L'exercice de lettre à son virus, ou lettre de son virus, pourrait devenir un classique de la littérature hépatante. Voici quelques exemples ci dessous.
Bien sûr, je serais plus que ravi d'ajouter vos pépites à cette collection. Si vous avez d'autres liens, d'autres lettres à partager vous pouvez les adresser à emagic.workshop@gmail.com en indiquant si vous souhaitez que votre contribution soit postée sur ce blog.
A bientôt,
Ozias
Cerise : The Replicant : chroniques d’un virus de l’hépatite C
Je suis arrivé un soir de fête. Il y avait de la super musique, très forte, très rock, beaucoup
d’agitation, d’allers-venues, de joie et… de partage.
J’ai pensé qu’il était temps de quitter ma famille nombreuse et de voler de mes propres ailes vers une nouvelle contrée.J’avais décidé de trouver MA planète vierge où m’installer, assurer ma descendance et pourquoi pas, partir à la conquête de l’univers. C’est elle que j’ai choisi. Elle me plaisait bien. Aujourd’hui après 25 ans en territoire occupé, je ne regrette toujours pas mon choix, même s’il est temps pour moi de disparaître à jamais…Elle aimait faire la fête à l’excès, du vendredi au mercredi. Produits licites, illicites, un savant mélange…
Nous nous ressourcions le jeudi, diète totale, elle pour repartir à l’assaut d’une nouvelle semaine chargée, moi pour me multiplier, doucement, mais sûrement. Pendant plusieurs années, nous avons vécu en parfaite harmonie. Elle n’avait pas conscience de mon existence qui se multipliait en elle à l’infini et elle me délectait de tout ce qui fait croître notre entité. Nous nous activions doucement à construire nos nids où nous élèverions notre progéniture, qui à son tour ferait de même. Tout ce temps, nous avons marché avec des patins pour ne pas faire trop de bruit et la réveiller.
Notre invasion a commencé à être prise au sérieux lorsqu’ils nous ont donné un nom. Nous n’étions plus de vulgaires « non A-non B ». Les « non machin – non bidule» comme aimaient à se moquer de nous Hépatite A et Hépatite B. Désormais nous marchons dans la cour des Grands et nous prénommons Hépatite C.
Un nom qui, je le souhaite, marquera l’Histoire avec un grand « H ».
Dans son histoire à elle, avec un petit « h », en 1994, c’est aussi l’époque qu’elle choisit pour arrêter tous les produits illicites. Le licite perdura, toutefois, les soirs de fête. Ces huit dernières années, elle boit rarement de l’alcool. Cela, certes, nous affaiblit, mais au moins le peu de fois où elle le fait, c’est avec de bons crus qu’elle nous entretient.
Elle essaya de nous exterminer une première fois en 2002. Elle a sorti l’artillerie lourde : Viraféron Peg et Rébétol. Je l’avoue, nous avons essuyé de grosses pertes, surtout qu’elle nous a pris en traître.
A l’époque son petit foie était encore bien tendre : nous avons déménagé en catastrophe notre population et sommes allés nous terrer dans un endroit bien souple et confortable. Nous avons placé nos chevaux de Troie sur plusieurs cicatrices. Ils étaient occupés par des sous-réplicants… Les guerres coloniales nous avaient bien inspiré : pendant que la chair à canon se faisait décimer, nous nous organisions pour tenir le siège en arrière du combat, bien planqués. La lutte fut âpre mais elle arriva à bout de ces leurres au bout de 3 mois.
Elle nous a nourri de tirs répétés pendant six mois, croyant nous avoir tous exterminés. J’ai perdu une de mes femmes, beaucoup d’enfants, de cousins, neveux, nièces…. J’en pleure encore lorsque j’y pense.
Il régnait un climat généralisé de tristesse et nous cherchions la vengeance la plus cruelle qui soit pour qu’elle paye nos morts et notre chagrin. Et nous avons trouvé !! On l’a bien eue!!!
Nous lui avons fait miroiter avoir quitté en totalité notre planète au bout de 3 mois grâce à ces mots magiques : « PCR négatif ».
Ah ! On a bien rigolé pendant qu’elle nous nourrissait d’un peu d’alcool lorsqu’elle n’avait pas le moral, ça permettait d’hiberner en attendant des temps plus cléments. Au bout de 6 mois, lorsque son moral fut au plus bas et son corps décharné et vide d’énergie, que l’artillerie lourde cessa pour de bon, nous sommes revenus comme des fleurs au chant d’un : « PCR positif ». Le coup lui fut fatal, elle largua tout : sa vie, son compagnon, sa maison et elle partit recommencer sa vie ailleurs. Enfin, elle ne partit pas vraiment en solitaire. On n’est pas des lâcheurs et puis on n’était pas mécontent de voir du pays. Engagez-vous, rengagez-vous qu’y nous disaient.
Beaucoup d’années ont passé, on a continué notre petit bonhomme de chemin, on a proliféré, on s’est fait de bonnes tranches de rigolades, on a aussi eu des moments plus difficiles. Mais, vaille que vaille, notre but ultime, le pompon, le gros lot, le carton plein de notre vie, nous y travaillions : il s’agissait de franchir la ligne d’arrivée barrée par une banderole portant l’inscription « Cirrhose ». Notre vie, notre œuvre !!
On en était pas loin : elle avait gravi les échelons un à un et aujourd’hui elle avait un « bon F3″ limite F4. Oui, parce que les médecins ne disent pas : « Oh, Madame, vous avez un mauvais F3 ». Non c’est plutôt : « Madame, vous avez un bon F3 ».
Et après un bon F3/F4, qu’est-ce qu’il y a ? Hein ? Allons, allons, un petit effort, c’est écrit juste avant. Après un bon F3, il y a un bon F4 qui va vers…. Vers quoi ? Vers…. la cirrhose. Oui, bravo !!! Autant dire que de F4 à cirrhose, même un unijambiste funambule y arriverait. Donc beaucoup d’espoir régnait dans notre tribu. Oui beaucoup.
Cahin-caha, la prospérité aurait pu être plus spectaculaire et plus rapide mais elle a décidé de mener une vie saine. Ça a commencé gentiment par du Desmodium. De temps en temps, elle avait une lubie, elle nous balançait des ampoules de Desmodium pendant trois semaines. Pendant ce temps, nous, on allait dormir tranquillement, le temps qu’elle obtienne des ASAT et ALAT seulement trois fois plus élevés que la norme. Si ça suffisait à la rendre heureuse, eh bien, pourquoi pas. Ensuite on reprenait une vie normale jusqu’à la prochaine douche d’ampoules. Mais, en toute franchise, on se sentait affaiblis. A ça, elle a ajouté une alimentation saine et arrêté toute consommation d’alcool : bilan, on a noté quelques pertes dans la famille.
Et puis là, vlan, badaboum, sans crier gare on a senti que ça s’agitait pire qu’un séisme.
Le 8 novembre 2013, la bombe Hiroshima est tombée sur notre planète : elle était fabriquée à partir d’un combo Pegasys-Copégus. Ce fut l’horreur totale : des Replicants brûlaient sur place, hurlaient, des enfants cherchaient leurs parents au milieu des flammes et de la fumée. Cette nuit je me suis encore éveillé en sursaut, trempé, ces images gravées dans ma rétine.
4 semaines plus tard, inutile de mentir, nous ne sommes guère nombreux sur la planète. Il y a pénurie de tout, les conditions pour survivre sont difficiles, j’erre au travers de champs de batailles à la recherche de survivants.
Depuis quelques jours, les nouveaux-nés meurent les uns après les autres, j’ai réussi à en cacher une quantité indétectable. Je perds la mémoire, j’erre de cicatrices en cicatrices. D’ailleurs sur sa feuille de bilan à S4 j’ai lu : indétectable, oui, « in-dé-tec-table ». A en pleurer !!
Et à S8, qu’écriront-ils sur son bilan pour lui maintenir un moral d’acier? Patience, dans 40 semaines tu pourras enfin t’éclater comme une bête ?
Ce matin, une partie de mon corps est atrophié. J’oublie mes mots, je perds la mémoire, je me sens m’éteindre. Je ne sais pas comment sortir d’ici vivant pour trouver un univers plus chaleureux, tourné vers la fête, qui me permette de m’épanouir et multiplier à nouveau ma descendance.
Je crois que je fais une dépression.
Cerise.
Christine: Lettre à mon Intrus.
Cher intrus,
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Girafe et poisson rouge |
J'ai appris depuis peu que vous êtes de la famille des « Flaviradae », plus précisément de la branche des hépacivirus. J'en suis fort aise !
Sachez tout de même que cela nous éloigne encore davantage car de mon côté je suis d'une toute autre famille: les «Solerae », plus précisément de la branche des « Christinus ».
Alors, voyez-vous et comprenez bien que nous sommes incompatibles. Imaginez-vous une girafe vivre avec un poisson rouge ? Allez, acceptez cette idée et renoncez à vous accrocher à mon foie, ma foi.
Vous n'obtiendrez rien de plus, que ce que vous m'avez déjà pris alors que j'ignorais votre goût immodéré pour mon organe vital, mon foie. Vous en avez bien profité, alors que j'ignorais votre présence. C'est bien là votre « entourloupe ». Vous êtes passé silencieusement, sans faire de bruit, pour vous loger confortablement sans en payer le prix !
Et bien sachez que cela est fini, je sais depuis des années maintenant comment vous résister ! Je vous ai repéré, étudié, analysé, disséqué... Vous êtes cerné !!!
Sachez que notre liaison dangereuse ne peut plus continuer, j'ai entamé une procédure pour vous expulser. Dès la fin de l'été, cela sera terminé, vous ne serez plus qu'un lointain souvenir.
Cependant, avant de nous séparer, je tiens à vous avouer, car cela serait injuste et ingrat de ma part de ne pas vous reconnaître, quelques bons côtés.
Oui, c'est vrai, je veux vous remercier pour tout ce que vous m'avez appris sur mon corps et ses limites. Oui, je dois vous remercier car grâce à vous j'ai appris une chose essentielle, une nécessité dans ce bas monde : j’ai appris à prendre soin de moi; à veiller à ma santé.
Apprenez mon cher Hépacivirus que grâce à vous, Moi, Christinus j'ai découvert et développé une forme d'ascèse propice à mon bien-être. Moi qui vivais sans limite et dans l'excès, j'ai dû m'apprivoiser....
Alors devenons adultes vous et moi, séparons-nous comme il se doit :
Gardons le meilleur, transformons le pire, faisons de nous une belle histoire !!!
Christine
Pour les lecteurs français, ma propre contribution:
Cher Virus,
Bien que nous ayons probablement voyagé ensemble durant plus de trente ans tu ne m'as été présenté que récemment. D’une certaine façon, pardonne-moi ce manque d’attention. Je devrais t’accueillir comme un vieil ami, mais la situation n’est pas simple pour moi.
Tu es un Type1 coriace, et j’admire comme tu as su rester discret, silencieux et même secret si longtemps. Ta forte personnalité et grande discrétion m’impressionnent. Quelle classe !
J’ai grandement apprécié ta réserve qui m’a permis de vivre en ignorant ta présence et aussi le tact avec lequel tu as su préserver ma famille, mes proches. Tu es si fin et si discret que lorsque tu m’as choisi, ni moi, ni le médecin ne pouvaient te reconnaître ni percevoir ton travail quotidien dans mon foie et dans ma vie. Tu m’as accordé une vie épatante où j’ai pu pratiquer les sports qui me plaisaient, et profiter des meilleurs plats et des bons vins du monde entier. Jamais malade, jamais en panne, le plein d’énergie et de curiosité pour chaque jour. Vraiment, je n’ai jamais pensé à toi au long de ces trente dernières années. Je n'ai pas à me plaindre.
Tranquille et invisible, tu t’es pourtant fait prendre à l’occasion d’un contrôle de routine. Je suis presque déçu qu’un animal sauvage de ta classe se soit fait avoir par un simple chasseur de papillons. J’imaginais une traque plus romanesque.
Aujourd’hui nous nous connaissons. Je sais qui tu es, ce que tu as fait et quel est ton projet. Non seulement tu t’es accordé la majeure partie de mon foie mais tu viens aussi chambouler ma vie sociale et professionnelle. Ma vie. Maintenant, plus de place pour les projets, les ambitions. Juste nous planquer, prendre soin de moi, et de toi. Epargner mes proches. Virus ! Je veux te tuer!
D’un autre côté ta présence m’a ramené à moi-même comme rien auparavant n’avait pu le faire. Bon ou méchant, en tout cas aujourd’hui tu as pris le contrôle. Aujourd’hui tu conduis et je te suis assis à la place du mort. Tu m’emmènes voir un autre côté de la vie : L’hôpital où l’on rencontre tout, et tout le monde, la bêtise et la misère, la vie qui bat et renait, la douleur et la mort. Tu me montres partout des cœurs cassés, des corps brisés tout autour de moi. Je découvre ce chemin qui s'ouvre seulement en ouvrant les yeux et prenant le temps. Jusqu’à présent je m’étais tenu loin de ces pays mais aujourd'hui je me demande parfois si je pourrais y vivre et comment m’y installer.
Tu vois Virus, il m’est difficile ces temps-ci de savoir si je vais te suivre ou reprendre le cours habituel de ma vie. Je demande donc que nous nous séparions... le temps de faire le point.
En espérant n’avoir plus à t'écrire de nouvelle lettre.
Ozias
For english readers, Ozias's contribution that you can reach thru link below:
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2011/11/dear-john-letter.html
Caitlin Berrigan : Letter to a Virus (2007)
http://membrana.us/letter.html
« This distributable booklet mixes the language of informational brochures with apostrophy. Addressing the virus as one member of a complicated relationship, the letter speaks of those subjective and emotional aspects of illness that are often left out of the conversation. »
http://membrana.us/media/letterToTheVirus_eng.pdf
On peut aussi la lui jouer 'à la Raoul' : Les tontons flingueurs. Michel Audiard
" Non mais t'as déjà vu ça ? En pleine paix ? Il chante et puis crac, un bourre-pif ! Il est complètement fou ce mec. Mais moi, les dingues, je les soigne. Je vais lui faire une ordonnance et une sévère... Je vais lui montrer qui c'est Raoul. Aux quatre coins de Paris qu'on va le retrouver, éparpillé par petits bouts, façon Puzzle. Moi, quand on m'en fait trop je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile ! "
http://www.youtube.com/watch?v=T9hDBtX7t8s