vendredi 16 janvier 2015

et surtout, la santé !

Hier, on "gardait" sa santé, aujourd'hui, on l'améliore. Dans nos sociétés occidentales Force, Épurement, et Représentation du corps sont les principes qui commandent la santé et les pratiques d'entretien du corps. Voyons comment au cours des siècles les frontières entre le sain et le malsain  se sont déplacées et comment ont évolué nos représentations nos pratiques d'entretien du corps.
En attendant le corps 'augmenté' de l’ère trans-humaine voici une brève leçon d'histoire des pratiques de santé d'après Georges Vigarello.
Et surtout, Santé à vous pour 2015 !
Ozias


La médecine du moyen âge était très à cheval sur 'la pureté' et sur l'efficacité curative des objets. L'ambition préventive est d'éviter tout contact impur, l'inquiétude majeure est celle des pourritures internes. Parce qu’elle rend  rend la pourriture visible, la lèpre est le mal exemplaire qui confirme la continuité existant entre la maladie et le cadavre décomposé. Le souci premier au moyen âge est d'éviter l'entrée de la pourriture dans le corps. L'homme ne doit pas retenir longuement son urine ni ses vents. La pratique de la saignée doit décharger , en le contrôlant, le surplus d'humeurs accumulées. Une autre pratique de défense tient une place déterminante : le port d'objets protecteurs, le placement sur soi de matières éloignant les décompositions : anneaux, pierres, joyaux, reliques éloignant les pourritures. Pierres et métaux rares, avec leur trame, leur consistance inaltérable, leur éclat, protègent d'autant mieux qu'ils sont purs.Le saint, lui inverse en pureté ce qui est généralement perçu comme pourriture. "le corps du christ", le crachat de saint François, la dépouille protectrice de Saint André.


L'âge classique : évacuer les humeurs. Au XVIIème siècle, le corps est plus instrumenté, plus mécanisé qu'au moyen âge. Il est fait de d'avantage de circuits, de flux, comme ceux du cœur et de la mécanique circulatoire découverte en 1628. Le corps gagne en autonomie. Il est moins soumis aux influences cosmiques qu'au moyen-âge. Le régime alimentaire (les 'inputs' du corps) prend son importance. Ainsi Descartes "La meilleure manière de prolonger la vie .../...est de manger ce qui nous plait". Malgré l'intérêt croissant apporté aux régimes, et le  conflit naissant entre cuisiniers et médecins du roi, c'est l'évolution des pratiques d'évacuation (les 'outputs') qui marque la médecine du XVIIème. "c'est aux cuisiniers qu'il revient de faire manger et aux médecins qu'il appartient de purger". Le XVIIème est le siècle d'or des saignées , des lavements, des purgatifs, de la transpiration, de l'expectoration et de la circulation des flux, des humeurs.


Les lumières : Résister et endurcir. Au XVIIIème siècle, on découvre empiriquement la variolisation (inoculation d'une forme qu'on espérait peu virulente de la variole en vue d'immuniser contre la maladie) . En 1774, et alors que Louis XV vient de périr de la variole, Louis XVI  se fait inoculer contre la variole (la petite vérole). L'inoculation inaugure ainsi une  statistique de la préservation du corps et des politiques de santé. D'autre part l'inoculation (la variolisation) révèle la certitude qu'existe une force interne du corps, un principe invisible mais actif.Les grands barrages construits autour du corps cèdent en partie devant devant des protections plus organiques. La sensibilité médicale s'oriente vers l'affrontement et le perfectionnement de soi par les régimes, les exercices.


Au XIXème siècle : Energie, vigueur et hygiénisme. Avec la révolution industrielle et l'urbanisation, le thème de l’infection des pauvres menaçant les autres s'est brusquement aiguisé. Dès 1830 la masse industrielle devient menace sanitaire. L'état industriel se donne alors des devoirs, secours protecteur et surveillance autoritaire mêlés. Une hygiène publique est en voie de constitution. Le vaccin se généralise. 
Avec le développement de la mécanique l'enregistrement des forces et de leur développement devient possible et la gymnastique inspirée de gestes géométrisés pénètre les livres d'hygiène. Les régimes alimentaires évoluent, la viande que l'on consomme dans les villes devient signe de progrès et facteur de santé et de force. De même la lutte s'engage contre l'alcoolisme (la production d'eau de vie est multipliée par 10 entre 1800 et 1900) , la syphilis, et à partir de la fin du siècle, contre les microbes.


Le XXème siècle est celui du 'mieux être'. Les sciences et techniques modernes ont conduit au paradoxe de surmonter les menaces anciennes tout en dévoilant des menaces nouvelles. Il ne s'agit plus seulement de "garder sa santé", mais d'améliorer et de perfectionner un bien dont les limites s'avèrent plus ouvertes. L'ignorance de la cause exactes des "nouveaux maux" (cancers, maladies cardiaques, etc) a privilégié la recherche des normes ,des probabilités, des profils par lesquels un individu développe le risque d'être atteint. Le danger est toujours aux 'encrassements' . Il faut 'épurer notre foie', 'dissoudre les graisses'. Aujourd'hui, on ne chasse plus les 'pourrissements', mais les 'stockages'. La santé devient un capital qui doit se gérer comme une entreprise.
L'attente du "mieux être" renforcée par les pratiques consuméristes et les inquiétudes sécuritaires installe alors l'idée d'un corps susceptible de transformations sans fin. "L'approfondissement de la santé" devient un devoir et plus seulement la lutte contre le mal. Au classique travail qui protège du mal s'ajoute un interminable et obscur travail de quête du bien être.
Comme l'a montré Georges Canguilhem, la santé est devenue "relativiste et individualiste" par un approfondissement de l'autonomie et même de l'intimité.  

Source: Histoire des pratiques de santé. Georges Vigarello. Points. Editions du Seuil.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire