mercredi 11 juin 2014

Identité hépatante


Suite de l'article très juste et intéressant par Maia Marta  anthropologue :  « Les hépatants. Vivre avec une hépatite virale chronique et en guérir »


L'identité hépatante

'Se découvrir atteint d’une maladie chronique représente souvent un traumatisme. Malgré tout, plus ou moins facilement et plus ou moins complètement, le malade accepte cette nouvelle condition, voire la transforme en une identité positive. Il apprend à se connaître, acquiert des savoirs, est responsable de son traitement et contrôle partiellement son état, il est actif et se sent « acteur » de sa maladie.

Des groupes de parole se forment autour de l’hépatite C, comme c’est le cas des forums de discussion sur Internet. Pour certains, le dialogue avec des personnes qui partagent l’expérience d’une même maladie peut être très bénéfique, permettant de lutter contre l’isolement et l’auto-stigmatisation et de ‘pacifier’ le rapport à la maladie. Néanmoins, comme le souligne Martine Bungener à propos de l’épidémie du VIH, les individus ne possèdent pas tous les mêmes capacités à mobiliser un réseau d’entraide. Les personnes socialement vulnérables sont à la fois les plus touchées par l’épidémie et les moins à même de lui faire face. Elles n’ont pas la même capacité que les personnes socialement aisées, pour chercher des informations, du soutien psychologique et/ou associatif. De plus, malgré les aides sociales, la maladie est génératrice d’appauvrissement et l’accès au monde du travail des personnes atteintes reste problématique.
Les hépatants parlent des membres qui ont déjà vécu l’expérience (souvent pénible) du traitement comme des « initiés ». On remarque dans les discours une valorisation de ceux qui ont déjà mené à terme plusieurs traitements. C’est une manière de s’encourager qui est tournée en revalorisation de soi en tant que malade. Parfois, le nombre de traitements réalisés s’exhibe comme autant de médailles et les médaillés ont droit à moult compliments. Cette expérience difficile qu’est le traitement est transformée en instrument de valorisation de soi. Selon les modèles d’interprétation de la maladie énoncés par François Laplantine, nous pouvons voir là un renversement du modèle d’interprétation de la maladie : de maléfique, elle devient bénéfique, car elle permet, outre l’introspection citée plus haut, l’exploit. Le traitement, qui est le plus souvent pénible, est alors vécu comme une maladie guérison. J’ai ainsi pu observer, chez les personnes interviewées, des passages d’un modèle étiologique, selon l’analyse de Laplantine, à un autre, en fonction du parcours biographique du malade : « maladie blessure » lors de l’annonce du diagnostic, « maladie gratification » lorsqu’elle apporte des bénéfices secondaires au patient, « maladie guérison » pendant le traitement, maladie exploit lorsque le traitement est mené à terme et le patient « réussit une séroconversion ».

Le sentiment d’être malade (et d’être un malade) apparaît fréquemment avec le premier traitement car la maladie peut passer inaperçue, sans symptômes très visibles, pendant plusieurs années. Le traitement, c’est-à-dire le fait de prendre des médicaments, d’une part, et de souffrir physiquement et/ou psychologiquement, d’autre part (en raison des effets indésirables des médicaments), rend la maladie tangible. Le besoin de contacter avec d’autres malades est dû aussi au sentiment d’être incompris par les autres, les non-malades. Il y a donc un sentiment d’appartenance à un groupe qui partage une expérience commune, l’impression que les autres « ne savent pas » et « ne peuvent pas comprendre » ce que cela représente et un désir de communiquer avec les membres de ce groupe, les hépatants. Cette communication passe par Internet mais aussi par des rencontres organisées à partir des forums de discussion et par les réseaux associatifs.


Maia Marta, « Les hépatants. Vivre avec une hépatite virale chronique et en guérir », dans revue ¿ Interrogations ?, N°6. La santé au prisme des sciences humaines et sociales, juin 2008 [en ligne],http://www.revue-interrogations.org/Les-hepatants-Vivre-avec-une,266 (Consulté le 11 juin 2014).

Biographie
Marta Maia est née en France en 1972. Elle a obtenu sa licence d’anthropologie sociale à l’Institut des scinces sociales de l’Université de Lisbonne (ISC-UL) en 1996. Elle a soutenu sa thèse en anthropologie sociale et ethnologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) en 2002. Par la suite, elle aconduit des reccherches post-doctorales à l’ISC-UL sur la base d’une bourse de la Fundação para a Ciência e a Tecnologia (Fondation pour la science et la technologie). Depuis 2005, elle poursuit ses recherches post-doctorales au Laboratoire d’ Anthropologie Sociale du Collège de France (Paris) sur la base d’une bourse de la Foundation Calouste Gulbenkian. Ses recherches ont notamment porté sur : la jeunesse, la sexualité, les comportements sexuels à risque, la santé et la maladie.

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