Rembrandt. Résurrection de Lazare. |
'L’hépatite C possède une particularité : c’est la seule maladie chronique guérissable. Qu’arrive-t-il alors à ceux qui terminent le traitement et éradiquent le virus, c’est-à-dire les guéris ou les séroconvertis ?
La guérison est perçue comme une situation difficile par les malades interrogés, parce qu’il s’agit d’une (autre) rupture biographique. Le malade vit des années durant d’une certaine manière – l’abstinence face à l’alcool, les visites régulières chez le médecin, les examens, la conscience de la présence du virus etc. – et soudain, un changement apparaît qui est ressenti comme radical. La rencontre avec la maladie implique une remise en cause personnelle. Pendant la maladie, s’est opéré tout un travail de réflexion sur soi que provoque le passage par le soin. Le patient s’efforce de réduire le cercle de ceux qui savent, dans le souhait de contrôler son environnement alors qu’il y a une perte de la maîtrise de l’image de soi.
Après la guérison, il y a une rupture avec la vie d’avant, dans un sursaut de vitalité. Ce changement entraîne une perturbation identitaire que l’individu va essayer de résoudre. La personne infectée par le VHC qui fait un traitement et parvient à éradiquer le virus passe donc par deux changements, qui ont des implications au niveau identitaire : il prend conscience de son état de malade, avec le traitement et les effets secondaires qu’il entraîne, et cesse ensuite d’être malade, avec la guérison, après le traitement.
Ainsi, l’une des personnes interviewées, pour qui le traitement a représenté un premier changement dans son quotidien, l’entrée dans un processus de soins et une modification de la perception qu’il avait de soi, a initié une psychothérapie non pas pendant le traitement, comme le lui avait conseillé son médecin, mais après, quand il a enfin été guéri. D’autres changements sont intervenus à ce moment précis, notamment un déménagement et une modification du régime alimentaire. La guérison représente un second changement. L’individu se sent « quelqu’un d’autre ».
Interview :
« Comment tu t’es senti le traitement terminé ?
Et bah, ça, justement, ça, c’est un truc qui est un peu bizarre, figure-toi, parce que pendant tout mon traitement, je me suis sentie un petit peu comme de… Si tu veux, j’étais pas bien, j’étais malade, mais, en même temps, j’étais très soutenue, tu vois, psychologiquement, j’avais un psychiatre qui me suivait, j’avais des entretiens avec une psychologue, donc, il y avait mon gastro qui me suivait beaucoup, même ma généraliste, elle était vachement à l’écoute et tout ça, et donc, à la fin du traitement, tout d’un coup, tu…Bon, en plus, il y avait le site hepatites.net qui m’a vraiment…je veux dire, j’étais tout le temps là-dessus… ça m’a vraiment beaucoup aidé aussi, et tout d’un coup, bah, c’est comme si t’as…Tout s’arrête d’un seul coup ! Le traitement s’arrête, donc, comme si t’es sensée ne plus avoir besoin d’aide et que tout est…T’es complètement dépossédée de ta vie, quoi, si tu veux…Ta vie, elle est plus…C’est un petit peu comme quand on arrête la dope, je veux dire…Quand on est alcoolique, tu vois, un truc comme ça. Parce qu’en fait, tout esprit, il est rempli de ce qui t’arrive, soit de l’alcool ou de la dope ou, donc, de l’hépatite. Je ne pensais qu’à ça, tu vois, j’étais là pour me soigner et je ne pensais qu’à ça. Et donc, tout d’un coup, t’es sensée te sentir bien parce que, parce que c’est fini, mais t’as plus de quoi remplir ta vie…Ça m’a choquée, ce truc-là, c’était très bizarre.
Une sorte de vide ?
Voilà, une sorte de vide. » (Agnès)
La phase du traitement est vécue comme un moment ambigu, qui déstabilise la personne, son quotidien, l’image de soi, les relations avec les autres, la perception qu’elle a des autres, mais qui, en même temps, incarne l’espoir d’une guérison et donc d’une meilleure qualité de vie et d’une espérance de vie plus longue. C’est aussi une période où la personne est « plongée dans la maladie ». Or, au moment où il sort de cette « parenthèse », l’individu a besoin de recomposer son identité en tant que non-malade et parfois aussi en tant qu’être qui travaille, a des relations sociales, une vie sexuelle, etc. Il doit, par ailleurs, intégrer à la représentation de soi son expérience de la maladie. Quand il « sort de la maladie », l’individu peut ressentir un « vide ». Parce qu’il a « perdu » le virus, il perd aussi les liens sociaux liés à l’état de malade, notamment ceux représentés par le médecin, le psychologue et les malades des groupes de parole, le sentiment d’être pris en charge et, par conséquent, son identité de malade. Le quotidien n’est plus rythmé par la maladie et l’individu doit s’adapter à ce nouvel état et à son nouveau statut, celui de guéri.
Le malade, après avoir renversé l’échelle de valeurs qui met la maladie du côté du malheur et avoir réussi à percevoir la maladie comme « quelque chose qui a du bon », à la « positiver », voire après en avoir fait une raison d’exister, qui définit son quotidien et lui-même, se voit à nouveau confronté à un besoin de redéfinition de soi.
Autre post sur le même sujet : http://emagicworkshop.blogspot.fr/2012/07/guerison.html
Biographie
Marta Maia est née en France en 1972. Elle a obtenu sa licence d’anthropologie sociale à l’Institut des scinces sociales de l’Université de Lisbonne (ISC-UL) en 1996. Elle a soutenu sa thèse en anthropologie sociale et ethnologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) en 2002. Par la suite, elle aconduit des reccherches post-doctorales à l’ISC-UL sur la base d’une bourse de la Fundação para a Ciência e a Tecnologia (Fondation pour la science et la technologie). Depuis 2005, elle poursuit ses recherches post-doctorales au Laboratoire d’ Anthropologie Sociale du Collège de France (Paris) sur la base d’une bourse de la Foundation Calouste Gulbenkian. Ses recherches ont notamment porté sur : la jeunesse, la sexualité, les comportements sexuels à risque, la santé et la maladie.
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