mardi 17 juin 2025

Pour qui roulent les psychédéliques ?

Contre-culture, religion, médecine, technologie. Entre subversion, ordre et optimisation. Pour qui roulent les psychédéliques ?

Les substances psychédéliques sont-elles intrinsèquement porteuses d’une dynamique de transformation sociale ou bien sont elles en passe de s’intégrer aux paradigmes les plus conservateurs de nos sociétés ? Ce texte poursuit une réflexion entamée dans deux précédents articles sur les usages, les significations et les enjeux sociopolitiques liés aux usages des psychédéliques (voir histoire des psychédéliques en Occident, et psychédéliques: révolutionnaires ou réactionnaires ?

Contre-cultures, institutions, industries : les psychédéliques à la croisée des idéologies

Longtemps associés à l’imaginaire contestataire des années 1960 — mouvement hippie, pacifisme, critique du capitalisme — les psychédéliques connaissent aujourd’hui un surplus d’intérêt dans des milieux apparemment aux antipodes de cette tradition : droite radicale américaine, entrepreneurs de la Silicon Valley, transhumanistes, et même Big Pharma. Une mutation idéologique est-elle en cours ? Le psychédélisme possède-t-il un potentiel idéologique propre ou bien est-il fondamentalement malléable, selon les personnalités, contextes, les croyances et les régimes de vérité qui l'encadrent ?

Une polysémie idéologique

Les habituels défenseurs de la «renaissance psychédélique» avancent que ces substances conduisent naturellement à l’adoption d’une vision progressiste, écologiste et solidaire. Mais cette association est-elle un effet de leur nature ou une conséquence de leur illégalité ? En effet, la prohibition a longtemps fait des psychédéliques l’apanage de hippies ou de militants contestataire de l'ordre établi. Il se peut que les liens entre psychédéliques et subversion proviennent du seul statut illégal des substances qui attire de facto une plus grande quantité d'esprits rebelles opposés aux normes et aux lois et sensibles aux contre cultures. En réalité, leur usage dépasse de plus en plus largement les rangs de ces partisans de l'amour, de la paix et de la liberté.

« Historiquement, le psychédélisme n’est pas connoté idéologiquement, et surtout pas à gauche », rappelle Rémi Sussan, journaliste et spécialiste des contre-cultures numériques. Il cite l’exemple d’Ernst Jünger (1894–1998), écrivain allemand nationaliste conservateur, comme l’un des premiers à défendre une exploration structurée de l’esprit à l’aide de psychotropes. L'article précédent 'brève histoire des psychédéliques en occident' résume cette filiation.

Une pluralité de cadres d’usage entre tradition, médecine, et innovation.


1. Usages rituels et religieux : la sacralisation de l’ordre

Dans plusieurs traditions autochtones, les substances psychédéliques sont intégrées dans un système de représentation cosmologique : ayahuasca chez les Shipibo-Conibo (Labate et Cavnar 2014), iboga dans les pratiques Bwiti (Fernandez 1982). Ces usages ne visent pas tant la transgression que le maintien d’un ordre — cosmique, social, ancestral — que l'administration de sacrements et les transes permettent de régénérer ou de renforcer.

Plus proches de nous culturellement, des mouvements religieux tels que le Santo Daime ou la Native American Church proposent un usage encadré des psychotropes. Ces pratiques s’inscrivent dans une logique de ritualisation de la transcendance, où la vérité révélée possède un caractère essentialiste et normatif.

2. L’encadrement biomédical : rationalité scientifique et espoirs thérapeutique

Depuis les années 2000, les essais cliniques de thérapies assistées par psychédéliques (TAP) se sont multipliés, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne ou au Brésil. LSD, psilocybine, MDMA ou DMT sont testés pour traiter des troubles comme la dépression, les addictions ou le stress post-traumatique — en particulier chez les patients résistants aux traitements conventionnels à base d'antidépresseurs  (Nutt et al. 2013 ; Griffiths et al. 2016). Les motivations de consommation de psychotropes sont ici le plus souvent éloignées de toute forme de croyance et sont au contraire d'une grande rationalité  puisque ce cadre d’usage repose sur une rationalité instrumentale : quantification, protocole, validation par les pairs. Il tend à dépsychologiser — voire désacraliser — l’expérience au profit de ses effets mesurables. Paradoxalement, les retombées de cette recherche attirent des investisseurs issus de milieux  conservateurs, séduits par les promesses d’innovation médicale et de retour sur investissement d'un marché estimé à 5milliards de dollars en 2030.

3. Une médecine aux croisements du religieux et de l'humanisme positiviste.

Deux grandes orientations se dessinent  principalement au sein des thérapies assistées par psychédéliques : l’une, portée par Roland Griffiths, réhabilite la dimension mystique de l’expérience, en s’appuyant sur les récits de révélation et de transcendance (Griffiths et al. 2006) ; l’autre, menée par Robin Carhart-Harris, adopte une posture neuroscientifique, physicaliste et agnostique (Carhart-Harris et al. 2014).
Ces deux courants témoignent de la tension constitutive entre sacralisation de l’expérience et objectivation scientifique, entre quête de sens et régulation pharmacologique. Pluralité ici dans le positionnement des thérapeutes 'holistiques' qui peut se rapprocher de certains courants évangélistes conservateurs ou être au contraire franchement scientifique humaniste et positiviste. 

4. Technologie et psychédélisme: une alliance inattendue ?
Le lien entre substances hallucinogènes et innovation technologique n’est pas inédit. Steve Jobs attribuait une partie de sa créativité au LSD. Plus récemment, Elon Musk a publiquement évoqué son recours à divers psychotropes tels que la DMT, les champignons ou la kétamine. Le festival New Age 'Burning Man', soutenu financièrement par Google, constitue un espace d’expérimentation sociale où se mêlent art numérique, états modifiés de conscience et utopie entrepreneuriale (Turner 2009). 
Cinquante ans après l'été 1967, les enfants des hippies de San Francisco ont redécouvert les vertus des drogues hallucinogènes. Mais pas seulement pour pimenter leurs fins de semaine : ce sont pour eux de vrais outils de performance professionnelle. Loin d’une quête de paix intérieure, les entrepreneurs de la Tech voient dans les psychédéliques des leviers d’optimisation : booster la créativité, augmenter la productivité, stimuler l’innovation. Cet usage utilitariste s’inscrit dans une vision techno-libertarienne du monde, où l’individu, augmenté par la substance, devient le moteur du progrès. Les psychédéliques ne sont pas perçus comme outils de libération mais comme instruments de performance cognitive. Le psychédélisme devient alors l’allié d’un projet d'innovation à marche forcée et d’optimisation individuelle.

5. Vers un transhumanisme psychédélique
Les états de conscience modifiés, tels que ceux obtenus par l'utilisation de substances psychédéliques, sont aussi une façon 'd'augmenter' chimiquement notre niveau de conscience à l'instar du dopage sportif qui est une autre forme de transhumanisme chimique. Le concept d'homme devenu Dieu a succédé au mythe chrétien du Dieu fait homme. Larry Page (co-fondateur de Google) et Elon Musk ne sont pourtant pas les premiers à avoir rêvé de surhomme ou d'amélioration de l'espèce (ou de la race) humaine. Depuis la découverte de la théorie de l'évolution par Darwin l'humanité est "devenue l'Evolution consciente d'elle même" selon la formule de Julian Huxley biologiste, et frère de l'auteur du 'meilleur des mondes'. Les psychédéliques trouvent dans le transhumanisme de nouvelles affinités et finalités : élévation de la conscience et conception mentales multidimensionnelles, aide au téléchargement de l'esprit et au développement de bioformes autonomes. L'une des principales conséquences de 'l'augmentation' de nos performances, qu'elle soit d'origine génétique ou mécanique, étant de nous distancier socialement les uns des autres et aussi de notre environnement, il est évident que l'utilisation des psychédéliques à des fins transhumanistes ne débouchera pas sur une plus grande solidarité environnementale et sociale. 
Cette orientation n’implique ni solidarité ni quête de justice : elle inscrit les psychédéliques dans une logique sélective et élitiste. Le rêve d'une conscience augmentée devient vecteur d’exclusion, de verticalité, voire de spiritualité autoritaire.

6. La fabrique de l’expérience : perception, interprétation, intégration

Finalement, chez tous ceux et celles qui l'ont vécue, l'expérience psychédélique consiste en une altération du niveau de conscience qui fait apparaitre nouveau, étrange, le réel qui nous entoure. Le psychonautisme est l'exploration du filtre au travers duquel nous apparait la réalité du monde. 

Les expériences de vision augmentés, de fractales cosmiques, télépathie, synesthésies, visions, possessions, sont fréquentes. Chaque psychonaute a connu le sentiment, ou plutôt l'évidence, de la révélation de vérités, d'ordre caché, ou des connexions qui nous relient au monde extérieur.  Parfois même l'expérience va jusqu'à la disparition du soi, de l'ego ou à la révélation mystique qui nous met en contact avec des entités supérieures ou 'divines'. Si nos expériences comportent d'évidentes similitudes, il n'en est pas de même des interprétations que nous allons leur donner. Celles ci sont liées à notre culture, aux croyances que nous côtoyons, à notre histoire. Ainsi, la régulation sociale, qui est l'un des effets des psychédéliques pris en groupe, peut être instrumentalisée selon un mode libertaire (Summer of Love) ou hiérarchisée (Eglise Santo Daime). Le phénomène de cohésion groupale peut être interprété comme amour universel ou instrumentalisé comme enrôlement sectaire. La solidarité, produite par la perception tangible des liens qui nous connectent aux autres peut tourner à l'enrôlement dans un milieu fortement hiérarchisé et l'intention d'accéder à un niveau de conscience plus élevé peut se transformer en une forme d'eugénisme spirituel. Le monde nouveau que nous montre les psychédéliques peut être facteur d'évolution et de changement ou au contraire s'interpréter comme la démonstration de l'entéléchie de nos existences. (Posture philosophique qui assigne à un être une existence définie. Ex : le gland sera chêne).

Au commencement : Croire ou douter

L’expérience psychédélique elle-même — visions, synesthésies, dissolution de l’ego — tend à produire une sensation d’évidence ontologique et nous confronte à des visions, et des expériences, qui nous dépassent. Pourtant, les interprétations varient considérablement selon les cadres culturels, religieux ou idéologiques. Le cadre dans lequel s’inscrit l’expérience (set and setting, mais surtout culture) oriente puissamment l'usage et sa signification : rituelle, médicale, mystique ou productiviste. 

Croire ou douter :  deux régimes de sens, deux clef d'interprétation incompatibles

L’usage que l’on fait des psychédéliques comme les interprétations que l'on en retient semble dépendre moins des substances elles-mêmes que du cadre philosophique ou spirituel dans lequel elles sont utilisées. In fine, deux visions antagonistes du monde s'affrontent  :

  • Une vision conservatrice, dans laquelle l’expérience psychédélique révèle un ordre supérieur, une transcendance — Dieu, nature, technologie — qu'il nous faut découvrir et à laquelle il faut se conformer. On retrouve ici des congrégations religieuses, des écologistes néo-paganistes des techno libertariens et des transhumanistes. 

  • Une vision progressiste, positiviste, matérialiste ou sceptique, dans laquelle les psychédéliques ne révèlent pas un ordre, mais une complexité. Ils deviennent un outil d’exploration, de déconstruction et d’invention du futur monde possible selon tous les degrés de liberté qui sont ceux la vie.

Ces deux régimes d’interprétation — croyance versus scepticisme — sont philosophiquement irréconciliables, mais c’est peut-être au cœur même de l’expérience psychédélique, que l'on rencontrera l'évidence du choix de notre interprétation du monde .

Ozias Juin 2025

Cartographie des postures psychédéliques.

A lire en complément 

Et aussi une excellente; et anonyme promenade métaphysique lue sur le blog de la SPF https://societepsychedelique.fr/fr/blog/vertige-et-psychedeliques

https://notforhuman.org/index.php/2025/03/17/contre-culture-un-autre-regard/

Critique à boulets rouge du psychédélisme 'de gauche' dans 'psychedelic Injustice' de Tom Hatsis https://boghossian.substack.com/p/why-critical-social-justice-ruins/comments

samedi 7 juin 2025

Brève histoire des psychédéliques en occident

En Occident, l’intérêt pour les substances psychédéliques émerge véritablement au XXe siècle. Dès les années 1930, des figures intellectuelles telles qu’Aldous Huxley, Ernst Jünger, Walter Benjamin ou encore Henri Michaux s’intéressent aux effets altérés de conscience procurés par certaines substances, qu’elles soient issues des traditions ethnobotaniques comme le peyotl ou les champignons hallucinogènes, ou issues des progrès récents de la chimie, à l’image du LSD, synthétisé pour la première fois en 1938 et dont les effets furent découverts en 1943 par Albert Hofmann.

Ces pionniers du psychédélisme s’inscrivent dans une continuité culturelle et littéraire remontant au romantisme du XIXe siècle, à travers les écrits de Charles Baudelaire, Thomas De Quincey ou Théophile Gautier, qui avaient déjà exploré les potentialités de l’extase artificielle via l’opium, le haschich ou l’absinthe. Ce renouveau psychédélique s’ancre aussi dans un contexte intellectuel plus large : la diffusion des théories psychanalytiques, le regain d’intérêt pour les spiritualités païennes – parfois liées à certains courants nationalistes, notamment en Allemagne (néo paganisme) –, ainsi que les questionnements existentiels liés à la modernité et à la désacralisation du monde.

À ses débuts, l’usage des psychédéliques reste ainsi l’apanage d’une élite intellectuelle et artistique, souvent conservatrice voire réactionnaire dans certains cas (comme chez Ernst Jünger), dont la quête est avant tout introspective, esthétique ou mystique. Le psychonautisme originel est donc une pratique élitiste, marquée par une recherche de sens dans un monde en mutation.

Mais dans les années 1950 et 1960, un tournant s’opère : l’accès aux psychotropes se démocratise, notamment grâce aux expérimentations menées dans certains milieux universitaires (comme celles de Timothy Leary à Harvard), et les idéaux contre-culturels s’en emparent. Les beatniks d’abord, puis le mouvement hippie, popularisent l’usage des psychédéliques dans une perspective de libération individuelle et collective. Le slogan emblématique de Leary – "Turn on, tune in, drop out" – illustre parfaitement cette volonté de rupture avec les normes sociales, au profit de valeurs perçues comme plus authentiques : peace, love and freedom, autrement dit pacifisme et désarmement, solidarité et entraide, refus de l’autoritarisme et interdiction d'interdire.

Face à cette effervescence culturelle perçue comme subversive, les gouvernements occidentaux réagissent avec fermeté. Inquiets des effets potentiels de ces substances sur la conscience politique et sociale des jeunes générations, les pouvoirs publics craignent que les expériences psychédéliques ne favorisent des prises de conscience radicales en matière d’écologie, de justice sociale ou de critiques des institutions. En 1971, les principales substances psychédéliques (LSD, psilocybine, mescaline, etc.) sont classées comme drogues illégales, jugées sans intérêt médical et à haut potentiel de danger. Leur usage, leur détention et leur distribution sont sévèrement réprimés à travers le monde.

Il faudra attendre le début du XXIe siècle pour qu’un regain d’intérêt scientifique émerge autour des psychédéliques. Grâce aux avancées de l’imagerie cérébrale, à la montée des critiques envers les limites des antidépresseurs classiques, et à l’inefficacité de certaines approches face à la dépression résistante ou au stress post-traumatique, une nouvelle génération de chercheurs se penche de nouveau sur les potentialités thérapeutiques du LSD, de la psilocybine, de la kétamine ou de la MDMA.

Depuis une quinzaine d’années, les psychédéliques connaissent ainsi un véritable retour en grâce, devenant l’objet d’articles dans les grandes revues scientifiques (NatureThe Lancet Psychiatry, etc.) mais aussi dans les médias grand public. Ils sont désormais au cœur d’un engouement culturel renouvelé, allant de la médecine aux séries diffusées sur Netflix, symboles d’un nouveau regard sur ces substances longtemps diabolisées, mais désormais réévaluées sous l’angle du soin, de la croissance personnelle et de la transformation de la conscience. 

Dans un prochain article nous nous intéresserons aux différents courants de pensées et approches qui traversent les communautés psychédéliques, pour tenter de comprendre si leur usage s'inscrit aujourd'hui dans une vision plutôt conservatrice et théiste, ou plutôt libertaire ou carrément libertarienne.

Ozias

Consulter aussi : 


https://emagicworkshop.blogspot.com/2025/06/psychedeliques-revolutionnaires-ou.html

https://vih.org/drogues-et-rdr/20240122/la-renaissance-psychedelique/

https://emagicworkshop.blogspot.com/2023/03/lsd-histoire-et-mythes.html

https://emagicworkshop.blogspot.com/2020/07/transhumanisme.html

vendredi 6 juin 2025

Psychédéliques : révolutionnaires ou réactionnaires ?

LSD, Kétamine, Pourquoi Musk, Thiel et la droite américaine trippent sur les psychédéliques ?

Ces figures de l'Alt-Right et des libertariens, de Peter Thiel à Elon Musk, promeuvent l'usage du LSD, de la psilocybine, ou de la kétamine. Si cette industrie, brassant des milliards de dollars , prône un usage thérapeutique, elle pousse surtout un agenda autoritaire qui justifie les inégalités.

Nastasia Hadjadji. Publié sur Libération 6 avril 2025 

Janvier 2025. A l'occasion de l'investiture de Donald Trump, Elon Musk sidère le monde en effectuant deux saluts nazis. Un mois plus tard, celui qui a été nommé administrateur d'un département de l'efficacité gouvernementale, le Doge, monte sur la scène de la Conservative Political Action Conference (CPAC). Visiblement euphorique, il brandit une tronçonneuse, singeant le président argentin Javier Milei.; un anarcho-capitaliste déterminé à démanteler l'état social. Ces coups d'éclats successifs font le tour du monde. 

Depuis, les spéculations sur l'état psychique et le discernement du milliardaire vont bon train. Les média se chargent de rappeler que Elon Musk est un consommateur régulier de kétamine, substance psychotrope qu'il utilise sur prescription pour traiter un état dépressif. Le site d'information The Atlantic interroge : était il en plein trip lorsqu'il a effectué ces saluts nazis ? Consommée à haute dose, la kétamine produit des effets stimulants pouvant conduire à un sentiment de toute puissance. D'autant qu'il n'est pas la seule figure de la droite réactionnaire à revendiquer une consommation de psychédéliques. 

Quatre ans auparavant, le 6 janvier 2021, un homme vêtu comme un guerrier viking mène l'insurection trumpiste sur le Capitole, berceau des institutions démocratiques américaines. il s'agit de Jake Angeli, une figure de l'Alt-Right autoproclamé 'QAnon Shaman'. En plus d'être l'une des têtes de pont de la mouvance complotiste, Jake Angeli est un psychonaute, un consommateur de psychédéliques. cet intérêt, il le partage avec l'idéologue de l'Alt -Right Jordan Peterson, très prolixe sur les "expériences mystiques" vécues grâce à la psilocybine. Mais aussi avec l'influent podcaster d'extrême droite, Joe Rogan qui a consacré plusieurs épisodes à ses trips sous DMT et ayahuasca. 

Psychédélisme conservateur

Un nombre grandissant de figures de l'Alt-Right et de la droite Techno-libertarienne font aujourd'hui la promotion de l'usage thérapeutique des psychédéliques , alors même que ces substances demeurent associées à la contre culture libertaire et antimilitariste des années 60. S'agit il d'un basculement idéologique ? Historiquement, le psychédélisme n'est pas connoté idéologiquement, surtout pas à gauche, nuance Rémi Sussan; journaliste et spécialiste des contre-cultures numériques. 'L'un des premiers  psychonautes à défendre l'usage des psychédéliques est Ernst Jünger [1894-1998], un écrivain allemand issu de la droite réactionnaire. Et lorsque Aldous Huxley [1894-1963] a sorti son ouvrage les Portes de la perception [1954]; la revue conservatrice National Review en publie la première version positive'.

Avant que les années 1960 n'impriment la marque de la contre culture hippie sur les psychédéliques, la consommation de psychotropes est le fait de l'establishment financier. Ainsi, c'est un banquier de la firme JP Morgan, Gordon Wasson (1898-1986), qui a inventé la qualification de 'champignons m magiques' pour parler de la psilocybine, bien avant que les auteurs de la Beat Generation ne fassent des psychédéliques la source de leur créativité littéraire et de leur engagement politique en faveur des libertés sexuelles et politiques. 

Aujourd'hui, ce lien avec les élites est incarné par Robert Francis Kennedy Junior, ancien avocat et membre du parti démocrate, actuel secrétaire d'Etat à la santé et aux services sociaux. RFK junior s'est rallié à Donald Trump dans le sillage de sa croisade antivax contre l'industrie pharmaceutique. Une position qui l'a notamment conduit à défendre l'usage des psychédéliques. selon lui, ces substances seraient plus efficaces pour soigner les pathologies mentales et leur démocratisation permettrait de briser la mainmise des Big Pharma sur l'industri edes médicaments. Dans cette bataille, il peut compter sur le soutien de la milliardaire Rebekah Mercer, mécène historique du Parti Républicain, proche de Steve Banon et de Donald Trump, qui défend l'usage des psychédéliques pour traiter le stress post traumatique des vétérans de guerre.

Redécouvertes à des fins thérapeutiques

Aujourd'hui, les psychédéliques ne sont plus considérés comme des stupéfiants, illégaux dans une majorité de pays. Ces substances représentent un espoir thérapeutique. On parle ainsi de Renaissance psychédélique, un mouvement qui a conduit à ce que les propriétés du LSD, de la psilocybine, de la MDMA, de la kétamine, soient redécouvertes à des fins thérapeutiques pour traiter la dépression, l'alcoolisme ou le stress post-traumatique.

l'enjeu médical est majeur, puisque l'OMS estime que la dépression touche 300 millions de personnes dans le monde et que 2,6 millions meurent d'alcoolisme. D'un autre côté, les USA comptent15,8 millions de vétérans de guerre en 2023, soit 6% de la population âgée de plus de 18ans. Mais cet enjeu est également d'ordre commercial puisque les nouveaux traitements à base de psychédéliques pourraient représenter une manne de 4,6 milliards de dollars d'ici 2030; selon l'institut Research and Markets. Alors les fabricants de molécules synthétiques se livrent une bataille acharnée. Leur graal ? une approbation par le régulateur américain, la Food and Drug administration (FDA), qui leur permettrait de commercialiser de nouveaux traitements.

Mais à l'été 2024, l'agence américain du médicament a refusé la mise sur le marché d'un traitement à base de MDMA, car les preuves des bénéfices n'étaient pas suffisamment robustes. Cette décision a été particulièrement mal reçue par les figures i psychédélisme conservateur. RFK junior s'est ainsi emporté contre ce qu'il a qualifié de "décision agressive". Depuis, il tient l'agence fédérale dans son viseur tant celle-ci incarne, selon lui, les excès d'une "bureaucratie" prompte à entraver l'innovation.

Une industrie brassant des milliards de dollars

 Cet argument fait mouche, en particulier dans la Silicon Valley, berceau de l'innovation technologique. Que l'on pense à Stewaert Brand, hippie technophile et auteur du 'Catalogue des ressources', une bible de la contre-culture cybernétique, au mouvement extropien, une frange radicale et libertarienne d'ingénieurs transhumanistes ou encore au festival Burning  Man, la Silicon valley a toujours été amatrice d'expériences psychédéliques. en 2006; le magazine Wired qualifie le LSD de "drogue miraculeuse du geek".  

CEO de start-up, dirigeants de hedge funds, capital risqueurs: les businessmen de la Tech recherchent avec les psychédéliques des manières d'être plus créatifs, plus disruptifs, de vaincre les peurs liées à l'entreprenariat. En 2024, The Wall Street Journal rapporte que l'usage de substances psychotropes, dont le LSD; la kétamine et la psilocybine, est toléré voire encouragé dans les entreprises d'Elon Musk, officiellement pour aider les cadres à se dépasser dans la réalisation de leurs enjeux professionnels. Cet héritage explique pourquoi de grands oligarques de la Tech sont aujourd'hui les principaux argentiers de ce secteur; devenu au fil du temps une industrie brassant des milliards de dollars. Pivot de cet éco-système, le multi-investisseur techno-libertarien Peter Thiel finance les principales pépites du secteur via son fonds Founders Fund. A ses côtés, le milliardaire allemand Christian Angermayer, connu pour avoir affirmé que "c'est une expérience sous champignons qui lui a permis de comprendre le bitcoin", est notamment l'un des investisseurs de ATAI Life Sciences, une biotech cotée au Nasdaq. cette société, qui comprend également Compass Pathways, le leader des thérapies à base de psilocybine, incarne le  visage industriel et capitaliste des psychédéliques. Un visage que les auteurs du site critique Psymposia qualifient de "Corpadélic" néologisme formé de corporate et psychedelic.

"Eugénisme spirituel"

Un autre motif d'inquiétude est le lien entre le transhumanisme de l'élite des techno oligarques et la promotion des psychédéliques. pour la chercheuse critique Nese Devenotde l'université Johns Hopkins, la volonté des transhumanistes qui est de faire advenir un Homo Sapiens 2.0  résistant et immortel, cache en réalité un agenda politique. "Aujourd'hui, ce sont les milliardaires de la Tech qui capturent le discours sur les psychédéliques. Or, celui ci sert à pousser un agenda autoritaire qui justifie les inégalités du présent au nom d'un futur hypothétique", estime la chercheuse. Il ne s'agit pas tant de nous rendre plus 'conscients' que plus productifs et plus longtemps. D'autant que la vision des techo-oligarques s'accommode parfois avec une tendance à l'eugénisme. "Les techno-libertariens sont obsédés par l'idée de libérer le potentiel de l'humanité, en faisant advenir un super-humain augmenté, grâce aux psychédéliques, mais aussi grâce à l'intelligence artificielle, les thérapies géniques ou encore la conquête spatiale, relève Jules Evans, philosophe et auteur de la newsletter  Ecstatic Integration. Or, cette nouvelle espèce de pensée de l'évolution suggère qu'à l'avenir certaines personnes seront "plus évoluées" que d'autres et que cette hiérarchie sociale serait justifiée. Le philosohe rappelle ainsi que nombre de grands penseurs de la "révolution psychédélique" comme Aleister Crowley, HG Wells (1866-1946), Aldous et Julian Huxley (1887-1975) ont progressivement glissé vers ce qu'il qualifie d'"Eugénisme spirituel", c'est à dire une justification de la sélection génétique au nom d'une conscience spirituelle plus élevée. L'apôtre du LSD, Timothy Leary répétait ainsi qu'en soignant noter esprit, les psychédéliques permettaient de soigner la société entière. Mais Timothy Leary était aussi convaincu qu'il appartenait à une "élite génétique" de laquelle la majorité de la population était de facto exclue. Il a d'ailleurs fini sa vie en écrivant sur le caractère incroyable de l'expérience génétique menée par Hitler. Allant jusqu'à mimer à la télévision ...le salut nazi. 

Nastasia Hadjadji. Publié sur Libération 6 avril 2025 

mardi 25 mars 2025

Interactions

Si vous êtes au Canada ou tout autre pays où l'usage des psychédéliques est dépénalisé, quand vous décidez de voyager en prenant un produit psychoactif, la première question à se poser c'est de savoir si ce produit est compatible avec les médicaments que vous prenez quotidiennement ou que vous avez pu prendre au cours des dernières semaines. La réponse peut être vitale. 
Pourtant, ne connaissant ni la composition exacte ni la pureté du produit absorbé, pas simple à savoir. De plus, dans un contexte de prohibition et de prolifération des produits, les interactions entre molécules sont peu étudiée, mal connues. Enfin, pour corser le tout,  nous avons chacun un métabolismes qui nous est propre.
Voici donc quelques informations que j'ai pu trouver au fil des forums afin de réduire les risques et d'anticiper les problèmes. Je n'en garantis pas l'exactitude. Je ne suis pas pharmacien, je n'ai pas tout essayé. Soyez prudents, en cas de doute, ne prenez aucun risque, n'hésitez pas à vous renseigner auprès d'un médecin ou pharmacien.
Sur smartphone, pour une mise en page correcte des tableaux, affichez la version web du site, ou lire en mode paysage.

Interaction de médicaments sur des psychédéliques.
Un portail à connaître et à consulter :
https://mixtures.info/fr/
Ci dessous un extrait d'un tableau provenant de l'hopital de Bâle, qui pratique en Suisse des thérapies psychédéliques depuis quelques années déjà. Sources  

Version 6, 29.11.2023, University Hospital Basel, Prof. Matthias E. Liechti & Dr. Yasmin Schmid 

PRODUCT

MDMA

LSD

PSILOCYBIN

Sex 

Dosing dependent on sex:  

women: xxx mg 

men: xxx+25% mg 

or use weight adjustment)

No adjustment by sex 

No adjustment by sex

Age 

Adjust in elderly persons:  

> 75 yr: xxx mg 

No adjustment to age 

No adjustment to age

2D6 poor  

metabolizer / strong  CYP2D6 inhibitor

Reduce dose by 0-25% 

Reduce dose by 0-25% 

NA

Problems urinating 

Tamsulosin on treatment day, NA 

Tamsulosin on treatment day, NA 

Tamsulosin on treatment day, NA

Problems sleeping  before session

Benzodiazepine/analogs, daridorexant,  diphenhydramine 

Benzodiazepine/analogs, daridorexant,  diphenhydramine

Benzodiazepine/analogs, daridorexant,  diphenhydramine

Nausea, Vomiting 

Domperidone (e.g. Motilium® 10mg max.  30mg / 24h), AVOID metoclopramide

Domperidone (Motilium ®), AVOID  metoclopramide

Domperidone (Motilium ®)), AVOID  metoclopramide

Migraine 

1. Domperidone, Coffee, Paracetamol,  NSAR 

2. Triptan (if 1 is not working)

1. Domperidone, Coffee, Paracetamol,  NSAR 

2. Triptan (if 1 is not working)

1. Domperidone, Coffee, Paracetamol,  NSAR 

2. Triptan (if 1 is not working)

SSRIs, SNRIs 

- Pause for 4 elimination half-lives; 5-7 days  for most SSRIs, 2 weeks for fluoxetine (otherwise reduced effect of MDMA but no  adverse effects) 

-Maintain, optional on treatment day, NA 

- Maintain, optional on treatment day

Mirtazapine 

Maintain 

Pause 5-7 days before, NA 

Pause 5-7 days before, NA


Trazodone 

Maintain 

Pause 1-2 days, NA 

Pause 1-2 days, NA


Bupropion 

-Maintain, reduces cardiostimulation and  prolongs effect of MDMA (bupropion is  inhibiting CYP2D6) 

-Consider MDMA dose reduction (see above)

-Maintain, NA 

-Consider LSD dose reduction since  bupropion also acts as a CYP2D6 inhibitor  (see above, NA)

Maintain, NA

MAOI 

Stop 14 days before 

NA 

NA

Lithium 

maintain or pause 3-7 days, NA 

-maintain or pause 3-7 days, NA 

-possibly increased risk of seizures

-maintain or pause 3-7 days, NA 

-possibly increased risk of seizures

Antipsychotics 

May pause 2-5 days in particular D2  antagonists 

Pause at least 7 days (reduced effect) 

Pause at least 7 days (reduced overall effect but potentially more anxiety/bad drug  effects with D2 antagonists) 

Pregabalin 

Maintain, NA 

Maintain, NA 

Maintain, NA

Antiepileptics 

Maintain, NA 

Maintain, NA 

Maintain, NA

Opioids 

Maintain 

Maintain 

Maintain

Benzodiazepines 

Maintain, if possible reduce dose 

Maintain, if possible reduce dose 

Maintain, if possible reduce dose

Disulfiram 

Pause for 3 days 

Pause for 3 days 

Pause for 3 days

Naltrexone 

Pause for 1-3 days 

Pause for 1-3 days 

Pause for 1-3 days

Methylphenidate 

Pause on treatment day 

Pause on treatment day 

Pause on treatment day

(Lis)dexamphetamine 

Pause on treatment day 

Pause on treatment day 

Pause on treatment day



Voici un autre tableau qui parait pertinent (Il provient de MAPS). 'Psychedelic Medecine Interactions : How to Analyze Conflicts for purpose of safety'. Dr. Trina Nguyen | BSc Pharmacy, PharmD https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/02698811231211219

Client’s Therapy 

MDMA 

Tryptamines and lysergamines (psilocybin, N,N-DMT, 5-MEO, LSD)

Ayahuasca (contains MAOI)

SSRI 

serotonin reuptake inhibitor 

·citalopram (Celexa) 

·fluoxetine (Prozac) 

·paroxetine (Paxil) 

·sertraline (Zoloft) 

SNRI 

serotonin norepinephrine reuptake inhibitor ·desvenlafaxine(Pristiq) 

·duloxetine (Cymbalta) 

·venlafaxine (Effexor)

Interaction: muted effect1-5 

Approach may range from a short break in therapy to a full taper and wash-out

Interaction with LSD: muted effect1 

Interaction with psilocybin: muted effect6 

Approach may range from a short break in therapy to a full taper and wash-out 

N,N-DMT and DMT no reported 

interactions

CONTRAINDICATED 

Interaction: risk of serotonin 

syndrome ranging from mild 

confusion to death15 

Clear from system for at least 2 weeks (fluoxetine longer)

DNRI 

dopamine norepinephrine reuptake inhibitor ·bupropion (Wellbutrin)

MDMA Pharmacokinetic Interaction: increased subjective effects and longer duration7

No theoretical risk 

Interaction: increased risk of side effects including hypertensive 

reactions16; clear from system for at least 2 weeks

St John’s Wort 

Weak monoamine oxidase-A and -B inhibitor, equal serotonin, dopamine and norepinephrine inhibitor

Insufficient evidence; potential risk of serotonin syndrome

Insufficient evidence; potential risk may range from muted effect to serotonin syndrome

Interaction: risk of serotonin 

syndrome; clear from system for at least 2 weeks

TCA 

tricyclic antidepressant 

·Amitriptyline (Elavil) 

·Clomipramine (Anafranil) 

·Desipramine (Norpramin) 

·Imipramine (Tofranil) 

·Nortriptyline (Pamelor)

Interaction: muted effect1 

Approach may range from a short break in therapy to a full taper and wash-out

LSD interaction: increased subjective effects of LSD10 

Unknown interaction with other tryptamines but may range from muted effect to increased subjective effects 

Approach may range from a short break in therapy to a full taper and wash-out

Interaction: risk of serotonin 

syndrome with clomipramine and imipramine17 

Taper and clear clomipramine and imipramine from system for at least 2 weeks prior to therapy

MAO-A Inhibitors 

monoamine oxidase inhibitor 

·Phenelzine (Nardil) 

·Isocarboxazid (Parnate) 

·Tranylcypromine (Marplan) ·Moclobemide 

·Linezolid (Zyvox), antibiotic

CONTRAINDICATED 

Interaction: possible serotonin syndrome, hypertensive crisis and death8,9 

Taper and clear MAO-A from system for at least 2 weeks prior to therapy

5-MEO-DMT interaction: risk of 

serotonin syndrome11, seizure2 or increased effects and prolonged exposure11 

Taper and clear MAO-A from system for at least 2 weeks prior to therapy 

LSD interaction: may result in muted effect of LSD10 

Psilocybin and N,N-DMT: prolonged and intensified effect

Interaction: risk of serotonin 

syndrome and hypertensive episodes 

Taper and clear MAO-A from system for at least 2 weeks prior to therapy

Lithium 

Interaction: possible seizure; both MDMA and lithium decrease seizure threshold 

Clear lithium from system for at least 5 days prior to therapy

LSD interaction: Multiple reports of seizure and hospitalizations13,14 

psilocybin interaction: Increased effect of lithium10 

Clear lithium from system for at least 5 days prior to therapy

Interaction: risk of serotonin 

syndrome 

Clear lithium from system for at least 5 days prior to therapy



Interactions entre drogues et certains traitements. Le tableau de Tripsit.
Ce tableau se trouve sur le site de tripsit :  https://combo.tripsit.me/

https://archive.org/download/1551215518285-0/1551215518285-0.png

Un résumé du tableau de Tripsit, en français, produit par le Corevih

Un site également très utile, celui des rapports d'analyse des produits. La fiche de chaque produit mentionne les interactions dangereuses