas, c'est le filtre et la balance, la délicate chimie du foie. La cave des changements subtils. Personne ne le voit ou le chante, mais dès qu'il vieillit, que son mortier s'use, adieu les yeux de la rose... L’œillet a vu flétrir sa denture et la demoiselle s'est tue sur la rivière.

 Austère partie ou tout de moi même, aïeul du cœur, moulin d'énergie, je te chante et te crains comme si tu étais juge maître étalon. Implacable fléau de la balance. Et si je ne puis me livrer pieds et poings liés à ta pureté, si l'excessive ripaille et le vin héréditaire de ma patrie ont œuvré à perturber ma santé ou l'équilibre de ma poésie, c'est de toi mon arc obscur que j'attends justice.
J'aime la vie. Sois fidèle. Travaille !
N'arrête pas mon chant.


P.Neruda.

pABLO nERUDA. Odes élémentaires. Traduction: depuis " l'Or et la Patate".

Mis en musique en 2010, par l'Or et la Patate:
https://myspace.com/loretlapatate/music/song/ode-au-foie-68513171-75254522

En supplément, pour ceux qui en redemandent, quelques mots de Pablo Neruda encore, et toujours à propos du foie, celui qui se mange, le foie gras.
Bon appétit et joyeuses fêtes.

Ozias

Ô Foie Gras

"Ô toi, foie d’ange, ton doux parfum est une harpe sur nos palais, ton harmonie joue des cymbales sur nos langues, et nous traverse tout entier d’un long frisson de volupté”.



Modest, organized friend, underground worker, let me give you the wing of my song, the thrust of the air, the soaring of my ode: it is born of your invisible machinery, it flies from your tireless confined mill, delicate powerful entrail, ever alive and dark.
While the heart resounds and attracts the music of the mandolin, there, inside, you filter and apportion, you separate and divide, you multiply and lubricate, you raise and gather the threads and the grams of life, the final distillate, the intimate essences.

Submerged viscus, measurer of the blood, you live full of hands and full of eyes, measuring and transferring in your hidden alchemical chamber.
Yellow is the matrix of your red hydraulic flow, diver of the most perilous depths of man, there forever hidden, everlasting in the factory, noiseless.

And every feeling or impulse grew in your machinery, received some drop of your tireless elaboration, to love you added fire or melancholy, let one tiny cell be in error or one fiber be worn in your labor and the pilot flies into the wrong sky, the tenor collapses in a wheeze, the astronomer loses a planet.
Up above, how the bewitching eyes of the rose and the lips of the matinal carnation sparkle! How the maiden in the river laughs!

And down below, the filter and the balance, the delicate chemistry of the liver, the storehouse of the subtle changes: no one sees or celebrates it, but, when it ages or its mortar wastes away, the eyes of the rose are gone, the teeth of the carnation wilted and the maiden silent in the river.
Austere portion or the whole of myself, grandfather of the heart, generator of energy: I sing to you and I fear you as though you were judge meter, implacable indicator, and if I can not surrender myself in shackles to austerity, if the surfeit of delicacies, or the hereditary wine of my country dared to disturb my health or the equilibrium of my poetry, from you, dark monarch, giver of syrups and of poisons, regulator of salts, from you I hope for justice: I love life: Do not betray me! Work on!

Do not arrest my song.

Pablo Neruda
Translation by Oriana Josseau Kalant, 1975

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