Jean Cocteau. Opium. journal d'une désintoxication. |
L'opium est un don du ciel. Le 'papaver somniferum' est connu pour le traitement efficace de diverses maladies (asthme, dysenterie, malaria), comme pour sa faculté de soulager la douleur et celle de procurer l'ivresse thébaïque.
"La science ne sait pas désunir les principes curatifs et destructeurs de l'opium".
L'euphorie, qui suit la consommation de l'opium repose avant tout sur l'effet des alcaloïdes dont les plus importants sont la morphine (10-14%), la codéïne, la narcéine..
L'opium donne accès à un monde intérieur intemporel, fonctionnant profondément par associations, où la réalité et le rêve se fondent dans une expérience à la fois lucide et très intérieure.
Dans son mode de consommation "L'opium est à l'opposé de la seringue Pravaz. Il rassure. Il rassure par son luxe, par ses rites, par l'élégance anti-médicale des lampes, fourneaux, pipes, par le mise au point séculaire de cet empoisonnement exquis." Jean Cocteau. Opium.
Aussi, indispensable à tout fumeur : Une cassolettes servant à épaissir l'opium liquide, la burette remplie d'huile afin d'alimenter le réservoir de la lampe. La lampe à opium, pour faire grésiller la boulette sur la flamme, un cache lampe, pour tamiser l'éclairage, les billots à arrondir l'opium et les aiguilles pour façonner la boulette et la présenter à la flamme sur l'entrée du fourneau, des ciseaux, des pincettes et autres objets servant à régler la hauteur de la flamme. Enfin, un grattoir, pour nettoyer fourneaux et aiguilles ainsi que la boîte à dross (pour récupérer le résidu recyclable de la première combustion).
Nécessaire de voyage. Fin du XIXème (Louis Vuitton ?) |
Londres 1821, voici comment Thomas de Quincey, mangeur d'opium et écrivain nous décrit son expérience .
"La nuit, lorsque je reposais dans mon lit sans dormir, de vastes processions défilaient avec une pompe lugubre, frises d'histoires interminables que je ressentais comme aussi tristes et aussi solennelles que si elles eussent été tirées des temps d'avant Oedipe et Priam. - d'avant Tyr- d'avant Memphis. A cette même époque, un changement correspondant se fit dans mes rêves : il semblait qu'un théâtre se fût soudain ouvert et illuminé dans mon cerveau, offrant chaque nuit des spectacles d'une splendeur plus que terrestre."
.../... "A mes architectures succédèrent des rêves de lacs et d'étendues d'eau argentées.../...[puis] les eaux changèrent de caractère: de lacs transparents qu'elles étaient, brillants comme des miroirs elles devinrent des océans et des mers. Alors se produisit un terrible changement, qui, se déroulant lentement comme un parchemin, pendant de longs mois, me promit une torture permanente; et en effet, elle ne me quitta plus que mon cas ne fût résolu. Jusqu'alors la face humaine avait été souvent mêlée à mes rêves, mais non de manière despotique ni sans aucun pouvoir spécial de me tourmenter..../... Sur les eaux mouvantes de l'océan commença à se montrer le visage de l'homme ! la mer m'apparut pavée d'innombrables têtes tournées vers le ciel. : des visages furieux, suppliants, désespérés, se mirent à danser à la surface, par milliers, par myriades, par générations, par siècles ...
Thomas de Quincey. Confessions d'un mangeur d'opium.1821.
Et voici la description - bien différente - qu'en fait Jean Cocteau dans Opium, le journal de sa désintoxication. Oeuvre géniale d'art thérapie écrit en 1928 à l'hôpital de Saint Cloud .
"Il faudrait en finir avec la légende des visions de l'opium. L'opium alimente un demi-rêve. Il endort le sensible, exalte le cœur et allège l'esprit".
"Après avoir fumé, le corps pense..../..Le corps songe, le corps floconne, le corps vole.
Le fumeur embaumé vivant".
"Le fumeur monte lentement comme une montgolfière et retombe lentement sur une lune morte dont la faible attraction l'empêche de partir".
"L'opium permet de donner forme à l'informe; il empêche hélas ! de communiquer ce privilège à autrui".
"Je ne suis pas un désintoxiqué fier de son effort. J'ai honte d'être chassé de ce monde auprès duquel la santé ressemble aux films ignobles où des ministres inaugurent une statue "
Jean Cocteau. Opium. 1928.
L'espace et le temps se dissolvent
Dans les cavernes des esprits
La peine et la joie s'évanouissent
Au rivage de nos îles fortunées
Jin Ping Mei (XVIIème siècle)
Enfin, pour finir en chanson, un bijou de la coloniale du temps de l'Indochine: "Opium, poison de rêve".
Faites de beaux rêves...
Ozias
Crédits:
Opium. Art et histoire d'un rituel perdu. F.M.Bertholet. Fonds Mercator.
Les confessions d'un opiomane anglais. Thomas de Quincey.
Opium. Journal d'une désintoxication. Jean Cocteau. 1928.
Addendum : fumeur d'opium 1906.