L'interféron est un poison qui guérit. L'interféron altère la pensée et change le regard. Insidieusement il transforme notre monde. Il voile nos couleurs, exacerbe les sons, les émotions. Il fait battre la fièvre ou le détachement.
En fin de compte, l'effet secondaire qui m'a paru le plus marqué, est une forme particulière de ballonnement du narcissisme. Je ne veux pas dire ici que les injections m'ont fait me trouver beau, mais plutôt que l'interféron m'a réfléchi ou donné à réfléchir sur mon image et sur moi même comme si en permanence il plaçait son miroir devant mes yeux. Plongée profonde en moi dans un silence d'apnée. Retours sur images.
Tout au long de la parenthèse du traitement, une source ou plutôt une fuite de créativité s'écoulait, régulière, me détournant de la scène alentour, du décor bien connu, m'ouvrant à de nouveaux paysages des nouvelles esthétiques.
I. Esthétique des débris, des détails et des flaques.
Lorsqu'on ne regarde plus devant soi, alors on voit ce qui se trouve à nos pieds. Là est ce dont on ne ne se soucie pas bien portant, c'est à dire quand on porte la tête haute. Esthétique des caniveaux, des flaques, des débris et des détails. Tout un monde nouveau, défraîchi révélé à mes pieds, à mes yeux. Illustration en trois photos.
Débris. Terrasse à Belfast. |
Détail. Pistil de pavot. |
Par terre. flaque d'eau. Belfast. |
II. Esthétique et romantisme de la mélancolie. Langueurs et frissons interferonnés.
Puis il y a aussi un côté plus sombre, qui nous fait sombrer dans la mélancolie.
La mélancolie, selon "l'Express": ce sont les Grecs qui ont inventé ce terme, au IVe siècle avant Jésus-Christ. Selon le médecin Hippocrate, la bile noire - melas(noir) et kholê (bile) forment le mot "mélancolie" - est, avec la bile jaune, le flegme et le sang, l'une des quatre humeurs du corps. Et de leur équilibre dépend la santé, car la prédominance de l'une d'elles provoque un dérèglement qui agit sur le tempérament. Un excès de bile noire est ainsi censé engendrer tristesse, abattement, morbidité. Paradoxe: la mélancolie - "maladie sacrée", selon le philosophe Aristote - est également la manifestation de la création artistique, à laquelle elle ouvre la porte de l'imagination. Bref sensibilité, mélancolie et création artistique sont intimement liés dans le processus de création artistique occidental et l'interféron, qui semble réduire la transmission sérotoninergique au système nerveux central, pave la voie à de sombres et mélancoliques créations. Illustration par trois cartes postales envoyées depuis ces paysages interféronnés.
Paysage de Corot sous interféron. |
Carpe Koy Sauce Rembrandt. |
Saint Sébastien gisant en un champ de pêchers. |
III. Esthétique de la représentation des corps et de l'autoportrait.
Pendant le traitement, la variété des effets secondaires, le spectacle du corps qui souffre, l'érosion du "moi" physique et mental qui s'en suivent m'ont conduit à m’intéresser à l'esthétique de la perception et de la représentation des corps et de mon corps. L'attention portée aux réactions physiques au traitement jointe au 'ballonnement' du narcissisme caractéristique de l'interféron ont suscité un intérêt renouvelé pour l’autoportrait et la représentation du corps à selon les époques, les cultures. Voici trois articles à consulter sur ce thème.
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2012/10/curiosa.html
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2012/12/corps-voiles-devoiles.html
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2012/03/decor-encore-des-corps.html