samedi 15 février 2014

La viande.

'La nourriture doit être bonne à manger et bonne à penser'. Claude Levi Strauss



'La viande, la viande sur la table, la viande par terre, la viande sur les étals, la viande sous la pluie, la viande étalée, couverte de mouches, mangée d’asticots, la viande fraîche comme une rose ; la viande des hommes, des femmes, la viande des grisons, la viande malade de la mort, la viande folle, la viande bleue, la viande rouge s’il vous plaît, dans les restaurants américains, allemands, français, anglais, chinois, évaporé dans les restaurants thaïlandais, viets, égyptiens, mauritaniens, sénégalais. La viande, la viande qui pue et qui fait mal, qui renforce, la viande partout sur la terre, la viande sur pattes, la viande qu’est-ce que c’est, la pénurie de viande, la viande fleurie, la viande faisandée, épicée, raciale. La viande qui saigne et qui pleure, la viande qui rit sous les hommages des archiducs et des imams, des moines dodus, des friandes femmes du monde, des hommes des cavernes illuminés, la viande.'

Brigitte Fontaine la viande

Michel Piccoli dans la Grande bouffe. You are what you eat.


L'homme est un mangeur de viande. Par nécessité physiologique, par goût ; de la viande animale, mais aussi de la chair humaine lors de repas cannibales. Certains chercheurs affirment que la consommation de viande a déclenché l'hominisation ; pour d'autres, c'est la chasse et ses rituels très hiérarchisés qui auraient favorisé l'émergence de l'homme sociétal.
Marylène Pathou-Mathys.

"la consommation carnée apparaît comme le lieu du paradoxe où se joue le dilemme entre le désir de se transcender (par l’enrichissement du sang d’un point de vue médical, et par le recul des limites de la nature humaine dont la pitié constitue une borne dépassable d’un point de vue philosophique), et la crainte de s’avilir (par sa nocivité pour notre tempérament mais aussi le tabou éthique dont elle fait l’objet)." 
Capucine Lebreton.


La viande au musée, nature morte par excellence. Esthétique faite d'appétit, et de répulsion. Éros, Thanatos, tout ça...

Rembrandt. Le boeuf écorché. Musée du Louvre.
Chaïm Soutine. Le boeuf écorché. Musée de Grenoble.

'La peinture de Francis Bacon (1909-1992) est angoissante. Elle nous met mal à l'aise. Elle montre une viande à l'état brut qui nous rappelle notre condition. Mais, elle est surtout sans concession comme pour dire que le corps n'est que le vestige de la viande'. cf Post 'Francis Bacon et l'effroyable viande' Nov 2013, dans ce blog.

Francis Bacon. Personnage avec viande.
Robe en viande portée par Lady Gaga

La viande, ce n'est pas seulement des protéines nutritives, c'est aussi la chair dont sont faits nos corps.


Le Boucher. Un roman érotique de Alina Reyes raconte les amours d'une jeune étudiante aux beaux-arts, anorexique et vierge, qui fantasme sur son boucher.

"La chair du bœuf devant moi était bien la même que celle du ruminant dans son pré, sauf que le sang l'avait quittée, le fleuve qui porte et transporte si vite la vie, dont il ne restait ici que quelques gouttes comme des perles sur le papier blanc. Et le boucher qui me parlait de sexe toute la journée était fait de la même chair, mais chaude, et tour à tour molle et dure ; le boucher avait ses bons et ses bas morceaux, exigeants, avides de brûler leur vie, de se transformer en viande. Et de même étaient mes chairs, moi qui sentais le feu prendre entre mes jambes aux paroles du boucher."


Les animaux
A travers la viande, c'est aussi de la place de l'animal dont il s'agit. Une relation complexe s'est établie au fil du temps. En témoignent l'art préhistorique, les récits mythologiques, les croyances... où la figure animale est omniprésente.
Peut-on respecter l'animal tout en continuant à l'élever et donc à le tuer ?
Peut on éprouver de la gratitude envers les animaux d'élevage à savoir qu'ils vont être mangés dans la joie ? 
L'industrialisation des abattoirs les a fait basculer dans l'horreur. L'abattoir industriel moderne, est avant tout un lieu de dissimulation de la mort. 
Face à la viande produit du crime animal et objet de nos appétits, notre schizophrénie le plus souvent nous fait dire :
«  S’il vous plaît, ne m’en parlez pas, je suis trop sensible et j’adore les animaux. »




RW Fassbinder. L'année de treize lunes. Scène à l'abattoir.



Pire encore:https://www.facebook.com/ElBaulDelOlvido/videos/1724485861161684/

Pour réconcilier tout le monde on finit en chanson avec Boris Vian
Le tango des joyeux bouchers de la Villette (1957).


dimanche 9 février 2014

Plat du jour : l'anguille

La recette du dimanche : Salade d'anguille fumée


Ingrédients : 

200 g d’anguilles fumées
500g de mesclun
500g de pommes de terre rattes
Coriandre fraîche, cerfeuil frais
Zeste de citron vert
Fleur de sel de Guérande
Poivre blanc

Tant qu'on est à la cuisine, séquence culte : Maité et les anguilles : 

Picasso. La matelote d'anguilles.

La recette de l'andouillon , par Boris Vian.
" - Je resterai, une fois de plus, dans la tradition de Gouffé en élaborant cette fois un andouillon des îles au porto musqué.
- Et ceci s'exécute ? dit Colin.
- De la façon suivante : Prenez un andouillon que vous écorcherez malgré ses cris. Gardez soigneusement la peau. Lardez l'andouillon de pattes de homard émincées et revenues à toute bride dans du beurre assez chaud. Faites tomber sur glace dans une cocotte légère. Poussez le feu, et sur l'espace ainsi gagné, disposez avec goût des rondelles de ris mitonné. Lorsque l'andouillon émet un son grave, retirez prestement du feu et nappez de porto de qualité. Touillez avec une spatule de platine. Graissez un moule et rangez le au four pour qu'il ne rouille pas. Au moment de servir, faites un coulis avec un sachet de lithinés et un quart de lait frais. Garnissez avec les ris, servez et allez-vous en.
- Je reste sec ! dit Colin, Gouffé fut un grand homme
. "
L'Ecume des jours (éd. Pauvert, 1963). Jules Gouffé (1807-1877) était un célèbre cuisinier disciple de Carême . Boris Vian tenait en haute estime son "Livre de cuisine" (1867) où figure le  "pâté chaud d'anguilles".

Littérature au théâtre. Le pâté d'anguille. Boris Vian, l'écume des jours.

Biologie.  L'anguille naît en mer hauturière tropicale, puis les œufs deviennent des larves qui dérivent vers les continents, évoluent en pibales (autrement appelées civelles), remontent les estuaires, croissent en rivières. Au bout de quelques années, entre 5 et 40 ans, l'anguille subit une seconde métamorphose et entame le chemin de retour, direction les océans et surtout la mer des Sargasses où elle se reproduit, une seule fois ! Mystère et fascination autour d'un poisson pas comme les autres.

Sortie ciné: 
Le Tambour, Volker Schlöndorff,  Le père d'Oscar ('le Tambour') pêche des anguilles dans une tête de cheval et les prépare pour son épouse qui les refuse dégoûtée .


L'anguille, de Shoehei Imamura, Drame intimiste qui nous renvoie à tous les marginaux de la société dont beaucoup sont des inadaptés en raison de leurs contradictions internes ou de leur difficulté à faire face.  Palme d'or à Cannes en 1997:

Eel girl, de paul Campion est très court  (5 mn). Malgré tout, l’univers visuel est très riche, à la manière d’un film Caro & Jeunet, dont il partage également les couleurs (vert sale pour faire bref). Dans un site militaire secret, un scientifique un peu trop curieux libère la femme-anguille de sa chambre forte. Celle-ci prend un bain d’hormones, attire le cinquantenaire et le gobe littéralement. Grand prix Festival court métrage 2008.

Chanson : L'anguille. Boris Vian, chanté par Magali Noel.

Dans le Hentaï, l'art pornographique traditionnel japonais, une femme est souvent représentée dans une baignoire remplie d'anguilles japonaises (anguilla japonica) qui la pénètrent par divers orifices. Voici donc pour finir, en beauté avec Daikichi Amano-san, et tout en restant bien dans le thème. Tout un poème...
Daikichi Amano.
Daikichi Amano.
Anguilles. D'après une photographie de Daikichi Amano.

Poésie :

Gluante comme un vieux blues, j’ai cette anguille lovée autour du cœur.
La neige derrière les carreaux doit sentir le fleuve.
Jean-François CARON.

Au coeur des profondeurs, aux fleurs d'aigue marine,
Où meurent les clartés d'un infime soleil,
Où la Seille respire aux limes du sommeil,
L'anguille se faufile et glisse, vipérine.

Elle s'enroule, vive et longue silhouette,
Va mêler sa sveltesse à celle des cheveux
Des renoncules d'eau et des plantains nerveux,
Frôlant d'un coup de queue un nid de marouette.

Elle lisse en narcisse un corps serpentiforme,
Ondule au gré de l'onde où se mire un iris,
Repousse vers la rive un radeau d'ibéris
Puis s'échappe où vient boire un saule ombelliforme.


Serge LAURENT

mercredi 5 février 2014

Eloge de la fessée

"Frappez, et on vous ouvrira." Mathieu, VII, 7.

Quelques passages bien sentis à propos de la fessée érotique, geste où se mélangent  jeux, caresses et violence. 

Eloge de la Fessée. Jacques Serguine. Gallimard. 1973.
"Le terme fessée est plus charnel, plus suggestif et gentil, plus sournoisement brûlant que le mot dont il dérive, les fesses, vraiment bien lourd et bien laid, ce terme parait n'être associé, dans et pour l'esprit masculin, et plus simplement adulte, qu'à un certain monde de l'enfance. Ou bien, encore, il peut l'être à une pure perversité, si ce n'est à une perversion, à un penchant libidineux, avec tout ce que ceux-ci impliquent de fléchissant et de sénile, de malsain."  
.../... Plus que la profondeur vertigineuse et préhensile du sexe, il semble que ce soit la convexité même du derrière, sa masse et son équilibre oppressant de rocher dense au dessus du vide qui me restent inaccessibles, à la fois si imminents, de perfection et de présence, réellement comme la voûte du ciel et, réellement toujours comme comme celle ci, lointains, désespérants dans la mesure, ou dans la démesure même où ils arrachent du plus enfoui de moi le cri extrême du sempiternel espoir de l'amour."

Jean Jacques Rousseau. Confessions. La Fessée donnée par Mlle Lambercier.

".../...J'avais trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité qui m'avait laissé plus de désir que de crainte de l'éprouver derechef par la même main. Il est vrai que, comme il se mêlait sans doute à cela quelque instinct précoce du sexe, le même châtiment reçu de son frère ne m'eût point du tout paru plaisant."

:« Qui croirait que ce châtiment d'enfant, reçu à huit ans par la main d'une fille de trente ans, a décidé de mes goûts, de mes désirs, de mes passions, de moi pour le reste de ma vie. » 



.
Bettie Page. Années 50. La grande fessée classique.
Bettie Page. La fessée vintage.
"Au royaume des blondes, cette bombe brune fut bombardée « Miss January 1955 » dans « Playboy ». « Reine des pin-ups », elle devint ensuite, dans des publications clandestines, l’icône espiègle de la fessée et de la cravache, ces deux indispensables accessoires de la culture BDSM (Bondage, Domination, Sadisme & Masochisme) avant de sombrer dans le fondamentalisme religieux et la maladie mentale." 

Paul Sigognac.






L'art de la fessée. Manara & Enard.

'On ne sait pas ce qu'est la fessée. certains y voient une punition enfantine. D'autres une manie ridicule. Mais c'est la meilleure façon de rendre hommage à ce que la femme a de plus noble, de plus délicat, de plus généreux: ses fesses. L'être humain est les seul être vivant doté de fesses. Les animaux ont un cul! Nous, nous avons ces rondeurs arrogantes et adorables qui attirent, saillent et provoquent. Chez la femme elles prennent des courbes délicieuses qui appellent irrésistiblement la main. Je ne connais rien de plus merveilleux que les fesses qui se cabrent sous la main, se roidissent, puis se tendent en appelant le coup suivant. Elles se révoltent et s'offrent 
dans le même mouvement...Fesser un cul de femme, c'est mieux que le baiser. C'est lui faire l'amour tout en observant les effets. Enard. L'art de la fessée.


Georges Brassens "La fessée".

.../...Un tablier d' sapeur, ma moustache, pensez !
Cette comparaison méritait la fessée.
Retroussant l'insolente avec nulle tendresse,
Conscient d'accomplir, somme toute, un devoir,
Mais en fermant les yeux pour ne pas trop en voir,
Paf ! j'abattis sur elle une main vengeresse !

"Aï’ ! vous m'avez fêlé le postérieur en deux !"
Se plaignit-elle, et je baissai le front, piteux,
Craignant avoir frappé de façon trop brutale.
Mais j'appris, par la suite, et j'en fus bien content, 
Que cet état de chose durait depuis longtemps :
Menteuse ! la fêlure était congénitale.

Quand je levai la main pour la deuxième fois,
Le cœur n'y était plus, j'avais perdu la foi,
Surtout qu'elle s'était enquise, la bougresse :
"Avez-vous remarqué que j'avais un beau cul ?
Et ma main vengeresse est retombée, vaincue !
Et le troisième coup ne fut qu'une caresse...

Silence... on tourne ! 

Depuis le premier film des frères Lumière, la fessée a enrichi le patrimoine cinématographique des réalisateurs. Fort en émotions, cet acte qui se veut punitif au départ peut prendre une connotation érotique et servir d'exutoire entre adultes consentants. De John Ford aux frères Cohen en passant par les scénaristes de tous les pays du monde, la tentation d'exposer sur l'écran blanc de nos fantasmes cet acte majeur d'amour a souvent titillé les plus grands partenaires du cinéma populaire, érotique ou X. Je vous propose de revisiter quelques-unes des fessées les plus fameuses tournées au grand vent de l'histoire du cinéma.Silence... on fesse !  
Merci camrafesse !

Luce. La fessée. Un geste attendrissant !


Catherine Cisinski



dimanche 2 février 2014

Plat du jour : le poulpe sauce Daikichi

Poulpe en salade.
C'est dimanche, cuisinons ! Aujourd'hui,  poulpe !

Nettoyer minutieusement le poulpe. Il faut nettoyer chaque ventouse.
Ouvrer le corps, et retirer les viscères ainsi que les 2 mandibules.
Une fois le poulpe nettoyé, le réserver.
Préparer une marmite d'eau salée bouillante.
Piquer le poulpe à l'aide d'une fourchette et le plonger dans l'eau pendant quelques secondes, ensuite le retirer.
Répéter ces opérations trois fois de suite, puis laisser le poulpe cuire entre 30 à 40min, il est cuit une fois que l'on peut le traverser facilement à l'aide d'une fourchette. Blablabla...


Quelques images pour accompagner ce délicat céphalopode.
.
Ozias
Piia Lehti.


 




















Le Poulpe
Jetant son encre vers les cieux, 
Suçant le sang de ce qu’il aime 
Et le trouvant délicieux, 
Ce monstre inhumain, c’est moi-même.

Guillaume Apollinaire. Bestiaire.

Daikichi Amano. Poulpe1.
Le cœur principal du poulpe est relayé par deux petits cœurs branchiaux qui pompent le sang oxygéné par les branchies. Le poulpe a le sang bleu et non rouge comme chez les vertébrés à cause de l'absence d'hémoglobine qui est remplacée par l'hémocyanine.

Daikichi Amano. Poulpe2.
La copulation des poulpes peut durer de une à plusieurs heures. Sécrétées par le pénis interne, les poches de sperme (ou spermatophores) sont acheminées par le siphon vers une gouttière du bras hectocotyle qui servira à les introduire dans la cavité palléale de la femelle.

Daikichi Amano. Poulpe3.
Enfin, le poulpe fait preuve d'une intelligence étonnante pour un invertébré. Elle serait capable de déduction, de mémorisation et d'apprentissage. 
Pour des raisons inexpliquées, il arrive également aux poulpes de disposer des coquillages ou débris autour de leur habitat. Certains comparent ce comportement à une forme de décoration.

Daikichi Amano. Poulpe4.
Entre 2008 et 2010, un poulpe appelé Paul et vivant en captivité dans un aquarium d'Oberhausen (Allemagne) est utilisé pour prédire les résultats des principaux matchs de l'équipe nationale de football allemande. Il crée la sensation à la Coupe du Monde 2010 en désignant systématiquement l'équipe vainqueur, à l'occasion des 7 matchs de l'équipe d'Allemagne et de la finale Pays-Bas - Espagne. Paul le poulpe est mort le 25 octobre 2010.

Daikichi Amano. Poulpe5.
L'animal peut entretenir une relation amicale avec l'homme. Comme certaines murènes, il arrive que certains poulpes tiennent compagnie et même jouent avec des plongeurs lorsqu'ils sont mis en confiance, sans quoi ils se montrent plutôt craintifs.

Encore un petit creux ? alors, séquence cinéma. extrait de Old boy (2003) film sud-coréen réalisé par Park Chan-wook.

Et pour finir, laissez vous manger par le Poulpe :
Hokusai, la femme du pêcheur
«Une Japonaise couverte par une pieuvre ; de ses tentacules, l’horrible bête pompe la pointe des seins, et fouille la bouche, tandis que la tête même boit les parties basses. L’expression presque surhumaine d’angoisse et de douleur qui convulse cette longue figure de pierrot au nez busqué et la joie hystérique qui filtre en même temps de ce front de ces yeux fermés de morte, sont admirables.»
Voici comment, dans les années 1880, Huysmans décrit la fameuse estampe d’Hokusai 'la femme dupêcheur'.


Dans les travailleurs de la mer (1866) , Victor Hugo décrit ainsi l'étreinte du poulpe : «C’est la machine pneumatique qui vous attaque. Vous avez affaire au vide ayant des pattes. Ni coups d’ongles, ni coups de dents ; une scarification indicible. Une morsure est redoutable ; moins qu’une succion. La griffe n’est rien près de la ventouse. La griffe, c’est la bête qui entre dans votre chair ; la ventouse, c’est vous-même qui entrez dans la bête. Vos muscles s’enflent, vos fibres se tordent, votre peau éclate sous une pesée immonde, votre sang jaillit et se mêle affreusement à la lymphe du mollusque. La bête se superpose à vous par mille bouches infâmes ; l’hydre s’incorpore à l’homme ; l’homme s’amalgame à l’hydre. Vous ne faites qu’un. Ce rêve est sur vous. Le tigre ne peut que vous dévorer ; le poulpe, horreur ! vous aspire. Il vous tire à lui et en lui, et, lié, englué, impuissant, vous vous sentez lentement vidé dans cet épouvantable sac, qui est un monstre. Au-delà du terrible, être mangé vivant, il y a l’inexprimable, être bu vivant».


Zak Smith.

Crédits, wikipédia. Entrée: Pieuvre.

jeudi 30 janvier 2014

Nasty critics

Matisse. Pied sur bouse de génisse.
 Il est un sujet 'artistique' sur lequel peu de critiques d'art (dignes de ce nom) s'aventurent. Ce sont les œuvres mineures  des grands artistes. Je parle de ces œuvres que l'on croise dans les musées au détour des couloirs les moins fréquentés, les moins bien mis en valeur. La plupart du temps on passe heureusement sans les remarquer. Ce sont des petits formats, esquisses, ébauches, études ou sujets qui hors du contexte de leur création  ne présentent plus que peu d'intérêt. Ces travaux méritent un large détour. Y porter le regard fait se demander pourquoi ces objets sont là, dans la vitrine de musées nationaux, et qu'est ce qui dans leur facture, et mise à part la notoriété de leur auteur,  les distinguent de croûtes ou de plâtres dont je ne voudrais pas chez moi. 
Matisse. Vaisselle.
Un exemple. Matisse au musée de Grenoble. Un nom illustre, un géant de la peinture. Si l'on connait, on pense bien sûr aux 'aubergines' (cf ill ci-dessous).
Il y a ici pourtant ici dans un couloir une série d'assiettes que je trouve réellement mineures dans l'oeuvre de ce peintre. Pas vilaines, peut être, décoratives, certes, mais sûrement mieux à leur place dans une salle à manger de résidence secondaire cosy, dans la cuisine de Matisse  que dans les couloirs d'un musée national.
Il y a ce pied de bronze aussi. Lourd, peu lisible et détaché de tout contexte. Il évoque pour moi l'écrasage d'une bouse de génisse par un pied nu. 
C'est du Matisse... Bon d'accord. Mais on est bien loin ici des compositions dansantes et des raccourcis fulgurants que j'apprécie tant chez cet artiste. Je me demande même ce qu'il dirait en voyant ces travaux là mis en stèle, sous vitrine, et livrés à l’œil du public pour la postérité.
Matisse. Intérieur aux aubergines. Musée de Grenoble.  Chef d'oeuvre.


Même musée, autre exemple: Picasso.

Picasso, c'est un must pour tout musée. ça tombe bien, le maître a beaucoup produit. Trop même peut être. Par exemple,  je ne suis pas intimement persuadé que les trois statuettes de bronze présentées ci -contre soient un coup de maître...
Comprenez moi bien, je ne suis pas ici dans le "j'aime,/j'aime pas", mais dans la reconnaissance de ce que nous devons aux maîtres que j'essaie de débrouiller de l'idolâtrie qui est vouée à leur notoriété. Donner à admirer des œuvres qui ne sont pas admirables  me paraît toucher à l'ignorance (de ce qui est grand);  à la supercherie  (des canons sans intérêt)  et tend à encombrer les musées où trop de chefs d’œuvres contemporains (ou anciens) sont absents.
Picasso. Femme lisant. Musée de Grenoble. Une grande oeuvre.


Autre lieu de l'art moderne,  également peu visité par les critiques : le rayon encadrement et décoration de Castorama (ou Alinéa) .
Ici le choix des œuvres est fonction de leur taux de rotation dans le rayon. 
Les tableaux doivent donc plaire au plus grand nombre des consommateurs de ces magasins (soit beaucoup de monde comme vous et moi).  Les sujets sont neutres, zen ou trendy, et surtout sans volonté de choquer, de questionner. On baigne dans le consensuel. On trouve des fleurs (beaucoup), des villes sous la pluie ou dans la nuit, des guitares électriques (branché !) ou quelques chats plus ou moins rock. Les techniques picturales empruntent à la peinture du XXème siècle et même aux techniques mixtes des collages modernes (présence de boutons, de traînées de colle, d'éléments d'affiches arrachées) parfois quelques mots incompréhensibles jetés ça et là plantent le décor qui se veut 'moderne'. Voilà donc de quoi décorer un pan de mur entier, dans un esprit passe partout qui frôle le bon goût (enfin, mon mien), sans jamais y tomber. Excellent rapport qualité prix puisque ces images de grandes surfaces qui dépassent pour la plupart le 40x50cm sont proposées pour moins de cent Euros et se voient de loin. L'art devient un revêtement mural à l'instar de ceux que proposent les rayons peinture, moquette ou papier peint. Vides d'émotion, lavées à la machine, ces images livrent un message absent ou neutre, et dans le meilleur des cas se risquent à l'humour. Leur finalité , dans tous les sens du terme, est de meubler.





















Bref, l'art qui décoiffe et qui parle n'est pas toujours dans les musées et ne se vend pas en grandes surfaces. J'aime être surpris par l'oeuvre d'artistes inconnus. Plus encore j'aime les rencontrer les artistes outsiders tout en souhaitant les voir plus tard copiés dans leur style et exposés dans les musées.
A bientôt,
Ozias

vendredi 24 janvier 2014

Un bon mal

Je vais bien, tout va bien. Oui, et ça arrange tout le monde, ou presque.

Les médecins d'abord. Eux, ils veulent guérir la maladie, un point c'est tout. Pour ça, ils sont irremplaçables. Par contre, pas question pour eux d'admettre que le foie ça fait mal, ou que les nausées puissent être dues à un foie qu'ils ont soigné, pardon, qu'ils ont guéri. 
Tout ça me fait penser au garagiste à qui je veux faire entendre un bruit qui siffle au freinage de ma voiture. Sourdingue. "Ah si, peut être...mais alors, c'est le turbo de filtre à air qui siffle un peu, ça" .. En tout cas,  impossible ,que ça vienne des plaquettes de freins qu'il vient de changer. Non, c'est pas chez lui !
Des douleurs, c'est pareil. Possible peut être, mais alors, c'est pas le foie. Ah non, pas ça ! "Le foie ça ne fait pas mal".  Un foie, c'est comme un ministre " ça ferme sa gueule ou ça se transplante" . Et puis, vu tout ce qui traîne autour du foie, il y a forcément d'autres organes, dans le coup,  et c'est sûrement de ce côté là qu'il faudrait voir. Le ressenti, les notes du patient , n'ont pas de valeur, pas d'importance. Le diagnostic  appartient à la médecine, et même les erreurs de diagnostic. Il ne manquerait plus que les malades se mêlent de leur maladie. Ni auto diagnostic , ni suivi perso ! Non mais !

"Ah ! Tu as bien meilleure mine que l'autre fois !".
Je me sens pourtant bien à plat alors, qu'est ce que ça devait être l'autre fois !...  Pour mon entourage, enfin, pour ceux qui me connaissent moins, ça n'est pas la maladie qui fatigue. Non. Un foie même bien entamé, ça ne doit pas faire de différence. 
Eux aussi sont fatigués, dorment mal, trop ou pas assez, manquent de concentration. On m'envierait presque de perdre 20 kilos sans régime ni efforts. Si je suis fatigué c'est parce-que je vieillis, comme tout le monde. Quand je dis que je faisais infiniment plus de choses il y a deux ans, et sans fatigue, on me rappelle que c'est normal parce-que en deux ans j'ai vieilli, et que justement, c'est parce-que j'en ai trop fait avant qu'aujourd'hui je suis fatigué. Je ne fais que payer mon hyperactivité passée ! Je comprends bien que je ne dois m'en prendre qu'à moi même qui me suis usé prématurément et que je me plains sans raison.
A part ça,ça va. Juste un petit coup de barre, bien normal à cause de la saison, du mauvais temps, ou parce que je n'ai pas assez le moral. Bref, je suis prévenu, tout ça c'est dans la tête et d'ailleurs tout le monde a ses soucis de santé. Et même si tout le monde les raconte, ses soucis, et bien personne ne se plaint pour autant. Quand même ! 
Moralité :  on n'a jamais mal aux autres.


Santé !

Ozias

mercredi 22 janvier 2014

Opium... poison de rêve

Jean Cocteau. Opium. journal d'une désintoxication.
Aujourd'hui encore l'opium continue à fasciner. Le mot "Opium" évoque et cristallise à lui seul un monde d'aventures et de romantisme sombre. 
L'opium est un don du ciel. Le 'papaver somniferum' est  connu pour le traitement efficace de diverses maladies (asthme, dysenterie, malaria), comme pour sa faculté de soulager la douleur et celle de procurer l'ivresse thébaïque.
 "La science ne sait pas désunir les principes curatifs et destructeurs de l'opium".
L'euphorie, qui suit la consommation de l'opium repose avant tout sur l'effet des alcaloïdes dont les plus importants sont la morphine (10-14%), la codéïne, la narcéine..

 L'opium donne accès à un monde intérieur intemporel, fonctionnant profondément par associations, où la réalité et le rêve se fondent dans une expérience à la fois lucide et très intérieure.
Dans son mode de consommation  "L'opium est à l'opposé de la seringue Pravaz. Il rassure. Il rassure par son luxe, par ses rites, par l'élégance anti-médicale des lampes, fourneaux, pipes, par le mise au point séculaire de cet empoisonnement exquis." Jean Cocteau. Opium.

Aussi, indispensable à tout fumeur : Une cassolettes servant à épaissir l'opium liquide, la burette remplie d'huile afin d'alimenter le réservoir de la lampe. La lampe à opium, pour faire grésiller la boulette sur la flamme, un cache lampe, pour tamiser l'éclairage, les billots à arrondir l'opium et les aiguilles pour façonner la boulette et la présenter à la flamme sur l'entrée du fourneau, des ciseaux, des pincettes et autres objets servant à régler la hauteur de la flamme. Enfin, un grattoir, pour nettoyer fourneaux et aiguilles ainsi que la boîte à dross (pour récupérer le résidu recyclable de la première combustion). 
Nécessaire de voyage.  Fin du XIXème (Louis Vuitton ?)

Londres 1821, voici comment Thomas de Quincey, mangeur d'opium et écrivain nous décrit son expérience . 
"La nuit, lorsque je reposais dans mon lit sans dormir, de vastes processions défilaient avec une pompe lugubre, frises d'histoires interminables que je ressentais comme aussi tristes et aussi solennelles que si elles eussent été tirées des temps d'avant Oedipe et Priam. - d'avant Tyr- d'avant Memphis. A cette même époque, un changement correspondant se fit dans mes rêves : il semblait qu'un théâtre se fût soudain ouvert et illuminé dans mon cerveau, offrant chaque nuit des spectacles d'une splendeur plus que terrestre.
.../... "A mes architectures succédèrent des rêves de lacs et d'étendues d'eau argentées.../...[puis] les eaux changèrent de caractère: de lacs transparents qu'elles étaient, brillants comme des miroirs elles devinrent des océans et des mers. Alors se produisit un terrible changement, qui, se déroulant lentement comme un parchemin, pendant de longs mois, me promit une torture permanente; et en effet, elle ne me quitta plus que mon cas ne fût résolu. Jusqu'alors la face humaine avait été souvent mêlée à mes rêves, mais non de manière despotique ni sans aucun pouvoir spécial de me tourmenter..../... Sur les eaux mouvantes de l'océan commença à se montrer le visage de l'homme ! la mer m'apparut pavée d'innombrables têtes tournées vers le ciel. : des visages furieux, suppliants, désespérés, se mirent à danser à la surface, par milliers, par myriades, par générations, par siècles  ...
Thomas de Quincey. Confessions d'un mangeur d'opium.1821.

Et voici la description - bien différente -  qu'en fait Jean Cocteau dans Opium, le journal de sa désintoxication. Oeuvre géniale d'art thérapie écrit en 1928 à l'hôpital de Saint Cloud . 
"Il faudrait en finir avec la légende des visions de l'opium. L'opium alimente un demi-rêve. Il endort le sensible, exalte le cœur et allège l'esprit".
"Après avoir fumé, le corps pense..../..Le corps songe, le corps floconne, le corps vole. 
Le fumeur embaumé vivant".
"Le fumeur monte lentement comme une montgolfière et retombe lentement sur une lune morte dont la faible attraction l'empêche de partir".
"L'opium permet de donner forme à l'informe; il empêche hélas ! de communiquer ce privilège à autrui".
"Je ne suis pas un désintoxiqué fier de son effort. J'ai honte d'être chassé de ce monde auprès duquel la santé ressemble aux films ignobles où des ministres inaugurent une statue "
Jean Cocteau. Opium. 1928.



L'espace et le temps se dissolvent
Dans les cavernes des esprits
La peine et la joie s'évanouissent
Au rivage de nos îles fortunées

Jin Ping Mei (XVIIème siècle)

Enfin, pour finir en chanson, un bijou de la coloniale du temps de l'Indochine: "Opium, poison de rêve". 
      

Faites de beaux rêves...
Ozias

Crédits
Opium. Art et histoire d'un rituel perdu. F.M.Bertholet. Fonds Mercator.
Les confessions d'un opiomane anglais. Thomas de Quincey.
Opium. Journal d'une désintoxication. Jean Cocteau. 1928.

Addendum : fumeur d'opium 1906.