L' intraveineuse vénéneuse étant statistiquement le vecteur de contamination le plus classique et répandu, permettez moi de partager ces quelques lignes de la meilleure veine écrites au sujet de ce geste finalement prométhéen.
L'acier de l'aiguille consacre une pénétration emblématique. L'intoxiqué se trouve compénétré par la grâce chimique qui se répand dans son corps et se divise en une série d'épisodes chacun hautement symbolique. Les ingrédients s'ajoutent pour composer la recette. Bout, le brouet fatidique. Ici, deux gouttes de citron; là une miette de coton, filtre par lequel le philtre passera dans la seringue. D'autres préparations ont leur importance. Je ne dirai pas , par exemple, que le garrottage est un élément subsidiaire. Je n'initie personne, et à rien. Il suffit de voir apparaître ce delta bleuté et rosissant sous la chair porcelaine. Le temps est suspendu lorsque, délicatement, [s'] enfonce l'aiguille, à l'oblique très penchée, dans un de ces renflements. Image miniature d'une sodomie consentie.../...
Voici donc commise l'action la plus monstrueuse de toutes, tant elle apporte quantité et qualité de plaisir, face à quoi le monde entier se trouve en faillite. Je ne puis cependant rien voir de sordide dans cet acte qui, amoureusement conduit, est plein d'une dimension mythique et émouvante. Le rituel par lequel on se donne du bonheur ne saurait laisser indifférent. L'aspect sacrificiel consenti qui s'y glisse en fait une liturgie, une eucharistie de l'âge atomique. Dans ces gestes fatals où la tragédie guette, je vois la fatalité de vivre, et la tragédie d'exister, vécues sous la forme d'un festin bâfré nu sur soi même, où chacun peut dévorer son corps planté au bout de la seringue. L'aiguille est le corridor dérobé par où pénètrent les noirs enchantements dans la caverne du corps qui les transforme en ombres anamorphosées. Se seringuer est un enchaînement de transgressions majeures, un scandale pesé en gestes d'une scandaleuse précision. Meurtre prémédité, brusque fin de non recevoir envers ce monde, auquel nous tournons le dos.../...
Extrait des 'rêveries du toxicomane solitaire' Anonyme. Editions Allia. Paris 1997
Extrait des 'rêveries du toxicomane solitaire' Anonyme. Editions Allia. Paris 1997
N’écoutez plus la chanson oubliée !
Je ne te connais plus, mais je n'ai pas oublié ce que tu donnes et ceux que tu as pris.