samedi 21 mars 2015

Indifférent

Indifférent. Antoine Watteau
On entend souvent dire "rien n'est pire que l'indifférence", "l'indifférence est le pire des mépris" ou bien encore "indignez vous !" 
Mais en réalité, l'indifférence est elle une qualité ou un défaut ?

Même s'il existe une indifférence nécessaire à la conduite de la vie quotidienne  qui  est une forme de discrétionune sorte d'inattention polie,  on voit généralement dans l'attitude de l'indifférent une incapacité à changer, à se laisser changer, une négation de la différence et un enfermement sur soi.

Pourtant, l'indifférence ne porte pas forcément sur ce qui est différent de soi. On peut tout aussi bien être indifférent à soi. D'ailleurs même un anorexique, s'il est indifférent à l'égard de son corps ne l'est pas envers l'image idéale qu'il a de lui. 

Indifférence et  Insensibilité sont souvent confondues, ce qui est une erreur dans la mesure où l'insensibilité est à l'indifférence ce que la léthargie est à la tranquillité. 

L'ataraxie désigne l'état d'une personne qui ne se laisse troubler par rien. C'est un état d'indifférence émotionnelle totale du sujet qui n'éprouve pas d'émotion émanant de lui-même. En ce sens l'indifférence est une forme de l'ataraxie épicurienne, ou de l'apathie, une impassibilité devant les événements, une absence de passion. Se contenter du plaisir d'exister, apprécier l'absence de douleur. Se contenter du présent. Ne connaître ni la crainte ni l'espoir. Agir sur ce qui dépend de soi sans craindre ou espérer ce qui est étranger. L'indifférence n'est plus alors un manque d'appétit de vivre et un manque de sensibilité à l'égard des souffrances des autres, mais au contraire une forme d'amour inconditionnel de la vie et de compassion envers tous. 

L'indifférence concerne aussi des formes qui traduisent la volonté de ne plus collaborer aux mouvements du lien social, de se tenir à distance des interactions ou de n'y participer que sur un mode impersonnel. La neutralisation de l'affectivité, la dévitalisation, le renoncement à soi permettent de reprendre son souffle pour ne plus être là, pour se libérer du poids d'être soi mais tout en se réservant la possibilité de revenir. En retrait du monde, l'indifférent n'est plus concerné. Il tente de vivre en se délestant de l'effort d'exister. Une distance, une lassitude mais sans désir de mourir.
Finalement n'éprouver ni douleur, ni plaisir, ni désir, ni crainte, est ce un état d'indifférence avancé proche du légume  ou un détachement parfaitement équilibré réservé aux sages ?
Je ne sais pas et puis finalement, qu'importe ...

Oz

"-Rien ne m’intéresse /-Rie, en aimant, Thérèse." Robert Desnos.

Sources :
https://sanafarzand.wordpress.com/2012/04/29/indifference-or-detachment/
David Lebreton Disparaitre de soi Métaillé 2015

samedi 14 mars 2015

mots de foie

"Le foie, ça fait pas mal". C'est bien connu et c'est ce que m'ont dit tous les médecins, mais qu'en savez vous vous qui n'avez pas mal au foie ? 
Personnellement, je ne me permets  pas  de dire  "ça fait pas mal" à ceux qui se plaignent de ce qui chez moi se porte bien. Par contre je peux vous dire ce que je sens de mon foie, 'classé F4' à l'instar d'un monument historique ou d'un hôtel. 
J'aimerais aussi bien savoir ce que d'autres 'hépatants' que moi  ressentent du côté de leur hypocondre droit.
Je perçois quatre types de symptômes : Côté foie, nausées. démangeaisons, coups de barre.

Côté foie, la plupart du temps c'est comme une ceinture de sécurité qui serre trop au côté droit ou encore, comme un chat couché là. Une présence pas pesante, mais réelle et gênante à la longue. Je dis une présence,  presque un sentiment de soi. Car si cette sensation disparaît, je le remarque aussi. Après un repas par contre la présence se transforme en douleurs vives mais brèves qui me font sursauter.  Impression d'un conduit qui se dilate puis se vide d'un coup. Parfois un excès (de gras par exemple) se traduit par une sensation de plastination au côté droit qui me projette à l'intérieur l' image de mon foie en 3D. 
A table j'évite les viandes, je délaisse les poissons et les fruits de mer que j'adorais, je chipote sur les féculents et je me rue sur les salades, les laitages 0%, les légumes et les épices.

Nausées, le matin et en particulier après le petit déjeuner ou à l'heure du thé . Comme une odeur de peinture, de solvant dans le nez qui appuie sur le diaphragme et fait monter la salive dans la bouche. Juste une sensation mais qui coupe bien l'appétit. Les odeurs de white spirit, de lasure etc me sont devenues tenaces insupportables, toxiques.

Démangeaisons. En fin de journée, au réveil, avec parfois le contact de l'eau. Souvent à l'occasion d'une émotion aussi. Pas de bouton, pas de rougeur au départ, mais un besoin de gratter, avec les ongles. Ce sont les endroits les moins charnus du corps qui sont le siège des démangeaisons. Les coudes, les tibias et surtout, le sacrum. 

Coups de barre. C'est le plus handicapant. Me voilà presque revenu du temps où j'étais jeune papa quand il fallait planifier toute la vie sociale autour de la sieste du petit. Sauf que le petit aujourd'hui c'est moi. La sieste, ce moment où il faut trouver une couche et qui suspend toute les activités pour 45 minutes. Pas facile à caser dans une descente de canyon, une visite aux amis ou une journée de travail. Pourtant sans la sieste, c'est le naufrage. Les idées qui s'embrouillent, la conversation qui s'éteint, le vide ou la panique pour dire quelque chose, prendre une décision. Comme un tuyau d'arrosage où l'eau ne coule plus.... Dans cette phase brouillard, de liquéfaction je ressens une tension au plexus agité d'un genre de tremblement qui me réclame de m'allonger, de fermer les yeux, de laisser aller les muscles, surtout ceux du ventre et des jambes. Allongé, mes mains sont glacées et très lentes à se réchauffer. 
Quarante cinq minutes plus tard, au réveil, je me retrouve neuf, présent et disponible pour les heures qui suivent. 
Je dors beaucoup (neuf heures par nuit) et je fais deux siestes par jour. 
Bref, "Je vais bien, tout va bien !" . Et vous alors, "ça vous gratouille ou bien ça vous chatouille" ?

Allez, dites moi.
Ozias


Enregistrement des symptômes sur une durée de 36 jours

vendredi 6 mars 2015

Alfred Kubin

"Comment en étais-je arrivé à faire de pareilles chose" ? se demande ALFRED KUBIN (1877-1952) dans son autobiographie. 

.../...une seule et même force m'avait poussé dans mon enfance vers le rêve et plus tard, dans les frasques stupides puis dans la maladie et finalement vers l'art.  
« Je suis la plupart du temps plongé dans une sorte de rêve réel ».
«mes pensées tournent autour de la nature inquiétante et pourtant familière de la vie dans ce monde. Elle est ce qu'il y a d'onirique, de passager dans tous les phénomènes" », expliquait Kubin. 

Les visions que Kubin a rapportées de cet « autre côté » - c’est aussi le nom de son seul roman - nous rappellent que nous ne sommes rien. 
Le pays de Kubin, ce pays « à moitié oublié », n’est jamais joyeux. C'est un monde bouffon, grotesque, infernal mais il est humoristique. Un humour noir, s’entend.
A la fois expressionniste et fantastique, Kubin fait partie d'une tradition d'artistes et d'une longue lignée qui va de Brueghel à Goya, de Jérôme Bosch à Arnold Böcklin. Impossible aussi de ne pas évoquer Franz Kafka, que Kubin a rencontré l’automne 1911. Les dessins d' Alfred Kubin semblent, sous bien des aspects, résumer les tourments de l'Europe centrale au XX° siècle. 


L'oeuf... Ascite ?
Vers l'inconnu
Le grand boa.
Oppression
Aspiration
Dream animal

A consulter : 

Dans ce blog : http://emagicworkshop.blogspot.fr/2016/01/inquietante-etrangete.html






samedi 28 février 2015

breaking bad une série de malades

Walter White ( aka Heisenberg)
Avec 62 épisodes, 3,2 millions de dollars de budget par épisode et 45 récompenses, la série Breaking Bad donne de quoi réfléchir en offrant du handicap et de la maladie une image décalée et (presque) positive. 
Breaking Bad met en scène un cancéreux (Walter White), un toxicomane (Jesse Pinkman) , et un infirme moteur (Walter JR white) qui incarne son propre rôle de jeune homme en béquilles, et fils de Walter.

La vie du héros de la série (Walter White) bascule, lorsqu’il se met à tousser, puis à cracher du sang. Lui, qui n’a jamais fumé, qui a toujours suivi les recommandations, qui consomme du low‑fat vegetal bacon, consulte un médecin. Au bout des examens, il se voit annoncer son diagnostic : 
« vous avez un cancer du poumon inopérable, je suis désolé », ce à quoi il répond : « vous avez une tache de moutarde sur le col de votre blouse»
Malade ? Pourquoi moi, comment est‑ce possible ? Qu’est‑ce que j’ai fait ? À quoi bon toutes ces précautions, toute cette morale, pour que je sois trahi de la sorte ? 
Quand tout s’effondre autour de lui Walter White  entre dans une autre dimension de sa propre vie.  Walter est paradoxalement libéré d'un poids à l'annonce de sa maladie et de la probabilité de sa mort prochaine.  
Dans Breaking Bad la seule entité sociale qui ait droit de cité est la famille, et la démarche de Walter semble toute entière guidée par un souci patrimonial. Pourtant la série est l'histoire d'un corps à l'agonie et celle d'un foyer qui se brise. La famille, à laquelle Walter prétend se dédier, lui est en fait un poids presque insupportable au point qu'il saisit la moindre occasion, y compris thérapeutique, pour y échapper.

Walt décide d’abord de ne rien dire à sa famille. Il y a une part d’altruisme (protéger ses proches) ou une part de colère anticipatrice (de toute façon, ils ne peuvent pas comprendre) ou les deux. Mais des changements radicaux vont apparaître dans son comportementAu fil des épisodes on arrive à la conclusion que l'histoire n'est pas celle d'un homme qui s'est métamorphosé mais celle d'une maladie qui s'est sournoisement répandue. C'est l'irruption de la maladie qui a libéré son tempérament pathologique. Cet événement inattendu a provoqué la contamination.
William S Burrough...
Une certaine ressemblance
 Victime du cancer, Walter White devient cancer, selon le lien que Breaking Bad pose d'emblée entre mal et maladie, cancer physique et moral. 

Quel que soit le jugement que l’on peut porter (à raison) sur la pertinence des choix du héros, on voit Walter White se découvrir des compétences, des aptitudes, et apprendre à s’accepter de plus en plus tel qu’il est. Pour le meilleur et pour le pire. Breaking bad explore les effets libératoires de l'annonce d'une maladie mortelle. Car lorsque tout vous échappe, et que vous allez droit dans le mur, pourquoi ne pas se lâcher totalement ? 

Toute la beauté et tout le paradoxe de Breaking Bad se trouve là résumé. La maladie de Walter a presque été un salut. Funeste, bien sûr. Mais tellement plus exaltant.

Sources : Breaking Bad Série Blanche (Emmanuel Burdeau), blogs.


vendredi 20 février 2015

la blancheur

"Aujourd'hui la plupart des relations sont sans engagement, la télévision, Internet, chats, forums, sont des moyens d’être là sans y être. Nous sommes connectés plus que reliés, nous communiquons de plus en plus mais rencontrons de en moins moins les autres.
La vitesse, la liquidité des événements, la précarité de l'emploi, les déménagements multiples empêchent la création de relations privilégiées avec les autres et isolent les individus. Seuls la durée, la solidité du lien social, son enracinement donnent la possibilité de se forger des amitiés durables, et donc des formes de reconnaissance au quotidien. 

Ce morcellement du lien social qui isole l' individu le renvoie à sa liberté, à la jouissance de son autonomie ou, au contraire, à son sentiment d'insuffisance, à son échec personnel.  Ce manque d'étayage social  ne facilite pas toujours l'accès à l'autonomie. L'individu est désormais sans orientation pour se construire, ou plutôt, il est confronté à une multitude de possibles et renvoyé à ses ressources propres. 
Dans une société où s'imposent la flexibilité, l'urgence, la vitesse, la concurrence, l'efficacité, etc....être soi ne coule plus de source dans la mesure où il faut à tout instant se mettre au monde, s'ajuster aux circonstances, assumer son autonomie, rester à la hauteur. 

La tentation émerge alors parfois de se déprendre de soi, pour échapper aux routines et aux soucis. Il peut alors arriver que  l'on ne souhaite plus communiquer, ni se projeter dans le temps, ni même participer au présent; que l'on soit sans projet, sans désir et que l'on préfère voir le monde d'une autre rive : c'est la blancheur. La blancheur touche hommes ou femme ordinaires arrivant au bout de leurs ressources pour continuer à assumer leur personnage. C'est un moment particulier hors des mouvements du lien social où l'on disparaît un temps et dont paradoxalement, on peut avoir besoin pour continuer...

"La blancheur de la neige recouvre la complexité et les ambivalences du monde de sa simplicité paisible. Elle rend les choses uniformes. Elle suspend toute responsabilité de l'environnement. Le silence qui règne accentue ce sentiment d'un monde suspendu qui n'exige plus rien et dont il est loisible enfin de se reposer".

Ainsi certaines personnes se défont de leur centre de gravité, se laissent glisser dans le non lieu. L'entreprise est celle d'une dé-naissance, celle de se dépouiller des couches d'identité pour les réduire 'a minima', non pour recommencer à vivre, renaître, mais pour s'effacer avec discrétion. Quand certaines personnes meurent, elles avaient déjà disparu depuis longtemps. La mort n'est plus alors qu'une formalité."

"Ne plus exister, ni par soi, ni par intermédiaire en dehors du verbe être comme de la locution en dehors et de tous les rouages du discours, discours aboli [...] quand nulle part il n'y aura quelqu'un pour exprimer quelque chose." (Michel Leiris 1976).

D'après David Le Breton, Disparaître de soi, une tentation contemporaine.2015 Editions Metaillé.




"Dans sa version positive le renoncement à une certaine forme de soi, à un certain embarras de l'être tel qu'on l'envisage ordinairement, et dont la configuration désuète, compassée, empesée, ne permet plus de saisir ce qui, de la vie comme des vivants, mérite d'être maintenu, dit, ou simplement murmuré  la tremblante fragilité de leur présence."

Nicolas Xanthos : "le souci de l'effacement: insignifiance et narration poétique chez JP Toussaint."
Un pur exemple : René Daumal http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/daumal.html

vendredi 13 février 2015

american way of life

Le corps, la mort sont ils quelque chose de naturel ?


Jane Walmsley, une journaliste américaine, écrit dans son livre sur les façons de penser américaines et anglaises " on ne peut rien comprendre à l’Amérique contemporaine, écrit elle, si on ne voit pas que pour les américains la mort est en quelque sorte facultative (optional). 
Il en est ainsi à cause d'une valeur selon laquelle on doit toujours maximiser le potentiel de ressources qui vous est alloué, en intériorisant d'ailleurs l'armature du capitalisme libéral . Le corps doit donc durer le plus longtemps possible, dans une visée inavouée de l'immortalité posée comme point optimal de l'allongement de l'espérance de vie. Ainsi, la mort à l'américaine est toujours un peu de votre faute."

Aux état-unis, la mort facultative vient flirter avec le virtuel. Les mythes technologiques, les grands récits utopiques d'hier ont été transformés en projets d'actualité. Les projets humains les plus futuristes sont devenus réalité. Ils se nomment Biosphère2 ou encore Artificial life. Tout cela pour réaliser le rêve d'une surhumanité destinée à vivre dans une planète conquise, quand la vieille terre sera engloutie et mise en fusion. 
Mutants Henriette Valium
Dans ce nouveau monde, la maladie n'est qu'une turbulence, un désordre dont il faut extirper le germe, et la mort n'est qu'une erreur de parcours. Chez les anciens grecs, qui avaient le sens de la mesure, chacun distinguait bien entre "l'obscurité dont est pétrie sa propre chair et l'éclatante lumière dont resplendit le corps invisible des Dieux"(JP Venant) . En revanche, le corps parfait des biotechnologies relève d'une autre métaphysique, d'une bio-religion qui révère l'homme parfait, l'Adam des laboratoires, celui d'avant la Chute et auquel Dieu avait donné toutes les qualités.
En dehors de lieux sacrés où se fabriquent les héros appelés à conquérir une nouvelle planète qui sauvera l'humanité, les citoyens ordinaires se préparent aussi à changer de corps. Du moins, ils ont déjà changé leur façon de voir le corps. Des femmes se font préventivement enlever les ovaires ou les seins (ex Angelina Jolie) et les tests pré-nataux dépistent les gènes défectueux. La santé parfaite devient affaire de volonté, de décision, une affaire technologique. "Pour les américains du nord, le récit utopique ne saurait rester un récit. Il doit devenir une opération concrète." (L.Sfez)
Dans cette perspective, Vivre, guérir, mourir, nous en sommes donc tous responsables
Voici un théorème lourd de conséquences , et d'injonctions culpabilisantes :
« Pour votre santé, chaque geste compte» ;
« Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour » ;
« Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière » ;
« Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé » ;
« Pour votre santé, évitez de grignoter entre les repas »

« Préservez votre capital santé » ;
« vieillir, oui mais en forme ! »
etc ... etc 

D'après Christine Bergé. "Héros de la guérison" p 100-101 (Les empêcheurs de penser en rond).

samedi 7 février 2015