mercredi 13 janvier 2016

Fellations


Tomi Ungerer
Au XIXe siècle, la fellation a fait son apparition dans la littérature française. Tout un sombre imaginaire s'est alors développé autour de cette caresse associée aux délices funèbres d’une exécution.
En 1899 Félix Faure s' éteint entre les lèvres de sa maîtresse, révélant, en cette queue de siècle, le rôle symbolique et criminel de la fellation. Et Clémenceau d’accréditer le pouvoir dissolvant de la caresse en déclarant en sus de cette épectase : “Il voulait être César, il ne fut que Pompée“. Le caractère grivois de l’attaque n’aura échappé à personne si l’on se souvient qu’à l’époque, le tout-Paris avait surnommé Marguerite Steinheil (la dernière amie du président) la “Pompe Funèbre“ »… 
A la même époque, beaucoup des clients de bordels demandent aux prostituées l’option «pompoir» [ou glougloutage du poireau]  et Huysmans se plait à décrire la «bouche spoliatrice» de ces «gouges» qui attendent le client avec des yeux de mourante galvanisée. Elles font peur. Elles fascinent.
Si l'on en croit Ian Geay, qui publie sur le sujet vingt pages de haute voltige, dans la très érudite et décadente «revue finissante» Amer , la fellation mortelle du Président condense toutes les angoisses viriles de ce XIXe siècle finissant… «La crise d’apoplexie, qui frappe Félix Faure, illustre, pour ses contemporains, le rôle destructeur de la femme dans le champ de la politique»
Pour Ian Geay, le plaisir oral va en effet bien au-delà de ce que l’on appelle vulgairement, une mise en bouche. C’est tout le contraire d’un «préliminaire ». C’est le début de la fin. Pourquoi ? Parce que la bouche est un orifice stérile. Lorsqu’une femme suce, elle se soustrait à l’ordre qui veut que sexe = reproduction. La fellation, c’est le plaisir sans procréation. 
Pire encore : avec la fellation, le plaisir pris entre les dents d’un carnassier. «L’oralité, en d’autres termes l’accès des femmes à la parole, est accusée d’encourager l’Anarchie au détriment de la hiérarchie et de l’ordre patriarcal représentés par la République et son chef d’état, explique Ian Geay. Mais la fellation est aussi devenue, au cours du dix-neuvième siècle, un thème littéraire à part entière, à travers notamment la dérivation cannibalique de l’oralité».
La femme qui suce est une goule inquiétante. Par elle, l’homme perd ses fluides. Ce qui explique peut-être pourquoi le thème du vampire en littérature prend si souvent la forme à peine déguisée d’une caresse buccale délétère… Ian Geay souligne qu'à cette époque «le succès du thème vampirique qui n’aura trompé personne quant à sa dimension sexuelle. Révélatrice des angoisses de castration des artistes et des littérateurs de l’époque, la fellation n’est pourtant pas seulement un avatar de ce que la psychanalyse appellera quelques années plus tard le premier stade du sadisme infantile, le sadisme oral». Pour Ian Geay, c’est aussi «une atteinte au système de reproduction sur lequel se fige la dichotomie des sexes».
"Par nature la fellation est duale et demeure ambiguë.../...dans le mouvement qu'elle opère entre le haut et le bas. Sur l'axe de la verticalité, les deux corps en lutte s'affrontent sur un territoire aux zones frontalières parfaitement délimitées : la partie haute est celle de la cérébralité et la partie basse dévolue au sexe. La fellation s'accompagne d'un double trajet qui rend le geste ambigu."
.../..."La fellation entraîne tantôt l'acéphalisation [submergé de plaisir, le pompé perd la tête], tantôt la stricte intellection [trop cérébralisé le plaisir ne parvient plus à son terme], c'est à dire la castration. Nous passerions dès lors de celle qui subit la pénétration orale à celle qui parvient à s'extraire de la soumission dans laquelle l'irrumé la place pour devenir la fellatrice, celle qui ensorcelle l'homme qui risque de s'abandonner et de perdre la tête !
La femme s'abaisse pour triompher alors que l'homme s'élève pour s'abîmer. La fellation, c'est le triomphe des parties basses sur le reste du corps, la victoire des instincts primaires et contre-productifs au détriment de l'amour et de la reproduction
."

Voilà. Vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas.
Oz
Sources : 
Agnès Giard http://sexes.blogs.liberation.fr/2016/01/05/fellation-le-baiser-de-la-pieuvre/
Voir aussi dans ce blog : http://emagicworkshop.blogspot.fr/2014/02/plat-du-jour-le-poulpe-sauce-daikichi.html


Plus près de nous, un remarquable texte de Alain Fleisher extrait de son roman 'L'amant en culottes courtes'  paru au Seuil en 2006.
« Lentement Barbara avait commencé à s’effacer, à descendre, à disparaître, son visage n’était plus devant moi, j’avais perdu son regard, ses lèvres, il n’y avait plus rien à regarder que la cloison de bois face à moi, dans l’obscurité envahissante. Barbara me laissait seul, elle m’abandonnait, elle ne me laissait rien d’elle, rien que j’aurais pu encore tenir dans mes bras ou dans mes mains, caresser, enlacer, embrasser. Elle s’était soustraite, accroupie devant ce qu’elle avait appelé prick, ou cock, la nuit de la première fois, qu’elle venait de tirer des vêtements et qu’elle tenait dans ces doigts.
Bientôt, en cette partie-là de mon corps que je sentais exposée, vulnérable, alors que ma situation me semblait à la fois indécente et ridicule, culotte courte aux genoux, une douceur inconnue, indescriptible, m’a enveloppé. Je n’avais pas tardé à identifier la figure et le but de la posture- un classique, en somme, dans l’imagerie colportée par les garçons sur ce à quoi ils peuvent faire consentir les filles, ou à quoi les plus vantards et les plus brutaux prétendront les contraindre, surtout à cette époque où cela pouvait pallier l’acte sexuel principal, auquel certaines résistaient par peur des conséquences - , mais ce que je ressentais dans l’obscurité, sans chercher à rien voir, ne correspondait à rien, ni aux descriptions grossières des apprentis sorciers ni aux anticipations de l’imagination. 
Magritte
C’était une douceur encore différente de celle, extrême, que j’avais découverte entre les cuisses de Barbara deux nuits plus tôt, une douceur plus animée, plus active, plus attentive, plus variée, plus changeante, à la limite du supportable. C’était aussi comme le mouvement d’un récit, une douceur qui serait celle de quelque chose que l’on raconte à mi-voix, un secret, la douceur qui se décrirait elle-même, qui raconterait sa propre origine, son objet, son objectif, une douceur vivante et chaude, animée et discrète comme celle d’une parole murmurée, presque silencieuse.  Je n’avais pas soupçonné que cela pût être ainsi, d’une telle douceur, d’une telle générosité, délivrant une telle volupté…./…
Wim Delwoye
 Dans son entreprise, Barbara se montrait hardie, résolue, obstinée, inlassable : un de ces ouvrages dont seules les femmes ont la patience, et dont elles seules ont le secret. Dans ma passivité, je ne poursuivais aucune fin, cela pouvait durer indéfiniment, un délice permanent auquel aucun terme n’était fixé par aucun excès à atteindre, par aucun dépassement, aucun au-delà de ce même plaisir. L’état voluptueux était constant, la vibration intense d’un point fixe, en suspens, mais il m’était offert, imposé, je ne pouvais m’y dérober, j’en étais prisonnier comme on peut l’être, à l’opposé, d’une souffrance. Je ne poursuivais rien, aucun but, aucune issue, cela  tombait sur moi, m’enrobait, m’enveloppait, me tétanisait sur place. L’histoire qui m’était racontée pouvait durer, se répéter, recommencer sans jamais s’achever, son mouvement me grisait mais il ne m’emportait nulle part : j’étais sous l’empire d’un charme envoûtant, paralysant. Pourtant, comme je l’avais rêvé quelques heures plus tôt, pendant le déjeuner, j’étais dans cette bouche, prêt à être doucement mâché, dégluti, avalé, englouti là, dans le corps de Barbara par ses lèvres, sa langue, son palais, la face interne de ses joues. Cette offrande qu’elle me servait à genoux me semblait à la fois disproportionnée et incomplète, bouleversante et frustrante car, dans l’excès de ce qu’elle me donnait, elle me privait d’elle-même. Dans ce qu’elle m’offrait, Barbara se soustrayait à moi, elle s’était retirée pour me l’offrir. Il y avait de la gêne  et de la privation dans mon ravissement. Barbara m’exposait et me manquait. 
Il y avait au centre de mon corps, la concentration d’une présence trop forte et, face à moi, contre le reste de mon corps et entre mes bras, une absence, un manque, la douleur d’une séparation. Sans doute me montrais-je impassible. Surpris, comme médusé, je ne manifestais ni encouragement ni reconnaissance. Je me laissais faire et je m’abandonnais au plaisir, mais j’avais hâte aussi que cela cesse, que Barbara se relève, qu’elle revienne auprès de moi, là où je l’attendais. Elle ne voulait rien savoir de cette attente, en moi, d’autre chose que ce qu’elle me promettait au bout de l’histoire dont ses lèvres, et sa langue, et sa bouche déroulaient le fil. Elle voulait aller jusqu’au bout de ce qu’elle avait commencé à me dire, à me raconter. Et, par moments, la parole en effet se pressait sur ses lèvres, parmi la salive : elle libérait sa bouche- je me sentais moi-même sur le point d’être libéré – juste le temps de faire entendre un mot, dans un souffle : « Please ... » Je ne savais ce qu’elle me demandait, ce qu’elle voulait dire avec ce mot, un des premiers que l’on apprend parmi les formules de politesse de la langue anglaise. Je ne savais ce qu’elle espérait, ce qu’elle me réclamait, ou ce qu’elle me suppliait d’accepter. Je ne savais ce qu’appelait la douceur de cette plainte, la sonorité de ces syllabes elles même si proches du plaisir auquel elles semblaient conduire, et dont elles appelaient l’accueil, le consentement. Sans doute fallait-il comprendre quelque chose dont la périphrase eût été : ' Accorde moi ce plaisir que je veux te donner. ' C’est-à-dire, tout simplement : ' S’il te plaît…'  »

mercredi 6 janvier 2016

Inquiétante étrangeté

L’inquiétante étrangeté, c’est quand l’intime surgit à nous comme étranger, inconnu, au point d’en être effrayant.  L’inquiétante étrangeté, c'est 'ce qui n'appartient pas à la maison et pourtant y demeure'.

Historiquement l'inquiétante étrangeté (Das Unheimliche en allemand) est un un essai de Sigmund Freud publié en 1919.
En allemand  Heimlich évoque ce qui est familier intime mais aussi ce qui est secret et qui donc peut devenir effrayant. Le terme composé Unheimlich , antonyme de Heimlich, qui désigne justement ce qui est à la fois effrayant et familier montre bien la pluralité de sens et l’ambiguïté de ce mot traduit en français par 'inquiétante étrangeté'.
Unheimlich est un terme très présent dans la littérature romantique allemande du XIXème siècle.  En 1906 Ernst Jentsch a déjà étudié ces situations où "l'on doute qu'un être apparemment vivant ait une âme, ou bien à l'inverse, si un objet non vivant n'aurait pas par hasard une âme". Il se réfère à ce propos à l'impression que produisent des personnages de cire, des poupées artificielles, des automates. On pense ici au ver de Lamartine 'objets inanimés, avez vous donc une âme'.
Pour Freud le paradigme littéraire  de l'inquiétante étrangeté est le conte de "l'homme au sable" écrit par ETA Hoffmann, conte réaliste fantastique paru en 1816 dans le recueil des 'contes nocturnes' . Freud note que "L'auteur [ETA Hoffmann] produit en nous une sorte d'incertitude ne nous permettant pas de deviner s'il va nous introduire dans un monde réel ou dans un monde fantastique de son choix(242).../...
Dans son essai éponyme Freud liste les situations susceptibles de provoquer ce sentiment:
-doute qu’un être en apparence animé ne soit vivant et, inversement, qu’un objet sans vie ne soit animé (mannequins, automates) ;
-fausse reconnaissance d’un autre ;
-terreur et sidération devant certains récits (cf L'homme au sable)
-idée d’un double. 
-répétition de situations semblables qui provoque un effet proche de certains états oniriques 
-sentiment de déjà vécu.
Parmi les motifs producteurs d'inquiétante étrangeté on remarque le motif du double, dans toutes ses gradations et spécifications.../... de l'identification à une autre personne, de sorte que l'on ne sait plus à quoi s'en tenir quant au moi propre, ou qu'on met le moi étranger à la place du moi propre- donc dédoublement du moi, division du moi, permutation du moi -, et enfin du retour permanent du même, de la répétition des mêmes traits de visage, caractères, destins, actes criminels, voire des noms à travers plusieurs générations successives.(246)".
Ou encore pour le facteur de répétition comme source d'inquiétante étrangeté  :
"Un jour que je flânais dans des rues inconnues et désertes d'une petite ville italienne, je tombai par hasard dans une zone sur le caractère de laquelle je ne pus rester longtemps dans le doute. Aux fenêtres des petites maisons, on ne pouvait voir que des femmes fardées, et je me hâtai de quitter la ruelle au premier croisement. Mais après avoir erré pendant un moment sans guide, je me retrouvai soudain dans la même rue où je commençai à susciter quelque curiosité, et mon éloignement hâtif eut pour seil effet de m'y reconduire une troisième fois par un nouveau détour. Mais je fus alors saisi d'un sentiment que je peux que qualifier d'unheimlich (249)'"
Freud mentionne «que l'inquiétante étrangeté [survient] souvent et aisément chaque fois où les limites entre imagination et réalité s'effacent, où ce que nous avions tenu pour fantastique s'offre à nous comme réel». 
Pour lui, l'inquiétante étrangeté serait un phénomène angoissant mais distinct de l'angoisse qui se rattache aux choses connues depuis longtemps, et de tout temps familières,  mais qui ont un caractère d’intimité, de secret
Finalement l'Inquiétante étrangeté' peut faire naître un malaise mais  parfois aussi l’enchantement.

Gregory Crewdson. Sunday's roast. 2005
Duane Hanson: Man on Mower, 1995
Gregory Crewdson: Untitled (Brief Encounter), 2006
Voir également :

mercredi 30 décembre 2015

The Raven (le corbeau)

Qui sommes-nous ? Qui suis-je ? Qu’est-ce qui me pousse à faire ce que je ne devrais pas ? Qu’est-ce qui attire irrésistiblement vers le « mauvais côté » ? D’où viennent les forces d’auto-destruction ? Et le fatal désir pour ce qu’on ne peut avoir…
C'est toute la thématique de 'the Raven' (le corbeau), album concept (2003) de Lou Reed écrit en hommage à Edgard Poe  et illustré au pastel et crayon de couleur en 2009 par Lorenzo Mattotti .







samedi 19 décembre 2015

La comédie humaine du travail


Bienvenue dans la batterie 37B. A partir d'aujourd'hui, votre challenge personnel est de devenir le meilleur club-sandwich poulet/crudités/mayonnaise jamais vendu dans une station-service d'autoroute. (Voutch)

La comédie humaine du travail, titre du dernier livre de la sociologue Danièle Linhart. 
Danièle Linhart constate qu'en dépit des apparences, la sur-humanisation du travail en entreprise (numéro vert psy, coaches, lutte contre le stress, massages, conciergerie...) présente de multiples points communs avec l'organisation déshumanisante du taylorisme et du fordisme qui a mis les travailleurs à la chaîne au nom d'une organisation scientifique  où le consensus est présenté comme une évidence et profitant à tous.

Le discours managérial actuel le répète en boucle : 'la priorité c'est l'humain'. On voit bien que ce que recherchent aujourd'hui les entreprises n'est plus tant des compétences et des connaissances professionnelles que de la confiance et du don de soi à l'état brut. Les managers préfèrent s'adresser à des ressources humaines plutôt que professionnelles. Les qualités telles que le 'savoir être', 'l'agilité, la 'flexibilité' (synonymes d'allégeance et de soumission) sont de plus en plus privilégiées. 
En même temps le travail, se 'procédurise' de plus en plus, et le phénomène du "process" s'est étendu aux cadres et aux professions intellectuelles tout en continuant à vider le travail de sa substance, de son sens. En conséquence, les directions mettent en place des politiques de ressources humaines destinées à redonner au travail le sens dont il est vidé mais surtout ajuster et conformer la ressource humaine aux choix organisationnels effectués par les directions d'entreprises.

D'autre part,  en évaluant constamment les salariés sur la base de critères qui évoluent sans cesse et qui sont établis unilatéralement par la direction et le management, le travail moderne précarise subjectivement les salariés.  Comme tout change tout le temps [par une production d'amnésie voulue]les salariés ne peuvent se fier à l'expérience qu'ils ont acquise, aux compétences qu'ils se sont forgées. Ils doivent s'en remettre aux indicateurs, aux procédures, aux 'bonnes pratiques' sans cesse renouvelées qui sont censées adapter le travail à un environnement organisationnel incertain et fluctuant. 
Pour arranger le tout, depuis les années 80' et la disparition des 'collectifs',  le salarié se trouve tout seul face à une hiérarchie solidement constituée. De plus l'individualisation des tâches et des rémunérations encourage chacun à cultiver son autonomie, sa liberté et sa créativité pour un pouvoir qui renforce sa dépendance, sa soumission et son conformisme. 
Dans notre société où l'épanouissement dans le travail est une injonction libérale, quand le travail se passe mal, c'est toute la personne qui s'engage et qui souffre. Cette dépendance décuple le levier dont dispose les ressources humaines pour obliger les individus à se conformer aux demandes d'une organisation sans laquelle il n'est plus rien (cf article précédent sur l'évaluation).

Finalement la prise en compte des besoins humains redonne leurs lettres de noblesse aux entreprises. Elles apparaissent ainsi  légitimes et bienfaitrices alors même qu'elles s'en prennent à la professionnalité de leurs salariés. Stratégie gagnante car il est bien difficile de critiquer les dimensions humaines qu'elles mettent en exergue.

Il faut bien comprendre que les employeurs ont à affronter plusieurs défis quand ils mettent les individus au travail : ils ont à trouver l'organisation technique du travail la plus efficace de de leur point de vue; ils ont également à trouver des modalités par lesquelles ils pourront obliger les individus à se conformer aux impératifs de cette organisation technique du travail.; ils ont enfin à légitimer idéologiquement leurs choix (p12).
Pas étonnant alors les entreprises fassent tout leur possible pour arracher la confiance de leurs salariés sans jamais aller jusqu'à leur faire confiance.

Voir aussi : 
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2015/11/evaluations.html
http://emagicworkshop.blogspot.fr/2015/05/au-travail.html
http://www.lesoir.be/1137303/article/debats/cartes-blanches/2016-03-01/neoliberalisme-est-un-fascisme

http://2ccr.unblog.fr/2016/03/06/halte-aux-methodes-du-neomanagement/
https://www.bastamag.net/La-dictature-du-changement-perpetuel-est-le-nouvel-instrument-de-soumission-des 

Article à lire ! 
https://www.liberation.fr/debats/2019/04/24/sylvaine-perragin-l-obligation-d-etre-heureux-au-travail-fera-bientot-partie-des-objectifs-a-atteind_1723161
à voir
https://solidaires-isere.fr/2019/04/28/grenwashing-grenoble-capitale-du-capitalisme-vert-ueux/
Les coachs de vie sont des usurpateurs

dimanche 6 décembre 2015

La fin de Michel Foucault

Le philosophe Michel Foucault, est mort du Sida le 25 Juin 1984.
Dans son dernier cours 'le courage de la vérité' Michel Foucault étudie les formes de production de la vérité, les actes par lesquels la vérité se manifeste et les risques de la parole. Un sujet qui le touchait sans doute de près puisqu'à la même époque le sida dont il était atteint commençait à devenir un fléau, une évidence, un scandale.


Comment Michel Foucault a-t-il réagi au sida? Voici ce que nous dit Daniel Defert qui était alors son compagnon 
"Jusqu'à fin 1983, on n'a jamais soupçonné que c'était cette maladie-là étant donné que la description de cette maladie était rare et essentiellement axée sur le Kaposi [cancer de la peau]. Michel n'a jamais eu de Kaposi. Associer une maladie qu'on présente mortelle et stigmatisante et la sinusite persistante dont il souffrait, on n'y pense pas. Il ne faut pas aussi qu'on associe systématiquement homosexualité et sida, il faut qu'on recherche d'autres pistes, donc les médecins hésitent beaucoup. Ce n'est que fin décembre 1983 qu'ils disent que ça peut être ça, mais ils ne sont pas prêts à lui proposer le diagnostic. 

Début 1984, Michel a été remis sur pied par l'antibiotique Bactrim contre un début de pneumocystose. Il a repris son cours au Collège de France. Il était convaincu que ce n'était pas le sida puisqu'il arrivait à faire tout cela. Pourtant je pense que Michel le savait, il en avait parlé à quelques personnes, il ne m'en a pas parlé, pour ne pas m'affoler. Son médecin, Odile Picard, m'avait dit: «Si ça avait été ça je vous aurais examiné». Ça m'a rassuré et j'en ai parlé à Michel qui au contraire était paniqué parce qu'il a pensé à ce moment-là que je pouvais être contaminé.
Un dimanche, Michel a eu une syncope à la maison. Je n'arrive pas à joindre ses médecins traitants. Le lundi, on retrouve les médecins traitants. Bientôt, l'hôpital de quartier n'a de cesse que de se débarrasser de ce malade encombrant, et il est prévu qu'il soit transféré à la Salpêtrière. Manifestement, ses médecins s'étaient arrangés pour que Michel ne soit pas hospitalisé dans un service trop marqué «sida». Ils écartent l'hôpital Claude-Bernard et le service où était Willy Rozenbaum. On arrive à la Salpêtrière le jour de la Pentecôte. On reste coincés dans le couloir. On nous dit tout d'abord : «La chambre n'est pas prête, on ne vous attendait que le soir.» On me fait remarquer qu'il n'était même pas enregistré.
Je me rends à l'accueil. Au retour, une nouvelle surveillante m'accueille, aimable, s'excusant, disant que la chambre n'était pas prête, mais que tout allait s'arranger. Finalement Michel est installé dans une chambre confortable. Peu après, j'entends un médecin interroger une infirmière : «Est-ce que la chambre a bien été désinfectée ?» Je crois comprendre que la réponse est négative, qu'on avait manqué de temps. Peut-être deux jours après, Michel a une infection pulmonaire, l'hypothèse circule dans le service qu'il a pu être infecté à l'hôpital. Il est transféré en soins intensifs. 

On voit bien un mode de fonctionnement, une surveillante qui ne sait pas dire que la chambre n'est pas désinfectée et qu'il fallait seulement attendre, puis une autre qui avait appris, dans l'intervalle, que c'était Michel Foucault. On peut supposer que le chef de service avait été prévenu et, au bout du compte, Michel est installé trop vite dans la chambre, tout cela en raison de politesses hiérarchiques. C'est tout le jeu des rapports de pouvoir dans un service hospitalier et tout le jeu des rapports de vérité

 Michel Foucault meurt le 25 juin.
"Après le décès, on me demande d'aller à l'état civil de la Salpêtrière. La personne en charge est assez agacée. «Ecoutez, les journalistes nous harcèlent depuis plusieurs jours pour avoir un diagnostic et savoir si c'est le sida. Il faut faire un communiqué.» .../...
Sur le bulletin d'admission de Michel, je vois : «Cause du décès : sida.» Je demande à son médecin (Odile Picard): «Mais qu'est-ce que cela veut dire ?» Elle me répond : «Rassurez-vous, cela disparaîtra, il n'y en aura pas de traces.» «Mais attendez, ce n'est pas le problème.» Et là, violemment, je découvre la réalité sida : faire semblant dans l'impensable social.

C'est à partir des malentendus, des mensonges, des prises de pouvoir médicales et politiques, et plus généralement des hypocrisies autour de ce décès à l'hôpital Pitié-Salpêtrière, que Daniel Defert allait décider de faire de son deuil une «lutte». En créant, en décembre 1984, l'association Aides, qui allait bouleverser le paysage, non seulement de l'épidémie de VIH en France, mais aussi celui de la santé.

.../...Un savoir qui n’est pas transgressif est un savoir qui répond à l’attente de l’autre, qui répond à l’attente répressive, et justement, quand on est amené à parler d’homosexualité, de prostitution, de toxicomanie, de transsexualité, nous sommes amenés à tenir des discours transgressifs et à faire entrer dans le champ du savoir, de l’expérience collective des choses transgressives. On n’a pas forcément à affirmer une identité, mais à affirmer une expérience, un savoir, une parole transgressive. Ce que Foucault nous a légué, c’est effectivement la prise de parole des gens exclus de la parole et de leur donner la forme d’un savoir transgressif qui doit fonctionner comme contre-pouvoir..../... 

vendredi 27 novembre 2015

Fait d'hiver


Dimanche après midi, le ciel était gris.  Je prends la voiture pour aller en ville et je décide de passer par les champs de maïs pour photographier un épouvantail à corbeaux  (corbac mort qui pourrit pendu à un piquet planté dans un champ pour dissuader ses congénères). Hélas et heureusement,  la dépouille n'était finalement  qu'un vulgaire  plastique noir sur un piquet (photo1).  Comme quoi, les traditions se perdent et ma vue baisse !
Au bout du champ,  une troupe de chasseurs du dimanche  traquait la galinette cendrée...

Il était près de 15h57 quand soudain, 200m  plus loin, là où le chemin agricole  longe l'autoroute, une poule faisane traverse la chaussée . Comme l'appareil photo était à portée de main,  et que l'oiseau ne courait pas vite, je m'arrête pour le photographier. La faisane grimpe alors le talus qui atteint l'autoroute. Je la suis. 
Et là, c'est le drame ! Une auto, et le bruit d'un choc suivi de plumes qui volent (photo2).  
Je n'ai plus qu'à me baisser pour récupérer ma proie tuée net,  toute chaude sur le bas côté de la route (photo3) et lui rendre les honneurs d'une belle faim (photo 4 et5).








mercredi 18 novembre 2015

Evaluations

Ecole, travail, Internet... Que nous soyons en position d'évalué ou d'évaluateur, impossible aujourd'hui d'échapper aux notes, évaluations, rankings et benchmarks.


L'idéologie de l'évaluation qui s'affiche sous la bannière de l'égalitarisme et de la méritocratie est en fait l'opposé du paradigme de l'émancipation. L'évaluation du travail est une pratique mortifère  qui modifie la nature du sujet et la définition de son travail pour établir une note. 
L'évaluation calibre, détruit la singularité, l'irremplaçabilité du travailleur. Aucune forme de capitalisation n'est alors possible pour le travailleur, dans la mesure où pour capitaliser il faut revendiquer une propriété intellectuelle, un droit d'auteur, un "nom". Faire disparaître l'individu derrière un chiffre permet simplement d'usurper son dû.

L'évaluation produit de la servitude volontaire , car elle s'assimile à un processus de formation du sujet. Aucune valeur n'est attribuée au sujet tant qu'il n'a pas été évalué. Créer l’évaluation, c'est placer la conscience sous surveillance, sous sous sa propre surveillance. Le sujet dépossédé de sa propre liberté de conscience suffit comme seul bourreau. L'évaluation se pose comme unique dispositif de visibilité de l'évalué. elle refuse au sujet la possibilité de poursuivre son individuation  ailleurs et autrement.  Placé sous le joug de l'évaluation le sujet reste à jamais sous tutelle.
C'est l'évaluation qui qui après avoir tué ce qu'il y d'agent dans le sujet le reconnaît en tant que tel, mais désormais devenu non plus un sujet libre mais un sujet domestiqué, sous domination. 
L'évaluation est une forfaiture de la vérité, mais aussi une légitimation réelle du pouvoir en place. Le pouvoir cherche à détruire la capacité d'individuation de chaque individu ou plutôt de faire croire à l'individu que son individuation nécessite un strict individualisme. Le pouvoir tient par l'intérêt qu'il alimente. Il substitue à la notion d'individuation celle de l’intérêt, en donnant l'illusion qu'elle lui est similaire. Mais cet intérêt n'a de sens qu'à l'intérieur d'un système qui reconnait la valeur de la domination. Jouir de cet intérêt suppose la mise sous tutelle. L' "avoir" met en demeure la liberté d'être du sujet. 

Quand l'évaluation n'arrive pas à évaluer elle met en accusation. 
Contester l'évaluation ne permet nullement d'accéder à un débat sur l'évaluation. Contester l'évaluation c'est risquer sa propre marginalisation ou stigmatisation. Le procédé est bien connu avec la surenchère sécuritaire liberticide : qui peut avoir peur des contrôles de police, des surveillances électroniques sur le web... si ce n'est le fautif ou celui qui se reproche quelque chose ? 
Ainsi le mythe de la neutralité de l'évaluation suit les rails du mythe de la neutralité de la technique. Chacun est tenu par le pouvoir anonyme de l'évaluation, pour plus d'illusion d'égalité.

Extraits du livre de Cynthia Fleury 'Les Irremplaçables' Chapitre 'le dogme du pouvoir' .
Mes notes de lecture dans  http://sansdire.blogspot.fr/2015/11/les-irremplacables.html?view=flipcard
Prisonner in Panopticon (early XIXth)                                                Worker in open space (early XXIst  )

"L’évaluation généralisée est une pratique néolibérale pathologique. Née dans la finance la pratique de l'évaluation est en voie de coloniser toutes les sphères de la vie sociale, organisant par là leur soumission à la logique d'une société de marché de part en part régie par le principe de concurrence. On évalue les chauffeurs de VTC, les appartements de location, les toilettes d'aéroport, et sans doute bientôt les dîners entre amis. "
Frédéric Lordon 22 février 2017