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vendredi 31 mars 2023

Set, Setting and Support


Alors que le mouvement psychédélique prend de l'ampleur et que l'opinion publique évolue, de plus en plus de personnes cherchent à utiliser les psychédéliques dans un but thérapeutique ou d'exploration de soi. Que ce soit dans le cadre d'une thérapie assistée aux psychédéliques, de cérémonies de médecine par les plantes ou d'un usage récréatif, le discours occidental actuel sur les psychédéliques a depuis longtemps intégré le concept de "Set & setting". Mais dans la culture psychédélique contemporaine, ce terme ne suffit plus comme mantra de réduction des risques. Comment l'actualiser et mieux aider les psychonautes ?

Depuis sa formulation dans les années 1960, les variables du Set & setting n'ont guère évolué. Il existe pourtant d'autres facteurs significatifs qui impactent l'expérience psychédélique - à la fois de manière immédiate et à long terme - qui ne sont pas entièrement pris en compte par les seuls paramètres de set & setting. Le Set & setting n'existe pas indépendamment de la culture, et d'un contexte socioculturel qui inclut, sans s'y limiter, l'identité, le statut économique, la nature des relations avec les autres, l'accès de l'individu à la nature et sa relation avec celle-ci.

Dans une large mesure, la notion de set and setting dans la culture occidentale a été façonnée et inspirée par la manière dont les peuples premiers du monde entier consomment des substances psychoactives dans des contextes rituels, avec des objets cérémoniels, de la musique, des relations avec la terre et des schémas d'interprétation cosmologiques. Contrairement à ces cultures, la notre porte un préjugé défavorable à l'égard de l'utilisation de substances psychoactives, et bien qu'il soit prouvé que les peuples d'Europe ont utilisé des plantes psychoactives de manière rituelle, ces traditions ont été oubliées depuis longtemps. 
Nos cadres culturels forment un prisme à travers lequel l'expérience psychédélique est interprétée, et l'absence de contexte culturel autre que celui de la prohibition, entraîne la nécessité d'une redéfinition du set & setting dans les sociétés occidentales.
Ido Hartogsohn, professeur adjoint au programme pour la science, la technologie et la société à l'université de Bar-llan (Israel), a mené des recherches sur le set & setting, et sur la manière dont les expériences psychédéliques sont façonnées par la société et la culture. En 2017, Hartogsohn a publié un article décrivant l'histoire du set et du setting, soulignant que bien que le terme soit souvent attribué à Leary, ses racines sont plus anciennes.

Set, Setting, and Support

Malgré les bienfaits indéniables des psychédéliques, le discours médiatique qui les entoure est souvent empreint d'un langage sensationnaliste, qui tend à en faire des remèdes miracles pour tous les problèmes de santé mentale. Ce postulat trompeur ne met pas en évidence les innombrables défis que présente l'expérience psychédélique. Même lorsque le set & le setting sont sous contrôle, il n'y a pas de garantie que des contenus et des situations difficiles ne se présenteront pas.

Le soutien d'un pair, d'un accompagnateur ou d'un facilitateur pendant une expérience peut aider le psychonaute à mieux naviguer dans son expérience et à adapter le cadre pour un meilleur confort et une plus grande sécurité", explique Hanifa Nayo Washington, cofondatrice et responsable de la stratégie de Fireside Project, une ligne d'assistance psychédélique qui offre un soutien téléphonique gratuit et en direct aux personnes en phase de trip ou d'intégration. https://firesideproject.org/app.

Comme le dit Stanislav Grof, chercheur en psychédélisme et psychologue transpersonnel, les psychédéliques se comportent comme des "amplificateurs non spécifiques de processus mentaux ou psychiques". En d'autres termes, ils ont la capacité d'amplifier un contenu latent dans la psyché, en faisant surgir des pensées, des émotions et des impressions sensorielles dont nous étions auparavant inconscients. Fréquemment aussi, il semble qu'au cours d'une expérience, il y ait un écart entre les attentes et le déroulement réel de cette expérience. Le fait de disposer de formes de soutien  pendant le processus peut aider à traverser les moments difficiles du trip. 
En outre, les suites d'une expérience psychédélique peuvent également être déstabilisantes, car les états de conscience non ordinaires qu'ils provoquent nous catapultent au-delà des limites de nos perceptions quotidiennes. C'est en partie cette perturbation de notre flux de conscience standard qui permet aux psychédéliques d'être bénéfiques, mais cela peut aussi être un processus déstabilisant, car les bases de nos visions du monde et de nos systèmes de croyance sont fondamentalement remis en question. Le recours à un soutien post-voyage dans les jours, les semaines et les mois qui suivent une expérience psychédélique peut considérablement faciliter le processus d'intégration vers une "nouvelle normalité". 

Trouver des supports 

La recherche de soutien est un moyen d'améliorer la préparation, le voyage et l'intégration psychédéliques. L'un des types de soutien, qui peut sembler plus évident, est le soutien social et communautaire avec l'aide d'un tiers. Même si les psychédéliques peuvent susciter des sentiments de connexion et d'unité, certaines personnes qui en utilisent peuvent se sentir aliénées et incomprises. 
Pendant des années, les politiques prohibitionnistes de tolérance zéro ont diabolisé les substances psychédéliques et ceux qui les utilisaient, ce qui a créé une stigmatisation persistante et un sentiment de peur et de honte associé à leur utilisation. Cela est particulièrement vrai pour les personnes racisées qui ont longtemps été confrontées à l'impact de l'application discriminatoire des lois sur les stupéfiants, la guerre contre la drogue produisant des résultats profondément inégaux entre les groupes raciaux.
En outre, les expériences spirituelles et mystiques ont longtemps été moquées et condamnées dans la culture occidentale, car elles comportent souvent des éléments qui culturellement ne sont pas admis, ce qui fait que les personnes qui vivent des expériences mystiques ou transpersonnelles profondes peuvent être rejetées ou qualifiées de " dingues ".
L'intégration est souvent un processus non linéaire au cours duquel les choses se dégradent parfois avant de s'améliorer. À la suite d'une expérience profonde la personne peut abandonner certaines composantes de son identité ou de sa personnalité. Cet abandon de comportements et de parties de la psyché qui ne sont plus utiles peut être considéré comme une sorte de "mue psychédélique". Omar Thomas, fondateur de la Jamaica's Diaspora Psychedelic Society, PDG de Jamaican Organics et membre du conseil consultatif de Psychedelics Today, a formulé pour la première fois la notion de "mue" dans le contexte de l'intégration psychédélique.
Cette mue peut concerner l'emploi, l'appartenance religieuse, l'identité sexuelle etc. Lorsqu'une personne traverse ce processus de mue sans bénéficier d'un soutien adéquat, le risque est qu'au lieu de trouver un soulagement à ses afflictions mentales et psycho-spirituelles, celles-ci s'aggravent. Par exemple, que se passe-t-il lorsqu'une personne se rend compte que son stress est dû à son travail, mais qu'elle ne peut pas démissionner parce qu'elle ne pourra pas subvenir aux besoins de sa famille autrement ? Ou que se passe-t-il lorsque que la personne se défait de son identité cisgenre tout en étant engagée dans un mariage qui risque de s'effondrer, entraînant une série d'effets problématiques ? Le processus de mue n'est pas toujours un mal, mais il peut le devenir si l'on ne dispose pas d'un soutien adéquat pour le rendre possible. 

Même si aujourd'hui les psychédéliques sont de mieux en mieux acceptés par le grand public, leur usage restent stigmatisant. Il est donc important de trouver une personne de confiance qui ne porte pas de jugement et avec qui partager ses découvertes. Pour certains, cette personne sera un thérapeute, un conseiller, un coach ou un guide chamanique, tandis que pour d'autres, il s'agira d'un ami de confiance ou d'un membre de la famille.
Si l'entourage immédiat se montre incompétent, il est possible de trouver du soutien communautaire en se connectant en ligne ou vrai avec une communauté psychédélique qui  propose des ateliers et des cercles d'intégration. L'un des avantages de la recherche d'une communauté en ligne est qu'elle permet d'entrer en contact avec des personnes appartenant à un groupe d'identité sociale spécifiques inaccessible autrement. Par exemple, on trouve maintenant (dans certains états US) des cercles d'intégration qui s'adressent aux personnes qui s'identifient comme racisés, neuro atypiques ou queer.

"En préparation d'un voyage psychédélique, le soutien peut prendre la forme d'un échange avec un ami de confiance, un facilitateur psychédélique ou un cercle de soutien, afin d'explorer les intentions, les appréhensions, les impressions et plus encore". "Cette étape permet de  prendre conscience de son état intérieur et de mieux connaître ses propres besoins et ses propres connaissances. 
Quelle que soit la qualité de l'expérience, et au-delà de la réduction des risques, certaines pratiques peuvent être utilisées dans les moments difficiles, afin d'approfondir le sens de l'expérience et d'en tirer un bénéfice durable. Par exemple, une étude de 2019  a montré que la méditation peut aider les patients à consolider les résultats de leur thérapie sur le long terme.
Qu'il s'agisse d'une pratique centrée sur la somatique ou la pleine conscience, ou d'une pratique plus dynamique basée sur le mouvement comme le yoga ou la danse, l'ancrage qu'ils procurent permet d'établir une relation plus profonde avec soi-même.

L' accompagnement à l'expérience psychédélique commence par le biais du développement personnel (Yoga, danse, méditation, hypnose etc). L'intégration de l'expérience peut se faire avec des psychothérapeutes intéressés par un travail sur les états de conscience modifiés. (voir article précédent sur Denis Dubouchet).  
Dans les états américains pionniers de la renaissance psychédélique, de plus en plus de professionnels ou d'associations proposent leurs services en ligne. 
En France, il faut aller à l'étranger pour trouver des centres, des cliniques ou associations spécialisés dans l'initiation ou la pratique des psychédéliques.  Par exemple les Pays-Bas, ou la Jamaïque où l'usage des truffes n'est pas prohibé, ou plus simplement en Espagne où quelques associations proposent des retraites psychédéliques.


Voici quelques ressources de support psychédélique . J'espère compléter cette liste à l'aide de vos suggestions.

Retraites psychédéliques
Retraites au Portugal https://coracao-medicina.com/
Un guide complet (en anglais) des pays pratiquant les retraites psychédéliques https://www.psychedelics.com/guides/psilocybin-magic-mushrooms/
Guide exhaustif des essais psychédéliques (en cours, futurs ou pasés) https://psychedelic.support/resources/how-to-join-psychedelic-clinical-trial/
Le prix d'une retraite psychédélique peut varier de quelques centaines à quelques milliers d'euros.

Intégration

à Lyon, la Société Psychédélique de ,Lyon anime des cercles d'intégration en présentiel.
La Société Psychédélique Française propose des cercles d'intégration en  distanciel. 
Eleusis (association suisse) propose également 2 fois par mois des cercles d'intégration sur inscription  https://eleusis-society.ch/francais/2022/09/06/cercle-dintegration-3/

La Gazette de l'abime (Média psychédélique) organise des cercles d'intégration privés (tarifs très abordables) https://https://www.facebook.com/lagazettedelabime/

Fabienne Lannes (psychothérapeute à Marseille) http://www.fabiennelannes.com/

Sinon, en France, dispositif MonPsy. 8 séances/an de psychothérapie remboursées par la SS sur prescription d'un généraliste.

Support en ligne
Commence à se développer dans les pays psychédéliquement avancés 


https://wiki.tripsit.me/wiki/How_To_Tripsit_Online

Associations en France
Les sociétés psychédéliques :
National, Communauté psychédélique francophone: https://www.facebook.com/groups/lacpf

Paris, Société Psychédélique Française https://societepsychedelique.fr/fr

Lyon, Société Psychédélique de Lyon https://www.facebook.com/societepsychelyon

Grenoble, antenne de la SPF https://www.facebook.com/spfgrenoble

Bretagne, Société Psychédélique de Bretagne 

A lire dans ce blog sur le même sujet :



Se renseigner avant le voyage : https://wiki.tripsit.me/wiki/Main_Page

dimanche 29 janvier 2023

LSD25. Histoire de la découverte du LSD

 

Le LSD a été découvert en Suisse en 1943 par Albert Hofmann chimiste aux laboratoires Sandoz alors qu’il travaillait sur de nouvelles propriétés thérapeutiques aux dérivés de l’ergot de seigle.

Bien que l’ergot de seigle soit un redoutable poison identifié dès le XVIIème siècle on connaissait déjà de nombreux usages médicaux dérivés de ce minuscule champignon qui colonise les épis de seigle. Secale cornutum désigne la forme sclérote du Claviceps purpurea, champignon parasite toxique long de quelques millimètres qui pousse sur les épis de céréales et que l’on appelle couramment ergot de seigle’. L’ergot de seigle est décrit dès 1595 par Bauhin (botaniste suisse) puis sera identifié au XIXème siècle par Adolphe de Candolle (autre botaniste suisse) comme étant un champignon.

Source : Wikipedia
L’ergot de seigle fut longtemps responsable d'une maladie, l'ergotisme, appelée au Moyen Âge mal des ardents ou feu de saint Antoine, liée à la présence d'ergot dans le seigle utilisé pour fabriquer le pain. Cette maladie, qui dure jusqu'au XVIIe siècle, provoque des hallucinations semblables à ce que provoque le LSD, et une extrême vasoconstriction artériolaire, suivie de la perte de sensibilité des extrémités des différents membres puis de la nécrose des membres eux même qui peuvent se détacher du corps spontanément et sans hémorragie. À cette époque, les malades consumés par cette maladie étaient considérés comme des exemples de la justice divine possédés par le démon, ce qui se traitait naturellement par l’exorcisme ou le bûcher. 

L’historien Rodolphe écrivait : « En 993, il régna en France une grande mortalité parmi les hommes. C’était un feu caché qui, dès qu’il avait atteint quelque membre, le détachait du corps après l’avoir brûlé. Souvent l’espace d’une nuit suffisait pour cet effet. Beaucoup de gens de toutes classes périrent, et quelques-uns restèrent privés d’une partie de leurs membres pour servir d’exemple de la justice divine à ceux qui viendraient après eux.»  Au 11e siècle, Guérin la Valloire, un jeune noble français, souffrait du feu de Saint Antoine. Il parvint à se remettre du mal qui l'affligeait et attribua sa santé recouvrée aux reliques du saint ; son père et lui fondèrent alors ce qui allait devenir l'Ordre hospitalier de Saint-Antoine vers 1095. À la fin du 15e siècle, les moines avaient construit environ 370 hôpitaux à travers l'Europe, en France, en Flandre, en Allemagne, en Espagne et en Italie pour traiter les foyers de feu de Saint Antoine.

En 1918 le chimiste suisse Arthur Stoll isole l'ergotamine qui ouvre la voie à l'usage thérapeutique moderne de l’ergot de seigle connu pour ses propriétés vaso-constrictrices (qui resserrent les vaisseaux sanguins) utiles pour lutter contre les saignements à la suite de l’accouchement, et aussi contre certaines migraines, crampes etc. En 1929, A la fin de ses études en chimie, à l'Université de Zurich, Albert Hofmann, futur père du LSD, entre au laboratoire de recherches Sandoz à Bâle, comme collaborateur du Pr. Arthur Stoll alors fondateur et directeur de la division Pharmacie de Sandoz. 

Très jeune Albert Hofmann s’est intéressé aux agencements moléculaires des poisons végétaux (ciguë, curare…), aux champignons vénéneux (amanites, ergots…), aux venins, aux plantes psychotropes sacrées, aux phantasticum (haschich, mescaline). En 1930, utilisant du suc digestif d’escargot de Bourgogne, il réussit à isoler la structure chimique de la « chitine » dont sont faites les carapaces, les ailes et les pinces des insectes. En 1932, il s’intéresse à la scille et à la digitale laineuse, des fleurs vénéneuses dont les glucoses sont capables de soutenir un cœur affaibli – ou de l’arrêter. En 1935 Hofmann proposa de reprendre les recherches autour des alcaloïdes de l’ergot de seigle qui avaient conduit à l’isolement de l’ergotamine en 1918.  C’est ainsi qu’en 1938, dans l’intention d’obtenir un stimulant circulatoire et respiratoire, il inventa la vingt-cinquième substance dans la série des descendants synthétiques de l’acide lysergique : le LSD25. Les essais faits sur les animaux ne révélèrent pourtant pas d’intérêt pharmacologique ou médical et les recherches furent de ce fait suspendues. Pourtant, après cinq années d’interruption le chimiste reprit les expérimentations au printemps 1943, mû par le pressentiment que cette substance, dont il “aimait la structure chimique”, pouvait avoir d’autres propriétés. Hofmann a déclaré qu'il avait un "pressentiment particulier" le poussant à resynthétiser le LSD et que cette substance lui "parlait". 

Comment cette intuition a-t-elle pu s’imposer à Hofmann ? Dans le cadre d’une entreprise comme Sandoz, il n’était pas évident d’allouer des ressources à la reprise de recherches considérées comme sans intérêt. Nous ne saurons jamais ce qui a pu le motiver. Hofmann recherchait il secrètement un nouveau psychotrope « phantasticum »  ? Et en quoi la structure chimique de cette molécule lui parlait elle ?

Ce que l’on sait, il nous l’a dit, c’est qu’au cours d'une de ses promenades de jeunesse Hofmann avait eu une épiphanie, une expérience décisive qui conditionna toute sa vie future de chimiste et de d’explorateur du pouvoir des plantes. Ainsi la décrit il bien plus tard dans la préface de son livre « LSD mon enfant terrible » :

"Cela s'est passé un matin de mai - j'ai oublié l'année - mais je peux encore désigner l'endroit exact où cela s'est produit, sur un chemin forestier à Martinsberg, au-dessus de Baden",. "Alors que je me promenais dans les bois fraîchement verdoyants, remplis du chant des oiseaux et éclairés par le soleil du matin, tout à coup, tout est apparu dans une lumière d'une clarté peu commune. Elle brillait du plus bel éclat, parlant au cœur, comme si elle voulait m'englober dans sa majesté. J'étais rempli d'une indescriptible sensation de joie, d'unité et de sécurité béate."…/… Et plus loin il écrit :  Il s'est produit dans ma vie une corrélation aussi inattendue que peu fortuite entre mon activité professionnelle et le spectacle visionnaire de mon enfance. Je voulais accéder à la compréhension de la structure et de l'essence de la matière : c'est ainsi que je suis devenu chimiste. Comme, depuis ma plus tendre enfance, j'étais passionné par le monde des plantes, j'ai décidé de me vouer à la recherche sur les substances constitutives des plantes médicinales. C'est ainsi que j'ai découvert des substances psychoactives, capables de produire des hallucinations et, dans certaines circonstances, d'induire des états visionnaires comparables aux expériences spontanées que je viens de décrire. La plus importante de ces substances a été désignée sous l'appellation "LSD" ».

Hofmann(à droite) dans le labo Sandoz
Au printemps 1943, Albert Hofmann se remet donc à la synthèse du LSD25. Au cours de la phase finale de synthèse, alors qu'il procédait à la purification et à la cristallisation du LSD 25 sous forme de tartrate, il fut troublé dans son travail par des sensations inhabituelles. Voici la description de cet incident, extraite du rapport qu'il envoya au Pr Stoll, son supérieur : « Vendredi dernier 16 avril 1943 en plein après-midi, j'ai dû interrompre mon travail au laboratoire et me rendre à mon domicile. A mon domicile, je me suis allongé et j'ai sombré dans un état second, qui n'était pas désagréable, puisqu'il m'a donné à voir des images fantasmagoriques extrêmement inspirées. J'étais dans un état crépusculaire, les yeux fermés (je trouvais la lumière du jour désagréablement crue), j'étais sous le charme d'images d'une plasticité extraordinaire, sans cesse renouvelées, qui m'offraient un jeu de couleurs d'une richesse kaléidoscopique. Au bout de deux heures environ, cet état se dissipa  «Le caractère, aussi bien que le déroulement de ces visions étranges faisaient penser à un quelconque effet toxique exogène, et je présumai une corrélation avec la substance sur laquelle je venais de travailler, le tartrate de diéthylamide de l'acide lysergique. Je n'arrivais pas très bien à comprendre comment je pouvais avoir résorbé de cette substance, habitué que j'étais à travailler dans des conditions d'hygiène draconiennes, compte tenu de la toxicité avérée des substances de l'ergot. Mais peut-être une infime partie de la solution de LSD était-elle quand même tombée sur mes doigts lors de la cristallisation : ma peau l'aurait alors partiellement résorbée. Si vraiment c'était cette matière qui avait provoqué l'incident que j'ai décrit, il devait nécessairement s'agir d'une substance active à dose infinitésimale. Pour en avoir le cœur net, je décidai de procéder à une auto-expérimentation. Comme je voulais être prudent, je commençai la série d'épreuves que j'avais prévues par la plus petite quantité mesurable, soit 0,25 mg (250 micro-grammes) de tartrate de diéthylamide de l'acide lysergique ».
Résultat et trip report du trip du 19 avril (Bicycle day, extrait) : « des vertiges, des perturbations visuelles, les visages des gens présents semblaient grimacer et présentaient des couleurs très vives ; de fortes perturbations motrices alternant avec des moments de paralysie ; ma tête, mon corps et mes membres paraissaient tous extrêmement lourds, comme remplis de métal ; j’avais des crampes aux mollets, les mains froides et sans sensations ; un goût métallique sur la langue ; la gorge sèche et serrée ; un sentiment de suffocation ; une impression de confusion alternant avec une perception claire de la situation, dans laquelle je me sentais comme à l’extérieur de mon corps, dans la position d’un observateur neutre, alors que je criais ou marmonnais indistinctement, comme à moitié fou. »". 

Convaincu par son expérience (celle du bicycle day) Albert Hofmann fut de suite persuadé que le LSD25 allait ouvrir un champ d’expérimentation psychique et thérapeutique extraordinaire. Surprenant mais authentique, Hofmann invite le professeur Rothlin, directeur du département de pharmacologie des laboratoires Sandoz, à répéter lui-même l’expérience avec ses collaborateurs qui ingérèrent 50 µg de LSD-25 et subirent des effets qui restaient “tout à fait impressionnants et fantastiques”. Stoll et Hofmann déposent alors le brevet du LSD en 1943 en Suisse - et en 1948 aux États-Unis.

Dès 1947 le Professeur Werner A. Stoll, fils d’Arthur Stoll (le boss de Albert Hofmann) publie dans le Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie sous le titre « Diéthylamide de l'acide lysergique, un phantasticum du groupe de l'ergo » les premiers résultats d'une expérimentation systématique du LSD chez l'homme, et en particulier sur ses patients.

La suite, est une autre histoire, celle du succès, puis du bannissement, puis de la renaissance d’une substance aussi puissante que magique. Au cours d'une interview de 2006, Hofmann a déclaré :"Mon intérêt pour la chimie a été inspiré par une question philosophique fondamentale : Le monde matériel est-il une manifestation du monde spirituel ? J'espérais trouver des réponses profondes et solides dans les lois solides de la chimie pour répondre à cette question, et appliquer ces réponses aux problématiques et aux questions ouvertes des dimensions spirituelles de la vie."

Ce qui me surprend dans cette histoire, c’est l’audace de Hofmann, son intuition, et même son acharnement pour à découvrir les propriétés psychoactives du LSD25. Pourquoi insiste t’il en 1935 pour reprendre des recherches sur l'ergot de seigle jusqu'en 1938 ?  Puis il remet ça en 1943 bien que le LSD25 ait été déclaré sans intérêt en 1938  ?  Comment se fait-il qu’après son expérience fortuite du 16 avril 1943, qui a été déstabilisante au point qu’il a dû quitter le labo, Hofmann décide de s'auto-administrer le 19 avril (bicycle-day) 250µg d'une substance inconnue aux effets inattendus ? 

Et suite à son auto-expérimentation du bicycle-day qu'il résume dans ses écrits par « à travers ma propre expérience au LSD, je n'en ai connu que les effets démoniaques » comment se fait qu'il propose à ses proches collaborateurs de faire la même expérience ? Dans un contexte professionnel, faire ingérer un produit inconnu pour tester ses effets psychotropes semble irresponsable et frise la lourde faute professionnelle. En pleine guerre mondiale (Europe 1943), quel pouvait être l’état d’esprit des chimistes de ce laboratoire ? Que recherchaient ils vraiment ?

Autant de questions que je me pose et que j’aimerais poser aux descendants de chimistes qui ont travaillé chez Sandoz à l’époque et avec Hofmann. Si vous en connaissez, si vous êtes de ceux là, Merci !

Have a good trip,

Ozias

Reférences :

https://www.lemonde.fr/blog/fredericjoignot/2023/04/19/albert-hofmann-le-pere-du-lsd-disparait-a-102-ans-apres-avoir-ete-fete-au-world-psychedelic-forum-bale/

https://hal-univ-rennes1.archives-ouvertes.fr/hal-01163248/document

https://www.mycodb.fr/forum/viewtopic.php?f=7&t=17

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/petite-histoire-medicale-et-hallucinee-du-lsd_29129

https://www.lemonde.fr/blog/fredericjoignot/2022/07/10/albert-hofmann-le-pere-du-lsd-disparait-a-102-ans-apres-avoir-ete-fete-au-world-psychedelic-forum-bale/

https://www.lequotidiendupharmacien.fr/le-mag/histoire-de-la-pharmacie/le-retable-dissenheim-au-secours-de-lergotisme

https://www.nationalgeographic.fr/histoire/le-feu-de-saint-antoine-le-mal-qui-accabla-la-france-au-10e-siecle

https://blog.nationalmuseum.ch/fr/2018/10/voyage-psychedelique/

https://www.davidjaybrown.com/albert-hofmann-ph-d/

Petits chimistes : https://archive.org/details/BookOfAcid/page/n3/mode/2up

vendredi 4 novembre 2022

Carl Gustav Jung

Jung et Freud (dessin IA)
Carl Gustav Jung (1875-1961) est un médecin suisse, pionnier de la psychanalyse, explorateur de la vie symbolique et spirituelle et de l'inconscient collectif. Ses travaux sont à l'origine de la pensée New-age et du développement personnel.

Jeune psychiatre de 25 ans, Jung découvre Freud en 1900 (p49). Freud et Jung échangent des centaines de lettres et s'analysent mutuellement. Pour Jung, le plus grand exploit de Freud est "d'avoir pris au sérieux ses malades et névrosés .../... et d'avoir prouvé empiriquement l'existence d'une psyché inconsciente".  Mais Si l'inconscient est pour Freud une cave où reposent nos désirs sexuels refoulés, Pour Jung c'est [aussi] un grenier où filtre la lumière de nos aspirations vers le sacré.  Malheureusement, Freud est persuadé que Jung veut prendre sa place à la tête du mouvement psychanalytique (p53). En 1914 Jung démissionne de l'Association de Psychanalyse, ce qui acte leur rupture.  Analyste réputé, Carl Jung fut proche de la famille Rockefeller qui le finança généreusement tout au long de sa vie.

Pour Jung, être conscient c'est "percevoir et reconnaitre le monde extérieur ainsi que soi même dans ses relations avec le monde extérieur", et le "moi" est une sorte d'agrégat complexe de sensations, de perceptions, d'affects, de pensées, de souvenirs. Jung distingue « quatre fonctions psychiques » : le type Pensée, le type Intuition, le type Sentiment et le type Sensation, que chacun possède à des degrés différents. L'originalité de Jung est d'avoir introduit au-delà de l'inconscient individuel (résultant de l'histoire personnelle), étudié par Freud, l'inconscient collectif, qui représente la stratification des expériences millénaires de l'humanité : « Si l'inconscient pouvait être personnifié, il prendrait les traits d'un être humain collectif vivant en marge de la spécification des sexes, de la jeunesse et de la vieillesse, de la naissance et de la mort, fort d'une expérience humaine à peu près immortelle d'un ou deux millions d'années. ». Pour Gustav Jung, l'être humain ne naît pas 'tabula rasa', mais inconscient. "Nous désignons aussi ce dernier sous le nom d'inconscient collectif, précisément parce qu'il est détaché des sphères personnelles, existant en marge de celles-ci, qu'il possède un caractère tout à fait général et ses contenus peuvent se rencontrer chez tous les êtres, ce qui n'est pas le cas pour les matériaux individuels".(CG Jung, psychologie de l'inconscient p120 Livre de Poche.) . Les archétypes, découverts par Jung, sont les créations mentales des anciens qui hantent et structurent l'esprit des vivants. "[l'archétype] Je sais seulement qu'il vit, et que ce n'est pas moi qui l'ai fait". Jung différencie l'archétype -invisible- et son phénomène dans le monde intérieur , l'image archétypique -le visible. Les représentations sont "visibles" pour le sujet qui se les représente.  Le passage de l'invisible au visible, de l'archétype à l'image archétypique, lors de l'observation intérieure est une transformation :" De par sa nature profonde, écrit Jung, l'archétype est un contenu inconscient qui subit une modification en accédant à la conscience et en étant perçu par elle".

Dans les années 20 Jung entreprend toute une série de voyages, il découvre des hommes peu touchés par la civilisation, vivant entre deux mondes (Inde, Afrique du Nord, tribus du Kenya, Indiens en Arizona, au nouveau Mexique). Suite à ses voyages, et à ses échanges avec un chef indien, Jung réalise que le sens de la vie humaine est de participer à la perfection de la création (p107).  "Bien que nous ayons notre vie personnelle, nous sommes les représentants, les victimes et les promoteurs d'un esprit collectif dont l'existence se compte en siècles". 

Dessin C G Jung
Jung se passionne aussi pour les philosophies orientales qui lui permettent d'aborder la psyché de manière plus globale. Puis, il se lance dans l'exploration de l'alchimie médiévale européenne. Les différentes opérations alchimiques sur la matière -l'œuvre au noir, au blanc et au rouge- lui apparaissent comme des phénomènes successifs de transmutation de l'esprit pour parvenir à l'union des contraires - le masculin et le féminin, l'esprit et la matière, le conscient et l'inconscient- que les alchimistes nomment "noces alchimiques" et Jung "réalisation de soi" (p118) . L'alchimie par sa tentative de transmutation de la matière et de l'esprit lui inspire le processus d'individuation par lequel l'individu se réalise en intégrant la totalité de sa psyché (p121). .

Pendant la période nazi Jung navigue à vue, et se compromet en 1934 avec un texte antisémite inspiré par sa rivalité avec Freud, puis se réfugie en Suisse où il est sollicité en tant que psychanalyste espion par les ennemis du Reich de différents bords.(p142).

Début 1944, terrassé par un infarctus, Jung fait une expérience de mort imminente (EMI) qui le confronte aux questions essentielles "Pourquoi ma vie s'est elle déroulée ainsi ? Qu'ai je fait de mes talents et de mes fragilités ? Qu'en résultera t'il ?" et qui, ayant fait l'expérience de la béatitude et du sentiment d'éternité, le transforme durablement. Jung reformule alors ses procédés thérapeutiques à l'aune de ses propres expérimentations. Sa thérapie vise à l'accroissement psychique et spirituel de l'individu (individuation) et par là même à l'élévation du niveau de conscience de l'humanité. En  ce sens, Jung est le père du développement personnel (p159). Les hypothèses mystiques de Jung ont aussi conduit au développement du courant « New Age » qui en reprend les concepts d'inconscient collectif et d'âme psychique. Pour Jung, si la première partie de notre vie a pour but de produire et de se reproduire, la seconde doit nous mener à élever notre niveau de conscience au travers du processus de l'individuation. Jung reste pourtant agnostique (en termes de croyances) et très prudent au sujet de la survie de l'âme après la mort. Il distingue soigneusement les évènements des connaissances et souligne le risque qu'il y a à confondre une expérience intérieure et son interprétation métaphysique (p180).

Le dualisme de Jung 

Pour Jung le moi se construit en devenant "conscient d'une polarité d'opposés qui lui est 'sur-ordonnée'". Cette tension est génératrice d'une formidable énergie psychique qui permet de passer à l'action. L'essence de la conscience est la différenciation. (p288). Comme en alchimie, "l'union des opposés est à la fois la force qui provoque le processus d'individuation et son but". Pour Jung "[c'est] dans la vie terrestre où se heurtent les contraires que le niveau général de conscience peut s'élever. Cela semble être la tâche métaphysique de l'homme". Si les conflits de contraires ne sont jamais totalement résolus, ils peuvent passer un jour à l'arrière plan. La solution qui naît de la coopération entre conscient et inconscient est alors ressentie comme un moment de grâce .L'acceptation succède au combat. Hors, seul l'amour peut permettre cette réconciliation. Sur l'amour Jung écrit "Il y va ici de ce qu'il y a de plus grand et de plus petit, de plus éloigné et de plus proche, de plus élevé et de plus bas, et jamais un des termes ne peut être prononcé sans celui qui est son opposé" car l'amour pour Jung est le grand mystère qui inclut tout (p291).

Ozias

Cet article est un résumé fait à base d'extraits du livre  "Jung , un voyage vers soi" de Frédéric Lenoir (Albin Michel 2021).

A lire aussi:

L'arrière-monde ou l'inconscient neutre. Bruno Traversi, Alexandre Mercier Editions Cénacle de France

https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Carl-Gustav-Jung-page-2.html

https://www.cgjung.net/espace/ressources/frederic-lenoir-jung/

lundi 8 novembre 2021

Toxicophobie


La toxicophobie se définit comme la stigmatisation juridique et morale des usagers et des usages de drogues. 

Il existe tout un corpus de poncifs au sujet des usagers de drogues et des toxicomanes validé médiatiquement autant qu'institutionnellement: les 'toxicos' seraient tou-te-s des menteurs/euses, des manipulateurs/trices, des pervers-es, des psychopathes, des gens indignes de confiance. Le but est d'inspirer de la honte aux usagers ainsi que la honte des usagers afin de dissuader ceux qui pourraient être tentés de consommer.
 
Aux yeux de la loi, comme de la majeure partie de l'opinion, le consommateur de drogues ne peut être perçu que comme comme un délinquant ou un malade. C'est l'image que répètent tous les films où des junkies en manque vendent père et mère pour une dose, où les fumeurs de crack assassinent, les fumeurs d'herbe tournent mal, et les amateurs de LSD finissent fous ou défénestrés. Au quotidien les journaux de province n'hésitent pas à faire un couplet sur l'automobiliste qui 'conduisait sous l'emprise de stupéfiants'  3 jours après avoir fumé un joint plutôt que sur celui qui s'est fait arrêter avec 2g d'alcool dans le sang.  Notons d'ailleurs que l'appellation de 'toxicomane' ne concerne pas les utilisateurs des psychotropes légaux nocifs et addictifs, que sont l'alcool et le tabac.

Le premier effet de la toxicophobie est d’invisibiliser les usagers de stupéfiants.
La majorité des usagers de stups et des toxicos est invisible. Elle ne se dit pas, ne se montre pas, car elle a très bien intégré la toxicophobie ambiante. Elle n’a le droit à aucune espèce de forme de réunion, de revendication, puisqu’elle n’a tout bonnement pas le droit d’exister.
La première conséquence est un manque de soins par peur des conséquences pénales en cas d'overdose, ou la peur du jugement du médecin traitant en cas de désagréments ou pour de simples informations. Le consommateur vit en permanence avec une épée de Damoclès au dessus de la tête et tant que la consommation sera criminalisée, son come-out est impossible à cause du risque d'être poursuivi, ou socialement ostracisé.  

Finalement, là où la vindicte populaire croit discriminer et mépriser la catégorie des usagers de drogues (ce qui est ouvertement légitimé), elle s’ acharne surtout -et comme d’ habitude- surtout sur la catégorie de ceux qui n’ont pas les moyens matériels de se cacher, de s’entretenir, et de s’intégrer.
Ceux qui sont 
sont le plus punis sont les plus démunis : les étrangers en situation irrégulière, les sans abris, les “accidentés” de la vie et les inadaptés du système.
Cette situation fait le bonheur de la politique du chiffre l’usage de stupéfiant constitue une proportion déraisonnable de l’activité policière tout en se tenant au service d'intérêts  politiques. La politisation des thèmes sécuritaires est une plaie. Ceux qui n'y connaissent rien imposent leur point de vue et leurs idées simples (taper toujours plus fort) alors que les solutions sont connues de tous les professionnels et par ceux qui sont concernés. 

La lutte contre la drogue et par extension contre les drogués, est en fait responsable de bien des méfaits qu’on attribue aux drogues elles-mêmes... L' esprit toxicophobe et prohibitionniste provoque bien plus de dégâts que les produits eux-mêmes.  Les politiques prohibitionnistes, qui consistent à rendre impossible la vie des usagers, ont fait énormément de tort. La criminalisation des consommateurs est une grossière erreur qui persiste en France. Il y a tellement d’exemples de la toxicité de ces politiques. Par exemple, aujourd’hui, quand on arrête une personne qui consomme de la drogue, elle peut en garder une trace dans son casier judiciaire pendant des années, cela l’empêche d’obtenir un job et de suivre le cours d'une vie normale. Combien de fugues d'adolescents, de séparations, d'overdoses évitables, de maladies ou de dépendances non traitées peut-on mettre au compte de la prohibition ?
Mieux vaudrait se tourner du côté de pays comme la Suisse, le Portugal, le Luxembourg qui adoptent une politique de réduction des risques pragmatique et bien plus efficace que le sacro saint "zéro tolérance".

Plus en amont, il y a énormément de biais dans la recherche scientifique. On fait dire aux données des choses que les données ne disent pas, notamment en ce qui touche aux comportements des consommateurs et aux problèmes physiologiques engendrés par les drogues. De nombreux scientifiques qui étudient les substances psychoactives exagèrent régulièrement l'impact négatif que la consommation de drogues récréatives a sur le cerveau. Ils taisent en revanche les effets bénéfiques que la consommation peut avoir (automédication, compensations). Ces scientifiques n'osent pas partager une telle perspective par peur des répercussions sur leur capacité à obtenir des subventions.
Dans son livre 'drugs for grown-up' (des drogues pour les adultes) Le neuro-scientifique Carl Hart dénonce les effets pervers de la criminalisation ainsi que les biais de la recherche sur l'usage des drogues.

La toxiphobie est si répandue, qu'on la retrouve retrouve au sein même des communautés d'utilisateurs. Par exemple, en milieux festifs, les injecteurs et les utilisateurs d'opiacés sont plutôt mal venus. On remarque le même phénomène quand il est question de la légalisation du cannabis, où de nombreux partisans distinguent 'drogues douces' et 'drogues dures'. Bref, la drogue des autres est toujours celle qui craint et qui fait peur.

Toute question liée à la drogue est actuellement traitée au travers d’un prisme idéologique qui diabolise sa consommation. Cela nous empêche de réfléchir correctement. Le simple fait de consommer des drogues ne constitue pas un risque ou un préjudice en soi. En réalité il n'existe que des produits et des personnes ayant chacun leurs caractéristiques et une histoire qu'il nous faut connaître avant de pouvoir juger.

Ozias


Un texte de référence:
http://sociologie-narrative.lcsp.univ-paris-diderot.fr/IMG/pdf/toxicophobie_mon_amour_anonyme_.pdf

Un blog sensible et documenté:


EGUS 2021

Cinquante ans de répression : bila, OFDT 

Médecine et réduction des risques

samedi 5 juin 2021

Avancer en âge et consommer des drogues

Le vieillissement entraîne de nombreux changements et implique la mise en place de processus de réadaptation. Le processus de séparation-individuation, largement poursuivi à l’adolescence avec l’acquisition d’une identité stable et d’un rôle social, n’est jamais achevé. Il s’agit d’un processus dynamique, qui se réactive notamment chez le sujet âgé. En effet, le vieillissement amène des pertes progressives d’énergie, de capacités, de rôles et de relations. 
La fin de la vie active est aussi le temps de la fin des conventions sociales et des responsabilités.

Ces changements peuvent altérer l’image de soi et l’image que les autres renvoient. Cette image est directement liée à la relation que les sujets âgés entretiennent avec autrui et au rôle endossé par chacun (rôle de parent, d’ami, etc.).
Or toute personne cherche à maintenir son rôle et la perte de celui-ci inhérente au vieillissement entraîne nécessairement un état de frustration, voire de dépression. Dans de nombreuses situations, l
es addictions peuvent combler un vide social ou permettre un court-circuitage d’une pensée trop douloureuse.

A l’évidence, les problèmes de drogues ne concernent plus aujourd’hui uniquement les 
« jeunes ». Ce phénomène prend de l'ampleur car les plus de 65ans, dont beaucoup ont découvert les drogues au cours des années 70's, sont démographiquement de plus en plus nombreux : En 2020, 20% des Français ont dépassé l'âge de 65ans. 
Les personnes âgées sont des usagers fréquents et réguliers de drogues délivrées sur ordonnance ou en vente libre. Les plus de 65 ans consomment environ un tiers de toutes les drogues prescrites sur ordonnance, dont souvent des benzodiazépines et des analgésiques opiacés. Les femmes âgées sont plus susceptibles que les hommes de se voir prescrire des médicaments psychoactifs et d’en abuser; elles ont également un plus fort risque que les autres classes d’âge d’abuser de médicaments délivrés sur ordonnance. 

Les usagers réguliers de drogues festives vieillissent eux aussi et peuvent s’exposer à davantage de complications avec l’âge. Les sujets plus âgés métabolisent les drogues plus lentement et, avec l’âge, le cerveau peut être plus sensible à leurs effets. De nombreuses substances stimulantes peuvent induire des changements dans le fonctionnement des récepteurs cérébraux, posant la question de leurs effets à long terme. Ces incidents peuvent interagir avec d’autres processus pour accélérer leur progression ou accroître la gravité des déficiences neurocognitives qui accompagnent le vieillissement. 
Les problèmes de comorbidité devraient aussi être davantage pris en considération dans le traitement des patients âgés. Les usagers de dogues âgés peuvent souffrir, par exemple, de pathologies chroniques, notamment au niveau du foie à la suite d’une infection chronique par le virus de l’hépatite C, ou de maladies liées au virus d’immunodéficience humaine (VIH) (maladies opportunistes).  Enfin, beaucoup d'usagers séniors sont sous traitement médical chronique suite à des problèmes de d'hypertension, cardio-vasculaires, diabète ou autres. Pour eux se pose non seulement la question des risques liés à leur condition mais aussi celle des interactions entre leurs produits et leurs traitements.

Face aux notions d’abus ou de dépendance, cette population âgée se distingue de la population générale par différentes particularités : clinique, applicabilité des critères diagnostiques, dépistage, etc. 
Il arrive aussi que des adultes âgés refusent d’admettre leur problème en raison de la stigmatisation qu’il entraîne dans leur classe d’âge. Les problèmes dans cette classe d’âge sont donc particulièrement susceptibles de passer inaperçus. 

Le vieillissement d’une partie de la population des usagers de drogues va soulever de plus en plus de nouvelles questions en termes de santé publique. Compte tenu de la difficulté à trouver des médecins formés et ouverts à ces sujets, une démarche d'autosupport des usagers concernés est nécessaire pour répondre dans un premier temps aux questions de notre première vague de séniors consommateurs de produits. Des traitements appropriés et efficaces doivent être adaptés aux besoins spécifiques des consommateurs de substances âgés, en dépit du peu de connaissances actuellement disponibles sur ce groupe de patients. Cela pourrait impliquer de modifier les formes de traitement actuelles, ou d’en développer de nouvelles, plus attentives aux conditions de comorbidité auxquelles sont exposés les sujets âgés.

D'après Observatoire Européen des Drogues et de la Toxicomanie (2018), Sujets âgés et substances psychoactives : état des connaissances C. Marquette

Le plus récent : une étude belge par Eurotox

Voici sur ce sujet un article de Pascal MENECIER, médecin addictologue, docteur en Psychologie Centre Hospitalier de Mâcon & Université Lumière Lyon 2, laboratoire Diphe
pamenecier@ch-macon.fr. Addictaide mai 2021.
https://www.addictaide.fr/usage-de-drogues-chez-les-personnes-agees-une-epidemie-cachee

Usage de drogues chez les personnes âgées : une épidémie cachée !

Le rapport 2020 de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) émanant des Nations Unies, publié fin mars 2021, comporte un chapitre consacré aux personnes âgées. C’est une première internationale que d’envisager les ainés comme priorité de santé publique en addictologie, même si certains pays peuvent apparaitre pionniers par leurs initiatives (Québec, Suisse, Royaume-Uni…).

Dans son introduction générale, le président de cette instance (Cornelis P. de Joncheere), souligne que 2020 a été marquée par la pandémie de maladie à coronavirus, avec « une incidence disproportionnée sur le bien-être des personnes âgées, ce groupe de population est également touché par une épidémie cachée, liée à l’usage de drogues ».

Le rapport souligne que l’accroissement des durées de vie « s’accompagne d’une vulnérabilité accrue à la consommation des drogues et à la dépendance à la drogue », observant une augmentation du nombre des personnes âgées recevant un traitement pour des troubles liés à cet usage. Au regard de cela « L’OICS recommande de faire mieux connaitre cette épidémie cachée et de faire en sorte que ce groupe de population souvent négligé, ait accès aux services nécessaires à sa santé et son bien être » (Nations Unies, 2021).

Contexte épidémiologique
Les personnes âgées, envisagées après 65 ans dans le rapport, représentaient 6 % de la population mondiale en 1990, pour atteindre 9 % en 2019 et devraient tendre vers 16 % en 2050 selon les Nations Unies. La définition de personnes âgées parmi les usagers de drogues est beaucoup plus variable, pouvant débuter dès 35, 40 ou 50 ans… (Nations Unies, 2021).

« Les personnes âgées sont particulièrement susceptibles de faire usage de drogues et d’en être dépendantes » (Nations Unies, 2021), reprenant diverses formulations de la littérature spécialisée, ce rapport souligne la vulnérabilité aux addictions des ainés, alors que la vieillesse n’en prémunit d’aucunes, reconnaissant que « le sujet âgé devient un candidat naturel aux addictions » (De Brucq, 2008).

Le nombre de personnes âgées recevant des traitements pour des troubles liés à l’usage de substance a augmenté ces dernières années, surtout en pays à revenu élevé, ce qui a souvent été mis en lien avec le vieillissement des générations du baby-boom. Les ainés mésusant de substances avaient été considérés comme devant doubler entre 2000 et 2020 aux États-Unis (Han, 2009).

Devant le peu de données épidémiologiques entre gérontologie et addictologie, alors que beaucoup d’études s’arrêtent à 65 ans, ce texte formule l’hypothèse d’une tendance à négliger ces personnes, reflétant « les attitudes qui prévalent à l’égard de ces personnes dans la société », citant les notions d’âgisme et de stigmatisation (source d’exclusion sociale) des personnes âgées usant (ou mésusant) de drogues (Nations Unies, 2021). Le rapport reprend alors le terme d’épidémie silencieuse, pour une épidémie nationale (aux États-Unis) (Knauer, 2003) mais silencieuse (Sorocco, 2006) initialement associée aux développements des troubles de l’usage d’alcool chez les ainés.

Substances considérées
Le rapport de l’OICS envisage sous la notion de drogues les substances illicites, dont le cannabis et les médicaments (analgésiques ou tranquillisants, entre usages non médical et mésusage) (Nations Unies, 2021). Alcool et tabac n’apparaissent pas dans l’acception retenue de la notion de drogue.

La prévalence annuelle d’usage de cannabis apparait la plus en essor parmi les 55-64 ans, avec ensuite une évolution proche constatée pour la cocaïne. Aux États-Unis chez les plus de 65 ans, entre 2012 et 2019, la prévalence d’usage de cannabis au cours de l’année écoulée a plus que quadruplé (de 1,2 % à 5,1 %), alors que l’usage non médical ou le mésusage d’analgésique a doublé (de 0,8 % à 1,7 %) … Les autres substances semblent moins avoir changé de place (cocaïne, hallucinogènes…) malgré l’absence de présentation d’analyse statistique et l’absence de considération de l’alcool ni du tabac… (Menecier, 2020).

Si la question des produits illicites (variablement envisagée selon les Etats, notamment à propos du cannabis), semble commencer à apparaitre plus précisément que ce qui a été redouté depuis longtemps sans objectivation si ce n’est pour le cannabis en milieu urbain au Royaume-Uni (Fahmy, 2012), c’est aussi à propos des médicaments que ce rapport veut alerter. « Aux États-Unis, les personnes de 65 ans et plus représentent plus de 10 % de la population totale ; or, elles sont à l’origine de 30 % des prescriptions médicales ».

Addictions du sujet âgé
Diverses spécificités des conduites addictives de sujets âgés sont ensuite passées en revue, autour des âges de début du mésusage, des liens avec les polypathologies et pathologies chroniques dont la fréquence s’accroit avec l’âge, ou la gestion complexe des douleurs chroniques chez les ainés.

Les conséquences de l’usage de drogues considérées (avant même de parler d’addiction) sur la santé de ces personnes sont listées : risque accru de décès par maladie, surdose et suicide, mortalité plus précoce, apparition prématurée de maladies chroniques, risque d’infections virales (VHC, VIH), exacerbation de maladies associées à l’âge, risque majoré de chutes fractures, blessures et accidents, altération des capacités à effectuer les actes de la vie quotidienne, risque de surdose/surdosage avec malaise ou confusion, incidence accrue de troubles en santé mentale…

Les conséquences sociales ne sont pas oubliées : stigmatisation source de sentiment de honte limitant l’accès aux soins, incidence augmentée de problèmes financiers…, isolement social (solitude et exclusion).

Recommandations de l’OICS
Au regard de ces constats, explicites et diffusés pour une population rarement priorisée en addictologie, diverses recommandations apparaissent : élargir les tranches d’âge des études épidémiologiques, améliorer l’évaluation et la surveillance des médicaments soumis à prescription, lutter contre la stigmatisation, développer des soins dans une « offre de prise en charge intégrée, holistique et adaptée à l’âge ».Ce qui tend à éviter une surspécialisation des offres de soins pour favoriser la possibilité de « traiter conjointement plusieurs problèmes, par exemple de santé physique, de santé mentale et de dépendance à la drogue ».

La place du repérage est enfin abordée, recommandant « de procéder au dépistage et à l’évaluation de l’usage de drogues chez les personnes âgées » (Nations Unies, 2021).

En France
Si différents pays sont cités dans le rapport pour des initiatives d’évaluation, de développement d’offres de soins ou de programmes en santé publique, la France n’apparait pas…

Pour autant le sujet n’est pas absent des préoccupations, apparaissant dans la littérature addictologique ou gérontologique, avec des recommandations autour de la consommation d’alcool chez les personnes âgées en 2014 issue de sociétés savantes (SFA-SFGG 2014). En 2021 débute un groupe de travail sous l’égide de l’HAS sur la « Prévention des conduites addictives et réduction des risques et des dommages en établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS)[1] », ciblant pour partie les personnes âgées.

Cette préoccupation mériterait (ensuite et dans un autre cadre) de considérer la population âgée générale du domicile, largement majoritaire, en développant une action (et un programme national) de santé publique ouvert à toutes les substances psychoactives et toutes les formes de vieillissement et de vieillesse.

« L’addiction n’est pas plus rose quand on a des cheveux blancs » (Dubreuil, 2011) et « il n’est jamais trop tard » pour intervenir (AA, 2002), sont deux références pouvant guider un tel projet.

Pascal MENECIER,
pamenecier@ch-macon.fr. Addictaide mai 2021.



Le cas des personnes sous TSO (Traitement de substitution aux Opiacés)

La France est un pays marqué par la consommation des opiacés, addiction qui une fois en place, conduit souvent à une longue « carrière » de consommateur. L’introduction des traitements de substitution n’a fait que renforcer ce processus de vieillissement en fidélisant les usagers de drogues auprès du système de soins et en contribuant à diminuer les décès par surdose. Compte tenu de l’efficacité grandissante des programmes de substitution par la méthadone et autres conduisant au maintien des patients sous traitement et à la réduction des décès par surdose, le nombre de ces sujets plus âgés va augmenter peu à peu. En Europe, le pourcentage de patients répertoriés âgés de 40 ans et plus, traités pour dépendance aux opiacés, a plus que doublé entre 2002 et 2005 (passant de 8,6 à 17,6 %).

Les médecins généralistes qui suivaient les anciens patients substitués depuis deux décennies partent petit à petit à la retraite, tout comme les pharmaciens qui les approvisionnaient. Les jeunes médecins qui les remplacent manquent souvent d'expérience et de formation aux sujet des TSO. De même, les pharmacies qui acceptent de délivrer des traitements de substitution (TSO) ne sont pas légion.  Les jeunes pharmaciens nouvellement installés refusent de prendre en charge ces prescriptions, ignorant même souvent de quoi il est question. Il est temps que les autorités sanitaires se mettent à penser à une succession du personnel soignant susceptible ou disponible pour prescrire et délivrer leurs traitements aux vieux rescapés de l'héroïne des années 80. (Olivier Doubre ASUD).

Concernant les soins dentaires, une attention particulière doit être apportée aux personnes en traitement de substitution aux opiacés quand elles sont amenées à diminuer, voire à arrêter, leurs traitements. La réduction des opiacés peut laisser émerger des douleurs latentes (pulpites par exemple)

Une étude sur la fomation des médecins généralistes aux opiacés (2017) https://hal.univ-lorraine.fr/hal-01932049/document

Age et drogue : quels risques ?

Cannabis

https://www.santelog.com/actualites/drogues-lusage-du-cannabis-explose-chez-les-seniors

Cocaïne

https://www.santelog.com/actualites/cocaine-elle-accelere-considerablement-le-vieillissement-du-cerveau

Benzodiazépines

http://www.santecom.qc.ca/BibliothequeVirtuelle/MSSS/2550358899.pdf


Articles à propos de l'usage de drogue chez les personnes âgées :

https://www.incb.org/documents/Publications/AnnualReports/AR2020/Annual_Report_Chapters/04_AR_2020_Chapter_I.pdf

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22491805/

https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2010-3-page-161.htm

https://www.emcdda.europa.eu/attachements.cfm/att_50566_FR_TDAD08001FRC_web.pdf

https://www.todaysgeriatricmedicine.com/archive/071708p20.shtml

https://www.socialworktoday.com/archive/012312p8.shtml


Psychédéliques et vieillissement

https://psychedelic.support/resources/older-adults-and-psychedelics/
https://www.binasss.sa.cr/mar22/23.pdf

SUJETS ÂGÉS ET SUBSTANCES PSYCHOACTIVES : ÉTAT DES CONNAISSANCES C. Marquette, Morgane Guillou-Landreat, Marie Grall-Bronnec, O. Vermeulen, Jean-Luc Vénisse De Boeck Supérieur | « Psychotropes » 

jeudi 7 mai 2020

Quarantaine Covid-19

Alors que cette période de confinement prend fin, je me trouve presque nostalgique de ces huit semaines de réclusion décadente. D'où ce carnet de confidences d'un confiné. Bonne lecture !

Prologue : 18 février 2020 Olivier Véran, ministre de la santé, sur France Inter :« La France est prête car nous avons un système de santé extrêmement solide. »

5 mai 2020. Cinquante jours de confinement (50).

Ici, ça a commencé mi-mars. D'abord les écoles ont fermé, mais on est allé voter quand même. Puis, comme sur Facebook, les rayons de notre supérette se sont vidés : plus d’œufs, plus de pâtes, plus de farine ni de PQ. On a eu droit à un ultime week-end de départ en vacances très ensoleillé, dont, par civisme sanitaire, je n'ai pas osé 'profiter'. Curieusement, les jeunes étaient les premiers à confiner, à mobiliser et à se mobiliser, alors que les plus âgés ne réalisaient pas encore, ou alors pas vite qu'ils étaient les premiers visés par cet Armageddon du boomer. Quand aux très âgés, déjà confinés depuis des années, ils ont été bien étonnés que l'on prenne soudain de leurs nouvelles.

Le 16 mars, dans un discours qui se veut martial, le Président nous apprend et répète ad-nauseam que 'nous sommes en guerre'. Pour ambiancer le tout chaque mobile reçoit un SMS de gouv.fr (qui n' avait encore jamais écrit) annonçant
"Des règles strictes que vous devrez impérativement respecter...!"


Au commencement 

C'est comme ça que du jour au lendemain, on s'est retrouvé en quarantaine pour cause de sécurité sanitaire avec autorisations de sorties datées signées, plages surveillées par hélico et état d'urgence pour une durée indéterminée.
Depuis quelques temps déjà ce confinement nous pendait au nez. Mais même en ayant l'Italie sous les yeux, on ne s'était pas préparé, on ne voyait pas, ou on ne voulait pas le voir. Le confinement, était réservé aux vaches ou aux canards dans les élevages, comme on avait pratiqué à l'occasion de la crise vache folle ou des grippes aviaires ou porcines précédentes. Mais pour nous humains, nous ne pouvions y croire avant  que ce COVID19 ne fasse de nous des champions des gestes barrières et de la distanciation sociale. 
Evidemment, à partir du moment où la Chine a confiné, la comparaison publique mondiale a fait que le confinement devenait inévitable partout. Le gouvernement s'est fait un devoir de garantir à ses citoyens que 'rien ne leur arrivera'. D'autres pays comme le Royaume Uni ou les USA ont bien essayé de jouer l'immunité de groupe, mais ils se sont fait déborder par les gros paquets d'hospitalisations avant d'emboîter le pas aux états confineurs. Incapable d'approvisionner masques et tests de dépistages, notre startup-nation championne du juste à temps et du flux tendu a forcément décidé du remède le plus moyenâgeux, le plus autoritaire aussi : le confinement de toute la population. Mais il était impossible de faire autrement je crois, car l'opinion elle-même aurait crié au génocide. Quand les valeurs « sanitaires » semblent indiscutables alors tout discours alternatif est indicible et la compétition politique ne peut se traduire que par une surenchère.

A ce sujet, le destin des animaux, et le sort que leur réservent nos sociétés humaines, me parait prophétiquement représentatif du 'foutur' de notre humanité. Depuis longtemps déjà tous les animaux libres vivent sauvages dans l'illégalité, tandis que nous produisons les animaux domestiqués comme de banales marchandises. Les races ont été sélectionnées, élevées, améliorées, différenciées, spécialisées normalisées pour s'adapter à la 'demande du marché'. Même chose pour les plantes où seules sont autorisées les graines de variétés sélectionnées et inaptes à se reproduire. Cette évolution pourrait bien préfigurer notre propre destin à l'aube du transhumanisme. Par exemple, la crise du Covid nous montre que l'avenir est aux Ehpads grands comme des fermes des mille-vaches où nos vieux jours seront professionnellement protégés de la mort par nos économies et pour la plus grande gloire de la sécurité sanitaire nationale et celle des actionnaires des groupes Korian et consorts. Bref, si tu confines bien, tu auras la chance de finir en Ehpad !

Mais, trêve d'anticipation et retour au réel... Donc le 16 mars , France Inter nous met en garde :"Arrêtez de vous embrasser", on fait les dernières courses (du tabac, des graines, des médocs, des patates), puis pour se remonter le moral on s'appelle, on échange les dernières blagues, et comme on est tous sidérés sous le soleil radieux du printemps, on joint les mains, on serre les fesses, on croise les doigts et on attend la suite... Let it be !

Le plus pénible pour moi est l'infantilisation dans laquelle le pouvoir veut nous tenir. Pour sortir, il faut remplir une attestation signée, comme au collège. Sibeth, la porte-parole du gouvernement nous explique que le port du masque peut être 'contre -productif' et Etienne Klein, démontre dans un savant calcul pour 'Marianne', que dépister ne sert à rien
Par temps de confinement rester chez soi et se taire fait de nous des héros !
Ici, les plus extravertis donnent chaque jour à 20 heures un concert de casseroles et de klaxons pour encourager Macron les soignants.
Nous Pesterons donc chez nous en briguant  légion d'honneur et croix de guerre du héros confiné. 


Premières semaines


17 mars 2020. 
'Nous sommes en guerre'
La première semaine a été la plus longue et la plus angoissante. Quand nos repères tombent, tout devient possible. La grève générale, l'arrêt de la mondialisation. On rêverait presque à la fin de la société de consommation. Spontanément on pense à l'an 01 de Gébé. Conséquence immédiate, je défriche un potager et je plante tout ce que j'ai sous la main. 
D'autres semblent apprécier cette parenthèse qui les maintient chez eux, les rapproche de leur famille, de la nature, de leur vraie nature parfois. 
Dehors la nature reprend ses droits, sans que l'on sache toujours démêler le vrai du fake. Ainsi, ces dauphins vus dansle port de Hyères, mais filmés dans le Bosphore, ou encore ces loups qui entrent dans Grenoble le ...1er avril !!!.

Plus d'avions dans le ciel, plus de brume dans la vallée et pour le futur, on hésite entre utopie, effondrement et dystopie. Le Centre Patronal Suisse y va même de son couplet : "Certaines personnes pourraient être tentées de s'habituer au confinement, voire à se laisser séduire par ses apparences insidieuses : beaucoup moins de circulation, un ciel déserté par le trafic aérien, moins de bruit et d'agitation, le retour à une vie simple et un commerce local. La fin de la société de consommation.' Pendant 45 jours il fait honteusement beau. Ici le printemps est partout et me rappelle la chanson de Nino Ferrer 'Le Sud'...Et toujours pas moyen de savoir ce qui se passe en ville. 

En me promenant sur les chemins autour d'ici je croise bien plus de monde que d'habitude. Des voisins, des joggers avec leur chien. Les consignes de confinement semblent induire un climat de sévérité peu propice aux rapprochements humains. La peur est partout. On se sent spontanément inspecté par son voisin, par les passants : pourquoi as-tu un masque alors que les soignants en manquent ? Depuis combien de temps traînes tu dehors ? Ton caddie contient il des articles de première nécessité seulement ? Ne pouvais-tu pas éviter de sortir ? 
Comme nous avons tous peur du moindre pépin, nous sur-réagissons : par exemple, j‘ai eu peur que le chien du promeneur que je croisais morde, et j'ai eu envers son maître une réaction inhabituellement agressive. 
Confiner, c'est beau, mais alors, la question qui tâche et qui fâche, est de savoir comment faire pour aller travailler quand on sait que se promener seul sur une plage est une violation de la sécurité sanitaire. Le monde s'aperçoit qu'il n'était rien sans le travail de ceux 'qui ne sont rien' et nous découvrons que - peut être- et après tout nous ne servons 'à rien' (autrement dit, que la société se passerait très bien de nous). 
Bref : Si tu travailles tu es vecteur potentiel craint et respecté. Si tu ne travailles pas, alors reste chez toi ! On est essentiel ou pas.
Finalement, dans ce confinement personne n’est à sa place. Le dilemme protection individuelle/continuité sociale est incompatible avec le confinement, insurmontable. Chacun fait son flic, et le keuf-virus nous a tous contaminés.


Rythme de croisière


Après 8 longues semaines de confinement mes jours ont trouvé un nouveau rythme ponctué de grasses matinées, de longs face à face avec un écran, de séances de jardinage et d'appels téléphoniques. L'angoisse de la première semaine a fait place à la sérénité. Les meilleurs moments de la journée sont le petit déjeuner (café pain beurre salé) sur le coup des 10-11 heures, puis la sieste de 15 à 17h, puis le jardin de 18 à 20h. Comme il se passe moins de choses dans une journée, curieusement, le temps confiné passe plutôt plus vite que le temps normal. 
Même si je me demande si l'effondrement de notre société pourrait commencer par une mauvaise grippe, le CAC 40 lui reste optimiste et me donne quelque espoir d'un 'retour à l'anormal' !!! 😄 Total, j'ai perdu 2kg. A cause de l'angoisse ? Well... Wait &see...


Finalement, voici ce que j'ai apprécié pendant ces 50 jours de confinement :

- On apprend à se connaître. D'ailleurs, à titre personnel il ne faudrait pas que le confinement se prolonge trop longtemps, car la distanciation sociale a tendance à me rendre encore plus misanthrope (simple distanciation sociale ou syndrome de la cabane ?) .  Mais surtout, quand on confine à plusieurs, c'est bas les masques. Difficile de cacher ses petites habitudes en étant 24/7 sous un même toit. Pareil sans doute si on a des voisins. Depuis que le port du masque s'est généralisé plus moyen de se fuir ou se cacher, tout se voit tout se sait tout se sent.... Transparence 360° ! 

- Avec un cours du baril de pétrole négatif (-37$ au plus bas), c'est un plaisir de faire le plein de gazole pour aller nulle part. Côté exploitation des gaz de schistes  et on est tranquille. Plus besoin de s'exciter là dessus pour l'instant.

- On a enfin la preuve que l'Europe n'est rien d'autre qu'un vaste marché commercial sans initiative commune audible au niveau politique ou social, quelques velléités mais pas de résultats niveau sanitaire. Même la BCE (Banque Centrale Europe), qui faisait son possible au niveau monétaire et soutien de l'économie, se fait tacler par la cour constitutionnelle allemande Fracture en vue pour la zone Europe ?  Une histoire à suivre, qu'on pourrait payer cher.


- Du point de vue existentiel, on voit mieux à quoi on sert. Je veux dire socialement surtout:  Que se passe t'il si je ne sors pas, et si je n'existais pas, qui s'en rendrait compte ? 
qu'est-ce que ça changerait ? Dans le cas où la réponse est 'Rien' cette prise de conscience peut être difficile, ou au contraire infiniment réconfortante..

-Le harcèlement commercial au téléphone s'est arrêté comme par magie. En huit semaines d'isolement j'ai reçu zéro proposition d'isolation à 1€ !

- En réalité, ce que j'ai le plus apprécié c'est qu'on retrouve toujours son smartphone ! Bien qu'il puisse se cacher dans le lit, sur le sofa ou sur la table, je suis enfin serein car je sais qu'il n'est jamais loin 😀

Mes prévisions pour la suite : "Le monde d'après sera un monde de queues, d'oreilles décollées et de buée sur les lunettes"  (enfin, on verra bien :) 
Et si ça se trouve, en sortant de nos tanières avec les cheveux à la Raoult, la prise de poids et le masque, on ne va même pas se reconnaître.

Bon, allez zou ! On se lève, et on se casse !

Ozias mai 2020

Une autre expérience (TBH) 
https://www.facebook.com/notes/thibaud-bernard-helis/faire-de-la-fen%C3%AAtre-interview/1630994530386598/