Correspondances et mystères.
Rimbaud Arthur, 30 ans. |
L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.
Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.
Puis tu te sentiras la joue égratignée...
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou...
Et tu me diras: "Cherche!" en inclinant la tête,
Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
Qui voyage beaucoup...
Arthur Rimbaud, 16 ans.
http://www.larevuedesressources.org/-arthur-rimbaud,114-.html
La mort des amants . (Baudelaire 1857)
Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.
Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
Un soir fait de ROSE et de BLEU mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux;
Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.
Antoine Watteau (poèsie de Marcel Proust)
Crépuscule grimant les arbres et les faces,
Avec son manteau bleu, sous son masque incertain ;
Poussière de baisers autour des bouches lasses...
Le vague devient tendre, et le tout près, lointain.
La mascarade, autre lointain mélancolique,
Fait le geste d'aimer plus faux, triste et charmant.
Caprice de poète - ou prudence d'amant,
L'amour ayant besoin d'être orné savamment -
Voici barques, goûters, silences et musique
Le lac
Edgard Poe. Traduction de Stéphane Mallarmé
Au printemps de mon âge ce fut mon destin de hanter de tout le vaste monde un lieu, que je ne pouvais moins aimer, — si aimable était l’isolement d’un vaste lac, par un roc noir borné, et les hauts pins qui le dominaient alentour.
Mais quand la Nuit avait jeté sa draperie sur le lieu comme sur tous, et que le vent mystique allait murmurant sa musique, — alors — oh ! alors je m’éveillais toujours à la terreur du lac isolé.
Cette terreur n’était effroi, mais tremblant délice, un sentiment que, non ! mine de joyaux ne pourrait m’enseigner ou me porter à définir — ni l’Amour, quoique l’Amour fût le tien !
La mort était sous ce flot empoisonné, et dans son gouffre une tombe bien faite pour celui qui pouvait puiser là un soulas à son imagination isolée — dont l’âme solitaire pouvait faire un Éden de ce lac obscur.
Charles Baudelaire. 1850. |
Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.
Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
Un soir fait de ROSE et de BLEU mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux;
Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.
Marcel Proust sur son lit de mort. 1922, par Man Ray. |
Crépuscule grimant les arbres et les faces,
Avec son manteau bleu, sous son masque incertain ;
Poussière de baisers autour des bouches lasses...
Le vague devient tendre, et le tout près, lointain.
La mascarade, autre lointain mélancolique,
Fait le geste d'aimer plus faux, triste et charmant.
Caprice de poète - ou prudence d'amant,
L'amour ayant besoin d'être orné savamment -
Voici barques, goûters, silences et musique
Le lac
Edgard Poe. Traduction de Stéphane Mallarmé
Au printemps de mon âge ce fut mon destin de hanter de tout le vaste monde un lieu, que je ne pouvais moins aimer, — si aimable était l’isolement d’un vaste lac, par un roc noir borné, et les hauts pins qui le dominaient alentour.
Mais quand la Nuit avait jeté sa draperie sur le lieu comme sur tous, et que le vent mystique allait murmurant sa musique, — alors — oh ! alors je m’éveillais toujours à la terreur du lac isolé.
Cette terreur n’était effroi, mais tremblant délice, un sentiment que, non ! mine de joyaux ne pourrait m’enseigner ou me porter à définir — ni l’Amour, quoique l’Amour fût le tien !
La mort était sous ce flot empoisonné, et dans son gouffre une tombe bien faite pour celui qui pouvait puiser là un soulas à son imagination isolée — dont l’âme solitaire pouvait faire un Éden de ce lac obscur.