mercredi 12 novembre 2014

Excréments

Piero Manzoni. Merde d'artiste.
Il y a  des choses que tous les êtres vivants connaissent et partagent, ce sont leurs déjections et leurs merdes. Même pour les végétaux, on peut considérer que la lignite qui sert de squelette aux arbres est un résidu, une forme d'excrément propre au règne végétal.

Pour le vivant les excréments sont un produit aussi vital que sensible car les excréments
 se situent à la frontière entre ce qui est 'public', et ce qui est intime voire sacré. En effet, nos traces, j'entends ici par 'traces' nos excréments et de la même façon nos écrits nos œuvres nos propriétés, sont publics, tandis que nos organes qui les produisent (système digestif, cerveau, bras) sont de l'ordre de l'intime, du secret, du sacré même. Notre fragile enveloppe, notre peau, qui est ce qui de notre personne vivante nous appartient, doit donc gérer ses productions, et les articuler avec les exigences du milieu, de la société qui l'entoure. Ainsi les animaux marquent leur territoire de leurs déjections, ou les cachent pour ne pas se faire repérer. Notre société a  remplacé ces marqueurs primitifs par des titres de propriété.  Quoiqu'il en soit, notre anatomie est notre destin. Manger bien et bien déféquer est naturellement un baromètre de bonne santé mais la gestion de nos excréments, à l'instar de celle de nos traces est une affaire commune qui engage les individus comme les sociétés. En fait, que l'on pense recyclage ou que l'on pense postérité, faire quelque chose de ce qui nous arrive et gérer nos traces nos résidus, est peut être bien la finalité même de nos existences.

Carolo. Sculpture en bouse de vache.
Plus prosaïquement, comme la plupart des animaux, les humains font des efforts pour fuir ou éloigner leurs déjections. Cette gestion des déchets, que nous partageons, a forcément un caractère politique et c'est donc la société qui a autorité pour décider où il est séant de chier. Apprendre les toilettes, comme nous l'avons tous fait, c'est apprendre à se soumettre à la société. Au XIXème siècle, lors de la révolution industrielle, les concentrations humaines dans les villes causent des problèmes d'hygiène publique. Des problèmes de puanteur d'abord, car les villes ne sont pas encore équipées de tout à l'égout, mais aussi des problèmes sanitaires. Ainsi l'épidémie de choléra de 1849  fit à Londres 5500 victimes. Avec les concentrations urbaines est donc venu le souci de cacher bruits matières et odeurs et surtout de les évacuer. Le principe même des toilettes modernes, c'est de cacher que l'on fait pipi caca et d'évacuer toute trace. En cas de problème, et d'odeurs, persistantes il existe d'ailleurs une solution, à essayer quand tout a foiré, la pilule qui supprime l'odeur des excréments
Aujourd'hui un tiers de l'eau domestique sert à évacuer pisse et étrons, ce qui pose à l'humanité un problème écologique de portée planétaire. Comment dépolluer, recycler les eaux souillées, que faire des déchets, comment éviter les contaminations par les agents pathogènes, les hormones, les antibiotiques que véhiculent nos déchets ? Cuvettes bi-compartimentées, recyclage sous forme d'engrais pour l'agriculture, transformation des boues de retraitement en steaks protéinés, l'avenir est à la chasse aux chasses d'eau et au recyclage de nos déchets sous forme plus ou moins directement consommable.

Finalement, quoiqu'on ait pu ou qu'on puisse faire, il faut bien 'vivre avec nos merdes'. En résumé, la morale de l'histoire de la chasse d'eau, c'est que l'on ne résout jamais un problème, on le contente de le déplacer.  Le déplacer de la chambre à la rue, de la rue à la chasse d'eau, de la chasse à la rivière, de la rivière à la station d'épuration. Pour être plus positif, on retrouve le principe de Lavoisier "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme".

Ozias
Cloaca. machine à produire de la merde. Wim Delwoye.
Quelques chiffres : 12 millions de tonnes d'excréments humains chaque jour . En une vie nous déféquons en moyenne 6 tonnes d'excrément, ce qui occupe entre 6 mois et un an de notre vie. Chaque jour chacun de nous émet en moyenne 150g de merde et 1 litre de gaz. 

Mots clé : merde, excrément, colombin, bronze, fèces, selles, bronze, déjections, étron, bouse, crotte, commission, caca, 

Dans La Tentation de saint Antoine, Gustave Flaubert prête à Crepitus, Dieu romain des pets 'selon des sources monothéistes) , le discours mémorable suivant :

CREPITUS: Moi aussi l'on m'honora jadis. On me faisait des libations. Je fus un Dieu!
L'Athénien me saluait comme un présage de fortune, tandis que le Romain dévot me maudissait les poings levés et que le pontife d'Égypte, s'abstenant de fèves, tremblait à ma voix et pâlissait à mon odeur.
Quand le vinaigre militaire coulait sur les barbes non rasées, qu'on se régalait de glands, de pois et d'oignons crus et que le bouc en morceaux cuisait dans le beurre rance des pasteurs, sans souci du voisin, personne alors ne se gênait. Les nourritures solides faisaient les digestions retentissantes. Au soleil de la campagne, les hommes se soulageaient avec lenteur.
J'ai eu mes jours d'orgueil. Le bon Aristophane me promena sur la scène, et l'empereur Claudius Drusus me fit asseoir à sa table. Dans les laticlaves des patriciens j'ai circulé majestueusement! Les vases d'or, comme des tympanons, résonnaient sous moi;--et quand plein de murènes, de truffes et de pâtés, l'intestin du maître se dégageait avec fracas, l'univers attentif apprenait que César avait dîné!






Quand le derrière ouvert, plein de gaz apaisants,
Sent venir de la chambre un murmure lointain,
Les mains d’une lueur comme un riche présent
Sur le lit pose un cierge éclairant le divin.

La femme demande à l’homme de poser un baiser
Dans le bas de son dos où l’air étreint la fleur
Et pour donner au cœur une fièvre apaisée
L’amour approche un nez de toute sa longueur.

La peur au ventre un bruit dans le profond silence,
Sur l’oreiller le rire dérange l’indolence;
En allée la lueur au cri d’un petit trou.

Le parfum sous les draps dégage le bouche-trou,
La maîtresse en dehors de cette soudaine ivresse
Elargit son sourire et redresse ses fesses.


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