lundi 19 août 2013

Poésies

La poésie est fondamentalement à la fois forme et sens. Elle retient notre attention par la forme de la même façon que le design d'un objet retient notre vue. En même temps elle nous parle et nous révèle le sens de mondes entraperçus. Son but est d’exprimer le plus possible avec le moins de signes possible. Pour essayer de développer ce point de vue qui est le mien, un peu de prose lourdingue, qui est la mienne:
‘La terre est bleue comme une orange’. ‘Cette obscure clarté qui tombe de étoiles’ (Pierre Corneille). Que ce soit un texte ou pas, que ça ne rime ou pas, c’est juste de la poésie pure qui sonne et se retient comme une musique.


Une tête de taureau faite d’un guidon de vélo dressé sur une selle. Picasso, mais surtout un exemple de poésie du regard qui découvre le sens des choses les plus simples. Le poète est alors médium, voyant puisque il nous montre ce que nous échappe mais que nous connaissons. ‘Il faut être voyant’ a dit Rimbaud.
Une forme ovoïde chromée juchée sur trois pieds futuristes. Le presse agrumes de Philippe Starck.
Même sans envie de jus d’agrumes, l’élégance de la forme et l’intelligence remarquables du design donnent envie de posséder cet objet. La ‘forme’ (le design) dépasse ici l’usage ou le sens de l’objet et trouve intérêt pour elle-même. De la même façon la forme du texte poétique est poésie à part entière. Par exemple ‘La disparition’ de Georges Perec est un roman qui offre le luxe de se priver de la lettre E tout au long du texte. Élégance de la démarche et poésie du titre !


La poésie, pour moi, est un instrument à trois voix : le sens (le signe), le chant (la musique) et le jeu (la forme). Le poème est à la fois, ou alternativement, révélation, chant ou construction. Les poèmes jouent avec les signes, les formes, les significations. Le but est de faire sentir pour dire, de s’autoriser tous les courts-circuits possibles. Son vocabulaire est fait de mots comme d’images, de symboles que nous partageons ou que nous découvrons par le poème. La poésie prend racine dans l’implicite du discours et pousse la langue jusqu’à ses limites. Ambiguïtés, polysémies, allitérations, virtuosités tout est bon pour montrer exprimer créer un maximum de sens ou d’effet avec un minimum de signes. La poésie est ainsi la plus proche parente de l’humour comme nous le prouvent Raymond,Queneau, Bobby Lapointe ... La poésie est aussi une forme d'humour sérieuse ou pas, grave ou pas. Ainsi la poésie est intelligence, car comme l'humour elle établit des rapprochements fulgurants entre les idées, les sensations. Il existe une intelligence poétique faite de sensibilité et de révélation. L'intelligence poétique permet de comprendre, d'exprimer de saisir les aspects les plus subtils des choses et de la pensée.  Baudelaire par la profondeur de ses vues et la force de ses images est un des meilleurs exemples
En remerciements pour votre attention, quelques poèmes choisis. Poètes ici oubliés, n'ayez point contre moi vos coeurs endurcis, et priez pour que Dieu me veuille absoudre de cette omission.

Raymond Queneau. (Fendre les flots)

BUCCIN

Dans sa coquille vivant
Le mollusque ne parlait pas
Facilement à l’homme
Mort il raconte maintenant
Toute la mer à l’oreille de l’enfant
Qui s’en étonne
Qui s’en étonne


AQUA SIMPLEX

L’eau plus douce que coutume
a le gout bien sec du vin pur
que l’absence d’alcool parfume
élastique comme le fruit mûr
dépourvue de toute amertume
claire au passé présent futur
condensation de la brume
lucide nette ainsi qu’azur
un peu plus dense que l’écume
se sale soudain pour les larmes
.

Strofka. Isocélisme. (sans titre).

Forme ou fond ?

Mollusque éphémère de la langue, le lapsus produit une coquille qui se découvre sur les plages imprimées  (Ozias)

André Hardellet. Les chasseurs. (Extraits des poèmes).

LOISIVE

Elle vient du mat, du sourd et de l’inerte
Elle s’évade des noyaux
Elle vient des fougères
Ecrites sur le minerai
Des armoires secrètes
Du tribunal des taupes
…/…


LA NUIT DES RAMONEURS

Ecoute !...Tu les entends ?
Ils sont là, à une distance incalculable, contre le mur. Hohé ! Ho !
Ils s’appellent, les hottes chantent : c’est leur nuit, la seule de l’année. Mille dans la ville, noirs d’habits, noirs de figures. Ils grimpent, s’insinuent dans les tuyaux, gagnent les mansardes. …/…



REPERTOIRE

Saule. Le saule qui, d’une basse branche, tâte l’infinité de la rivière.
Puits. Quand il se pencha sur la margelle tiède, il reçut l’hiver, le lierre et la profondeur en pleine figure.
Croquemitaine. « Viens, lui dit-elle, tu dois subir ta punition ». Un ogre en laine, un épouvantail ambulant. Elle le conduisit dans un cabinet noir qui sentait l’encaustique et poussa le verrou. Elle ôta ses défroques, s’épanouit, délaça son odeur. Puis, lentement, avec précaution, elle guida sa main neuve.



Jude Stéfan. STANCES (ou 52 contre-haï-ku).

SORTS

Serpents tortues s’atterrent
Vive l’alouette s’encielle
Et qu’entre l’homme au rictus danse !


BEAUX VICES

Perte vocable pur
Comme l’azur net
Ou luxueux le vice


INEXISTENCE

Nul ne saura qu’il fut
Ce qu’il fit : Poème
Momie de l’énigme



"Poésie : mieux on comprend comment cela devrait se faire, moins on y parvient. La virtuosité apparaît avec le vide." Philippe Jaccottet, Carnets 1968-1979



 JEAN GENET. LE CONDAMNE A MORT.
(Dédié à Maurice Pilorges, assassin de vingt ans 
exécuté le 17 mars 1939 à Saint Brieuc.)
 Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,

Laisse tes dents poser leur sourire de loup.
Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.
Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.
Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.
Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l’escalier, plus souple qu’un berger,
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.
Ô Traverse les murs ; s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,

Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.
Quelques poèmes choisis dans l'excellent blog de Alain Allemand: 
https://sites.google.com/site/lelegerdujeu/home/--collection-de-poe/collection-de-poemes-001

Poésie: au jeu des mots mise ce que tu tais, gagne ce que tu es. Oz

Hier est passé, demain est avenir aujourd'hui est un présent. Ozias


"La poésie n'est jamais abstraite. Elle est au contraire toujours l'expérience du réel par excellence, une expérience que chacun, même s'il n'est pas poète , peut faire. La poésie, ce n'est pas 'écrire des poèmes', c'est avant tout éprouver un émoi, faire une expérience, recevoir le monde, le réel, la vie, l'autre en plein cœur ou en pleine figure, justement par delà les discours abstraits de la philosophie moderne, de la religion, de la politique.

Yann Kerninon. L’Odyssée du pingouin cannibale. p104

Le mot “poésie”, qui provient de l’ancien nom grec ποίησις, “poíêsis” et dont le sens est “faire”, “fabriquer”, est une appellation tardive de la pratique artistique qu’il désigne aujourd’hui.
Les aèdes grecs de l’Antiquité utilisaient un vocable différent ᾄδω, “áidô”, qui signifiait “chanter”. La langue française contemporaine a conservé quelques noms communs dérivés de ce terme tels que “aède”, “ode”,“épode”.
Yves Ros, Athéologie de poche pour Muses et Aèdes (Travail en cours). 28 mai 2013, 18:38

https://temporel.fr/Presentation-au-Senat-de-la-revue


Voici ce que Dominique Bertrand dit de la poésie, sur Facebook, le 5/5/20

- MANIFESTE POUR LA LIBÉRATION DU HAMSTER -

Au risque de choquer - et de paraître un brin prétentieux - un petit message pour les zamis "poètes" (et ceux qui y prétendent), histoire de réfléchir un peu à cette énigmatique pratique, qui mérite bien mieux que de servir d'enjoliveurs à nos misérables émois. Pour commencer, une définition - hautement discutable, mais qui peut servir de base à une éventuelle discussion. Au sein de l'immense aventure du déploiement de l'humaine conscience, la poésie est, pour le langage, l'équivalent des laboratoires de recherches en sciences, pour la matière. De même que la physique avance en provoquant des collisions de particules connues afin d'en faire surgir des particules inconnues, l'acte poétique provoque des collisions de mots et de phrases pour en faire jaillir le non-dit, l'impensé, hors de l'épaisse masse-mélasse du déjà-dit (cette soupe immonde du prêt-à-penser quotidiennement déversée par les mass-média dans le gosier des bestioles à gaver).

Pour beaucoup - croyant naïvement que le langage, "c'est des mots" - la démarche se limite souvent à des assemblages de mots inattendus (les particules), sans remettre en question leur organisation grammaticale au sein de la phrase (le collisionneur). Ce faisant, ils semblent ignorer que la signifiance se joue nécessairement de l'interaction -nécessairement rythmique, alors - entre (au moins) ces deux niveaux de la structure du "sens". Or, c'est précisément cette structure qu'il s'agit de mettre à la question, si l'enjeu est bien d'ouvrir l'acte de signifiance à son dépassement. Soit, tenter de décoller les mots de leur identification triviale à la "réalité", rappeler qu'ils ne désignent pas la "vérité" du monde, mais le rapport-au-monde, singulier, contingent, entretenu par celui qui le désigne. (Précision : ce qui vaut pour les mots dans la phrase vaut pour les phrases dans le texte. On peut obtenir un effet poétique en usant de phrases de construction tout à fait classique, mais dont la succession ne l'est pas. Ainsi, le "collisionneur" peut fonctionner simultanément à plusieurs niveaux de la structure).

Les règles de la syntaxe et de la grammaire sont intimement liées à la logique, porteuses d'un discours implicite qui détermine à priori les possibilités signifiantes. Ceci, à l'insu de celui qui, parlant, cherche à être "original", mais ressemble de fait au hamster s'acharnant à battre le record du 100 mètres en pédalant dans sa cage tournoyante. En effet, ce discours implicite, caché par la fallacieuse évidence de l'habitude, est porteur de présupposés idéo-logico-métaphysiques jouant le rôle de matrice invisible (la cage) pour la pensée (le hamster). Ainsi en français (et dans bien d'autres langues, mais pas toutes, et loin de là), l'usage apparemment incontournable du "sujet-verbe-complément" sous-tend le rapport de prééminence du sujet sur l'objet, ou de l'objet sur ses attributs, renvoyant à un postulat impensé qui pose l'opposition logique entre le sujet et l'objet, (antinomie devenue trop évidente pour en réfléchir la pertinence) ou encore esprit/matière, être/devenir, apparence/vérité, espace/temps, etc. L'enjeu est rythmique : subvertir les liaisons logiques par la force de l'élan et l'éclat de la brisure. Selon la perspective ici posée comme horizon - la poésie comme laboratoire de la parole - travailler celle-ci sans s'attaquer à ses structures formelles est aussi vain que vouloir générer des particules nouvelles en pédalant à la vitesse de la lumière.

Tout cela peut paraître bien technique, théorique et abstrait, mais l'actuel usage du langage par les politiques et les médias atteint un tel niveau de manipulation-mensonge (armé des ruses les plus insidieuses de la réthorique) qu'il serait illusoire de croire changer quoique ce soit à l'ordre actuel en usant de structures qui, justement, le confirment et en maintiennent l'efficience. Aussi illusoire que de rester sourd au fait que la crise actuelle, sanitaire et économico-politique, est tout autant langagière (le langage aussi, est sensible aux virus. Si vous doutez, écoutez BFM, 20 secondes suffisent : au-delà, c'est hautement toxique). Autrement dit : se libérer des contraintes imbéciles que le politique nous impose à la sauce blabla passe nécessairement par la libération du souffle de ce hamster qui nous sert de cervelle.

Bien conscient de ma contradiction à promouvoir en phrases correctement policées leur usage sauvage, je sais bien que je ferais bien d'entendre pour moi-même la leçon que je prétend donner aux autres. Mais sachant que c'est par projection-dehors que l'on prend conscience de la réflexion-dedans, je m'excuse auprès des zamis "poètes" (dont certaines lectures, après m'avoir prodigieusement ennuyé/agacé, m'ont poussé à creuser cette réflexion) de m'avoir bien malgré eux servi de tête de hamster-turc.

- D.B.-

Pour ceux que la question préoccupent, cet excellent article sur Nietzsche et le langage - à qui on a tant reproché son abordage poétique du discours philosophique - qui dit tout cela bien mieux que moi :
https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2…
Et celui-ci, plus concis : https://fr.m.wikipedia.org/w…/Lexique_de_Friedrich_Nietzsche

"Je crains bien que nous ne nous débarrassions jamais de Dieu, puisque nous croyons encore à la grammaire" - F.Nietzsche -
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