lundi 16 avril 2012

Mon virus, ma crevette: portrait selon Francis Ponge.

Ma crevette 
Je l'ai déjà dit, alors que d'autres 'combattent leur crabe', ou bien chassent leur dragon, moi 'je me débats avec ma crevette', c'est à dire contre mon virus. Je trouve que le surnom  de crevette convient bien à ce cher VHC qui, comme la crevette est un gibier à la fois discret  et farouche. Comme la crevette, le VHC prend corps et identité suite  à une révélation : celle du minuscule monstre subtilement pêché par le laboratoire dans une goutte de sang. Enfin, tout comme la crevette le VHC est discret et capon, mais tant de circonspection ne lui suffira pas. Maintenant que je l'ai vu  je le traque sans répit ...avec mon épuisette. 
Pour le plaisir de l'illustration, quelques extraits de la prose virtuose de Francis Ponge  :

La crevette,


Plusieurs qualités ou circonstances font l’un des objets les plus pudiques au monde et le gibier le plus farouche peut être pour la contemplation d’un petit animal qu’il importe sans doute moins de nommer d’abord que d’évoquer avec précaution, de laisser s’engager de son mouvement propre (aux fosses, aux galeries) dans le conduit des circonlocutions, d’atteindre enfin par la parole au point dialectique où le situent sa forme, son milieu, sa condition muette et l’exercice de sa profession juste. La Crevette…/…

La tête sous un heaume soudée au thorax et l’abdomen qui s’y articule comprimés dans une carapace mais vitreuse et flexible. Pattes-mâchoires, pattes ambulatoires, palpes, antennules : soit en tout dix-neuf paires d’appendices différenciés,  Anachronique nef, tu as trop d’organes de circonspection et tu en seras trahie…./…Tes organes de circonspection te retiendront dans mon épuisette. Crevette.

…/…Enfin, si armée soit elle, si douée de perfection, [La crevette] a besoin d’une révélation pour devenir de sa propre identité tout à fait affirmative : et cette révélation peu d’individus parmi l’espèce la connaissent : par une mort privilégiée, la mort en rose à l’occasion de l’élévation (vraiment peu habituelle) de leur milieu naturel à une haute température. Le révélateur de la crevette est son eau de cuisson.

D’après Francis Ponge (La crevette 1926-34,  Pièces, Gallimard 1962).

jeudi 12 avril 2012

Votre Hépatite C, comment l'aimez vous?

En suivant le lien ci dessous vos trouvez un formulaire anonyme qui vise à connaître et témoigner des relations  qui existent entre nous et  nos virus et à caractériser la spécificité d'une maladie telle que l'hépatite C. 
Aucune question n'est obligatoire ni fermée. Les réponses sont anonymes le format de réponse est libre. Un commentaire, quelques mots  ou bien un texte en réponse aux questions qui vous parlent ou vous interpellent. Chacun de vos témoignages compte. Au cours des prochains mois je ferai un retour sur les réponses reçues. Donc, merci d'avance pour vos témoignages, vos commentaires et votre temps.
Ozias
Le lien du formulairehttps://docs.google.com/spreadsheet/viewform?formkey=dGRVVWctNXU2RlZ3V3M2QVUta3lheFE6MQ

mardi 10 avril 2012

Cent noms pour un innommable virus: aidez moi !

Dans Libération du 26 Août 2011 on pouvait lire "En congé maladie depuis le 17 janvier pour combattre son vilain crabe récidiviste, Steve Jobs a annoncé, mercredi, après la clôture de Wall Street, qu’il démissionnait de son poste de chief executive officer(PDG). "
Si certains 'combattent leur crabe', moi 'je me débats avec ma crevette'. Oui, ma crevette, c'est un des  petits noms que je donne à mon virus. Vous en trouverez quelques autres, un peu plus loin. 
Peut être vous avez  vous aussi des surnoms drôles ou évocateurs  pour votre fidèle compagnon.
 Si vous voulez les partager vous pouvez laisser un commentaire ou envoyer un mail à emagic.workshop@gmail.com en indiquant si vous souhaitez que vos trouvailles soient publiées. 

Quelques exemples :'ma crevette, mon invader, pacman (il a bon appétit), mon colon (il se croit chez lui) ,  prédator, mon ami de trente ans (datation estimée), Torchefoie, Fibrose( 13ème mois du calendrier révolutionnaire), mon coucou (il pond ses oeuf dans le foie des autres), Bob l'éponge (cf image du foie cirrhosé),ma troisième couille (qui ne me sert à rien), la C (classique), la grande muette (qui a sû se taire pendant trente ans), le sniper (discret et dangereux), kiscool (son fameux effet retard), mon teigneux (il l'est et aussi un peu ténia), charon (capable de faire traverser le léthé), ma charogne (amical mais pas tant que ça), l'Autre (c'est l'enfer), 55nanos (dimension estimée). 
Voilà vingt noms. A vous de jouer pour la suite. Le meilleur contributeur ainsi que le  découvreur du 100ème nom du virus   recevront un cadeau surprise !
Mon free rider Apprenti hépatant
Tanguy, mon colocataire VIPduVHC
Mon intrus, mon squatter Christine Soler
Tsé-Tsé Véronique Bordes
"My dirty little secret"


A bientôt,
Ozias

lundi 2 avril 2012

Cruiser ou Hépatite : de difficiles retours à la ruche.

Effets secondaires Cruiser 
« Une étude parue le 30 mars 2012  dans la revue américaine Science  et pilotée par Mickaël Henry, chercheur à l’INRA, et Axel Decourtye, de l’Acta, a montré que le thiamethoxam, matière active de l'insecticide Cruiser, pouvait désorienter les abeilles domestiques.
Avant d'être lâchées à 1 km de leur ruche, la moitié des pollinisatrices avaient ingéré une solution sucrée contenant une dose non létale de thiamethoxam proche, de ce que les insectes sont susceptibles d'ingérer lorsqu'ils butinent des fleurs de cultures traitées (maïs et colza, notamment) pendant une journée. Comparées aux abeilles témoins, les abeilles exposées à l'insecticide avaient de deux à trois fois plus de chances de ne pas rentrer dans leur ruche à la fin de la journée, et donc de mourir. À noter que les abeilles traitées qui étaient parvenues à retrouver leur chemin présentaient un comportement normal dans les jours qui ont suivi.

«Notre étude soulève la question des procédures d'autorisation des pesticides, explique Mickaël Henry. Jusqu'à présent, ces procédures demandaient surtout aux fabricants de s'assurer que les doses rencontrées sur le terrain ne tuaient pas les abeilles, mais elles ont complètement négligé les conséquences de doses non létales qui peuvent cependant provoquer des problèmes de comportement» susceptibles de remettre en cause la survie de la ruche. » 

Je suis une abeille qui a le bourdon :

Comme une abeille traitée au cruiser,  j’ai survécu  à ma  bithérapie.  Aujourd’hui finie la grosse fatigue et les inquiétants problèmes de peau. Pourtant, deux mois après la dernière injection et la dernière prise de ribavirine, il m’est difficile de retrouver l’appétit, la libido ainsi que ‘le chemin de la ruche’. Après avoir nagé trop longtemps dans une onde mauvaise à boire. Je me trouve  vieilli sans ambition ni appétit. Je ne me reconnais plus. On ne me reconnait plus non plus car mes cheveux, ma silhouette et mon allure ont changé. Trop de questions sur l’avenir, ma guérison et mon état de santé. Les objectifs de vie, de carrière que je m’étais fixés, et qui me permettaient de tenir le cap, sont devenus obsolètes.
Fantômes du passé... Forcément l’hépatite conduit au passé. Au temps de l’origine, le jour où le virus dans mon sang est passé... Ainsi le passé ressuscite et se mêle au présent comme à contretemps. Je suis désorienté par ces intrusions et j’ai du mal à reprendre le train des choses, à retrouver ma ruche.
Ozias

SOS hépatite C: après le traitement :
«Les problèmes liés à l’interféron peuvent subsister pendant trois à six mois. Psychologiquement, nous devons abandonner notre statut de malade ; nous ne voyons plus notre médecin aussi régulièrement, nous pouvons nous sentir perdus. Nous avions mis toute notre énergie à nous battre contre la maladie, et tout d’un coup nous n’avons plus d’objectif. Il
faut aussi supporter l’incertitude, attendre six mois, voire un an après l’arrêt du traitement, pour savoir de façon certaine si le virus a disparu. Pendant ces quelques mois d’attente, toute l’angoisse accumulée pendant le traitement peut ressortir…/… Paradoxalement, nous devons aussi faire le deuil d’une maladie avec laquelle nous avions appris à vivre depuis des
années. Reprendre une vie 'normale', un travail, paraît alors compliqué.»

D'après SOS hépatites: brochure  'Vivre au  mieux pendant le traitement de l’hépatite C'. http://www.soshepatites.org/publications/docpdf/12.pdf

mardi 27 mars 2012

Interféron, Ribavirine : Effets collatéraux.

La perte de libido, la sécheresse des muqueuses  sont des effets secondaires que constatent la plupart des patients en traitement. Bref, la vie sexuelle du patient ainsi que celle de son couple sont altérées. Le désir se faisant plus rare il est donc plus difficile à partager. Par voie de conséquence, de part et d'autre, le 'corps à corps' est plus compliqué et le plaisir a tendance à devenir manuel ou solitaire.
Pour les messieurs (conjoints ou patients) et  en vue de  garder  ‘tête haute’  tout en endurant  la ‘mauvaise passe’ du traitement,  voici un texte qui sait de quoi je parle. Pour les dames, dans l'espoir de témoignages de qualité,  l'illustration tiendra lieu de discours.

16 ans, 6 mois, 18 jours                                                                             Dimanche 28 avril 1940

Feodor Rojankovsky (dit Rojan) Aquarelle 1930
"Ce qu’il y a d’extraordinaire quand je me fais jouir, c’est cet instant que j’appelle le passage de l’équilibriste : la seconde où juste avant de jouir, je n’ai pas encore joui. Le sperme est là, prêt à jaillir, mais je le retiens de toutes mes forces. L’anneau de mon gland est si rouge, mon gland lui-même tellement gonflé, tellement prêt à éclater que je lâche mon sexe. Je retiens mon sperme de toutes mes forces en regardant mon sexe vibrer. Je serre si fort mes poings,  mes paupières et mes mâchoires que mon corps vibre autant que lui. C’est le moment que j’appelle le passage de l’équilibriste. Mes yeux chavirent derrière mes paupières, je respire à tout petits coups, je chasse toutes les images excitantes – les seins,   les fesses, les cuisses, la peau soyeuse de nos amies – et le sperme s’arrête dans cette colonne en fusion, là, juste au bord du cratère. C’est vrai qu’on peut penser à un volcan au bord de l’éruption. Il ne faut pas laisser cette lave redescendre. ../.. Dès que je sens redescendre, mon pouce et mon index s’enroulent autour de mon anneau et je joue à le maintenir juste au bord, tout bouillonnant (de la lave, oui, ou de la sève tellement la queue ressemble à une branche tendue et noueuse dans ces moments-là !) Il faut être très prudent, très précis, c’est une question de millimètre, peut-être moins. Ma queue toute entière est tellement sensible que mon gland pourrait exploser juste si on lui soufflait dessus ou si le drap l’effleurait. Je peux encore retenir l’éruption une fois, deux fois, et c‘est chaque fois un vrai délice. Mais le délice absolu c’est cet instant où, finalement, je perds pour de bon, où le sperme submerge tout et coule tout brûlant sur le dos de ma main. Ah ! la merveilleuse défaite ! ça aussi c’est difficile à décrire, tout ce dedans qui passe au dehors et en même temps ce plaisir qui t’engloutit… Cette éruption est un engloutissement ! C’est la chute de l’équilibriste dans le cratère en fusion ! Ah ! Cet éblouissement dans les ténèbres ! .../... une 'apothéose' ".

Extrait de ‘Journal d’un corps’ de Daniel Pennac, paru chez Gallimard en 2012.

jeudi 22 mars 2012

Décor: Encore des corps !

Voilà. Le printemps... Mon corps retrouvé.  Oh, oui, Montaigne, la belle lumière de la santé !
Mon corps émois,  mon corps est moi , mon corps et moi. Mon  corps qui m’ est si intimement étranger.  
Un corps pour vivre pour souffrir, pour s'offrir, pour aimer pour prier, pour admirer et pour rêver.
Bref, 'nous n'avons pas un corps, nous SOMMES un corps' .


Dans les tableaux de la renaissance ce sont d’abord les corps qui renaissent et se donnent à admirer. Fini le corps symbolique ou corseté du  moyen âge, finis les corps objets de lamentation. Le corps s'expose et devient sujet d’admiration et de représentation. Les toiles  de la renaissance ne parlent plus de résurrection au ciel mais plutôt de renaissance sur la terre. Les Dieux, et le sacré deviennent des prétextes à révéler la beauté du corps et ce sont les corps qui incarnent la beauté de la création. En illustration, et pour le plaisir, quelques grandes œuvres.

Nos corps, nous même.  Nos corps, nous mènent.  Notre corps qui es sur la terre, restes y !
Santé,
Ozias
Corps du moyen âge.
St Sébastien. Rome, XIème siècle 










Le Perugin. St Sébastien. Vers 1490-1495
Donnato Bramante. 1444-1514. Cristo alla colonna





Saint Jean Baptiste. Léonard de Vinci.
Michel Ange. Christ sur la croix.

Tintoret. Suzanne et les vieillards

Rembrandt. Betsabée au bain.

Titien. Venus avec Cupidon et un organiste.1548
'En occident, au moyen âge, dans la sculpture médiévale, il n'y a pas de caractérisation des sexes par ce qu'on appelle des "caractères sexuels secondaires". Il y a des femmes d'un côté, les hommes de l'autre, avec les attributs vestimentaires qui les caractérisent, mais on ne différencie que très peu la morphologie entre un homme et une femme.
A la renaissance, quand Michel-Ange découvre les sculptures de la Grèce antique, il est fasciné par le fait qu'en voyant un simple fragment de corps on peut dire s'il s'agit d'un homme ou d'une femme. La moindre partie est donc sexuée, et il n'y a pas que le sexe pour différencier un homme d'une femme.  Un crâne de femme ne ressemble pas à un crâne d'homme. La forme de la courbure de la colonne vertébrale n'est pas non plus la même. La disposition et l'ampleur des masses graisseuses sont différentes, ainsi que la pilosité, la couleur de la peau, des cheveux..Et dans la statutaire grecque, un pied d'Aphrodite n'est pas un pied d'Apollon'. 
Philippe Comar

dimanche 18 mars 2012

Lettres à un virus: morceaux choisis.

L'exercice de lettre à son virus, ou lettre de son virus,  pourrait devenir un classique de la littérature hépatante. Voici quelques exemples ci dessous.
Bien sûr, je serais plus que ravi d'ajouter vos pépites à cette collection. Si vous avez d'autres liens, d'autres lettres à partager  vous pouvez les adresser à emagic.workshop@gmail.com en indiquant si vous souhaitez que votre contribution soit postée sur ce blog.
A bientôt,
Ozias

Cerise : The Replicant : chroniques d’un virus de l’hépatite C

Je suis arrivé un soir de fête. Il y avait de la super musique, très forte, très rock, beaucoup
d’agitation, d’allers-venues, de joie et… de partage.
J’ai pensé qu’il était temps de quitter ma famille nombreuse et de voler de mes propres ailes vers une nouvelle contrée.J’avais décidé de trouver MA planète vierge où m’installer, assurer ma descendance et pourquoi pas, partir à la conquête de l’univers. C’est elle que j’ai choisi. Elle me plaisait bien. Aujourd’hui après 25 ans en territoire occupé, je ne regrette toujours pas mon choix, même s’il est temps pour moi de disparaître à jamais…Elle aimait faire la fête à l’excès, du vendredi au mercredi. Produits licites, illicites, un savant mélange…
Nous nous ressourcions le jeudi, diète totale, elle pour repartir à l’assaut d’une nouvelle semaine chargée, moi pour me multiplier, doucement, mais sûrement. Pendant plusieurs années, nous avons vécu en parfaite harmonie. Elle n’avait pas conscience de mon existence qui se multipliait en elle à l’infini et elle me délectait de tout ce qui fait croître notre entité. Nous nous activions doucement à construire nos nids où nous élèverions notre progéniture, qui à son tour ferait de même. Tout ce temps, nous avons marché avec des patins pour ne pas faire trop de bruit et la réveiller.

Notre invasion a commencé à être prise au sérieux lorsqu’ils nous ont donné un nom. Nous n’étions plus de vulgaires « non A-non B ». Les « non machin – non bidule» comme aimaient à se moquer de nous Hépatite A et Hépatite B. Désormais nous marchons dans la cour des Grands et nous prénommons Hépatite C.
Un nom qui, je le souhaite, marquera l’Histoire avec un grand « H ».

Dans son histoire à elle, avec un petit « h », en 1994, c’est aussi l’époque qu’elle choisit pour arrêter tous les produits illicites. Le licite perdura, toutefois, les soirs de fête. Ces huit dernières années, elle boit rarement de l’alcool. Cela, certes, nous affaiblit, mais au moins le peu de fois où elle le fait, c’est avec de bons crus qu’elle nous entretient.

Elle essaya de nous exterminer une première fois en 2002. Elle a sorti l’artillerie lourde : Viraféron Peg et Rébétol. Je l’avoue, nous avons essuyé de grosses pertes, surtout qu’elle nous a pris en traître.
A l’époque son petit foie était encore bien tendre : nous avons déménagé en catastrophe notre population et sommes allés nous terrer dans un endroit bien souple et confortable. Nous avons placé nos chevaux de Troie sur plusieurs cicatrices. Ils étaient occupés par des sous-réplicants… Les guerres coloniales nous avaient bien inspiré : pendant que la chair à canon se faisait décimer, nous nous organisions pour tenir le siège en arrière du combat, bien planqués. La lutte fut âpre mais elle arriva à bout de ces leurres au bout de 3 mois.
Elle nous a nourri de tirs répétés pendant six mois, croyant nous avoir tous exterminés. J’ai perdu une de mes femmes, beaucoup d’enfants, de cousins, neveux, nièces…. J’en pleure encore lorsque j’y pense.
Il régnait un climat généralisé de tristesse et nous cherchions la vengeance la plus cruelle qui soit pour qu’elle paye nos morts et notre chagrin. Et nous avons trouvé !! On l’a bien eue!!!
Nous lui avons fait miroiter avoir quitté en totalité notre planète au bout de 3 mois grâce à ces mots magiques : « PCR négatif ».
Ah ! On a bien rigolé pendant qu’elle nous nourrissait d’un peu d’alcool lorsqu’elle n’avait pas le moral, ça permettait d’hiberner en attendant des temps plus cléments. Au bout de 6 mois, lorsque son moral fut au plus bas et son corps décharné et vide d’énergie, que l’artillerie lourde cessa pour de bon, nous sommes revenus comme des fleurs au chant d’un : « PCR positif ». Le coup lui fut fatal, elle largua tout : sa vie, son compagnon, sa maison et elle partit recommencer sa vie ailleurs. Enfin, elle ne partit pas vraiment en solitaire. On n’est pas des lâcheurs et puis on n’était pas mécontent de voir du pays. Engagez-vous, rengagez-vous qu’y nous disaient.

Beaucoup d’années ont passé, on a continué notre petit bonhomme de chemin, on a proliféré, on s’est fait de bonnes tranches de rigolades, on a aussi eu des moments plus difficiles. Mais, vaille que vaille, notre but ultime, le pompon, le gros lot, le carton plein de notre vie, nous y travaillions : il s’agissait de franchir la ligne d’arrivée barrée par une banderole portant l’inscription « Cirrhose ». Notre vie, notre œuvre !! 
On en était pas loin : elle avait gravi les échelons un à un et aujourd’hui elle avait un « bon F3″ limite F4. Oui, parce que les médecins ne disent pas : « Oh, Madame, vous avez un mauvais F3 ». Non c’est plutôt : « Madame, vous avez un bon F3 ».
Et après un bon F3/F4, qu’est-ce qu’il y a ? Hein ? Allons, allons, un petit effort, c’est écrit juste avant. Après un bon F3, il y a un bon F4 qui va vers…. Vers quoi ? Vers…. la cirrhose. Oui, bravo !!! Autant dire que de F4 à cirrhose, même un unijambiste funambule y arriverait. Donc beaucoup d’espoir régnait dans notre tribu. Oui beaucoup.

Cahin-caha, la prospérité aurait pu être plus spectaculaire et plus rapide mais elle a décidé de mener une vie saine. 
Ça a commencé gentiment par du Desmodium. De temps en temps, elle avait une lubie, elle nous balançait des ampoules de Desmodium pendant trois semaines. Pendant ce temps, nous, on allait dormir tranquillement, le temps qu’elle obtienne des ASAT et ALAT seulement trois fois plus élevés que la norme. Si ça suffisait à la rendre heureuse, eh bien, pourquoi pas. Ensuite on reprenait une vie normale jusqu’à la prochaine douche d’ampoules. Mais, en toute franchise, on se sentait affaiblis. A ça, elle a ajouté une alimentation saine et arrêté toute consommation d’alcool : bilan, on a noté quelques pertes dans la famille.


Et puis là, vlan, badaboum, sans crier gare on a senti que ça s’agitait pire qu’un séisme.
Le 8 novembre 2013, la bombe Hiroshima est tombée sur notre planète : elle était fabriquée à partir d’un combo Pegasys-Copégus. Ce fut l’horreur totale : des Replicants brûlaient sur place, hurlaient, des enfants cherchaient leurs parents au milieu des flammes et de la fumée. Cette nuit je me suis encore éveillé en sursaut, trempé, ces images gravées dans ma rétine.
4 semaines plus tard, inutile de mentir, nous ne sommes guère nombreux sur la planète. Il y a pénurie de tout, les conditions pour survivre sont difficiles, j’erre au travers de champs de batailles à la recherche de survivants.
Depuis quelques jours, les nouveaux-nés meurent les uns après les autres, j’ai réussi à en cacher une quantité indétectable. Je perds la mémoire, j’erre de cicatrices en cicatrices. D’ailleurs sur sa feuille de bilan à S4 j’ai lu : indétectable, oui, « in-dé-tec-table ». A en pleurer !!
Et à S8, qu’écriront-ils sur son bilan pour lui maintenir un moral d’acier? Patience, dans 40 semaines tu pourras enfin t’éclater comme une bête ?

Ce matin, une partie de mon corps est atrophié. J’oublie mes mots, je perds la mémoire, je me sens m’éteindre. Je ne sais pas comment sortir d’ici vivant pour trouver un univers plus chaleureux, tourné vers la fête, qui me permette de m’épanouir et multiplier à nouveau ma descendance.
Je crois que je fais une dépression.


Cerise.

Christine: Lettre à mon Intrus.

Cher intrus,

Girafe et poisson rouge
J'ai appris depuis peu que vous êtes de la famille des « Flaviradae », plus précisément de la branche des hépacivirus. J'en suis fort aise !
Sachez tout de même que cela nous éloigne encore davantage car de mon côté je suis d'une toute autre famille: les «Solerae », plus précisément de la branche des « Christinus ».
Alors, voyez-vous et comprenez bien que nous sommes incompatibles. Imaginez-vous une girafe vivre avec un poisson rouge ? Allez, acceptez cette idée et renoncez à vous accrocher à mon foie, ma foi.

Vous n'obtiendrez rien de plus, que ce que vous m'avez déjà pris alors que j'ignorais votre goût immodéré pour mon organe vital, mon foie. Vous en avez bien profité, alors que j'ignorais votre présence. C'est bien là votre « entourloupe ». Vous êtes passé silencieusement, sans faire de bruit, pour vous loger confortablement sans en payer le prix !
Et bien sachez que cela est fini, je sais depuis des années maintenant comment vous résister ! Je vous ai repéré, étudié, analysé, disséqué... Vous êtes cerné !!!

Sachez que notre liaison dangereuse ne peut plus continuer, j'ai entamé une procédure pour vous expulser. Dès la fin de l'été, cela sera terminé, vous ne serez plus qu'un lointain souvenir.
Cependant, avant de nous séparer, je tiens à vous avouer, car cela serait injuste et ingrat de ma part de ne pas vous reconnaître, quelques bons côtés.
Oui, c'est vrai, je veux vous remercier pour tout ce que vous m'avez appris sur mon corps et ses limites. Oui, je dois vous remercier car grâce à vous j'ai appris une chose essentielle, une nécessité dans ce bas monde : j’ai appris à prendre soin de moi; à veiller à ma santé.

Apprenez mon cher Hépacivirus que grâce à vous, Moi, Christinus j'ai découvert et développé une forme d'ascèse propice à mon bien-être. Moi qui vivais sans limite et dans l'excès, j'ai dû m'apprivoiser....

Alors devenons adultes vous et moi, séparons-nous comme il se doit :
Gardons le meilleur, transformons le pire, faisons de nous une belle histoire !!!

Christine


Pour les lecteurs français, ma propre contribution:


Cher Virus,
Bien que nous ayons probablement voyagé ensemble durant plus de trente ans tu ne m'as été présenté que récemment. D’une certaine façon, pardonne-moi ce manque d’attention. Je devrais t’accueillir comme un vieil ami, mais la situation n’est pas simple pour moi. 
Tu es un Type1 coriace, et j’admire comme tu as su rester discret, silencieux et même secret si longtemps. Ta forte personnalité et grande discrétion m’impressionnent.   Quelle classe !
J’ai grandement apprécié ta réserve qui m’a permis de vivre en ignorant ta présence et aussi le tact avec lequel tu as su préserver ma famille, mes proches. Tu es si fin et si discret que lorsque tu m’as choisi, ni moi, ni  le médecin ne pouvaient  te reconnaître ni percevoir ton travail quotidien dans mon foie et dans ma vie. Tu m’as accordé une vie épatante où j’ai pu pratiquer les sports qui me plaisaient, et profiter des meilleurs plats et des bons vins du monde entier. Jamais malade, jamais en panne, le plein d’énergie et de curiosité pour chaque jour. Vraiment, je n’ai jamais pensé à toi au long de ces trente dernières années. Je n'ai pas à me plaindre.
Tranquille et invisible, tu t’es pourtant fait prendre  à l’occasion d’un contrôle de routine. Je suis presque déçu qu’un animal sauvage de ta classe se soit fait  avoir par un simple chasseur de papillons. J’imaginais une traque plus romanesque. 
Aujourd’hui nous nous connaissons. Je sais qui tu es, ce que tu as fait et quel est ton projet. Non seulement tu t’es accordé la majeure partie de mon foie mais tu viens aussi chambouler ma vie sociale et professionnelle. Ma vie. Maintenant, plus de place pour les projets, les ambitions. Juste nous planquer, prendre soin de moi, et de toi. Epargner mes proches. Virus ! Je veux te tuer! 
D’un autre côté ta présence m’a ramené à moi-même comme rien auparavant n’avait pu le faire. Bon ou méchant, en tout cas aujourd’hui tu as pris le contrôle. Aujourd’hui tu conduis et je te suis assis à la place du mort. Tu m’emmènes voir un autre côté de la vie : L’hôpital où l’on rencontre tout, et tout le monde, la bêtise et la misère, la vie qui bat et renait, la douleur et la mort. Tu me montres partout des cœurs cassés, des corps brisés tout autour de moi. Je découvre ce chemin qui s'ouvre seulement en ouvrant les yeux et prenant le temps. Jusqu’à présent je m’étais tenu loin de ces pays mais aujourd'hui je me demande parfois si je pourrais y vivre et comment m’y installer. 
Tu vois Virus, il m’est difficile ces temps-ci de savoir si je vais te suivre ou reprendre le cours habituel de ma vie. Je demande donc que nous nous séparions... le temps  de faire le point.

En espérant n’avoir plus à t'écrire de nouvelle lettre.
Ozias


For english readers, Ozias's contribution that you can reach thru link below:
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2011/11/dear-john-letter.html 


Billy Rubin: correspondance avec ma virus
http://hepatite-c.over-blog.com/article-correspondance-avec-ma-virus-73957051.html
“Au début de ma maladie j'ai cru bon d'écrire à mon virus, je l'imaginais comme étant une femme rousse aux yeux verts, comme les héroïnes des romans noirs américains que l'on voit dans les films avec Bogart…/… » 

http://hepatite-c.over-blog.com/article-correspondance-avec-ma-virus-73957051.html

Caitlin Berrigan  : Letter to a Virus (2007)
http://membrana.us/letter.html 

« This distributable booklet mixes the language of informational brochures with apostrophy. Addressing the virus as one member of a complicated relationship, the letter speaks of those subjective and emotional aspects of illness that are often left out of the conversation. »
http://membrana.us/media/letterToTheVirus_eng.pdf



On peut aussi la lui jouer 'à la Raoul' : Les tontons flingueurs. Michel Audiard

" Non mais t'as déjà vu ça ? En pleine paix ? Il chante et puis crac, un bourre-pif ! Il est complètement fou ce mec. Mais moi, les dingues, je les soigne. Je vais lui faire une ordonnance et une sévère... Je vais lui montrer qui c'est Raoul. Aux quatre coins de Paris qu'on va le retrouver, éparpillé par petits bouts, façon Puzzle. Moi, quand on m'en fait trop je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile ! "
http://www.youtube.com/watch?v=T9hDBtX7t8s