Aborder des créations artistiques sous l'angle de la controverse permet de saisir une époque, ses tabous, ses peurs et ses aspirations les plus secrètes.
Ainsi, quand au XVIIème siècle, Vélasquez peint le pape Innocent X, plutôt que le pontife il peint l'homme qui avait comme maîtresse la veuve de son frère aîné. Le tableau est violent. Du rouge, du sang et un blanc loin d'être immaculé.Le regard est dur, presque féroce. Les lèvres fines et pincées. Ce pape menaçant est aussi un homme vieux et solitaire. Vélasquez a réalisé ce magnifique portrait avec courage, avec lucidité et sans hypocrisie. Scandaleuse réalité !
Vélasquez: Le portrait d' Innocent X |
Maurizio Catellan. La Nona Hora.1999. |
Maurizio Catellan. Him. 2001. |
Encore une histoire de pape, mais cette fois racontée par Maurizio Catelan en 1999. Les reins brisés par la chute d'une météorite, le pauvre Jean-Paul II apparaît faible, fragilisé et finalement inapte à honorer ses fonctions.
'Him' représente un Hitler hyperréaliste de la taille d'un enfant et en prière à genoux. Miniaturisation et humanisation. Cette oeuvre a fait scandale en 2012 lorsqu'elle fut exposée à l'occasion d'une rétrospective Maurizio Catellan en plein coeur de Varsovie."une provocation insensée qui insulte la mémoire des victimes juives des nazis*". Il est vrai que de nos jours le scandale est souvent synonyme de succés. "Je choque dont je suis" pourrait être la devise de beaucoup d'artistes contemporains dont Maurizio Catellan fait peut être partie.
Ai Weiwei. 'Juin 1994'. 121x155cm. |
Oleg Kulik est un artiste plasticien russe né à Kiev en 1961. Il est particulièrement connu pour son travail sur l'animalité de l'homme. Selon lui, il ne faut pas que nous nous enfermions dans notre humanité. Dns la série 'Family of the future' Kulik réveille la bête qui sommeille en lui laissant son instinct reprendre le dessus, d'où le caractère zoophile de certains clichés. En 2008 ses images sont censurées à cause de leur caractère violent, pornographique ou contraire à la dignité humaine'. Ces censeurs ne devaient pas savoir que Kulik disait de lui : 'Je n'ai jamais été un homme'.
Oleg Kulik. saint Sébastien aux oies. |
Que Voyez vous dans l'image ci dessous? Un phallus ? C'est bien là ,le scandale.
Pourtant l'artiste assure n'avoir représenté qu'une femme, simplifiée à l’extrême. L'histoire commence avec la princesse Marie Bonaparte que l'artiste représente penchée sur son miroir dans une sculpture aujourd'hui disparue. Partant de cela, Brancusi tente, conformément à son style, de simplifier la forme à l’extrême, de la purifier. Pendant cinq ans, il polit son oeuvre pour la réduire à cet essentiel qui l'obsède. En 1920, l'oeuvre exposée au salon des indépendants déclenche le scandale, est retirée de l'exposition puis réhabilitée grâce au soutient de 70 artistes et personnalités de l'époque. Personnellement, ça me fait penser à quelque robinetterie princière. Je vous laisse juger.
Balthus, Artiste majeur du XXème siècle et hautement reconnu de son vivant écrit à propos de la 'Leçon de guitare' : "Je veux déclamer au grand jour, avec sincérité et émotion, tout le tragique palpitant d'un drame de la chair, proclamer à grands cris les lois inébranlables de l'instinct" (lettre à Antoinette de Watteville, sa future femme). Balthus s'autocensura ensuite et refusa de montre cette ouevre en public. Le MOMA (à New York) en devint propriétaire, mais certains donateurs influents firent pression quatre années durant pour que ce tableau disparaisse du fond. Elle fut donc vendue et se trouve aujourd'hui dans une collection privée, à l'abri de tout jugement.
Balthus. La leçon de guitare. |
"Kissing Policemen" du collectif russe Blue Noses fut qualifié par le ministre de la culture, Alexandre Sokolov, de "photographie pornographique" et de "provocation politique". En Russie, l'homosexualité est dépénalisée depuis 1993 mais, dans les faits, elle est peu tolérée et l'état conserve une attitude rétrograde face à ce sujet. Cette photo est un manifeste, et aussi un hommage au celèbre "Gay Bobbies" du street artist Bansky.
Blue Noses. Kissing policemen. |
Cloaca, dont il existe aujourd’hui huit versions, est une machine qui reproduit le système digestif. Lorsqu’elle est exposée, Cloaca est alimentée et produit des fèces. Wim Delvoye a imaginé cette machine et a collaboré avec des ingénieurs et des scientifiques pour la réaliser. Ces machines ne sont pas à vendre. C’est leur production qui est à vendre. Cloaca fonctionne comme une entreprise dans le sens où Wim Delvoye émet des obligations sur celle-ci. Cloaca est ainsi cotée en bourse, et les obligations engendrent des dividendes annuels pour les détenteurs. http://www.wimdelvoye.be/
Cloaca. Win Delwoye. |
Notons aussi, et cela n’est pas anodin, que Cloaca, a son propre site internet :www.cloaca.be . Le visiteur peut y voir les obligations de Cloaca, des photos des différentes versions de la machine et pouvait y commander des étrons emballés sous vide et estampillés du logo Cloaca, le premier par exemple, détournant ceux de Ford et de Coca Cola. Le visiteur y trouvera également des informations sur les expositions passées et biographiques, ainsi que des articles sur Cloaca, téléchargeables. On peut se risquer à avancer que la partie la plus intéressante est la partie appelée « As seen on TV ! ». Elle consiste en des témoignages d’acquéreurs d’étrons de Cloaca, à la manière des publicités pour les régimes miracles et autres objets indispensables à la ménagère. Il nous est dit que cet investissement à bel et bien changé positivement la vie de ces collectionneurs d’art. Il est annoncé au visiteur du site internet que les collectionneurs, grâce à leur merde, ont de meilleures relations avec les autres, une meilleure sexualité, une meilleure vie, une plus grande confiance en eux et sont plus riches ! Ces cacas sont ainsi présentés comme des fétiches, gris-gris, faisant office de véritable baguette magique censée changer, et ici au sens premier, la merde en or. Pour le commun des mortels, la marchandise suprême, objets de tous les désirs serait une belle voiture ou un écran plasma, voire un solitaire, mais ici la merde se veut objet de désir pour les collectionneurs d’art. Et elle y parvient dans le sens où c’est une preuve de goût aujourd’hui, de la part des collectionneurs d’avoir un étron produit par Cloaca. D’une part car en en possédant un, le collectionneur montre qu’il sait apprécier le travail de Wim Delvoye, et ainsi, prouve qu’il est ouvert d’esprit, intelligent et cultivé. D’autre part, car cela montre qu’il sait investir dans des artistes dont la côte va grimper. En plus de la plus value sociale, il en dégagera donc une plus value financière, car son étron lui permettra d’en dégager des bénéfices s’il décide de s’en séparer. Grâce à Wim Delvoye et à Cloaca, la merde, et pas de la merde d’artiste, de la merde produite par une machine à merde cotée en bourse, devient objet de désir et de spéculation pour les collectionneurs d’art, c’est-à-dire, quelques-unes des personnes les plus riches et les plus influentes de ce monde.
Crédits: Le Musée des scandales. L'art qui fâche. Eléa Baucheron. Diane Routex.
* Centre Simon-Wiesenthal