D'abord tout le monde s'en fout, et moi le premier.
Ce lundi matin, le dernier de février 2022, en allant courir, j'ai l'impression de pas trop avancer. Je raccourcis mon tour habituel. Puis, après le repas je ressens un drôle de malaise avec à la fois la peur de tomber et l'envie de dégueuler. ça dure 30 secondes, pas plus. Puis dans la nuit de lundi à mardi je retrouve dans mon lit la sensation d'avoir un succube posé sur l'épaule gauche. Il se déplace parfois. Comme un gros chat couché sur moi. Il attaque aussi par l'arrière ou bien il se déplace vers mon bras gauche. Oppression, donc, zen, détendons nous !
ça passe, et puis ça revient. C'est une sensation que j'ai déjà rencontrée à plusieurs reprises en me couchant. Une impression d'oppression qui me rappelle tous ces tiraillements que j'ai eus depuis la mâchoire jusqu'à l'estomac depuis 2005 et qui se sont multipliés ces dernières années, qui disparaissaient après quelques gorgées d'eau froide et à cause lesquels j'ai mangé des kilos de Maalox contre les maux d'estomac. Un matin à Metz en 2020 aussi où j'ai dû sortir trempé de sueur d'une salle de conférence où j'étais assis. Par contre, ce qui est nouveau ce soir c'est cette nausée qui ne me lâche plus et en plus , des gargouillis inhabituels dans mon ventre. Comme une longue nausée sans pouvoir vomir, entrecoupée de quelques gros spasmes à tomber raide et douloureux à mourir.
Mardi matin, plus de douleur dans la poitrine, mais nausée à ne pas pouvoir me lever et fatigue tellement intense que je ne peux appeler mon médecin traitant qui prend des rendez-vous seulement avant 9h15 ou après 17h. Serait-ce le Covid ? Je fais un test, et je suis déçu de constater qu'il est négatif. Vers 15h, je sors du lit, impossible de manger, à 18h, j'appelle mon médecin qui me donne rendez-vous le lendemain à 18h00.
Mercredi, journée sur le canapé, tout patraque. A 18h, je prend la voiture et je me rends chez le médecin. Il me dit que j'ai de la fièvre (38C). Il me fait un électrocardiogramme. Diagnostic possible, mais sans trop y croire : c'est peut être un infarctus. Il me fait une ordonnance pour des médicaments (aspirine, nitroglycérine Natispray) et un dosage de la troponine.
Comme j'habite la cambrousse et vu l'heure, le labo d'analyses ouvert le plus proche est à 25 km. 18h30 , il est déjà tard et je repars direct au volant de ma voiture de chez le médecin, direction la vallée . Premier stop à la pharmacie, longue file d'attente. Deuxième stop 15 km plus loin à la recherche d'un labo d'analyse qui ferme à 19h. L'accueil est introuvable car la clinique "B." est justement en chantier et en février, il fait nuit . Je erre dans le chantier sombre, puis je trouve l'accueil, où on me dit: "Le laboratoire est fermé depuis 19h, il faut que vous alliez aux urgences privées de la clinique "C".
Je repars avec ma voiture pour une dizaine de kilomètres encore. Attente, 12 personnes devant moi. ça fait maintenant 3 heures que je suis parti de chez le médecin. Finalement, prise de sang. Je regarde mon sang couler dans le tube, épais et sombre comme du civet de lapin. Enfin je repars chez moi en voiture (25km). Arrivé je prépare des pâtes et je mange. A peine posé sur mon canapé, coup de fil du labo d'analyse qui me demande de partir direct aux urgences pour cause de souffrance cardiaque aigue. Bref, après plus de deux jours de malaises, voilà que je fais officiellement un infarctus ! Là, le plan Orsec est lancé !
A l'hôpital je suis pris un max en charge par une demi-douzaine d'intervenants tous très jeunes et tous en mode Matrix. Ils se présentent militairement, "bonjour monsieur Ozias, je suis Joe, Votre infirmier stagiaire et je .... bla bla..." et j'oublie leur nom spontanément. Après un grand tour des couloirs en lit roulant, lardé de perfusions et ficelé d'électrodes, j'attends dans une chambre double pour subir une angio-plastie dès que possible.
Un vrai problème avec la cardiologie, c'est le monitoring cardiaque : 6 électrodes sur la poitrine plus un bracelet pour la tension, sans parler des perfusions. Beaucoup de fils à la patte et donc, impossible de sortir du lit, quel que soit le besoin. Et quand un "gros besoin" se fait sentir, j'ai honte pour mon voisin (because le bruit, et l'odeur). Bref, en fin de matinée, après quelques allées et venues de groupes d'internes et un questionnaire intrusif et désagréable sur mon 'hygiène de vie', où l'on me fait comprendre qu'en fumant du cannabis je n'ai pas volé ce qui m'arrive, et jurer que je ne recommencerai plus, c'est mon tour et je pars au bloc.
L'angioplastie consiste, à l'aide d'un cathéter, à faire remonter depuis la veine du poignet droit deux petits ressorts qui maintiendront les coronaires ouvertes au niveau du cœur (les stents). Mon opérateur me demande si j'autorise son collègue débutant à pratiquer cette opération pour la première fois. Déjà bien dans le colletar, je réponds que oui, et c'est parti pour 20-30mn de ramonage des artères . Avec le Subutex la morphine ne fait pas trop d'effet et j'ai trouvé ce temps bien long. Résultat Méga hématome sur l'avant bras droit. D'ailleurs, plus d'un an après j'ai toujours la marque du méga-hématome qui s'ensuivit, comme un tatouage souvenir.
Ce qui m'a le plus cassé les pieds, c'est que les médecins, comme toutes les personnes de mon entourage ont spontanément trouvé une explication à cet évènement. Et bien sûr, dans tous les cas, la cause ne tenait qu'à moi. Pour certains, c'était dû au vaccin anti-covid, pour d'autres au cannabis, ou encore au manque d'exercice, ou au sucre trop présent dans mon alimentation. Tous.tes avaient trouvé une explication qui leur permettait surtout de se rassurer en se disant qu'elleux -au moins- n'avaient pas ce travers là. Plus tard, en rééducation j'ai cotoyé de nombreux autres patient.es victimes d'infarctus. Certains étaient plus jeunes que moi, d'autres plus âgés. Des hommes dans l'ensemble. Il y avait des gros et d'autres pas. des sédentaires, des sportifs, des stressés ou pas des usagers de drogues ou pas.
Un an plus tard, qu'en est il ? Grace à la réadaptation qui a suivi l'infarctus je me suis remis au sport. Cardio et gymnastique dans un premier temps à l'hôpital, puis natation en été, musculation hebdomadaire et escalade 2 fois par semaine. J'ai donc perdu 5 kilos et gagné en muscles. Pompes et tractions ne me font pas peur et j'ai presque retrouvé mon niveau d'escalade d'homme jeune. Pourtant, je ressens toujours parfois quelques malaises (douleurs dans la poitrine, ou transpiration sans raison), et je redoute en permanence d'avoir à remettre tout en branle à cause d'un caillot qui bouche une coronaire.
Qui vivra verra