mercredi 6 janvier 2016

Inquiétante étrangeté

L’inquiétante étrangeté, c’est quand l’intime surgit à nous comme étranger, inconnu, au point d’en être effrayant.  L’inquiétante étrangeté, c'est 'ce qui n'appartient pas à la maison et pourtant y demeure'.

Historiquement l'inquiétante étrangeté (Das Unheimliche en allemand) est un un essai de Sigmund Freud publié en 1919.
En allemand  Heimlich évoque ce qui est familier intime mais aussi ce qui est secret et qui donc peut devenir effrayant. Le terme composé Unheimlich , antonyme de Heimlich, qui désigne justement ce qui est à la fois effrayant et familier montre bien la pluralité de sens et l’ambiguïté de ce mot traduit en français par 'inquiétante étrangeté'.
Unheimlich est un terme très présent dans la littérature romantique allemande du XIXème siècle.  En 1906 Ernst Jentsch a déjà étudié ces situations où "l'on doute qu'un être apparemment vivant ait une âme, ou bien à l'inverse, si un objet non vivant n'aurait pas par hasard une âme". Il se réfère à ce propos à l'impression que produisent des personnages de cire, des poupées artificielles, des automates. On pense ici au ver de Lamartine 'objets inanimés, avez vous donc une âme'.
Pour Freud le paradigme littéraire  de l'inquiétante étrangeté est le conte de "l'homme au sable" écrit par ETA Hoffmann, conte réaliste fantastique paru en 1816 dans le recueil des 'contes nocturnes' . Freud note que "L'auteur [ETA Hoffmann] produit en nous une sorte d'incertitude ne nous permettant pas de deviner s'il va nous introduire dans un monde réel ou dans un monde fantastique de son choix(242).../...
Dans son essai éponyme Freud liste les situations susceptibles de provoquer ce sentiment:
-doute qu’un être en apparence animé ne soit vivant et, inversement, qu’un objet sans vie ne soit animé (mannequins, automates) ;
-fausse reconnaissance d’un autre ;
-terreur et sidération devant certains récits (cf L'homme au sable)
-idée d’un double. 
-répétition de situations semblables qui provoque un effet proche de certains états oniriques 
-sentiment de déjà vécu.
Parmi les motifs producteurs d'inquiétante étrangeté on remarque le motif du double, dans toutes ses gradations et spécifications.../... de l'identification à une autre personne, de sorte que l'on ne sait plus à quoi s'en tenir quant au moi propre, ou qu'on met le moi étranger à la place du moi propre- donc dédoublement du moi, division du moi, permutation du moi -, et enfin du retour permanent du même, de la répétition des mêmes traits de visage, caractères, destins, actes criminels, voire des noms à travers plusieurs générations successives.(246)".
Ou encore pour le facteur de répétition comme source d'inquiétante étrangeté  :
"Un jour que je flânais dans des rues inconnues et désertes d'une petite ville italienne, je tombai par hasard dans une zone sur le caractère de laquelle je ne pus rester longtemps dans le doute. Aux fenêtres des petites maisons, on ne pouvait voir que des femmes fardées, et je me hâtai de quitter la ruelle au premier croisement. Mais après avoir erré pendant un moment sans guide, je me retrouvai soudain dans la même rue où je commençai à susciter quelque curiosité, et mon éloignement hâtif eut pour seil effet de m'y reconduire une troisième fois par un nouveau détour. Mais je fus alors saisi d'un sentiment que je peux que qualifier d'unheimlich (249)'"
Freud mentionne «que l'inquiétante étrangeté [survient] souvent et aisément chaque fois où les limites entre imagination et réalité s'effacent, où ce que nous avions tenu pour fantastique s'offre à nous comme réel». 
Pour lui, l'inquiétante étrangeté serait un phénomène angoissant mais distinct de l'angoisse qui se rattache aux choses connues depuis longtemps, et de tout temps familières,  mais qui ont un caractère d’intimité, de secret
Finalement l'Inquiétante étrangeté' peut faire naître un malaise mais  parfois aussi l’enchantement.

Gregory Crewdson. Sunday's roast. 2005
Duane Hanson: Man on Mower, 1995
Gregory Crewdson: Untitled (Brief Encounter), 2006
Voir également :

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